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Date : 20191213


Dossier : T‑625‑18

Référence : 2019 CF 1487

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

GARY W. PELLETIER ET

GORDON D. LERAT

demandeurs

et

CADMUS DELORME, CURTIS LERAT, CAROL LAVALLEE, BONNIE LAVALLEE, LIONEL SPARVIER, RICHARD AISCAICAN, PATRICIA SPARVIER, MALCOLM DELORME ET JONATHAN Z. LERAT

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  La nature de l’affaire

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, à l’égard de deux décisions [les décisions] rendues par la Première Nation de Cowessess [la PNC], qui est représentée par les défendeurs, les membres élus du conseil de bande. Premièrement, la résolution du conseil de bande no 2017/2018‑114, adoptée le 13 juillet 2017 [la RCB], prévoit l’utilisation de permis agricoles sur les terres de réserve de la PNC, conformément au paragraphe 28(2) de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5. Deuxièmement, la motion no 2017/201/‑175 du 3 octobre 2017 [la motion] fixe le montant d’une compensation monétaire, soit 20 $ l’acre, pour les personnes touchées par les changements apportés au régime de gestion des terres.

[2]  Dans leur avis de demande déposé le 29 mars 2018, les demandeurs cherchent à obtenir de la Cour plusieurs jugements déclaratoires et ordonnances. Ils demandent à la Cour de casser la RCB et la motion ou, subsidiairement, de renvoyer l’affaire au conseil de bande de la PNC avec des directives. Ils sollicitent aussi les dépens à l’égard de la demande.

[3]  Les défendeurs contestent le moment choisi pour présenter la demande. Je dois me pencher sur cet argument avant d’examiner la demande sur le fond.

[4]  Pour les motifs exposés ci‑après, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Le contexte

[5]  À titre de question préliminaire, je constate que la présente demande est présentée contre la PNC, telle qu’elle est représentée par les membres du conseil de bande désignés. Je note que l’avis de demande énumère les membres particuliers du conseil de bande à titre de défendeurs et qu’il a été délivré à la fois au conseil de bande de la PNC et aux membres particuliers du conseil de bande. Le libellé de l’avis de demande et les arguments juridiques des demandeurs font référence au conseil de bande de la PNC. Par conséquent, je considère que la demande est présentée contre la PNC, telle qu’elle est représentée par les membres du conseil de bande désignés.

[6]  Le ministère fédéral responsable de l’administration des questions visées par la Loi sur les Indiens était anciennement le ministère des Affaires indiennes et du Développement du Nord [le ministère]. Le ministère a changé de nom plusieurs fois au fil des ans; cependant, j’utiliserai simplement le terme « le ministère ».

[7]  La présente instance concerne un désaccord sur la question de savoir si le conseil de bande de la PNC a le pouvoir de déterminer comment les terres de réserve sont administrées au profit de la PNC. Au paragraphe 19 de leur exposé des arguments, les demandeurs avancent ce qui suit :

[traduction

Les demandeurs soutiennent que la question à trancher en l’espèce n’est pas celle de savoir si les terres de réserve d’origine de la Première Nation de Cowessess (PNC) doivent être gérées, mais plutôt la façon dont le système allégué de gestion des terres a été créé et mis en œuvre.

[8]  Dans leur avis de demande, les demandeurs décrivent la question ainsi :

[traduction

Le chef et le conseil n’ont pas l’autorité légitime d’expulser des détenteurs de terres traditionnelles de leurs terres, pas plus qu’ils n’ont le pouvoir de verser des paiements aux détenteurs de terres traditionnelles en échange de leurs terres, puisqu’il n’existe aucun critère pour ce faire.

[9]  Les défendeurs déclarent ce qui suit au paragraphe 2 de leur exposé des arguments :

[traduction

La présente affaire concerne le régime foncier dans la réserve et la compétence du chef et du conseil pour administrer les terres de réserve non attribuées au sein de la Première Nation de Cowessess. Manifestement, selon les dispositions de la Loi sur les Indiens et les arrêts qui interprètent la Loi, le chef et le conseil possèdent cette compétence.

[10]  La présente instance a été soumise à la procédure de gestion des instances prévue par les Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. Le 13 juillet 2018, la protonotaire Aylen a ordonné l’admission en preuve de l’affidavit de Terrance Lavallee. De plus, les parties ont consenti à l’admission de l’affidavit de William Tanner. Les deux affidavits sont résumés dans la section intitulée « La preuve » des présents motifs, plus loin.

[11]  La PNC et ses membres sont des descendants des signataires originaux du Traité no 4 dans le Sud‑Est de la Saskatchewan. La PNC compte environ 4 259 membres inscrits auprès de la bande et environ 839 membres qui résident dans la réserve de la PNC. L’assise territoriale de la réserve de la PNC comprend environ 98 000 acres de terres, dont environ 28 000 acres qui se trouvent dans la réserve originale de la PNC [les terres de réserve originales].

[12]  La PNC a pu élargir l’assise territoriale de sa réserve au‑delà des terres de réserve originales à la suite du règlement d’une obligation juridique à remplir qui était liée à la revendication de droits fonciers issus de traités [DFIT] qu’elle avait présentée aux gouvernements du Canada et de la Saskatchewan. En raison du règlement sur les DFIT, la plupart des terres achetées par la PNC, voire toutes, ont été converties en terres de réserve, conformément à la Loi sur les Indiens [les terres de réserve liées aux DFIT].

[13]  Le titre en common law associé aux terres de réserve de la PNC, y compris les terres de réserve originales et les terres de réserve liées aux DFIT, est détenu par Sa Majesté la Reine du chef du Canada [le Canada] en fiducie pour les membres de la PNC. Ces terres de réserve sont assujetties au régime de gestion des terres de la Loi sur les Indiens. La grande majorité des terres de réserve originales et des terres de réserve liées aux DFIT est constituée de terres agricoles.

[14]  Au fil des ans, la PNC a administré les terres de réserve originales avec un degré de formalité variable. Certaines décisions foncières étaient prises conformément au régime de gestion des terres de la Loi sur les Indiens, tandis que d’autres décisions foncières étaient prises selon ce qui peut seulement être décrit comme une pratique informelle qui ne relevait pas du régime de gestion des terres prévu par la Loi sur les Indiens.

[15]  Dans les terres de réserve originales, il y a actuellement environ 27 membres de la PNC qui revendiquent ce qui est décrit comme un intérêt coutumier ou traditionnel à l’égard de certaines terres. Les parties ne s’entendent pas sur la terminologie appropriée à utiliser pour décrire ces 27 membres de la PNC. Il y a des mentions des termes [traduction« locataires au noir » et [traduction« détenteurs de terres traditionnelles ». J’utiliserai le terme neutre « occupants de terres » par souci de commodité. Les intérêts dont il est question dans la présente instance concernent seulement les terres de réserve originales. La présente instance ne concerne pas les maisons ou les résidences des demandeurs.

[16]  Ces intérêts auraient été créés d’un certain nombre de façons : certains d’eux ont été créés à la suite d’une reconnaissance accordée par le conseil de bande de la PNC ou le ministère; certains ont été créés au moyen de résolutions du conseil de bande; certains ont été créés au moyen de testaments approuvés par le ministère, dont il sera question plus loin. Dans le cas des résolutions du conseil de bande, leur période de validité a expiré depuis longtemps. Pour ce qui est des testaments, ce sont les descendants qui prétendent maintenant que l’intérêt est prorogé.

[17]  La validité et la portée des intérêts détenus par les occupants de terres ont été la source de certains différends au sein de la PNC au fil des années. Il y a eu des tentatives de réformer le système de gestion des terres, mais elles n’ont pas été fructueuses. À titre d’exemple récent, la PNC a adhéré à l’Accord‑cadre relatif à la gestion des terres des premières nations, qui a été officialisé sous le régime de la Loi sur la gestion des terres des premières nations, LC 1999, c 24 [la LGTPN]; toutefois, la PNC n’a pas été en mesure d’adopter un code foncier sous ce nouveau régime. Par conséquent, la Loi sur les Indiens continue de s’appliquer.

[18]  Les occupants de terres qui ne cultivent pas directement ces terres de réserve permettent à des non‑membres de la PNC de le faire. Les occupants de terres perçoivent des redevances ou des loyers pour l’utilisation des terres directement auprès des non‑membres de la PNC. La PNC ne reçoit aucune redevance aux termes de ces ententes. Il n’existe pas d’entente écrite dans laquelle la PNC ou le ministère sont nommés à titre de parties. Dans la preuve et dans le dossier, ces ententes sont appelées des baux [traduction« au noir ». Ces ententes existent depuis plusieurs décennies.

[19]  Le conseil de bande de la PNC a décidé d’appliquer le régime de gestion des terres de la Loi sur les Indiens aux terres de réserve originales en participant au Programme de gestion de l’environnement et des terres de réserve [le PGETR], qui est administré par le ministère. Le PGETR fournit du financement aux Premières Nations pour qu’elles puissent développer la capacité nécessaire à la gestion des terres de réserve et à l’exercice des responsabilités accrues connexes sous le régime de la Loi sur les Indiens. Pour la PNC, ce programme exigeait qu’elle établisse un système d’octroi de permis pour les terres de réserve, conformément au paragraphe 28(2) de la Loi sur les Indiens, et qu’elle examine la question de l’indemnisation des occupants de terres touchés par ce nouveau régime de gestion des terres. Le conseil de bande l’a fait en adoptant la RCB, puis la motion. Pour ce faire, il a inévitablement fallu aborder la question se posant depuis longtemps, et non résolue, de la gestion des terres au sein de la PNC. Les demandeurs se sont opposés à cette mesure et ont engagé la présente instance.

III.  La preuve

[20]  Les paragraphes qui suivent résument la preuve présentée par les parties.

A.  Les demandeurs

(1)  Gary Pelletier

[21]  Gary Pelletier [M. Pelletier], un des demandeurs, revendique quatre quarts des terres de réserve originales qui étaient initialement [traduction« louées » par son père, aux termes d’une résolution du conseil de bande adoptée en 1975. Cette résolution avait une durée de 15 ans et prévoyait des paiements de sommes nominales (ce qui ne clarifie pas la question de savoir à qui les paiements doivent être versés). M. Pelletier décrit comment les terres de réserve ont été attribuées au sein de la PNC au fil des ans. Il déclare que son père a cultivé les terres jusqu’en 1985, après quoi elles ont été enherbées pour la fenaison. Il déclare qu’en 1992, il a pris la relève de la production de foin démarrée par son père. Il déclare également que son père lui a légué les terres de vive voix avant sa mort.

[22]  M. Pelletier a joint une lettre du 18 novembre 1992 de l’ancien chef Terrance Lavallee (qui a également souscrit un affidavit à l’appui des demandeurs), qui vise à communiquer une motion du conseil de bande selon laquelle :

[TRADUCTION

[...] toutes les [RCB] sur les terres, qu’elles soient expirées ou non, préserveront les intérêts accordés à l’égard des terres désignées dans les RCB particulières, jusqu’à ce qu’une politique d’utilisation des terres soit adoptée [...]

7 voix pour, 1 voix contre, 3 abstentions, 1 absence

[23]  M. Pelletier fournit une autre lettre, datée du 9 juin 1998, adressée à son père qui mentionne ce qui suit : [traduction« Il est proposé par Chester Agecoutay que le chef et le conseil acceptent de maintenir la même pratique et reconnaissent les intérêts dont il est question dans la lettre du chef datée du 18 novembre 1992. » La lettre vient de William Tanner, président du Comité des terres (qui a fourni un affidavit à l’appui des demandeurs), et une copie en a été transmise au chef et au conseil, au Comité des terres et à Gordon D. Lerat (l’autre demandeur). Chester Agecoutay a également fourni un affidavit à l’appui des demandeurs.

[24]  M. Pelletier fournit une lettre type d’octobre 2012 venant de l’ancien chef Grady Lerat (qui a fourni un affidavit à l’appui des demandeurs), qui mentionne notamment ce qui suit :

[traduction

Veuillez accepter la présente lettre à titre de confirmation selon laquelle les détenteurs de terres traditionnelles de la Première Nation de Cowessess ont la capacité de conclure des contrats pour l’utilisation des terres à des fins agricoles. Une priorité sur la gestion des terres a été établie il y a des décennies pour permettre aux détenteurs de terres traditionnelles d’utiliser les terres pour générer des revenus pour leur profit. Notre Première Nation est en train de consulter les détenteurs de terres traditionnelles, et, jusqu’à ce que nous parvenions à une entente sur la gestion des terres de la Première Nation de Cowessess, toutes les ententes conclues avec des organismes externes seront en vigueur.

