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Date : 20060323

Dossier : IMM‑2996‑05

Référence : 2006 CF 369

Ottawa (Ontario), le 23 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE Simon Noël

 

ENTRE :

MARIEN HAMUD LOBAINA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire de la décision de Mindy Avrich‑Skapinker, de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR), qui a refusé sa demande d’asile. Dans sa décision datée du 25 avril 2005, la SPR a établi que la demanderesse n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger, expressions définies respectivement aux articles 96 et 97 de la LIPR. La SPR a jugé que la demanderesse serait exposée à un risque si elle était renvoyée à Cuba, mais elle a rejeté la revendication de la demanderesse parce que, à son avis, elle pouvait aisément acquérir la nationalité libanaise, le Liban étant un pays de référence ou de nationalité.

 

[2]               La demanderesse est de nationalité cubaine. Elle avait prétendument été persécutée à Cuba parce qu’elle est une chrétienne pratiquante et croyante.

 

[3]               Le seul point en cause dans la présente affaire est de savoir si la SPR a commis une erreur en concluant que le Liban est l’un des « pays de nationalité » de la demanderesse au sens de ces articles. Dans l’arrêt Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 126, [2005] A.C.F. n° 603, au paragraphe 17, la Cour d’appel fédérale a jugé qu’une telle conclusion est « une conclusion de fait que le juge de première instance ne pouvait modifier que s’il s’agissait d’une erreur manifeste et dominante ».

 

[4]               Dans sa décision, la SPR a constaté que le père de la demanderesse, décédé en 1955, était de nationalité libanaise. L’acte de naissance de la demanderesse indique que son père était « originaire du Liban », mais l’acte de décès de son père révèle que son lieu de naissance était la « Siria » (dossier du tribunal, page 472).

 

[5]               La SPR a dit que la demanderesse « […] n’a qu’à accomplir une procédure relativement simple pour acquérir un statut, voire la citoyenneté, au Liban ». Selon la Réponse à la demande d’information sur la nationalité libanaise, LBN27535.E, datée du 12 novembre 1998 (dossier du tribunal, page 304) :

[traduction]

[...] Selon les principes fondamentaux de la citoyenneté libanaise, l’enfant né d’un père libanais a droit à la citoyenneté libanaise. [...] Même si les parents n’inscrivent pas leur enfant auprès des services consulaires libanais avant qu’il atteigne l’âge de la majorité, le droit de l’enfant à la citoyenneté libanaise demeure inchangé. La question de l’inscription des enfants avant l’âge de la majorité ne s’applique pas à l’acquisition de la citoyenneté libanaise. Cela signifie tout simplement que les parents doivent présenter la demande pour le compte d’un enfant de moins de dix‑huit ans, mais la personne qui a atteint l’âge de la majorité doit soumettre sa propre demande même si elle n’a pas été inscrite officiellement. L’enfant né d’un père libanais à l’étranger acquiert, de fait, la citoyenneté libanaise à la naissance, et il ne faut qu’accomplir la formalité administrative d’inscription pour que cet enfant se voie reconnaître officiellement la citoyenneté. La question fondamentale qui se pose dans la situation susmentionnée ne concerne pas l’acquisition de la nationalité libanaise par un enfant, mais plutôt l’obligation de produire un document attestant la nationalité libanaise de son père.

 

[6]               Ce point est confirmé dans la Réponse à la demande d’information, LBN30509.E, datée du 12 novembre 1998, et citée à la page 9 de la décision de la SPR :

[traduction]

Selon le droit libanais, le père transmet automatiquement sa citoyenneté libanaise à ses enfants, qu’il s’agisse de garçons ou de filles. L’inscription de la citoyenneté libanaise dans un registre libanais n’est pas pertinente au droit de l’enfant à la citoyenneté libanaise. Il s’agit d’un droit reconnu par la Constitution.

