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     T-1770-96

     AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,

     L.R.C. (1985), ch. C-29,

     ET un appel interjeté de la décision

     d'un juge de la citoyenneté,

     ET

     SHUN YIU TAI,

     appelant.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

         Appel est interjeté de la décision d'un juge de la citoyenneté qui a refusé à l'appelant à l'instance la citoyenneté canadienne le 13 juin 1996. Il a été conclu que M. Tai ne remplissait pas la condition de résidence posée par l'alinéa 5(1)c) de la Loi, qui prévoit qu'un candidat à la citoyenneté canadienne doit avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande. Le juge de la citoyenneté a conclu que l'appelant s'était trouvé physiquement au Canada pendant 669 jours, et qu'il lui manquait donc 326 jours des 1 095 jours requis pour satisfaire à la condition de résidence.

         À l'audition, le juge de la citoyenneté a examiné les absences de l'appelant qui étaient dues à des études à l'étranger. À son avis, devenir "canadianisé" ne saurait s'accomplir à l'étranger en s'appuyant sur la décision rendue par le juge Muldoon dans l'affaire John Ting Min Hui .


         Dans son avis d'appel, l'appelant soutient ce qui suit :

         [TRADUCTION]
         1. Le juge a eu tort de ne pas conclure que j'ai résidé au Canada pendant 1 095 jours en application de l'alinéa 5(1)c), compte tenu de l'interprétation appropriée de cet alinéa selon le droit et la jurisprudence canadiens.
         2. Pour tout autre motif que l'avocat jugera indiqué.

         L'appelant est né à Hong Kong le 5 janvier 1978. Il a obtenu le statut de résident permanent au Canada le 19 juillet 1992, le même jour où il est arrivé avec sa famille. À partir de la date de son arrivée, le demandeur a fréquenté l'école secondaire Killarney à Vancouver, et a suivi le programme [TRADUCTION] "anglais comme langue seconde". Du 21 septembre 1994 au 1er août 1995, puis du 20 août 1995 au 1er novembre 1995, l'appelant a fréquenté le Morrison Hill Technical Institude de Hong Kong, pour des études d'électrotechnicien. L'appelant a présenté des relevés de notes et la confirmation de son inscription dans les deux écoles.

         À l'audition devant le juge de la citoyenneté, le requérant a fait savoir qu'il n'avait jamais demandé à fréquenter une école post-secondaire au Canada, mais qu'il avait l'intention de le faire quand il aurait fini ses études à Hong Kong. Le requérant a également mentionné que, durant ses vacances d'été par suite de son année scolaire à Hong Kong, il n'avait pas travaillé au Canada.

         Toutefois, pendant ses absences pour des études, l'appelant a maintenu un compte bancaire au Canada, qui a été ouvert le 20 juillet 1992. L'appelant a également maintenu un permis de conduire valable en C.-B. et avait une police d'assurance-vie chez Canada Life depuis le 4 juillet 1992. De plus, il continuait d'être couvert par le régime de santé de la C.-B. sous le numéro d'enregistrement de ses parents entre le 1er octobre 1994 et le 30 septembre 1996. En dernier lieu, l'appelant donne l'adresse de ses parents au Canada comme son adresse permanente.

         La présence physique à temps plein au Canada n'est pas une condition de résidence essentielle sous le régime de l'alinéa 5(1)c) de la Loi, selon les propos tenus par le juge en chef adjoint Thurlow (tel était alors son titre) dans l'affaire Papadogiorgakis1. De plus, dans Re Koo2, le juge Reed a décidé que pour déterminer si un requérant avait rempli la condition de résidence, il fallait examiner s'il avait centralisé son mode d'existence. Le juge Reed a formulé six facteurs qui peuvent aider à faire une telle détermination. Voici le facteur qui s'applique particulièrement à l'espèce :

         L'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

                 [non souligné dans l'original]

         Ainsi qu'il a été dit dans les affaires Ismael3 et Buzacott4, pour avoir droit à cette exemption pour des études à l'étranger, l'appelant doit établir qu'il avait l'intention d'établir sa résidence au Canada ou, selon les propos tenus dans l'affaire Chen5 "établir un lien suffisant avec le Canada avant de le quitter pour continuer ses études".

         Dans l'affaire Ismael, le juge MacKay a accueilli l'appel de l'appelante sur la question de résidence, parce que son absence du pays n'avait pas interrompu un mode établi de résidence au Canada, et qu'elle avait l'intention claire et continue de résider au Canada et de centraliser son mode de vie dans ce pays. Compte tenu des éléments de preuve, le juge MacKay a établi que l'appelante avait maintenu des liens qu'on attendait d'une personne de son âge et que, même si elle avait quitté le Canada en tant que mineure, cela ne l'empêchait pas d'avoir établi sa résidence au Canada.

