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Date : 20031001

Dossier : IMM-5889-02

Référence : 2003 CF 1136

Toronto (Ontario), le 1er octobre 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

HASHIM ABDALAAL

NAIMA ABDEL WAHAB

et HANA HASHIM MOHAMED

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 Monsieur Abdalaal, un citoyen du Soudan âgé de soixante ans, a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention en invoquant les opinions politiques qui lui sont imputées. Sa conjointe et sa fille ont fondé leurs revendications sur la sienne. Les demandeurs allèguent également avoir qualité de personnes à protéger en tant que personnes exposées au risque d'être soumises à la torture, ou à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elles retournaient au Soudan. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SPR) a rejeté leurs demandes en se fondant essentiellement sur le fait qu'il n'existait pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles ou dignes de foi à l'appui. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de cette décision; j'ai conclu que la demande devrait être accueillie.


[2]                 M. Abdalaal allègue s'opposer depuis longtemps aux régimes répressifs actuel et passés au Soudan. Il a été membre du parti communiste jusqu'en 1976, année où les factions du parti ont commencé à le désenchanter; il est alors devenu indépendant et a travaillé pour les syndicats. Après le coup de 1989, lorsque les intégristes islamiques ont renversé le gouvernement démocratiquement élu et ont dissous les syndicats, M. Abdalaal a participé à des réunions secrètes au cours desquelles on discutait de la démocratie et de l'opposition au régime. M. Abdalaal affirme également avoir participé à l'organisation de manifestations et à des tentatives visant à mobiliser les syndicalistes et d'autres opposants au régime. Il affirme qu'en 1997, son fils de quatorze ans a été contraint à adhérer aux Forces de défense populaire (les PDF), mais qu'il s'est échappé du camp. Après avoir réussi à envoyer son fils au Yémen, M. Abdalaal a été détenu par la sécurité qui l'a gardé pendant deux jours dans des conditions fort pénibles. On lui a dit que le régime était au courant de ses activités et on l'a menacé. En 1998, après qu'un certain nombre de recrues des PDF eurent été tuées au cours d'une tentative d'évasion, M. Abdalaal a participé à une manifestation publique; il a été arrêté et a été détenu pendant sept jours; il affirme avoir alors été battu. Dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP), il est également déclaré que M. Abdalaal avait fait l'objet d'une détention préventive au mois de décembre 1999 et au mois de janvier 2000 parce que le régime tentait d'éviter des troubles le jour de l'Indépendance.

[3]                 M. Abdalaal, qui est ingénieur de profession, se spécialise dans la remise à neuf et la réparation de chaudières industrielles. En l'an 2000, il a effectué du travail pour une usine privée, appartenant à un partisan du régime; le propriétaire de l'usine ainsi que des représentants militaires ont par la suite communiqué avec lui, et lui ont demandé d'effectuer du travail similaire dans deux usines de l'État, à compter du mois d'avril 2001. M. Abdalaal ne voulait rien faire pour aider le régime dans sa campagne contre le peuple (composé principalement de non-musulmans) dans le sud du Soudan; il a fait des préparatifs en vue de partir avant de commencer le travail. M. Abdalaal s'est enfui du Soudan avec sa conjointe et sa fille le 21 mars 2001. Il est arrivé au Canada en passant par les États-Unis, où il est resté à Washington pendant dix jours en attendant de pouvoir venir au Canada.


[4]                 Les demandeurs soutiennent principalement qu'il y a eu manquement à l'équité procédurale et à la justice naturelle. Pendant l'argumentation orale, l'avocat des demandeurs a déclaré en toute franchise que la SPR a commis le manquement par inadvertance; je suis d'accord. Le problème découle d'une demande que la Commission a faite au début de l'audience pour que les demandeurs traitent uniquement des événements qui s'étaient produits en 1998 et par la suite. Plus précisément, le membre de la Commission a déclaré ce qui suit (page 7 de la transcription) : [TRADUCTION] « Par conséquent, messieurs les avocats, pour les besoins de l'audience, j'aimerais simplement établir dans une certaine mesure ses antécédents politiques à compter du mois de mai 1998, comme il en est fait mention au paragraphe 11 [du FRP]. » Les demandeurs ne remettent pas en question l'approche adoptée par la SPR sur ce point. Lorsque, pendant le contre-interrogatoire, l'agent de protection des réfugiés (l'APR) a posé une question se rapportant au paragraphe 7 du FRP, le membre de la Commission est intervenu et a dit ceci (page 42 de la transcription) : [TRADUCTION] « D'accord. Je dois souligner... étant donné que l'avocat n'a pas eu la possibilité de procéder à un interrogatoire principal au sujet de cette partie du FRP, je ne crois pas qu'il soit juste d'en parler plus tard. » Encore une fois, les demandeurs ne remettent pas cette approche en question.