[25]  M. Pelletier déclare que la lettre du 20 janvier 2017 du chef Delorme, qui contenait une invitation à discuter des questions foncières le 16 février 2017, a été envoyée à tous les occupants de terres. Il n’a pas assisté à la rencontre du 16 février 2017, mais M. Pelletier a été informé de la teneur de la discussion par un autre membre de la PNC. M. Pelletier a assisté à la rencontre de mars 2017, au cours de laquelle la question des terres a de nouveau fait l’objet d’une discussion. M. Pelleter déclare qu’il n’a rien entendu d’autre jusqu’à ce qu’une lettre du 10 octobre 2017 du chef Delorme soit affichée sur une page Facebook. La lettre annonçait l’adoption de la RCB ainsi que de la motion, et le fait que le nouveau régime de gestion des terres commencerait à s’appliquer le 1er janvier 2018. Les observations des avocats mentionnent que cette lettre n’indiquait [traduction« rien de précis au sujet de la cession à la bande des terres détenues de façon traditionnelle ». M. Pelletier fait également référence à l’avis de réunion de novembre 2017, qui a été affiché sur la même page Facebook que l’avis précédent. Encore une fois, cette lettre faisait référence à la RCB et à la motion. M. Pelletier était présent à la rencontre du 27 novembre déclare que le chef a eu de la difficulté à mener la rencontre en raison de l’opposition exprimée par les participants. M. Pelletier fait également mention d’un avis de réunion sur le forum des terres qui a été affiché en février 2018 concernant une réunion qui devait se tenir le 26 février 2018 afin d’examiner un plan d’aménagement du territoire et un règlement de zonage.

(2)  Gordon D. Lerat

[26]  Le deuxième demandeur, Gordon D. Lerat [M. Lerat], présente un récit similaire. M. Lerat déclare que lui et ses cinq frères et sœurs revendiquent environ quatre quarts des terres de réserve originales. Ces mêmes terres avaient auparavant été attribuées à son père par une résolution du conseil de bande adoptée en 1973 qui était en vigueur jusqu’au 31 décembre 1983 et qui prévoyait le paiement d’un loyer nominal. Il déclare que son père a commencé à préparer les terres pour les cultiver en 1959. M. Lerat a fourni un testament de son père, qui a été approuvé par le ministère et qui prévoit notamment ce qui suit : [traduction« Octroi de baux et de résignations de baux sur les terres de réserve indienne de Cowessess que je possède, le loyer faisant partie du reliquat de ma succession et devant être traité en conséquence. Les modalités de ces baux seront celles que mon fiduciaire jugera indiquées. » Il y a un codicille manuscrit qui prévoit ce qui suit : [TRADUCTION« Les terres de réserve doivent être partagées à parts égales par mes enfants. »

[27]  M. Lerat fournit également des documents selon lesquels son père [TRADUCTION« a acheté des terres et des améliorations » d’autres membres de la PNC, y compris un certificat de possession. M. Lerat décrit ensuite sa propre pratique agricole qui lui a permis, au fil des ans, d’obtenir des certificats liés à l’industrie agricole. Avant la mort de son père en 2001, les terres étaient louées à des non‑membres de la PNC. Il mentionne qu’il prévoyait cultiver les terres plus tard, mais qu’il a ensuite opté pour une carrière dans le domaine du camionnage en 2013.

[28]  M. Lerat dresse aussi la même chronologie des faits que M. Pelletier. Il a également fourni un affidavit supplémentaire pour décrire la demande de permis qu’il avait présentée à la PNC.

(3)  Terrance Lavallee

[29]  Terrence W. Lavallee [M. Lavallee] n’est pas un demandeur, mais son affidavit a été admis en preuve par la protonotaire Aylen, comme il a été mentionné ci‑dessus. M. Lavallee revendique seize quarts des terres de réserve originales. M. Lavallee explique que son arrière‑grand‑père détenait les terres au départ et qu’il a cru comprendre que ce dernier avait reçu un billet d’occupation effective. Ces mêmes terres ont été transmises d’une génération à l’autre, jusqu’à celle de M. Lavallee.

[30]  M. Lavallee fournit une lettre identique à celle de l’ancien chef Grady Lerat qui a été mentionnée dans l’affidavit de M. Pelletier. Il déclare que son père et lui ont cultivé la terre ensemble, ont amassé de l’équipement agricole et étaient devenus les plus importants agriculteurs de la région. Quand son père est mort en 1986, celui‑ci a transmis les terres à son épouse, la mère de M. Lavallee, qui les a ensuite léguées à M. Lavallee ainsi qu’aux trois membres de sa fratrie.

[31]  M. Lavallee décrit également les faits de mai 2018 au cours desquels il a découvert qu’un non‑membre de la PNC avait ensemencé environ 600 acres de ses terres sans qu’il en soit informé. Il décrit ensuite une rencontre qui a eu lieu après cette découverte et au cours de laquelle Loretta Delorme et Christopher Lerat, deux membres du conseil de bande, ainsi qu’une autre personne non identifiée sont allés lui parler chez lui. Il dit avoir été intimidé par la rencontre jusqu’à ce que son fils arrive et s’y joigne. Il déclare que Mme Delorme l’a invité au bureau de la bande pour discuter et qu’il a accepté l’invitation. Il déclare que Mme Delorme lui a parlé de l’octroi de permis d’utilisation de terres à des agriculteurs non membres de la PNC, et il ajoute qu’il n’a jamais reçu d’avis au sujet de ce qui se passait.

[32]  M. Lavallee déclare que Mme Delorme lui a remis des documents, y compris une offre de location, une lettre du chef Delorme datée du 10 octobre 2017, un compte rendu de réunion ainsi que le plan élaboré par le chef Delorme et le conseil de bande. Il affirme que toutes ses terres ont été louées par la PNC, ce qui l’a privé d’une partie importante de ses moyens de subsistance. Il déclare n’avoir jamais reçu d’avis l’informant qu’il était expulsé de ses terres ou que ses terres allaient être louées.

(4)  Grady Lerat

[33]  Grady Lerat [M. G. Lerat], qui n’est pas un demandeur, revendique deux quarts des terres de réserve originales. Un quart a été attribué à son père, un ancien combattant de retour de la guerre, par une résolution du conseil de bande adoptée en 1946. Il ne possède pas de documents concernant l’autre quart. En ce qui a trait aux terres octroyées en raison du service militaire de son père, M. G. Lerat fournit une lettre de 1969 du ministère qui stipule notamment ce qui suit :

[traduction

Malgré le fait qu’aucun titre n’a été délivré pour le quart de section que vous avez cultivé, vous êtes considéré comme un occupant légitime des terres. Vous ne pouvez pas être évincé de ces terres par le conseil de bande sans indemnisation pour les améliorations permanentes qui y ont été apportées.

[34]  M. G. Lerat fournit également un testament de son père, qui a également été approuvé par le ministère et qui prévoit notamment ce qui suit :

[traduction

JE LÈGUE et donne à mon fils, GRADY LERAT, à ses propres usage et profit, sans réserve, assujettis à toute approbation pouvant être exigée par le conseil de la Première Nation de Cowessess, mes terres en concession agricole [...] et les droits fonciers qui m’ont été octroyés à titre d’ancien combattant, qui sont adjacents à mes terres en concession agricole, que j’ai occupés dans la réserve indienne de Cowessess et qui comportent une superficie de 340 acres.

[35]  M. G. Lerat a commencé à [traduction« louer » les terres à un non‑membre des PNC en 1997 pour la somme d’environ 8 000 $ par année pour une période de 5 ans. À partir de 2002, il a [traduction« loué » les terres aux termes d’un accord verbal, et il continue de le faire. M. G. Lerat était le chef, en 2012, quand il a envoyé la lettre décrite par M. Pelletier.

[36]  M. G. Lerat dresse également une chronologie des faits semblable à celle décrite par les demandeurs.

(5)  Hugh Lerat

[37]  Hugh Lerat [M. H. Lerat], qui n’est pas un demandeur, revendique cinq quarts des terres de réserve originales. Ces terres ont initialement été allouées à son père en 1938 au moyen d’un [traduction« billet de location ». M. H. Lerat n’avait pas de copie de ce billet de location. Il a fourni une copie d’une résolution du conseil de bande, adoptée en 1969, qui octroyait les terres à son père pour une période de 10 ans, sans faire mention de paiements de loyer. Il a également fourni un certificat de droit d’usage et d’occupation aux fins d’un prêt qui indiquait que son père :

[traduction

[...] a le droit d’utiliser et d’occuper les terres suivantes pour une période d’au moins 11 ans, à compter du 1er jour de janvier 1969, à savoir [...] conformément à la RCB de janvier 1969 et au bail daté du 16 juin 1969, inscrit dans le registre des terres indiennes de la réserve indienne de Cowessess no 73

[38]  M. H. Lerat soutient qu’il possède des permis pour la vente de grains provenant de la terre créée par son père, et qu’il a aussi fait des paiements au ministère en 1997, pour des améliorations apportées aux terres de son défunt frère. Ces documents n’étaient pas inclus dans son affidavit.

[39]  M. H. Lerat décrit également le processus de demande de permis.

(6)  Chester Agecoutay

[40]  Chester Agecoutay [M. Agecoutay] revendique un quart des terres de réserve originales. Ces terres ont été achetées par son père auprès d’un autre membre de la PNC, dans les années 1950, pour la somme de 850 $. Il déclare que son père a indiqué son intention de conserver les terres au sein de la famille en les léguant à son épouse, mais il n’a pas fourni de copie du testament. Cependant, M. Agecoutay a fourni une copie du testament de sa mère, dont la partie pertinente stipule ce qui suit :

[traduction

JE DONNE tous mes intérêts ainsi que mon droit d’usage et de possession à l’égard de la terre SW 4‑19A‑5 W2nd, dans la réserve indienne de Cowessess no 73, à mes fils CHESTER AGECOUTAY et CURTIS MARK AGECOUTAY, à leurs propres usage et profit, sans réserve.

[41]   M. Agecoutay déclare que sa mère avait conclu une entente verbale de [traduction« location » avec un agriculteur pour la somme de 20 $ l’acre. Son frère et lui ont respecté l’entente, mais ils ne l’ont pas renouvelée, compte tenu du processus entamé par la PNC.

[42]  M. Agecoutay décrit également le processus de demande de permis.

(7)  Dodie Ferguson

[43]  Dodie Ferguson [Mme Ferguson] est une ancienne membre du Comité des terres de la PNC [le Comité des terres]. Elle n’est pas une occupante de terres. Mme Ferguson décrit les interactions entre le Comité des terres et le conseil de bande de la PNC, de même que la même chronologie des faits que celle décrite par les autres déposants. Elle a fourni des copies des présentations du conseil de bande et a décrit sa correspondance avec les membres du Comité des terres ainsi que le conseil de bande.

[44]  Mme Ferguson décrit une réunion du Comité des terres tenue en juillet 2017, au cours de laquelle les membres du comité ont discuté du fait qu’ils n’étaient pas en mesure de rédiger un plan de transition des terres (comme le conseil de bande leur avait demandé de faire) jusqu’à ce que le conseil de bande réponde à leurs questions concernant les occupants de terres. Elle fait aussi référence au processus de 2012 relatif à la désignation des terres, qui n’a pas été fructueux, et elle se dit d’avis que le conseil de bande aurait dû suivre un processus similaire pour élaborer le régime de gestion des terres en 2017.

(8)  William Tanner

[45]  William Tanner [M. Tanner] est un ancien conseiller de bande qui détient un certificat de possession pour un quart de section des terres de réserve originales. Il déclare que les avocats des demandeurs l’avaient informé en janvier 2019 qu’un permis avait été octroyé à un non‑membre de la PNC sur sa parcelle de terrain. Il déclare qu’il n’a jamais été informé qu’un permis allait être octroyé pour cette parcelle à quiconque.

