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Date : 19990810


Dossier : T-1459-97


     OTTAWA (ONTARIO), LE MARDI 10 AOÛT 1999

     EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM



ENTRE :

     ITV TECHNOLOGIES, INC.,


     demanderesse

     (défenderesse reconventionnelle),


     - et -


     WIC TELEVISION LTD.,


     défenderesse

     (demanderesse reconventionnelle).



     ORDONNANCE

     Pour les motifs exposés dans les motifs de mon ordonnance, la requête en jugement sommaire de la demanderesse est rejetée.

     Les parties doivent présenter des observations écrites dans un délai de 15 jours sur la question des dépens.

     L'affaire est renvoyée au juge en chef adjoint pour la gestion de l'instance.

                             " Max M. Teitelbaum "

                                  Juge

                



Traduction certifiée conforme :



Richard Jacques, LL. L.




Date : 19990810


Dossier : T-1459-97



ENTRE :

     ITV TECHNOLOGIES, INC.,


     demanderesse

     (défenderesse reconventionnelle),


     - et -


     WIC TELEVISION LTD.,


     défenderesse

     (demanderesse reconventionnelle).



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM



[1]      La demanderesse sollicite un jugement sommaire pour obtenir les réparations suivantes :

         1. une ordonnance portant radiation de l'enregistrement de la marque de commerce canadienne de la défenderesse no 286,066, visant ITV & UN DESSIN
         2. une ordonnance portant radiation de l'enregistrement de la marque de commerce canadienne de la défenderesse no 467,002, visant ITV
         3. une ordonnance portant modification du registre des marques de commerce par insertion, dans l'enregistrement de la marque de commerce canadienne no 4900099 visant ITV & UN DESSIN, d'une renonciation à l'emploi exclusif des lettres " ITV " en liaison avec des bandes vidéo préenregistrées
         4. un jugement déclaratoire portant que le nom de domaine Internet de la demanderesse, ITV NET, et sa dénomination sociale, ITV TECHNOLOGIES INC., n'usurpent pas les droits de la défenderesse afférents à ses marques de commerce déposées ou reconnus en common law;
         5. une ordonnance portant que la défenderesse doit payer à la demanderesse les dommages-intérêts résultant de l'injonction accordée le 25 novembre 1997, ainsi que des dommages-intérêts exemplaires si la Cour l'estime indiqué, le montant devant faire l'objet d'un renvoi devant un juge;
         6. une ordonnance portant que la demanderesse a droit à ses dépens de l'action jusqu'à ce jour, payables immédiatement.

[2]      Les motifs, indiqués dans l'avis de requête, qui fondent la demande de jugement sommaire sont les suivants :

1. la défenderesse a abandonné l'emploi de la marque déposée no 286,066 visant ITV & UN DESSIN;
2. la marque de commerce de la défenderesse no 467,002 visant ITV n'était pas enregistrable au moment de son enregistrement et n'était pas distinctive au moment de l'engagement de la présente instance.
3. la marque de commerce de la défenderesse no 44900099 visant ITV & un dessin en liaison avec des bandes vidéo préenregistrées n'était pas enregistrable au moment de son enregistrement et n'était pas distinctive au moment de l'engagement de la présente instance dans la mesure où l'inscrivante revendique des droits exclusifs afférents à l'emploi des lettres " ITV " pour ces marchandises;
4. a) la marque " ITV " n'est pas susceptible de distinguer les services d'une entreprise de services de télévision interactive de ceux d'une autre;
b) la marque " ITV " donne une description claire des services de la demanderesse;
c) en employant le sigle " ITV ", la demanderesse a employé un terme courant dans son champ d'activité et n'a pas fait une déclaration trompeuse voulant que ses services soient ceux de la défenderesse, ni trompé le public;
d) en employant le sigle " ITV ", la demanderesse n'a pas entraîné la diminution de la valeur de l'achalandage de la défenderesse;
5.a) la défenderesse a obtenu l'injonction en s'engageant à payer à la demanderesse tous les dommages-intérêts résultant de l'injonction accordée le 25 novembre 1997 que la Cour lui ordonnerait de verser, et la demanderesse a subi et continue de subir, par suite de l'injonction, un préjudice dont le montant reste à déterminer;
b) il y a une question à trancher, celle de savoir si la défenderesse a obtenu l'injonction du 25 novembre 1997 au moyen de déclarations trompeuses ou si elle l'a utilisée de façon malveillante;

[3]      Comme preuve à l'appui de la requête en jugement sommaire, la demanderesse a déposé les affidavits de William Mutual, président de la société demanderesse, et les affidavits de Michael Silva, Mohd. Shahriman Sidek, Keith Moore, Harjono Zain et Peter Chrzanowski.

[4]      Sont joints à l'affidavit de William Mutual, souscrit le 7 mai 1999, 24 pièces, comprenant chacune plusieurs pages d'information.

[5]      Au moins six pièces sont jointes à l'affidavit de William Mutual, sous l'onglet 9 du dossier de requête de la demanderesse, mais la page indiquant la date à laquelle il a été souscrit semble être absente.

[6]      Michael P. Silva est un consultant. Il affirme, au paragraphe 2 de son affidavit souscrit le 26 mars 1999 :

[traduction] J'ai travaillé pour ITV Technologies, Inc. d'août 1996 à juillet 1997. Je travaille actuellement pour Brauning Consultants aux États-Unis à titre d'associé. Nous donnons des consultations à Microsoft Corp., Ericsson, Inc. (" Ericsson "), et à bon nombre d'entreprises débutantes dans les domaines de l'Internet et de la technologie sans fil.

