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Date : 20191212


Dossier : T-1140-18

Référence : 2019 CF 1596

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Saskatoon (Saskatchewan), le 12 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

DALE KOHLENBERG

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

ET MINISTRE DE LA JUSTICE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés à l’audience à Saskatoon (Saskatchewan), le 11 décembre 2019)

[1]  La Cour est saisie d’une demande de révision présentée au titre de l’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A‑1 [la Loi], visant la décision prise par le ministère de la Justice de ne pas communiquer un document sollicité par le demandeur au motif qu’il est visé par le secret professionnel de l’avocat. Le demandeur a déposé une plainte auprès du Commissaire à l’information, qui a rejeté la plainte.

[2]  Le demandeur est un avocat qui travaille au ministère de la Justice. Il a déposé un grief contre son employeur concernant sa description d’emploi et sa classification. Son employeur lui a donné des directives quant au processus lui permettant de déposer certains renseignements en preuve dans le cadre de ce grief. Afin de « mettre à l’épreuve l’intégrité » de ce processus, le demandeur a présenté une demande d’accès à l’information identique auprès de deux ministères : le ministère de la Justice et le ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada (AANC). La demande visait de nombreux documents, mais un seul d’entre eux est visé par la présente demande. Il s’agit d’une lettre envoyée à un organisme du gouvernement de la Saskatchewan par un avocat agissant pour le compte d’une Première Nation. AANC a communiqué le document au demandeur. Le ministère de la Justice a refusé de le lui communiquer, invoquant le secret professionnel de l’avocat. Après que le demandeur a introduit la présente demande, le ministère de la Justice s’est ravisé et a communiqué le document, bien qu’il ait prétendu le faire sans lever le secret professionnel de l’avocat.

[3]  Le procureur général soutient que l’affaire est théorique, parce que le demandeur est maintenant en possession du document qu’il voulait obtenir. Je suis du même avis. L’objectif d’une demande de révision présentée au titre de l’article 41 de la Loi est de décider si un document devrait ou non être divulgué. Une fois que le document est divulgué, la demande devient normalement théorique : Albatal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 32, au paragraphe 2; Dagg c Canada (Industrie), 2010 CAF 316, au paragraphe 14.

[4]  Le demandeur soutient néanmoins que l’issue de la présente demande aurait des conséquences sur ses droits. En effet, le ministère de la Justice affirme toujours que le document est protégé par le secret professionnel de l’avocat. Le gestionnaire du demandeur lui a ordonné de ne pas utiliser, dans le cadre de son grief, les documents en la possession du ministère, notamment les documents protégés par le secret professionnel de l’avocat, à moins qu’ils n’aient été obtenus au moyen d’une demande d’accès à l’information. Il lui a aussi dit que le défaut de respecter cet ordre pourrait entraîner la prise de mesures disciplinaires. Le demandeur soutient que cela le met dans une situation d’incertitude quant à l’utilisation qu’il peut faire du document.

[5]  Avec égards, je pense que cette préoccupation n’est pas fondée. Une fois qu’un document est communiqué conformément à la Loi, le demandeur peut l’utiliser à quelque fin que ce soit. D’ailleurs, lors de l’audition de la présente demande, l’avocat du procureur général a reconnu que le demandeur pouvait utiliser le document sans restriction, et qu’il pouvait mentionner qu’il l’avait obtenu d’AANC et du ministère de la Justice. Compte tenu de cette admission, la crainte du demandeur qu’une mesure disciplinaire ne soit prise contre lui s’il utilisait le document semble être entièrement conjecturale.

[6]  Je conclus donc que l’affaire est théorique.

[7]  Néanmoins, dans l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342, la Cour suprême du Canada a décidé qu’une cour avait le pouvoir discrétionnaire d’entendre une affaire devenue théorique. La Cour suprême a décrit trois facteurs qui sous-tendent l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire : i) l’existence d’un contexte contradictoire; ii) l’économie des ressources judiciaires; iii) l’obligation pour la Cour de prendre en considération sa véritable fonction juridictionnelle au sein de l’État.

[8]  Bien qu’il existe sans aucun doute un contexte contradictoire entre les parties, le fait de rendre une décision sur le fond ne serait pas la meilleure façon d’utiliser les ressources de la Cour.

[9]  On dit souvent qu’un tribunal peut entendre une affaire théorique lorsque la question litigieuse échappe autrement à la révision. Toutefois, les questions relatives au secret professionnel de l’avocat n’échappent pas à la révision. Il existe déjà une jurisprudence abondante en la matière.

[10]  Je dois également tenir compte de l’étroite portée de la demande dont je suis saisi. La Loi ne porte ni sur le motif de la demande de communication ni sur le différend sous‑jacent pouvant exister entre les parties. Une demande présentée au titre de la Loi ne m’autorise pas à tenir une enquête exhaustive au sujet de la relation entre les parties. J’outrepasserais les limites de mon rôle si je donnais des directives aux parties au sujet de questions relevant de la procédure de règlement des griefs. Toute question d’équité procédurale soulevée dans le cadre d’une procédure de règlement des griefs devrait être examinée par les décideurs dans une telle procédure, ou par la Cour lorsqu’elle est appelée à réviser les décisions rendues dans le cadre de la procédure de règlement des griefs.

[11]  Pour ces motifs, la présente demande est rejetée.

[12]  Compte tenu des circonstances de l’espèce, des dépens de 3 000 $, débours et taxes compris, seront adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T-1140-18

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et que des dépens de 3 000 $, débours et taxes compris, sont adjugés.

« Sébastien Grammond »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour de décembre 2019.

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1140-18

INTITULÉ :

DALE KOHLENBERG c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET MINISTRE DE LA JUSTICE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Saskatoon (Saskatchewan)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 décembre 2019

Jugement et motifS :

Le juge GRAMMOND

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

 

Le 12 décembre 2019

 

COMPARUTIONS :

Dale Kohlenberg

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Stephen Kurelek

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

Pour le défendeur

 

 

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