B.  Les défendeurs

(1)  Cadmus Delorme

[46]  Le chef Cadmus Delorme [le chef Delorme] a dirigé les communications au sujet de l’initiative d’administration des terres au nom du conseil de bande. Il a déclaré que son père était un occupant de terres et que les membres de sa famille avaient décidé de ne pas revendiquer quelque intérêt que ce soit à l’égard des terres revendiquées de leur père. Il a décrit les diverses méthodes de communication utilisées avec l’ensemble des membres de la PNC, notamment au moyen des médias sociaux et de réunions diffusées en direct.

[47]  Le chef Delorme a décrit la méthode de gestion des terres, fondée sur l’octroi de permis en vertu du paragraphe 28(2) de la Loi sur les Indiens, pour les terres de réserve liées aux DFIT. Le chef Delorme a également décrit l’occupation [traduction« informelle » des terres de réserve originales par les membres de la PNC aux termes de résolutions du conseil de bande et l’absence d’attributions en vertu de l’article 20 de la Loi sur les Indiens. Il déclare qu’aucune de ces anciennes résolutions du conseil de bande ne crée de droit d’occuper ces terres de façon permanente. Il fait référence aux modalités du Traité no 4, qui ont confirmé l’intérêt collectif dans les terres de réserve. Le chef Delorme déclare qu’il y a actuellement deux membres de la PNC qui possèdent un certificat de possession et que l’un d’eux est William Tanner. Il confirme que le nouveau régime foncier n’aura aucune répercussion sur les titulaires de certificats de possession. Il déclare également que seulement deux occupants de terres cultivent actuellement les terres de réserve originales, mais que leur partie respective des terres est relativement petite.

[48]  Le chef Delorme n’est pas d’accord pour dire que des membres de la PNC se sont fait léguer des terrains qui faisaient partie des terres de réserve originales, étant donné qu’aucun particulier ne peut être propriétaire de terres de réserve.

[49]  Il décrit également la [traduction« location » des terres de réserve originales par divers membres de la PNC au fil des années, après que les cessionnaires initiaux ont cessé de cultiver les terres. Il déclare que la PNC n’a pas reçu de paiement de loyer dans le cadre de ces ententes. Il mentionne que le fait d’assujettir toutes les terres à un régime de permis au titre du paragraphe 28(2) générera des revenus pour la PNC, pour soutenir les programmes et les services.

[50]  Le chef Delorme explique que les demandeurs et les déposants ont tous été membres du conseil de bande et savent que la gestion des terres a été problématique au fil des années. Il a fourni des extraits de certains procès‑verbaux des réunions du conseil de bande et du Comité des terres remontant jusqu’à 1992, pour montrer que les questions foncières sont depuis longtemps non résolues et que les demandeurs ainsi que les autres déposants étaient au courant de ces questions foncières quand ils ont siégé à titre de membres du conseil de bande ou du Comité des terres.

[51]  Le chef Delorme a expliqué que le processus lié au nouveau régime de gestion des terres a commencé par des discussions avec les aînés en 2016. Il a également expliqué la chronologie des faits de 2017, telle qu’elle a été exposée par les demandeurs. Les dates sont essentiellement les mêmes, mais sa version diffère de celle des demandeurs en ce qui a trait au contenu et à la portée des discussions, et il décrit également une série d’autres réunions avec le conseil de bande. Plus précisément, il mentionne une réunion du conseil de bande du 21 mars 2017, au cours de laquelle les membres ont fini par décider de reporter la mise en place du régime foncier, en raison de la date limite d’avril 2017 qui approchait pour l’assurance‑récolte. Il explique également qu’en mars 2017, le Service de gestion des terres a avisé les non‑membres de la PNC du plan visant à mettre en œuvre le nouveau régime foncier en 2018.

[52]  Une partie importante de la preuve présentée par le chef Delorme et d’autres personnes concerne le [traduction« plan d’habilitation et de transition relativement aux terres originales de la Première Nation de Cowessess » [le plan provisoire] que le chef Delorme a préparé et présenté au conseil de bande le 21 mars 2017. Le conseil de bande a décidé de ne pas adopter le plan provisoire. Il a plutôt adopté une motion demandant au Comité des terres et des ressources de la PNC [le Comité des terres] d’examiner ainsi que de réviser le plan dans les six mois à venir. La motion prévoit également que le statu quo doit être maintenu au cours de cette année‑là.

[53]  Le plan provisoire prévoit ce qui suit : [traduction« Les personnes et les familles qui veulent exploiter une entreprise sur leur assise territoriale seront habilitées à le faire, et les personnes et les familles qui ne souhaitent pas exploiter une entreprise se feront offrir une solution de transition. » Le plan souligne ce qui suit : [traduction« Aujourd’hui, toutes les terres sont cultivées par des non‑membres de la bande. »

[54]  Il précise aussi que les cinq agriculteurs non membres qui cultivent actuellement les terres en concession de la PNC seront assujettis à un régime d’octroi de permis. Il ajoute qu’ils ont accepté de recevoir un permis d’une durée de trois ans, en vertu du paragraphe 28(2) de la Loi sur les Indiens, au prix de 30 $ l’acre. En effet, le 1er mars 2017, le chef Delorme et le personnel du Service de gestion des terres ont tenu une rencontre avec les non‑membres de la PNC.

[55]  Le plan provisoire explique que le PGETR, qui régit déjà les terres liées aux DFIT, s’appliquera à toutes les terres de réserve.

[56]  En ce qui a trait aux 27 occupants de terres de la PNC, le plan provisoire stipule qu’ils peuvent choisir entre quatre options. Ils effectueront la transition : 1) sans paiement, 2) avec une entente d’un an à 30 $ l’acre, 3) avec une entente de deux ans à 20 $ l’acre, ou 4) avec une entente de trois ans à 15 $ l’acre. Le plan prévoit ce qui suit : [traduction« Si aucune option n’est choisie, l’option 3 sera retenue. » Le plan ne précise pas d’échéance ni de procédure à suivre pour choisir l’une de ces options.

[57]  Le plan provisoire fait référence à une motion qui devait être présentée à une réunion entre le chef et le conseil prévue pour le 21 mars 2017. Selon le plan provisoire, la motion était libellée ainsi :

[traduction

1. Qu’à compter du 21 mars 2017, il soit exigé que toutes les terres de la Première Nation de Cowessess qui sont utilisées à des fins agricoles et d’élevage soient inscrites directement auprès du Service de gestion des terres de la Première Nation et fassent l’objet de permis agricoles délivrés en vertu du paragraphe 28(2) qui lient Sa Majesté la Reine du chef du Canada et le titulaire de permis proposé.

2. Qu’il soit demandé au Service de gestion des terres et à l’Administration de la Première Nation de collaborer avec les membres particuliers de la bande qui ont déjà mené des activités agricoles dans la réserve afin d’aider ces personnes à élaborer des plans d’entreprise et à entreprendre des démarches pour obtenir leurs propres permis agricoles, en vertu du paragraphe 28(2), de la part de la Première Nation et du Canada ou d’autres initiatives de location.

[58]  Le plan provisoire décrit l’indemnisation offerte aux occupants de terres de la façon suivante :

[traduction

Sous réserve de l’approbation du Canada et de la Première Nation, des ententes seront conclues pour qu’un montant déterminé provenant des sommes reçues pour les permis agricoles qui sont versées dans le compte de recettes en fiducie de la Première Nation à Ottawa soit prélevé et serve à verser des paiements aux personnes pour les améliorations qu’elles peuvent avoir apportées aux terres et qu’elles peuvent établir ou, subsidiairement, à établir notamment des programmes agricoles conçus pour aider les membres de la bande à mener leurs activités entrepreneuriales particulières.

[59]  Le plan provisoire a été rendu public le ou vers le 21 mars 2017. Il a été publié sur un babillard et sur la page Facebook de la PNC appelée « Cowessess First Nation #73 ». Des copies ont également été produites sur demande.

[60]  Le chef Delorme affirme également que le Comité des terres s’est vu accorder un délai de six mois à partir du 16 mars 2017 pour fournir des commentaires sur un plan provisoire qu’il avait pris l’initiative d’élaborer. En juillet 2017, le Comité des terres a demandé à avoir plus de temps pour l’examiner; mais, à une réunion du conseil tenue le 13 juillet 2017, le conseil de bande a refusé cette demande. C’était cette date‑là, en raison de l’écoulement du temps, que le conseil de bande a adopté la RCB et demandé au Service de gestion des terres de collaborer avec les occupants de terres pour élaborer des plans agricoles, s’ils voulaient commencer à cultiver les terres ou à faire de l’élevage. Le 3 octobre 2017, le conseil de bande a adopté la motion qui approuvait le paiement des frais d’amélioration foncière finaux. Le 11 octobre 2017, le conseil de bande a informé les occupants de terres que le nouveau régime allait être mis en œuvre en janvier 2018 et que le Service de gestion des terres allait se charger de l’administration des terres au moyen de l’octroi de permis en vertu du paragraphe 28(2). Une lettre semblable a également été affichée sur le site Web de la PNC, sur des babillards et sur une page Facebook.

[61]  Le 27 novembre 2017, il y a eu une autre rencontre communautaire, lors de laquelle on a de nouveau communiqué aux participants le fait que le nouveau régime foncier allait entrer en vigueur en 2018. Il a été réitéré que toute personne qui souhaitait utiliser les terres de réserve originales à des fins agricoles devait présenter une demande de permis.

[62]  En général, le chef Delorme déclare que la communauté était favorable à la transition du régime de gestion des terres et que tout était clair. Il a également décrit le processus d’octroi de permis et les interactions avec le Comité des terres. De plus, il a fourni des copies de ses présentations aux membres de la PNC. Le chef Delorme confirme également que les lettres et les chèques pour les frais d’amélioration foncière finaux ont été reçus par tous les occupants de terres en juin 2018.

(2)  Loretta Delorme

[63]  Loretta Delorme [Mme Delorme] est la gestionnaire des Terres et Ressources de la PNC. Elle supervise et gère le Service de gestion des terres, y compris l’administration des permis délivrés en vertu du paragraphe 28(2). Elle explique que les demandeurs et d’autres personnes ont pris possession des terres de réserve originales par divers moyens informels, [traduction« dont aucun ne confère un intérêt en common law ou des droits de propriété ». Mme Delorme déclare que les cessionnaires originaux ont cultivé les terres, mais qu’une fois qu’ils ont pris leur retraite, leurs familles ont arrêté de cultiver et ont [traduction« loué » les terres en question à des non‑membres de la PNC.

[64]  Mme Delorme décrit le processus suivi par le conseil de bande pour régler les questions de gestion des terres, de même que le processus d’octroi de permis.

[65]  Mme Delorme a également répondu à l’affidavit de M. Tanner en déposant un affidavit supplémentaire, dans lequel elle a précisé que les renseignements fournis par le ministère contenaient une erreur. Mme Delorme a communiqué avec les fonctionnaires du ministère, qui lui ont confirmé l’erreur dans la description des terres. L’erreur a depuis été corrigée, et Mme Delorme a confirmé qu’aucun permis n’a été délivré à l’égard des terres mentionnées par M. Tanner.

(3)  Christopher Lerat

[66]  Christopher Lerat [M. C. Lerat] travaille au Service de gestion des terres avec Mme Delorme, à titre d’agent de location. Il décrit le processus d’octroi de permis pour M. Lerat et les autres. Il a aussi abordé les allégations faites par M. Lavallee. Il indique également que la question de la gestion des terres a été difficile, notamment en raison des revendications qui se recoupent et que des membres de la PNC ont présentées l’un contre l’autre.

(4)  Harold Lerat

[67]  Herald Lloyd Lerat [M. H.L. Lerat] indique avoir reçu un permis au titre du paragraphe 28(2) qui lui permettait de cultiver les terres pour la première fois. Son père a également été un occupant de terres, mais il n’a pas été en mesure de se faire attribuer les terres pour les cultiver. Il a siégé au conseil de bande avec les demandeurs et les autres déposants. Il déclare que la gestion des terres était toujours problématique quand il siégeait au conseil de bande et que les efforts visant à régler la question ont été [traduction« ajournés », parce que les autres membres du conseil, qui étaient des occupants de terres, ne souhaitaient pas changer le système.