 

[7]               La demanderesse a fait valoir qu’il ne dépend pas d’elle d’obtenir la nationalité libanaise. Elle s’en rapporte au paragraphe 22 de l’arrêt Williams, précité, pour le critère applicable permettant de dire si un pays donné peut être considéré comme « pays de nationalité » d’un demandeur d’asile :

Le véritable critère est, selon moi, le suivant : s’il est en son pouvoir d’obtenir la citoyenneté d’un pays pour lequel il n’a aucune crainte fondée d’être persécuté, la qualité de réfugié sera refusée au demandeur. Bien que des expressions comme « acquisition de la citoyenneté de plein droit » ou « par l’accomplissement de simples formalités » aient été employées, il est préférable de formuler le critère en parlant de « pouvoir, faculté ou contrôle du demandeur », car cette expression englobe divers types de situations. De plus, ce critère dissuade les demandeurs d’asile de rechercher le pays le plus accommodant, une démarche qui est incompatible avec l’aspect « subsidiaire » de la protection internationale des réfugiés reconnue dans l’arrêt Ward et, contrairement à ce que l’avocat de l’intimé a laissé entendre, ce critère ne se limite pas à de simples formalités comme le serait le dépôt de documents appropriés. Le critère du « contrôle » exprime aussi une idée qui ressort de la définition du réfugié, en l’occurrence le fait que l’absence de « volonté » du demandeur à accomplir les démarches nécessaires pour obtenir la protection de l’État entraîne le rejet de sa demande d’asile à moins que cette absence s’explique par la crainte même de persécution. Le paragraphe 106 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, [Genève, 1992] précise bien que « [c]haque fois qu’elle peut être réclamée, la protection nationale l’emporte sur la protection internationale ». Dans l’arrêt Ward, la Cour suprême du Canada fait observer, à la page 752, que « [l]orsqu’il est possible de l’obtenir, la protection de l’État d’origine est la seule solution qui s’offre à un demandeur ».

 

[8]               Selon la SPR, une demande de nationalité pouvait être présentée à tout consulat du Liban à l’étranger, et l’obtention de la nationalité libanaise serait pour Mme Lobaina une simple formalité. La SPR s’est fondée sur la Réponse à la demande d’information, LBN31947.E, datée du 4 juin 1999 :

Il faut d’abord déterminer la nationalité du père et son nom doit figurer au registre civil du Liban. Lorsque la nationalité a été établie, l’enfant s’inscrit tout simplement auprès d’un consulat libanais. Le dossier serait transmis au Liban pour confirmer que le père figure au registre civil de ce pays.

 

[9]               On trouve les mêmes propos dans la Réponse à la demande d’information sur la nationalité libanaise, LBN27535.E, datée du 12 novembre 1998 :

[traduction]

La source précisait qu’un enfant né de parents libanais en dehors du Liban peut demander la nationalité libanaise à tout consulat du Liban à l’étranger. L’enfant doit remplir les formulaires administratifs prévus et apporter la preuve (passeport, carte d’identité, acte de naissance, etc.) que son père est de nationalité libanaise. Pour une demande d’acquisition de la nationalité, le consul du Liban est autorisé à exercer le pouvoir d’un juge libanais et à conférer la nationalité libanaise. Le consul notifiera sa décision au ministère des Affaires étrangères à Beyrouth, lequel la transmettra au ministère de l’Intérieur pour enregistrement officiel.

 

[10]           Voilà la situation juridique pour ce qui concerne la nationalité libanaise. La SPR a expliqué la manière dont la fille d’un homme de nationalité libanaise pouvait aisément acquérir la nationalité libanaise, mais elle n’a pas expliqué pourquoi elle a présumé ou conclu que le père de la demanderesse était de nationalité libanaise :

Il ne fait aucun doute que la demandeure d’asile est l’enfant d’Idiat Hamud Hussein et que celui‑ci était un citoyen du Liban, tel qu’il appert du certificat de naissance de la demandeure d’asile, bien qu’il soit né en Syrie. Lorsque le père de la demandeure d’asile est né, la Syrie faisait partie du Liban.