         En l'espèce, les circonstances de l'appelant ressemblent tout à fait à celles de l'appelante dans l'affaire Ismael. L'appelant à l'instance est arrivé au Canada accompagné de ses parents et de sa soeur lorsqu'il avait environ 14 ans. À leur arrivée, les parents ont acheté à Vancouver une maison qu'ils possèdent toujours et occupent aujourd'hui. Peu de temps après son arrivée, il s'est inscrit à l'école secondaire Killarney qu'il a fréquentée pendant deux ans, et il a achevé l'équivalent de la dixième année. En tant qu'étudiant dans cette école, il a également choisi l'anglais comme langue seconde. À mesure qu'il avançait en âge, il n'allait pas, selon son père, être en mesure de maintenir des normes scolaires suffisantes et se laissait dépasser par les camarades de classe de son âge. Puisqu'il avait l'intention de faire en fin de compte des études d'ingénieur, on a estimé qu'il serait plus avantageux pour lui de retourner à l'école de Hong Kong pour qu'il achève sa formation en ingénierie qui lui permettrait de s'inscrire éventuellement en ingénierie au Canada. Il a donc fréquenté le Morrisson Hill Technical Institute dans le Département d'ingénierie électronique, dont il obtenu le diplôme et l'équivalence de la douzième année. Pendant tout ce temps, il a maintenu son adresse canadienne et résidé avec son grand-père qui était toujours citoyen de Hong Kong. À deux occasions, une en août 1995 et une autre en août 1996, il a reçu des autorités canadiennes à Hong Kong des permis de retour résidentiels valables.

         Lorsqu'on lui a demandé pourquoi il n'était pas retourné au Canada au printemps de 1997 après avoir fini ses études, il a fait savoir que son père souffrait d'un cancer du rein en phase terminale, et qu'il y demeurait pour s'occuper de son père puisque ce dernier s'était également installé chez son grand-père. Cela est confirmé par des lettres provenant des hôpitaux traitants dans lesquelles on indique que le père est toujours en traitement du cancer et qu'il ne devrait pas faire de longs voyages.

         En l'espèce, M. Tai est demeuré au Canada du 19 juillet 1992 au 9 juillet 1993. Il a alors passé des vacances à Hong Kong jusqu'au 24 août 1993. Il est demeuré au Canada jusqu'en septembre 1994 et y est retourné à la fin de son année scolaire le 1er août 1995. Il est demeuré au Canada pendant environ 20 jours et est de nouveau parti le 20 août 1995.

         Une lecture attentive de la décision du juge de la Citoyenneté m'a convaincu qu'il existait une certaine confusion dans son interprétation de la jurisprudence existante. Il convient de noter que, à la seconde page de sa décision, elle s'est exprimée en ces termes :

         [TRADUCTION] Après vous avoir interrogé et examiné les documents versés au dossier, je suis certaine que vous avez l'intention de faire du Canada votre foyer familial.

         Compte tenu de cette décision et de mes propres conclusions, nous avons ici un appelant qui est arrivé à l'âge de 14 ans environ, a passé ses deux premières années à fréquenter l'école secondaire de Vancouver, et qui a également choisi l'anglais comme langue seconde; il est retourné à Hong Kong parce que son père estimait qu'il était plus avantageux pour lui d'obtenir un certain genre de certificat ou de diplôme puisqu'il se laissait dépasser par ses camarades de classe; il est demeuré à Hong Kong pendant l'été 1996 et 1997 en raison de la maladie de son père qui subit un traitement du cancer; il a résidé chez son grand-père au cours de ses études. Il a toujours donné Vancouver comme son adresse résidentielle.

         Je suis convaincu que l'absence physique a été causée par une situation temporaire, que les absences étaient justifiées, que le comportement de l'appelant n'était pas de nature à interrompre sa résidence et qu'il avait toujours l'intention claire de résider au Canada et d'y centraliser son mode de vie.

         Par ces motifs, j'accueille le présent appel.

                             (signé) "P. Rouleau"

                                     Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 9 octobre 1997

Traduction certifiée conforme

                         Tan Trinh-viet

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

INTITULÉ DE LA CAUSE :             
                             AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,
                             L.R.C. (1985), ch. C-29,
                             ET un appel interjeté de la décision d'un juge de la citoyenneté,
                             ET
                             SHUN YIU TAI
No DU GREFFE :                      T-1770-96
LIEU DE L'AUDIENCE :              Vancouver (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 3 octobre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE ROULEAU en date du 9 octobre 1997

ONT COMPARU :

Wlodyka                          pour l'appelant

Julie Fisher                      pour l'amicus curiae

                    

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Wong & Associates

Vancouver (C.B.)                  pour l'appelant

Watson, Goepel, Maledy

Vancouver (C.-B.)                  pour l'amicus curiae


__________________

     1      Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208.

     2      Re Koo, [1993] 1 C.F. 286.

     3      Re Ismael, [1992] 3 C.F. 381 (C.F.1re inst.).

     4      Re Buzacott (1993) F.C.J. No. 927 (C.F.1re inst.).

     5      Affaire intéressant Chen (1996), F.C.J. No. 63 (C.F.1re inst.).

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