[68]  M. H.L. Lerat fait état de sa présence aux rencontres et déclare que le conseil de bande a annoncé que le système de location au noir (le système de propriété foncière coutumière) sur les terres de réserve originales allait se terminer et que l’argent allait désormais être remis à la PNC. Il déclare également que personne n’était en désaccord avec l’idée que tout le monde devrait profiter des terres de réserve originales. Il ajoute qu’il a été clairement annoncé que les membres de la PNC se feraient facturer des droits de permis réduits pour encourager l’entrepreneuriat au sein de la communauté. À cette rencontre, les occupants de terres ont indiqué qu’ils voulaient être indemnisés pour les améliorations qu’ils avaient apportées aux terres.

(5)  Dennis Delorme

[69]  Dennis Delorme [M. Delorme] est l’un des plus anciens membres vivants de la PNC. Après avoir vécu sporadiquement au sein de la PNC au cours de ses jeunes années, il s’y est établi de façon permanente au début des années 1980. M. Delorme affirme que les questions foncières font l’objet de débats depuis de nombreuses années. Il explique que peu de membres de la PNC ont revendiqué un droit de possession exclusif sur les terres de réserve originales et ont gagné de l’argent sans rien payer à la PNC. Il déclare qu’aucune occupation n’était censée être permanente et qu’elle ne donnait pas de droits de propriété à quiconque. Il déclare que personne ne peut revendiquer la propriété des terres de réserve originales, puisqu’elles sont détenues en fiducie par le Canada au profit de la PNC.

[70]  M. Delorme déclare que les descendants des agriculteurs originaux de la PNC n’ont pas continué à mener des activités agricoles, mais ont loué les terres et conservé pour eux les redevances perçues. À son avis, ces redevances devraient être versées à la Première Nation pour soutenir les programmes et les services.

[71]  M. Delorme a siégé au conseil de bande et affirme que les occupants de terres causaient tellement de problèmes que cela limitait les endroits où la PNC pouvait construire des maisons, étant donné que les occupants de terres occupaient une grande partie des terres. M. Delorme confirme que les aînés de la PNC sont en faveur du règlement de la question foncière. Il déclare que lui et les autres aînés ont indiqué que les baux au noir devaient se terminer et qu’ils ne voulaient pas que ce problème foncier soit transmis à la prochaine génération de membres de la PNC. Il déclare que les conseils de bande qui se sont succédé n’ont fait que repousser toute initiative visant à régler cette question foncière en raison de la difficulté qu’elle posait.

C.  Aperçu

[72]  Les lettres du 20 janvier et du 11 octobre 2017 sont annexées à la présente décision.

[73]  La preuve en l’espèce indique que la PNC n’avait pas établi de processus clair pour l’attribution des terres au fil des années. La preuve montre également que les ancêtres des demandeurs ont cultivé les terres et qu’ils avaient reçu des résolutions du conseil de bande (qui ont expiré depuis) ou, dans de rares cas, un certificat de possession ou une attribution de terre à titre d’ancien combattant. La preuve indique également que les demandeurs mêmes n’ont pas reçu de résolutions du conseil de bande. La preuve montre qu’il n’y avait pas de caractérisation précise du type d’intérêt particulier que ces concessionnaires originaux ont obtenu. La preuve indique que les ancêtres de ces concessionnaires ont délivré des lettres ou des motions du conseil de bande, quand ils étaient des membres du conseil, afin de tenter de maintenir le processus informel qui avait été mis en place au fil des années.

[74]  Le présent différend se résume à la question de savoir si le processus circonstanciel et informel qui a été mis en place au fil des années a créé des droits en common law, en faveur des deux demandeurs, et, le cas échéant, si ces droits empêchent le conseil de bande de la PNC d’administrer les terres de réserve originales et de percevoir des revenus sur les activités agricoles menées sur ces terres.

IV.  Les questions en litige

[75]  Dans leur exposé des arguments, les demandeurs soutiennent que les questions suivantes sont en litige :

A. Les défendeurs ont‑ils officiellement adopté un système de gestion des terres pour les terres de réserve d’origine de la Première Nation de Cowessess?

B. Les défendeurs se sont‑ils acquittés de leur obligation d’équité procédurale et de leur obligation fiduciaire envers les demandeurs?

[76]  Les défendeurs soutiennent que les questions devraient être définies ainsi :

  1. Les décisions sont‑elles susceptibles de contrôle?

  2. La demande a‑t‑elle été présentée hors délai? Le cas échéant, la Cour devrait‑elle exercer son pouvoir discrétionnaire de proroger le délai aux fins du contrôle?

  3. Les défendeurs ont‑ils le pouvoir de rendre les décisions qui font l’objet du présent contrôle?

  4. Les demandeurs ont‑ils le droit de soulever de nouveaux arguments qui n’ont pas été présentés aux défendeurs au moment où les décisions faisant l’objet du contrôle ont été rendues?

  5. Le cas échéant, les décisions faisant l’objet du contrôle ont‑elles été rendues en respectant les exigences de l’équité procédurale?

[77]  D’après mon examen des observations et de l’avis de demande, je définis les questions ainsi :

A. La demande est‑elle prescrite?

B. Les défendeurs ont‑ils compétence pour rendre les décisions?

C. Les droits à l’équité procédurale des demandeurs ont‑ils été violés?

D. Les décisions étaient‑elles raisonnables?

V.  La norme de contrôle

[78]  Les parties n’ont pas présenté d’observations écrites sur cette question. À l’audience, les demandeurs ont soutenu que la norme de contrôle pour les décisions du chef et du conseil était la décision raisonnable.

[79]  Il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle (Dunsmuir c NouveauBrunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). Si la norme de contrôle a déjà été établie par la jurisprudence antérieure, la Cour peut adopter cette norme.

[80]  Les questions de savoir si un conseil de bande a agi sans compétence ou a outrepassé sa compétence, ou de savoir s’il y avait une crainte raisonnable de partialité au sein du conseil de bande font l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte (Hill c Nation des Onneiouts, 2014 CF 796, au par. 45 [Hill]; Prince c Première Nation de Sucker Creek no 150A, 2008 CF 1268, au par. 21 [Prince]).

[81]  Aux paragraphes 42 et 43 de la décision Hill, la juge Strickland a aussi examiné les affaires antérieures qui portaient sur la norme de contrôle applicable aux décisions des conseils de bande, et elle a conclu ce qui suit au paragraphe 46 :

[...] la Cour a reconnu que le chef et les conseillers jouissent d’une expertise sur des questions comme les coutumes de la bande et la détermination des faits et qu’il y a lieu de faire preuve de retenue à ces égards. Ainsi, les décisions d’un conseil de bande doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable, et elles seront confirmées si elles appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (décision Shotclose, précitée, aux paragraphes 58 et 59; décision Parker, précitée, aux paragraphes 38 à 40; arrêt Dunsmuir, précité).

[82]  Je suis d’accord. Les décisions feront l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[83]  Dans le cas de l’exercice qui consiste à contrôler une décision en vue d’apprécier des questions d’équité procédurale, la norme de la décision correcte est celle qui convient le mieux (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au par. 54; Prince, au par. 23; Parker c Conseil de la bande indienne d’Okanagan, 2010 CF 1218, au par. 4 [Parker]). Quand la Cour effectue un contrôle selon cette norme, elle ne devrait pas se poser la question « de savoir si la décision était “correcte”, mais plutôt de déterminer si, en tenant compte du contexte particulier et des circonstances de l’espèce, le processus suivi par le décideur était équitable et a donné aux parties touchées le droit de se faire entendre ainsi que la possibilité d’être informées de la preuve à réfuter et d’y répondre » (Lv c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 935, au par. 17).

VI.  Les dispositions législatives

[84]  Les dispositions suivantes de la Loi sur les Indiens s’appliquent à la présente instance :

20 (1) Un Indien n’est légalement en possession d’une terre dans une réserve que si, avec l’approbation du ministre, possession de la terre lui a été accordée par le conseil de la bande.

20 (1) No Indian is lawfully in possession of land in a reserve unless, with the approval of the Minister, possession of the land has been allotted to him by the council of the band.

23 Un Indien qui est légalement retiré de terres situées dans une réserve et sur lesquelles il a fait des améliorations permanentes peut, si le ministre l’ordonne, recevoir à cet égard une indemnité d’un montant que le ministre détermine, soit de la personne qui entre en possession, soit sur les fonds de la bande, à la discrétion du ministre.

23 An Indian who is lawfully removed from lands in a reserve on which he has made permanent improvements may, if the Minister so directs, be paid compensation in respect thereof in an amount to be determined by the Minister, either from the person who goes into possession or from the funds of the band, at the discretion of the Minister.

28 (1) Sous réserve du paragraphe (2), est nul un acte, bail, contrat, instrument, document ou accord de toute nature, écrit ou oral, par lequel une bande ou un membre d’une bande est censé permettre à une personne, autre qu’un membre de cette bande, d’occuper ou utiliser une réserve ou de résider ou autrement exercer des droits sur une réserve.

28 (1) Subject to subsection (2), any deed, lease, contract, instrument, document or agreement of any kind, whether written or oral, by which a band or a member of a band purports to permit a person other than a member of that band to occupy or use a reserve or to reside or otherwise exercise any rights on a reserve is void.

(2) Le ministre peut, au moyen d’un permis par écrit, autoriser toute personne, pour une période maximale d’un an, ou, avec le consentement du conseil de la bande, pour toute période plus longue, à occuper ou utiliser une réserve, ou à résider ou autrement exercer des droits sur une réserve.

(2) The Minister may by permit in writing authorize any person for a period not exceeding one year, or with the consent of the council of the band for any longer period, to occupy or use a reserve or to reside or otherwise exercise rights on a reserve.

[85]  La disposition suivante de la Loi sur les Cours fédérales s’applique également :

18.1(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sousprocureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

18.1(2) An application for judicial review in respect of a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within 30 days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected by it, or within any further time that a judge of the Federal Court may fix or allow before or after the end of those 30 days.

VII.  Analyse

A.  Les questions préliminaires

[86]  Les défendeurs soulèvent deux questions préliminaires. La première question qui se pose est de savoir si la décision est susceptible de contrôle judiciaire. Ils font valoir que les décisions étaient de nature législative et qu’elles ne peuvent donc pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire. La seconde question est celle de savoir si la demande a été présentée en dehors du délai prescrit.

(1)  La décision de nature législative

[87]  Les défendeurs soutiennent que les décisions ne se prêtent pas à un contrôle judiciaire, parce qu’il s’agit [TRADUCTION« d’énoncés de politique généraux du chef et du conseil ». Selon eux, les décisions s’apparentent davantage à des décisions de nature législative qu’à des décisions administratives. Les défendeurs soulignent ce qui suit : [TRADUCTION« Il est essentiel au fonctionnement du gouvernement et à sa relation avec l’appareil judiciaire que les questions de politique gouvernementale ne soient pas assujetties au contrôle judiciaire » (Hayes and Jacobs c Smallwood et al, 2000 BCSC 1665, au par. 18).

[88]  Les demandeurs font valoir que les décisions sont effectivement susceptibles de contrôle judiciaire. Ils font valoir que, dans l’arrêt Horseman c Première Nation de Horse Lake, 2013 CAF 159, la Cour d’appel fédérale confirme qu’un conseil de bande est un office fédéral au sens de la Loi sur les Cours fédérales. Ils font également valoir que « [l]e contrôle judiciaire s’intéresse à la légalité, à la raisonnabilité et à l’équité du processus suivi et des mesures prises par l’administration publique. Il est conçu pour assurer la primauté du droit et le respect de la Constitution » (Canada (Procureur général) c TeleZone Inc, 2010 CSC 62, au par. 24).