 

[11]           La preuve documentaire (pièce 1.2.2, dossier du tribunal, page 64) explique comment le Liban est devenu un pays. Toutefois, cela ne suffit pas, à mon avis, pour dire que le père de la demanderesse est de nationalité libanaise. À la page 19 du FRP, on peut lire que le père de la demanderesse est de nationalité libanaise. Cependant, la décision de la SPR n’en fait pas mention. La SPR ne fait pas non plus mention, dans sa décision, d’une quelconque autre preuve convaincante selon laquelle le père de la demanderesse était de nationalité libanaise. Par ailleurs, la preuve était contradictoire à propos du lieu de naissance du père de la demanderesse. Je suis d’avis que, même si la preuve montre qu’une personne dont le père est de nationalité libanaise a droit à la nationalité libanaise, le raisonnement de la SPR tient essentiellement à la conclusion selon laquelle le père de la demanderesse est de nationalité libanaise. Dans ce contexte, dire que la demanderesse est fondée « de plein droit » à la nationalité libanaise n’est pas tout à fait juste. La SPR a donc commis une erreur de fait, quelle que soit la norme de contrôle applicable.

 

[12]           Finalement, je relève que la SPR a ajourné l’audience le 1er février 2005 afin de permettre à la demanderesse et à son avocat de communiquer avec les autorités libanaises pour savoir si la demanderesse a droit ou non à la nationalité libanaise. La demanderesse a présenté une lettre datée du 25 février 2006. En voici la teneur (dossier de la demanderesse, page 38) :

[traduction]

Veuillez informer le commissaire que j’ai écrit à l’ambassade du Liban le 2 février 2005 pour savoir si Mme Lobaina avait droit à la nationalité libanaise.

 

Le lendemain, le consul du Liban m’a téléphoné pour me dire que Mme Lobaina allait devoir s’informer elle‑même en personne à l’ambassade du Liban à Cuba.

 

Il est évident que Mme Lobaina ne peut pas retourner à Cuba pour savoir si elle a droit à la nationalité libanaise.

 

Je me permets d’exprimer l’avis que, pour l’heure, Mme Lobaina n’a pas la nationalité libanaise. Pour que le gouvernement libanais étudie sa demande, elle doit absolument se présenter en personne à l’ambassade du Liban à Cuba, ce qu’elle ne peut pas faire.

 

J’ai demandé à l’ambassade du Liban à Ottawa une confirmation écrite de sa position, mais n’ai pas encore reçu de réponse écrite.

 

Cette lettre ne dit pas si les détails de la situation de la demanderesse ont été transmis aux autorités libanaises à Ottawa, et aucune confirmation des autorités libanaises à Ottawa n’a été donnée. Les moyens pris par la demanderesse pour obtenir des renseignements n’ont pas suffi. L’avocat de la demanderesse n’a pas communiqué à la SPR les meilleurs renseignements disponibles, c’est‑à‑dire une lettre :

-         disant que la demanderesse n’est pas en état de se présenter en personne à l’ambassade du Liban à Cuba;

-         indiquant s’il lui est possible de demander la nationalité libanaise à Ottawa;

-         indiquant si elle a droit à la nationalité libanaise par son père.

 

[13]           Les parties ont été invitées à présenter une question susceptible d’être certifiée, mais aucune question n’a été présentée.

 

[14]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

            -           La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

 

-           La décision de la Commission est annulée;

-           L’affaire est renvoyée à une autre formation de la Commission pour une nouvelle décision;

-           Aucune question n’est certifiée.

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                          IMM‑2996‑05

 

 

INTITULÉ :                                                         MARIEN HAMUD LOBAINA

                                                                              c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                   TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                 LE 14 MARS 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                    LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                                        LE 23 MARS 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Rokakis                                                          POUR LA DEMANDERESSE

 

Margherita Braccio                                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John Rokakis                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Windsor (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

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