[5]                 Selon les demandeurs, le problème est attribuable au fait que la SPR, qui avait restreint la portée de l'audience, a ensuite mentionné des éléments de preuve se rapportant aux années antérieures à l'année 1998 figurant dans le FRP et s'est fondée sur ces éléments pour tirer des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité de M. Abdalaal et pour conclure à l'invraisemblance. M. Abdalaal s'est alors trouvé dans la situation peu enviable de ne pas être en mesure d'offrir d'explications. Les demandeurs, qui sont parfaitement au courant des problèmes inhérents que pose la contestation des conclusions de crédibilité tirées par la SPR, soutiennent que l'approche adoptée par la Commission et l'accent qui a été mis sur les événements antérieurs à l'année 1998, sans que ces événements soient examinés d'une façon appropriée à l'audience, ont donné lieu à une interprétation et à une appréciation erronées de la preuve ainsi qu'à l'omission d'en tenir compte, ce qui a amené la Commission à tirer une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité et, partant, à rendre une décision défavorable. Bref, après avoir fait savoir à l'audience que les événements qui s'étaient produits avant 1998 n'étaient pas pertinents aux fins de l'audience, la SPR a par la suite accordé énormément d'importance à la preuve relative aux années antérieures à l'année 1998 figurant dans le FRP sans fournir une pleine possibilité de procéder à un interrogatoire et à un contre-interrogatoire à ce sujet. C'est là où il y a manquement à l'équité.


[6]                 Je souscris à la position des demandeurs et je rejette l'argument contraire du défendeur selon lequel les conclusions mentionnées n'étaient pas pertinentes pour ce qui est de l'ensemble de la décision. Il est impossible de faire des conjectures au sujet de ce qu'aurait pu être le résultat si le manquement ne s'était pas produit. Il est clair que la SPR a tiré une conclusion de crédibilité défavorable au sujet de l'événement qui s'est produit en 1998 en se reportant à un événement qui était survenu en 1997. De même, la SPR a conclu qu'il était invraisemblable que M. Abdalaal soit relâché compte tenu de ses démêlés antérieurs. Fait particulièrement important, la SPR s'est fortement appuyée sur les événements antérieurs pour tirer sa conclusion au sujet de l'élément subjectif de la crainte de M. Abdalaal. À mon avis, il n'est pas loisible à la Commission de restreindre la portée de l'audience et de faire savoir que les événements qui s'étaient produits avant l'année 1998 ne sont pas pertinents et de se fonder ensuite sur ces mêmes événements pour trancher l'affaire. L'approche adoptée par la Commission constitue un manquement à l'équité procédurale et vicie la décision. La demande sera donc accueillie.

[7]                 Les avocats n'ont soulevé aucune question à certifier; je suis d'accord pour dire que l'affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.

« Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  IMM-5889-02

INTITULÉ :                                                 HASHIM ABDALAAL

NAIMA ABDEL WAHAB

HANA HASHIM MOHAMED

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 30 SEPTEMBRE 2003

LIEU DE L'AUDIENCE :                         TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                               LE 1er OCTOBRE 2003

COMPARUTIONS :

W. Lloyd MacIlquham                                   pour les demandeurs

Marcel Larouche                                            pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Randal Montgomery                                      pour les demandeurs

Avocats

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                           pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                       Date : 20031001

                                       Dossier : IMM-5889-02

ENTRE :

HASHIM ABDALAAL

NAIMA ABDEL WAHAB

HANA HASHIM MOHAMED

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                 défendeur

                                                                                  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                  

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