[89]  Les demandeurs citent aussi la jurisprudence qui illustre le fait que le contrôle judiciaire est approprié pour les décisions administratives (Maloney c Première nation de Shubenacadie, 2014 CF 129, aux par. 21 à 41 [Maloney]). Les demandeurs soutiennent que les décisions peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire, parce qu’elles ont été rendues en vertu de pouvoirs conférés sous le régime de la Loi sur les Indiens. Ils font valoir qu’un autre facteur qui favorise la caractérisation des décisions visées par le contrôle comme des décisions administratives est leur importance pour les demandeurs. Lorsque « la question en litige concerne les moyens de subsistance d’une personne [...] les personnes touchées [ont] le droit de recevoir un avis et de présenter des observations avant qu’une décision soit prise » (Maloney, au par. 47).

[90]  Les arguments des demandeurs m’ont convaincu. Je conclus que les décisions peuvent être assujetties à un contrôle judiciaire pour deux raisons. Premièrement, les décisions sont de nature publique; deuxièmement, il a été déterminé qu’un conseil de bande était un office fédéral au sens de la Loi sur les Cours fédérales. Récemment, dans la décision Crowchild c Nation Tsuu T’ina, 2017 CF 861 [Crowchild], le juge Pentney a résumé le droit en la matière au paragraphe 27 :

Il est maintenant bien établi en droit que la Cour a compétence pour entendre les affaires qui découlent de décisions rendues par le chef et le conseil d’une Première Nation, lorsque cette question est de nature « publique », peu importe si la décision a été prise en vertu de la Loi sur les Indiens, d’un règlement interne d’une bande ou de l’application d’une coutume ou d’une pratique de la Première Nation : voir Vollant c Sioui, 2006 CF 487, au paragraphe 25 [Vollant]; et Hill c Nation des Onneiouts de la Thames et Clinton Wayne Hill, 2014 CF 796, aux paragraphes 37 et 38 [Hill].

[91]  Je peux donc effectuer un contrôle des décisions rendues par le conseil de bande de la PNC.

(2)  La demande est‑elle prescrite?

[92]  Selon le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, les demandeurs étaient tenus de présenter leur demande de contrôle judiciaire dans les trente jours suivant la première communication des décisions contestées, ou dans tout délai supplémentaire fixé ou accordé par un juge de la Cour fédérale. Les demandeurs n’ont pas abordé ce point dans leur argumentation écrite, mais ils ont répondu à l’argumentation des défendeurs lors de l’audience.

[93]  Les demandeurs soutiennent que, pour calculer ce délai de prescription de 30 jours, la Cour devrait se fonder sur la date à laquelle les factures pour la location des terres de réserve ont été délivrées aux agriculteurs non membres de la PNC, soit autour du 1er mars 2018. Selon les demandeurs, c’est le moment où les décisions ont été mises en œuvre.

[94]  Les défendeurs font valoir que la Cour devrait se fonder sur les dates auxquelles les décisions visées par le contrôle ont été rendues : le 13 juillet et le 3 octobre 2017. La demande de contrôle judiciaire concerne les décisions, et non la facture, ce qui signifie qu’elle est frappée de prescription aux termes du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales.

[95]  Les défendeurs soutiennent que le critère à appliquer pour déterminer si une prorogation de délai doit être accordée est énoncé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Hennelly, 1999 CanLII 8190 (CAF), 167 FTR 158 [Hennelly]. Quatre éléments doivent être satisfaits : il doit y avoir une intention constante de poursuivre la demande, la demande doit être bien fondée, le défendeur ne doit subir aucun préjudice en raison du retard et il doit exister une explication raisonnable justifiant le retard (Hennelly, au par. 3). Les défendeurs font valoir que seul le premier élément est rempli, à savoir « une intention constante de poursuivre sa demande ».

[96]  Les défendeurs affirment que la demande n’est pas du tout fondée, ce qui signifie que le deuxième élément n’est pas rempli. Selon les défendeurs, le caractère équitable des décisions va de soi.

[97]  Les défendeurs font aussi valoir qu’il n’est pas satisfait au troisième élément, à savoir « que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai ». La PNC peut non seulement gagner une somme d’argent considérable grâce aux nouveaux permis, dont bon nombre ont déjà été délivrés, mais la PNC recevra une somme additionnelle de 283 285 $ du ministère pour sa participation au PGETR. Bon nombre des permis ont déjà été délivrés, de sorte que cela causerait un certain chaos si une prorogation du délai était accordée.

[98]  La quatrième et dernière condition pour justifier une prorogation du délai est l’existence d’une explication raisonnable pour le retard. Les défendeurs font valoir que cet élément n’est pas satisfait et que les demandeurs auraient pu demander le contrôle judiciaire des décisions peu après qu’elles ont été rendues. Quoi qu’il en soit, ils ont tous reçu la lettre du 10 octobre 2017, et c’est à partir de cette date que le délai doit être calculé.

[99]  Les demandeurs ont fait valoir que la façon dont les défendeurs ont continué de se conduire fait en sorte que le délai prescrit de 30 jours ne s’applique pas à leur situation. Les demandeurs ont également mentionné l’ordonnance du 13 juillet 2018 rendue par la protonotaire Aylen, qui a autorisé l’admission en preuve de l’affidavit de M. Lavallee. La partie pertinente de l’ordonnance de juillet est reproduite ciaprès :

[traduction

ATTENDU QUE la Cour est convaincue, compte tenu de l’avis de demande, que la preuve contenue dans l’affidavit proposé est à la fois admissible et pertinente à l’égard d’une question dont la Cour est valablement saisie, puisqu’elle fournit des renseignements contextuels quant à la façon dont les défendeurs mettent en œuvre la décision contestée. La conduite des défendeurs dans la mise en œuvre des décisions est, en fait, un prolongement des décisions mêmes, décisions qui, allèguent les demandeurs, ont été rendues sans les consulter et, par conséquent, en contravention de l’obligation des défendeurs d’agir équitablement, sur le plan procédural, envers les demandeurs.

[100]  Les demandeurs font valoir que les défendeurs n’ont pas interjeté appel de cette ordonnance et que, par conséquent, la [traduction« mise en œuvre » des décisions a permis de présenter la demande en dehors du délai de 30 jours.

[101]  Bien que l’on ne m’ait pas directement demandé de trancher cette question, je conclus que la RCB et la motion doivent être considérées comme une seule décision, malgré le fait que les parties les appellent les [traduction« décisions ». Elles se rapportent aux mêmes faits et aux mêmes parties, et elles portent toutes deux sur les effets de l’adoption du régime de gestion des terres prévu par la Loi sur les Indiens. Par conséquent, je conclus que la période de 30 jours pour les besoins de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales commence à courir à partir de la date du dernier aspect des décisions (la motion du 3 octobre 2017) communiqué aux demandeurs le 11 octobre 2017.

[102]  En ce qui a trait à la question de savoir si la demande est prescrite, je conclus qu’elle l’est pour les raisons qui suivent. D’abord, je suis convaincu par l’argument des défendeurs selon lequel, outre le premier facteur énoncé dans l’arrêt Hennelly, les demandeurs n’ont pas établi qu’ils devraient se voir accorder une prorogation du délai. Même cette conclusion est généreuse à la lumière du dossier. Une fois que les demandeurs ont introduit la présente instance (quoiqu’ils l’aient fait plus de cinq mois après le 10 octobre 2017 ou après qu’ils ont reçu la lettre le 11 octobre 2017), ils ont poursuivi leur demande.

[103]  Je conclus également que les défendeurs subiraient un préjudice important si le délai de 30 jours n’était pas appliqué. Comme l’a mentionné le chef Delorme, la PNC participe actuellement au PGETR, qui lui donne droit non seulement à un financement considérable du ministère, mais aussi à des revenus importants qui seront tirés des droits de permis à l’avenir.

[104]  En outre, je conclus que, même après que la motion a été communiquée aux membres de la PNC et aux demandeurs le ou vers le 11 octobre 2017, aucune demande visant à contester les décisions n’a été présentée en temps opportun. Au paragraphe 14 de la décision Crowchild, le juge Pentney a déclaré ce qui suit :

[...] Le fait d’attendre que les détails entourant une décision soient connus ne suffit pas à obtenir une prorogation et le délai commence au moment où la personne est informée du contenu de la décision, même si elle en ignore certains des détails; Canada (Procureur général) c Hennelly (1999), 244 NR 399 (CAF), au paragraphe 3; Forster c Canada (Procureur général) (1999), 247 NR 300, 1999 CanLII 8762 (CAF) aux paragraphes 3 et 6; et Goodwin c Canada (Procureur général), 2005 CF 1185 aux paragraphes 33 à 35.

[105]  Dans leurs affidavits, les demandeurs ont tous deux reconnu avoir reçu la lettre du chef du 11 octobre 2017. Ils ont en outre reconnu le processus d’octroi de permis dont ils pouvaient, comme d’autres, se prévaloir sous le nouveau régime pour l’année 2018. Cette information a également été communiquée dans la lettre du 11 octobre 2017, à une rencontre communautaire du 27 novembre dans un autre avis daté du 31 décembre 2017. Au lieu de contester immédiatement les décisions ou d’exprimer leurs préoccupations par écrit ou de vive voix, les demandeurs ont laissé le processus se poursuivre. Ils ont introduit la présente demande le 29 mars 2018. Il n’y a aucune explication raisonnable justifiant le retard dans la présentation de la demande.

[106]  Enfin, je conclus que l’ordonnance de la protonotaire Aylen n’a pas établi que les demandeurs se voyaient accorder une prorogation ou une exemption du délai de 30 jours. L’ordonnance ne supplante pas la règle générale selon laquelle le juge saisi de la demande est celui qui doit examiner la question, sur le fond, quant à savoir si une demande ou une action est frappée de prescription, et ne peut se poursuivre, en raison du non‑respect du délai de 30 jours. Comme l’a déclaré le juge Pinard dans la décision Apotex Inc c Canada (Santé), 2010 CF 1310, au paragraphe 12 :

[...] L’importante question de savoir si la bonne approche consiste à considérer la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente comme une partie de « l’objet de la demande » ou d’une même série d’actes auxquels le délai de 30 jours prescrit au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales ne s’applique pas devrait être tranchée par le juge saisi de la demande.

[Non souligné dans l’original.]

[107]  Nonobstant le fait que le contrôle judiciaire de la présente décision est frappé de prescription, par souci d’exhaustivité, j’aborderai les questions telles que je les ai reformulées plus haut.

B.  Les défendeurs ont‑ils compétence pour rendre les décisions?

[108]  Comme il a déjà été mentionné, la présente instance requiert de trancher la question de savoir si le processus circonstanciel ou informel d’administration foncière qui a été suivi au fil des ans supplante le régime de gestion des terres de la Loi sur les Indiens et la responsabilité d’un conseil de bande d’administrer ces terres pour le bien collectif des membres de la PNC. Les demandeurs affirment qu’il existe une pratique ou coutume qui consiste à respecter les droits coutumiers liés aux terres et qui a même été reconnue par le chef Delorme dans un avis de réunion. Cet avis contient notamment le libellé suivant : [traduction« les droits coutumiers sont reconnus et respectés dans la communauté ».

[109]  Dans l’avis de demande, les demandeurs font valoir que le chef et le conseil n’ont pas l’autorité légitime d’expulser les demandeurs de leurs terres, et qu’ils n’ont pas non plus le pouvoir de verser des paiements aux demandeurs pour leurs terres, puisqu’il n’existe aucun critère ou pouvoir leur permettant de le faire. Les demandeurs soutiennent également que l’indemnisation payée par la PNC n’a pas été versée conformément à l’article 23 de la Loi sur les Indiens. D’ailleurs, à l’audience, les avocats des demandeurs ont reconnu que les demandeurs avaient accepté la première partie du paiement de la PNC.

[110]  Les demandeurs ne fournissent pas de fondement juridique pour soutenir l’argument selon lequel le conseil de bande n’a pas l’autorisation légale de rendre les décisions. La majorité des observations des demandeurs faisaient référence à leurs arguments sur l’équité procédurale. J’aborderai ces arguments plus loin dans mon analyse.

[111]  Les défendeurs soutiennent que le titre en common law associé aux terres de réserve est conféré à la Couronne, à l’usage et au profit de la PNC. Le conseil de bande de la PNC a pour rôle d’exercer un contrôle et un pouvoir sur ces terres au profit de ses membres. Les membres de la PNC qui sont autorisés à utiliser les terres et à en profiter ne peuvent pas obtenir un droit de possession à leur égard, sauf avec l’approbation du conseil de bande et du ministre, conformément au paragraphe 20(1) de la Loi sur les Indiens (Squamish Indian Band c Findlay, [1980] BCJ No 1530, 109 DLR (3d) 747, aux par. 47 à 49, confirmée dans l’arrêt Joe et al c Findlay and Attorney General of Canada, [1981] 3 CNLR 58 (CA)). La Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a récemment réitéré ces principes (Wood Mountain Lakota c Goodtrack, 2018 SKQB 230, au par. 84 [Wood Mountain]). Les défendeurs soutiennent que le respect strict de ces deux exigences est nécessaire pour satisfaire le critère du paragraphe 20(1) (Nicola Band et al c Transcan Displays Ltd, 2000 BCSC 1209, aux par. 131 et 133 [Nicola Band]; Leonard c Gottfriedson, [1982] 1 CNLR 60, [1980] BCJ No 551, au par. 68; Cooper c Bande indienne Tsartlip, [1997] 1 CNLR 45, [1996] ACF n826, aux par. 12 et 13).

[112]  Les défendeurs soutiennent que, sans l’approbation du conseil de bande et du ministre, l’article 24 de la Loi sur les Indiens, qui concerne le transfert de possession d’une terre à un autre membre, ne s’applique pas non plus (Joe et al c Findlay and Attorney General of Canada, [1981] 3 CNLR 58 (CA), au par. 9). Autrement dit, ils affirment que les demandeurs n’ont pas le droit de [traduction« louer » des terres de réserve à des non‑membres de la PNC, puisqu’ils n’ont pas eux‑mêmes acquis un intérêt en common law à l’égard des terres de réserve originales dont il est question.

[113]  Selon les défendeurs, une reconnaissance de tout intérêt non conforme à la Loi sur les Indiens ne peut pas passer outre à l’article 20 de la Loi sur les Indiens. Cela serait contraire à l’obligation fiduciaire d’un conseil de bande de gérer les terres de réserve dans l’intérêt supérieur de tous les membres de la bande (Nicola Band, au par. 151). De plus, un régime fondé sur la possession adversative est incompatible avec la Loi sur les Indiens (Bradfield c Canada (Affaires autochtones et Nord), 2018 CF 682, au par. 45 [Bradfield]).

[114]  Les défendeurs soulignent que les demandeurs, et les déposants qui les appuient, prétendent avoir hérité de leurs terres de leurs pères ou d’autres membres de leur famille, mais aucun d’entre eux n’a obtenu une attribution officielle du ministre. Le ministère a approuvé certains des testaments des parents des déposants, mais cette approbation est insuffisante pour satisfaire l’exigence de l’article 24, parce qu’une approbation ministérielle dans un contexte testamentaire se limite strictement aux questions testamentaires. Les défendeurs font valoir que, jusqu’à ce que le ministre approuve une attribution foncière officielle, ces transferts ne sont pas valides, aux termes de l’article 24 de la Loi sur les Indiens. Les défendeurs font valoir qu’il serait absurde que l’approbation ministérielle d’un testament donne à un héritier des droits que la personne décédée n’a jamais eus et n’aurait jamais pu obtenir (Bradfield, au par. 49).

[115]  Les défendeurs soutiennent également que l’attente des demandeurs d’être indemnisés aux termes de l’article 23 de la Loi sur les Indiens n’est pas fondée. Étant donné que l’article 23 doit être lu à la lumière de l’article 18 (Bande indienne de Songhees c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2006 CF 1009, au par. 29 [Songhees]), les défendeurs font valoir que l’article 23 ne s’applique pas aux Indiens qui ne sont pas légitimement en possession des terres qui ont subi des améliorations. Les défendeurs soutiennent également qu’il serait contraire à l’intention de la Loi sur les Indiens de conférer un intérêt indemnisable à des personnes quand les terres de réserve sont destinées à un usage collectif (Bradfield, au par. 44). Les paiements finaux versés par la PNC pour les améliorations foncières ne sont donc pas liés à l’article 23.

[116]  Les arguments des défendeurs, selon lesquels le conseil de bande de la PNC avait compétence pour rendre les décisions en question, m’ont convaincu. Premièrement, les terres de réserve originales ont été réservées, conformément au Traité no 4, à l’usage et au profit collectifs de tous les membres de la PNC. Deuxièmement, les décisions sont cohérentes avec leur responsabilité d’administrer et de gérer les terres en conformité avec la Loi sur les Indiens. Troisièmement, il est établi en droit que les conseils de bande ont l’obligation fiduciaire envers leurs membres de gérer et de protéger les actifs de la Première Nation. Les terres agricoles parmi les terres de réserve originales font assurément partie de ces actifs, comme l’indique la preuve. Quatrièmement, quand ils exercent leur pouvoir de gérer les actifs de la Première Nation, les conseils de bande ont le pouvoir discrétionnaire d’octroyer ou de refuser des attributions. De plus, ils ne sont pas tenus de suivre un processus particulier quand ils le font. Par conséquent, les conseils de bande peuvent faire ce qu’ils jugent indiqué (Parker, au par. 43).

[117]  Les conseils de bande ont le droit de prendre des décisions sur la gestion des terres de réserve. Le conseil de bande de la PNC a choisi de faire appliquer et de respecter la nature collective des terres de réserve originales, afin d’être cohérent avec sa façon de gérer et d’administrer les terres de réserve liées aux DFIT. J’accepte la preuve qui montre que les ententes informelles ou circonstancielles ont causé des désaccords ou des différends au sein de la communauté, et même au sein de familles. Ces problèmes sont mentionnés dans certains des procès‑verbaux joints à l’affidavit du chef Delorme, par exemple dans le procès‑verbal du 1er octobre 2001. Les procès‑verbaux des 18 et 19 juin 2001 contiennent des éléments de preuve indiquant qu’il y avait même des recoupements entre les revendications présentées par des membres de la PNC.

[118]  J’accepte également que les défendeurs aient été motivés par un désir de créer un système de gestion des terres qui respectait les intérêts collectifs des membres de la PNC. Ces sentiments sont aussi reflétés dans les divers procès‑verbaux que le chef Delorme a fournis; cependant, les anciens conseils de bande n’ont pas été en mesure de faire respecter le pouvoir du conseil de bande de gérer les terres de réserve originales au moyen du régime d’octroi de permis prévu par la Loi sur les Indiens.

[119]  Je suis également d’accord avec l’interprétation que font les défendeurs de l’article 20 de la Loi sur les Indiens : un Indien doit obtenir l’approbation à la fois du conseil de bande et du ministre pour posséder des terres de réserve en toute légalité. En outre, si un Indien ne possède pas légalement des terres de réserve, il ne peut pas les transférer à un autre membre au titre de l’article 24 de la Loi sur les Indiens. En fait, aucun des demandeurs ou des déposants qui les appuient ne possède une résolution du conseil de bande comme celles qu’avaient leurs pères ou grands‑pères. Les seuls documents qu’ils ont joints à leurs affidavits sont des résolutions du conseil de bande expirées qui ont été délivrées à leurs pères ou grands‑pères. Le conseil de bande de l’époque, en 1998, avait même demandé un avis juridique afin d’apprécier la validité des revendications présentées ainsi que les exigences juridiques liées à la possession de terres de réserve.

[120]  En ce qui a trait à la coutume qui, laissent entendre les demandeurs, leur donnerait des droits en common law, je conclus que le fait que les demandeurs ne réfèrent à aucune résolution du conseil de bande actuellement en vigueur est un facteur important. Les demandeurs s’appuient sur la délivrance de résolutions du conseil de bande à leurs pères et/ou grands‑pères, résolutions qui ont expiré depuis longtemps, pour établir l’existence d’une coutume. D’après la preuve, ils n’ont pris aucune mesure pour créer une méthode plus formelle et sûre pour avoir la possession des terres de réserve, que ce soit au moyen de l’ancienne pratique ou du nouveau système adopté par la PNC. Il y a une mention d’une demande de Gary Pelletier visant à obtenir une résolution du conseil de bande dans le procès‑verbal du 14 juillet 1992, mais il semblerait que cette demande ne pouvait pas être traitée [traduction« jusqu’à ce qu’une politique juste et équitable sur l’utilisation des terres soit mise en place ».

[121]  La preuve indique que le ministère n’a pas rendu plus clair le système de gestion des terres pour les parties, même s’il avait nettement des obligations à cet égard, aux termes de la Loi sur les Indiens. D’une part, il avait envoyé des lettres confirmant une certaine mesure de protection relativement aux terres pour les anciens combattants, comme il a été indiqué dans l’affidavit de M. G. Lerat. D’autre part, il y a des lettres approuvant les testaments de membres de la PNC sans aucun avis au sujet de la nature précaire de l’intérêt dont il est question dans le legs. Un testament approuvé par le ministère, qui a été fourni par M. Lerat, mentionne que le legs permettait aux administrateurs d’effectuer [traduction« [l’]octroi de baux et de résignations de baux » sur les terres de la PNC. Un autre testament approuvé par le ministère, qui a été fourni par M. G. Lerat, indiquait que le legs était assujetti à toute approbation pouvant être requise par le conseil de bande, tandis que l’autre testament (non accompagné d’une lettre du ministère), qui a été présenté par M. Agecoutay, mentionnait la nature limitée du legs (c ‑à‑d. le droit d’usage et d’occupation). Aucune preuve n’indique que les conseils de bande de l’époque ont consenti à ces approbations. Il n’y a également rien qui indique que le ministère ait averti les ancêtres de l’une ou l’autre des parties de la portée limitée des legs. Le procès‑verbal du 18 février 2003 fait était de la frustration que vivait le conseil dans ses interactions avec le ministère au sujet du régime de gestion des terres.

C.  Les droits à l’équité procédurale des demandeurs ont‑ils été violés?

[122]  L’avis de demande ne soulève pas expressément d’allégations d’atteintes à l’équité procédurale, mais, à la lecture des paragraphes 18 et 34 de l’avis de demande conjointement avec les paragraphes 21, 22 et 26, il y a des mentions d’une absence de préavis. J’aborderai donc cet argument des demandeurs.

[123]  Les demandeurs soulignent que « [l]e fait qu’une décision soit administrative et touche “les droits, privilèges ou biens d’une personne” suffit pour entraîner l’application de l’obligation d’équité » (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au par. 20 [Baker]).

[124]  Les demandeurs font valoir qu’ils ont droit à l’équité procédurale, parce que leurs moyens de subsistance sont en jeu et parce qu’ils n’ont pas reçu un avis adéquat au sujet des conséquences des décisions ou n’ont pas eu l’occasion de présenter des observations. Les demandeurs soutiennent également que, quels que soient les avis ou les renseignements qui peuvent avoir été donnés, ils étaient remplis de renseignements trompeurs. De plus, les demandeurs font valoir que le conseil de bande a une obligation fiduciaire envers ses membres. Ils font valoir qu’un véritable processus de consultation nécessite un [traduction« avis donné en temps opportun et amplement suffisant pour permettre la tenue de délibérations significatives » (Klahoose First Nation c Cortes Ecoforestry Society, 2003 BCSC 430, au par. 48 [Klahoose First Nation]).

[125]  Les demandeurs font également valoir que la décision de révoquer les possessions foncières des détenteurs de terres de régime coutumier a été prise sans fournir aux personnes touchées un avis adéquat ou une occasion de présenter des observations avant qu’une décision ne soit rendue. Seule la lettre du 20 janvier 2017 a été envoyée par la poste aux occupants de terres particulières. Des avis au sujet des rencontres de février, de mars et de novembre 2017 ont été affichés sur la page du groupe Facebook de la PNC moins de 30 jours d’avance. Les demandeurs affirment également que les agriculteurs non membres de la PNC étaient tout aussi perplexes, mais aucun élément de preuve n’a été reçu de ces agriculteurs à ce sujet.

[126]  En plus des jugements dans Maloney et Baker, les demandeurs s’appuient sur la décision Crowchild en ce qui a trait à [traduction« la façon dont le système allégué de gestion des terres des défendeurs a été conçu et mis en œuvre ». Les demandeurs citent les principes généraux d’équité procédurale qui ont été énoncés dans ces sources juridiques qui font autorité, et ils font valoir qu’ils n’ont pas été adéquatement avisés de la transition ou de l’exigence d’obtenir un permis dans le cadre du nouveau système. Les demandeurs n’indiquent pas expressément à quelle extrémité du spectre se trouvent leurs droits procéduraux.

[127]  Les demandeurs laissent également entendre que le fait que le plan élaboré par le chef était appelé le [traduction« plan provisoire » et qu’il n’a jamais atteint le stade d’un règlement administratif est un élément à considérer. Ils affirment que le plan est demeuré inchangé du 21 mars 2017 au 13 juillet 2017, bien que le Comité des terres ait été censé le revoir. Je comprends que ces arguments donnent à penser que je ne devrais pas accorder beaucoup de poids au plan provisoire.

[128]  Les défendeurs soutiennent que la portée des droits à l’équité procédurale réclamés par les demandeurs n’est pas claire. Les défendeurs soutiennent également que l’appréciation de l’obligation d’équité procédurale comporte deux étapes. La première consiste à déterminer si les demandeurs ont droit à l’équité procédurale. Le fondement de l’argument des demandeurs au sujet de l’équité procédurale est leur intérêt invoqué dans les terres (Crowchild, au par. 18). En l’absence d’un certificat de possession délivré en vertu de l’article 20 de la Loi sur les Indiens, les demandeurs n’ont aucun intérêt en common law dans les terres. De plus, les défendeurs font valoir que bon nombre des incohérences dans le cadre du nouveau processus concernent la preuve des déposants qui appuient les demandeurs, plutôt que la preuve des demandeurs mêmes. Par conséquent, aucun fondement juridique ne soutient les arguments des demandeurs en matière d’équité procédurale.

[129]  Les défendeurs ont présenté des observations sur les cinq facteurs, exposés dans l’arrêt Baker, qui servent à déterminer la teneur de l’obligation d’équité procédurale (aux par. 21 à 28). En résumé, les défendeurs soutiennent que l’obligation du conseil de bande de la PNC se situait à l’extrémité inférieure du spectre, compte tenu des facteurs Baker.

[130]  Les défendeurs soutiennent que les deux demandeurs et la plupart des déposants qui les appuient avaient siégé comme chef ou membre du conseil à un moment ou l’autre. Certains ont même été membres du Comité des terres. Ainsi, ils savent tous en quoi consistent les permis délivrés en vertu du paragraphe 28(2). Ils étaient aussi conscients de la signification des lettres du 20 janvier et du 11 octobre 2017. Au cours de son contre‑interrogatoire, l’un des demandeurs, M. Lerat, a reconnu que la lettre du 20 janvier 2017 indiquait clairement le processus qui allait suivre. Les deux demandeurs ont reconnu en contre‑interrogatoire qu’ils avaient été au fait des décisions au plus tard le 11 octobre 2017. M. Lerat a même demandé et reçu un permis en conformité avec le nouveau processus.

[131]  Je conclus que la décision Crowchild s’applique de façon limitée aux faits en l’espèce. Dans la décision Crowchild, quand il a conclu à une violation de l’équité procédurale, le juge Pentney a souligné la preuve détaillée qui existait sur la nature de la coutume d’attribution des terres de cette Première Nation et sur l’utilisation de directives. En l’espèce, il n’existe pas de coutume détaillée d’attribution de terres, comme l’utilisation de directives, selon la description faite dans la décision Crowchild. De plus, la décision Crowchild portait sur un litige foncier au sein d’une famille, dont l’un des membres siégeait au conseil, ce qui a mené le juge à conclure qu’il y avait un manque d’équité procédurale dans cette affaire‑là. Les faits de la présente affaire n’indiquent aucune partialité ou crainte raisonnable de partialité.

[132]  D’abord, en ce qui a trait à l’argument de partialité, les demandeurs reconnaissent que la nature politique et législative inhérente des fonctions remplies par les conseils de bande permet un certain degré de préjugé (Assoc des résidents du Vieux StBoniface Inc c Winnipeg (Ville), [1990] 3 RCS 1170, à la page 1192; Crowchild, aux par. 49 et 50; Première Nation Anishinabe de Roseau River c Atkinson, 2003 CFPI 168, 228 FTR 167, au par. 47). Il faut s’acquitter d’un fardeau important pour établir l’existence de partialité ou d’une entrave au pouvoir discrétionnaire. Les demandeurs s’appuient également sur la décision Crowchild pour faire valoir que l’un des principes fondamentaux de l’équité procédurale est l’impartialité du décideur.

[133]  Je conclus que l’argument relatif à la partialité formulé par les demandeurs n’est pas convaincant. Les demandeurs n’ont présenté aucune preuve pour établir que « l’affaire a en fait été préjugée » par l’un ou l’autre des membres du conseil de bande, comme l’exige l’arrêt Assoc des résidents du Vieux StBoniface Inc, à la page 1197. Ils ne se sont pas acquittés de l’important fardeau de présentation pour établir le bien‑fondé d’une action. Les demandeurs ont simplement exprimé leur désaccord en rapport avec la décision du conseil de bande.

[134]  Les demandeurs ont également mentionné trois éléments qui distinguent l’affaire Wood Mountain de la présente affaire (l’existence d’une politique, la réalisation d’un arpentage des terres et la durée des permis) pour illustrer le manque d’équité procédurale de la part de la PNC. Je ne vois pas comment ces trois distinctions font en sorte que la décision Wood Mountain ne s’applique pas à la situation actuelle. Bien que l’élaboration d’une politique pour orienter la gouvernance d’une Première Nation soit certainement une bonne pratique, un élément essentiel de l’autodétermination est le fait que chaque Première Nation peut déterminer par elle‑même comment elle souhaite régir son système d’utilisation et de gestion des terres. Une Première Nation peut s’appuyer sur une pratique ou coutume non écrite, claire et acceptée, ou elle peut s’appuyer sur une pratique ou coutume écrite, claire et acceptée. Elle peut tirer des leçons d’autres Premières Nations en adoptant des politiques, des pratiques et des lois semblables, si elle le choisit, mais elle n’est pas tenue de faire la même chose que les autres Premières Nations.

[135]  Je conclus également que le plan provisoire n’avait pas à parvenir au stade d’un règlement pris sous le régime de la Loi sur les Indiens pour qu’on lui accorde une plus grande importance, comme le font valoir les demandeurs. Il s’agissait d’un plan qui a été élaboré par le conseil de bande pour combler une lacune. Le conseil de bande avait le pouvoir de combler cette lacune et il n’avait pas besoin d’un règlement ou d’une politique pour le faire.

[136]  Je conclus que les demandeurs avaient un droit à l’équité procédurale se situant à l’extrémité inférieure du spectre. Selon les faits dont je dispose, bien que je conclue que les facteurs Baker militent en faveur d’une faible attente en matière de droits procéduraux, je conclus également que les demandeurs n’ont pas été privés de leur droit à l’équité procédurale. La chronologie des faits, qui a été énoncée dans les affidavits des demandeurs, est conforme à la preuve fournie par les défendeurs, et elle se résume ainsi :

  • Dans une lettre du 20 janvier 2017, le chef Delorme a invité les demandeurs à une rencontre devant avoir lieu le 16 février 2017 (M. Pelleter et M. Lerat confirment tous deux qu’ils ont reçu cette lettre).

  • À une rencontre tenue le 16 février 2017, le chef Delorme a parlé de la [traduction« transition foncière » (M. Pelleter n’y a pas assisté, mais il a été informé de la rencontre par un autre occupant de terres; M. Lerat y a assisté).

  • Le 15 mars 2017, une rencontre communautaire a eu lieu à la salle du conseil de bande de la PNC (M. Pelletier et M. Lerat ont tous deux assisté à cette rencontre).

  • Le 10 octobre 2017, une lettre a été affichée sur une page Facebook de la PNC pour indiquer qu’à compter du 1er janvier 2018, toutes les terres allaient être louées par le Service de gestion des terres (M. Pelletier et M. Lerat étaient tous deux au courant de cette lettre). La lettre faisait référence à la RCB et à la motion.

  • Les demandeurs ont assisté à une rencontre qui a eu lieu le 27 novembre 2017. Les parties ne s’entendent pas sur l’issue de cette rencontre et sur la teneur des discussions.

  • Le 31 décembre 2017, le chef Delorme a affiché un message sur la même page Facebook pour confirmer que le paiement final de 20 $ l’acre pour les améliorations foncières allait être versé en 2018 au membre de la famille qui avait déjà conclu une entente personnelle en 2017, avec un agriculteur non membre de la Première Nation.

[137]  Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada, « [e]ntre les décisions de nature judiciaire et celles qui sont de nature discrétionnaire et en fonction d’une politique, on trouve une myriade de processus décisionnels comportant un élément d’équité dans la procédure dont l’intensité variera selon sa situation dans le spectre administratif » (Martineau c Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 RCS 602, à la p. 629).

[138]  Les communications de la PNC doivent aussi être examinées de plus près. La lettre de janvier 2017 du chef fait référence aux membres de la PNC qui continuent de cultiver les terres. La lettre ne confirme pas ni ne reconnaît officiellement que les demandeurs ont un intérêt existant en common law dans les terres, pas plus que le libellé de l’avis de réunion du 9 mars 2017 ne reconnaît un intérêt juridiquement contraignant. Je conclus, à la lecture des procès‑verbaux fournis par le chef Delorme, que divers termes sont utilisés, comme [traduction« propriétaires de terres », [traduction« détenteur de terres de régime coutumier », [traduction« détenteur de terres traditionnelles » ou [traduction« locataires au noir », et qu’aucune signification juridique ne doit être attribuée aux termes seuls. Le plan provisoire et les autres communications emploient un libellé semblable.

[139]  Quand on examine la preuve dans son ensemble, des procès‑verbaux de 1992 jusqu’au plan provisoire et aux lettres du 20 janvier et du 11 octobre 2017, ainsi que la chronologie générale des faits, il est évident pour toutes les parties concernées que le statu quo qui s’était implanté n’avait pas de fondement juridique et que la résolution des questions de gestion des terres s’était avérée difficile, voire impossible. La preuve indique également que le conseil de bande essayait d’aborder une question très difficile en faisant preuve de respect à l’égard des occupants de terres et de l’ensemble des membres de la PNC. Le plan provisoire et les décisions tenaient compte du souhait qu’avait la PNC de respecter les droits des membres actuels de la PNC qui continuent de cultiver les terres, contrairement aux membres de la PNC qui ne mènent plus d’activités agricoles et ne font que percevoir des revenus en « louant » les terres à des non‑membres de la PNC. Je conclus que les demandeurs et les déposants étaient au courant des problèmes fonciers historiques et savaient ce que le conseil de bande de la PNC allait faire pour régler ces questions.

[140]  Le fait le plus important est que les demandeurs n’ont pas d’intérêt légalement reconnu aux termes de la Loi sur les Indiens. Je reconnais que le régime de gestion des terres de la Loi sur les Indiens comporte toujours certains aspects paternalistes; cependant, jusqu’à ce que la PNC choisisse de s’exclure du processus prévu par la Loi sur les Indiens (ce qu’elle essaie de faire à l’aide du système prévu par la LGTPN), le processus prévu par la Loi sur les Indiens régira l’administration des terres de réserve.

[141]  L’absence d’un intérêt légalement reconnu sous le régime de la Loi sur les Indiens est un aspect important. Je souligne le passage suivant contenu dans l’ouvrage Terms of Coexistence: Indigenous Peoples and Canadian Law de Sébastien Grammond (Toronto : Carswell, 2013), à la page 181 :

[traduction

En principe, le régime de certificats de possession est exclusif, et un membre d’une bande ne peut pas acquérir le droit de posséder des terres de réserve par quelque autre moyen. Ainsi, la coutume, l’utilisation à long terme ou la possession adversative n’ont aucun effet juridique et ne privent pas le conseil de bande de son pouvoir de déterminer l’usage d’une terre qui est possédée, dans les faits, par l’un de ses membres, mais sans qu’un certificat de possession ait été octroyé en bonne et due forme. Les tribunaux ont également conclu que le droit des fiducies ne pouvait pas s’appliquer aux certificats de possession et que la règle de l’estoppel ne peut pas être utilisée pour créer des droits de possession à l’égard de terres de réserve.

[142]  Une remarque doit également être formulée au sujet du concept de « coutume ». Les observations des demandeurs se fondent sur ce qu’ils appellent la coutume. Une bonne partie de la jurisprudence de la Cour mentionne la nécessité d’un « large consensus » pour établir l’existence d’une coutume. La plupart des jugements qui abordent ce concept portent sur des différends électoraux. Les demandeurs soulignent que des résolutions du conseil de bande ont été utilisées au fil des années pour la reconnaissance coutumière des intérêts qu’avaient leurs ancêtres à l’égard des terres. Je ne dispose d’aucune preuve pour déterminer si un tel système faisait l’objet d’un large consensus parmi les membres de la PNC. Même M. Pelletier n’a pas reçu de résolution du conseil de bande quand il en a demandé une en 1992. Toutefois, il y a des lettres ou des motions d’anciens conseils de bande qui semblent respecter le statu quo qui existait à l’époque. Cela illustre encore une fois l’incohérence de l’approche qui a été appliquée au régime de gestion des terres au fil des années.

[143]  Suffit‑il qu’il y ait une incapacité de régler un problème de longue date comme celui de la gestion des terres ou une réticence à le faire pour créer une coutume par défaut? Je ne le crois pas. À mon avis, la jurisprudence établit qu’il doit y avoir une preuve convaincante d’une obligation positive ou d’une discussion avec les membres afin de créer un large consensus au sujet d’une coutume. Les demandeurs n’ont pas fourni une telle preuve convaincante et concluante pour établir qu’une coutume, comme ils le laissent entendre, existe.

[144]  Néanmoins, il est également établi que la notion de coutume n’est pas figée dans le temps. Elle peut changer et s’adapter aux situations en évolution. Dans la décision Bande indienne de McLeod Lake c Chingee, 153 FTR 257, 165 DLR (4th) 358 (CF 1re inst), qui portait cependant sur un différend touchant des élections, le juge Reed a déclaré ce qui suit au par. 10 :

Il faut ajouter que la coutume n’est pas immuable. Elle évolue selon les circonstances. Une bande peut décider de cesser de s’en remettre à sa tradition orale et mettre sa coutume par écrit. Elle peut passer d’un système fondé sur la succession à un système électoral. Elle peut décider d’adopter comme usages des pratiques et une procédure comparables à la procédure électorale utilisée pour élire des gouvernements municipaux ou provinciaux. Je ne peux interpréter l’expression « coutume de la bande », contenue au paragraphe 2(1), comme empêchant une bande de modifier au besoin sa coutume de gouvernement pour tenir compte de situations nouvelles.

[145]  Je suis d’avis qu’il en va de même pour le régime de gestion des terres d’une Première Nation. Ce qui peut avoir été autorisé ou accepté à un certain moment pourrait ne plus l’être autorisé à un autre moment. Comme il a été mentionné, je ne dispose pas d’assez d’éléments de preuve pour conclure que la coutume alléguée décrite par les demandeurs (et les déposants) fait l’objet d’un large consensus au sein de la communauté. Même si je disposais d’une telle preuve pour établir l’existence d’une coutume en matière de gestion des terres, comme l’ont fait valoir les demandeurs, cette coutume ne serait pas figée dans le temps. Elle peut changer en fonction de la situation.

[146]  Comme il a été mentionné, je conclus que le processus lié au nouveau régime foncier était bien connu des demandeurs. Ils ont décrit le processus en détail dans leurs affidavits, et c’est ce qu’ils ont reconnu au cours de contre‑interrogatoires. Le nouveau processus adopté et employé par la PNC permettait à tous les occupants de terres d’être les premiers à continuer de cultiver des terres à l’égard desquelles ils revendiquaient un intérêt. Si les demandeurs avaient tiré avantage de ce processus, ils auraient obtenu un permis valide juridiquement au titre du paragraphe 28(2), selon des conditions plus avantageuses que celles offertes à des non‑membres de la PNC. Un seul des demandeurs, M. Lerat, a demandé et obtenu un tel permis. Malgré sa durée limitée, ce permis est un acte juridique formel qui donne une plus grande garantie que celle que pourrait offrir une résolution du conseil de bande. Contrairement à ce qu’ils prétendent dans leurs arguments, les demandeurs seraient toujours en mesure d’assurer leur subsistance en demandant un tel permis. Ils peuvent encore obtenir un permis à l’avenir, s’ils souhaitent mener des activités agricoles.

[147]  La preuve présentée par les demandeurs indique que le processus d’octroi de permis était plein de problèmes. La preuve des défendeurs montre que quelques erreurs d’écriture ont été faites dans les descriptions légales des terres, mais que toutes les erreurs portées à leur attention ont été corrigées en temps opportun.

[148]  Je conclus que la preuve établit qu’il a été répondu aux besoins de ceux qui ont demandé des permis et que de l’aide leur a été offerte relativement au processus de demande. La preuve établit que ceux qui ont demandé des permis en ont obtenu un malgré les difficultés qui se sont présentées au cours de la mise en œuvre du système d’octroi de permis. Même ceux qui n’avaient jamais revendiqué un intérêt à titre d’occupants de terres ont été en mesure d’obtenir un permis. Les objectifs qui consistaient à permettre aux membres de la PNC de cultiver la terre et à faire en sorte que la PNC reçoive les droits de permis (pour la première fois) ont été atteints. Ces objectifs ont été précisés dans la correspondance de janvier 2017 et du 11 octobre 2017 que les demandeurs ont reçue et au cours des différentes rencontres. Les divers procès‑verbaux de réunions, qui ont été fournis par le chef Delorme, indiquaient un désir d’avancer dans cette direction.

[149]  Comme l’indiquent les procès‑verbaux des réunions antérieures du conseil de bande et du Comité des terres, les demandeurs et la plupart des déposants qui les appuient ont déjà siégé au conseil de bande ou au Comité des terres. À la lecture des lettres des anciens chefs,
M. G. Lerat et M. Lavallee, il est évident qu’ils étaient conscients de la nature précaire du système de gestion des terres qui existait durant leurs mandats respectifs. On pourrait considérer ces lettres comme une tentative de protéger ou de préserver les droits en common law allégués qu’ils revendiquaient à l’égard des terres de réserve originales. Par conséquent, j’ai accordé peu de poids à ces lettres au moment d’examiner la question de savoir si la preuve démontrait l’existence d’une coutume qui créait des intérêts juridiquement contraignants. Comme il a été déterminé plus haut, je ne dispose pas d’assez d’éléments de preuve pour établir qu’une telle coutume existe.

[150]  Les demandeurs laissent entendre que le conseil de bande était tenu de convoquer des réunions en fournissant un préavis de 30 jours, mais ils ne fournissent pas de source pour appuyer cette exigence. Ils font peut‑être référence à d’autres processus formels comme ceux qui étaient exigés lors d’un processus de désignation des terres qui a eu lieu en 2012, comme il est mentionné dans l’affidavit de Mme Ferguson. Toutefois, les mesures prises par le conseil de bande ne portaient pas sur une désignation de terres. Un vote sur la désignation des terres est assujetti à des exigences précises qui sont énoncées dans la Loi sur les Indiens et les manuels de politique du ministère. Le conseil de bande avait le droit de déterminer son propre processus et la façon dont il souhaitait informer les membres de sa décision sur la façon d’appliquer le nouveau régime de gestion des terres.

[151]  Je ferai une dernière remarque au sujet du plan provisoire. Le plan contenait plusieurs options que les occupants de terres pouvaient choisir, et en présentant des options, le conseil de bande n’était pas tenu d’attendre que l’un ou l’autre des occupants de terres fasse un choix particulier. Il était loisible au conseil de bande de décider de quelle façon il voulait aller de l’avant. Je conclus que le plan provisoire, la correspondance du conseil de bande ainsi que les différentes réunions représentaient un effort visant à informer les membres de la PNC et les occupants de terres de ce qui allait se passer en 2018. Aucune preuve ne montre que les demandeurs préféraient l’une ou l’autre des options présentées; cependant, il est évident qu’ils ne souscrivaient pas à l’approche du conseil de bande dans son ensemble, sauf pour les exceptions liées à M. Lerat et d’autres occupants de terres qui ont demandé et reçu des permis.

[152]  Pour tous les motifs énoncés ci‑dessus, je conclus qu’il n’y a pas eu de violation des droits des demandeurs à l’équité procédurale.

D.  Les décisions étaient‑elles raisonnables?

[153]  Voici ce que la Cour suprême du Canada a déclaré dans l’arrêt Dunsmuir, au par. 47 :

[...] Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[154]  Dans la décision Pastion c Première Nation Dene Tha’, 2018 CF 648, au par. 28, le juge Grammond a déclaré ce qui suit au sujet de la déférence qu’il faut accorder aux gouvernements autochtones :

Une dimension particulière de la déférence doit être soulignée. Les cours de révision qui cherchent à savoir si la décision d’un décideur autochtone était déraisonnable devraient lire ses motifs avec bienveillance et compléter toute omission apparente en examinant le dossier [...]

[155]  Je conclus que le conseil de bande de la PNC a tenté d’établir un équilibre entre les intérêts collectifs de la PNC concernant les revenus tirés des terres et les intérêts particuliers des descendants des concessionnaires originaux des intérêts informels. Pour ce faire, le chef et le conseil ont aussi intégré un système d’indemnisation auquel, peut‑on soutenir, les demandeurs n’auraient peut‑être pas droit, étant donné qu’il n’existait pas de droit valable juridiquement que les demandeurs pouvaient faire valoir à l’égard des terres en question.

[156]  De plus, durant le processus décisionnel, le chef et le conseil ont pris en compte le nombre d’années au cours desquelles les demandeurs, et d’autres personnes dans la même situation, ont perçu des loyers d’agriculteurs non membres de la PNC, malgré le fait qu’ils n’avaient pas d’intérêt en common law. Enfin, le chef et le conseil ont fait le choix conscient, pour favoriser l’harmonie au sein de la communauté, de ne pas publier le montant des loyers que les demandeurs, et d’autres personnes dans la même situation, auraient vraisemblablement reçu au fil des années. Le chef et le conseil ont tenu compte de cette préoccupation quand ils ont décidé d’offrir une indemnisation de 20 $ l’acre.

[157]  Prise de façon isolée, l’indemnisation de 20 $ l’acre semble arbitraire et peut‑être déraisonnable. Cependant, compte tenu des loyers que les demandeurs ont perçus au cours des dernières décennies, ainsi que des droits de permis préférentiels (plus bas que ceux exigés des agriculteurs non membres de la PNC) et de la capacité de continuer (ou de commencer) à mener des activités agricoles, cette somme n’est ni arbitraire, ni une façon déraisonnable d’établir un équilibre entre les intérêts particuliers et collectifs au sein de la PNC.

[158]  Je conclus également que le conseil de bande n’est pas tenu d’élaborer une politique écrite pour faire ce qu’il a le pouvoir de faire en vertu de la Loi sur les Indiens.

[159]  En présence d’une situation litigieuse qui couvait depuis plusieurs décennies et après examen de la preuve présentée, je conclus que les décisions énoncées dans la RCB et la motion sont raisonnables.

VIII.  Conclusion

[160]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier no T‑625‑18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les dépens sont adjugés aux défendeurs.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de mars 2020

C. Laroche, traducteur


ANNEXE






COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

T‑625‑18

 

INTITULÉ :

GARY W. PELLETIER ET GORDON D. LERAT c CADMUS DELORME, CURTIS LERAT, CAROL LAVALLEE, BONNIE LAVALLEE, LIONEL SPARVIER, RICHARD AISCAICAN, PATRICIA SPARVIER, MALCOLM DELORME ET JONATHAN Z. LERAT

LIEU DE L’AUDIENCE :

Regina (Saskatchewan)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 AVRIL 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 13 DÉCEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

Stephanie Lavallee

Mark Ebert

POUR LES DEMANDEURS

 

W. Allan Brabant

Rival Farrell Racette

T. Joshua Morrison

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Semaganis Worme Legal

Avocats

POUR LES DEMANDEURS

For The Applicants

 

Brabant & Company Law Office

MLT Aikins LLP

POUR LES DÉFENDEURS

For The RESPONDENTS

 

 

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