[7]      Silva a été un employé de la demanderesse d'août 1996 à juillet 1997, mais omet de préciser quelles fonctions il remplissait comme employé de la demanderesse.

[8]      Sidek a souscrit un affidavit le 10 février 1999. Il est président-directeur général/président d'une société malaysienne qui est [traduction] " l'une des premières sociétés de Malaysia dans le domaine de la conception pour Internet ".

[9]      Keith Moore a souscrit son affidavit le 26 mai 1999. Il est le chef de la direction de ITVnet, Inc. de Californie.

[10]      Harjono Zain a souscrit son affidavit 2 juin 1999. Il est le chef de la direction d'une société de télécommunications de Malaysia et il a [traduction] " une longue expérience de la gestion, de l'exploitation et du financement dans le secteur de la haute technologie ".

[11]      Peter Chrzanowski est président de Extreme Explorations Film & Video Productions Inc., société qui a eu recours aux services de ITV.net comme " fournisseur Internet " depuis janvier 1996.

[12]      Des pièces étaient annexées à certains des affidavits susmentionnés.

[13]      La demanderesse a également versé en preuve la transcription des interrogatoires préalables du défendeur Wallace Irvine Kirk, qui a lui aussi déposé des affidavits pour la défenderesse et au nom de celle-ci.

[14]      La demanderesse est une société de Colombie-Britannique dont le siège est à Vancouver. Elle exploite sur Internet depuis novembre 1995 une entreprise dont l'adresse est www.itv.net et dont [traduction] " l'activité consiste à offrir un réseau mondial de serveurs vidéo et des services de cohébergement de contenu/stationnement sur serveur, et des services de diffusion Web [...] " (voir le paragraphe 3 de la déclaration de la demanderesse). La demanderesse utilise son nom commercial ITV.net et ce, depuis le 21 novembre 1995, pour identifier ses services liés à l'adresse Web www.itv.net (voir le paragraphe 4 de la déclaration).

[15]      La défenderesse est le propriétaire inscrit de la marque de commerce canadienne no 467,002 dont la date de dépôt est le 30 janvier 1996 et qui vise la marque " ITV " employée en liaison avec l'exploitation d'un poste de télévision. Cette marque de commerce a été employée par la défenderesse et son prédécesseur en titre depuis le 1er septembre 1974.

[16]      La défenderesse est le propriétaire inscrit, par l'intermédiaire de son prédécesseur en titre, de la marque de commerce " ITV & un dessin " déposée sous le no 286,066 qui a été employée par WIC (défenderesse) et ses prédécesseurs en titre depuis le 19 août 1982 à l'égard d'émissions de télévision, d'émissions de radio, de télévision par câble et de production d'animations, de films, de vidéodisques, etc.

[17]      Par sa déclaration visant une ordonnance de radiation des marques de commerce no 467,002 et no 286,066, la demanderesse sollicite une déclaration portant que ces marques de commerce ne l'empêchent pas d'utiliser l'adresse Web www.itv.net, et elle demande les dépens.

[18]      Dans l'avis de requête, comme il appert de l'exposé qui précède, la demanderesse sollicite un jugement sommaire dont la portée excède celle de la déclaration.

[19]      Après avoir entendu la plaidoirie orale de l'avocat de la demanderesse, je crois que ce que la demanderesse demande maintenant, c'est que je décide qu'elle a le droit d'utiliser le site Web www.itv.net, pour les motifs précités, bien qu'à l'heure actuelle, la défenderesse soit peut-être, encore qu'illégitimement, le propriétaire des deux marques de commerce contenant les lettres ITV et ITV & dessin.

[20]      La demanderesse convient que la question des dommages-intérêts ne peut pas être tranchée par jugement sommaire et doit être soumise à la décision d'un juge par renvoi.

[21]      Dans l'affaire Nature"s Path Foods Inc. c. Country Fresh Enterprises Inc. et Sukhdevpaul Dhanoa, T-2647-97, 3 décembre 1998, C.F. 1re inst., le juge Rouleau, traitant du but du jugement sommaire, dit, à la page 3 :

Les dispositions des Règles de la Cour fédérale qui concernent le jugement sommaire visent à permettre à la Cour de trancher sommairement les affaires qui, selon elle, ne devraient pas être instruites parce qu'aucune question véritable n'est soulevée dans les plaidoiries écrites. C'est une décision qui doit être prise à la lumière des circonstances particulière de chaque cas ainsi que des arguments de droit et de fait invoqués au soutien de la demande ou de la défense.
Il appert de la jurisprudence qu'un jugement sommaire ne sera rendu que dans les cas les plus évidents. Dans l'affaire Pallmann Maschinenfabrik G.m.b.H. CO. KG (décision non publiée en date du 14 juin 1995, T-1065-93), le juge Teitelbaum a formulé les commentaires suivants au sujet des règles relatives au jugement sommaire (p. 19-20) :
...le jugement sommaire ne devrait pas être accordé sur une question lorsque le juge estime que l'ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires ou qu'il estime injuste de trancher les questions en cause. Je suis d'avis que le jugement sommaire ne devrait être accordé que lorsque les faits sont clairs. Je crois également, en général, qu'une demande de jugement sommaire n'est pas le recours approprié pour obtenir un jugement lorsque les questions soulevées devant la Cour portent sur la contrefaçon ou l'invalidité d'un brevet.

[22]      Dans l'affaire Federated Co-Operatives Limited c. Sa Majesté la Reine, T-185-94, 25 juin 1999, C.F. 1re inst., le juge Dubé dit que le critère applicable au jugement sommaire est le suivant :

Les principes généraux qui régissent les jugements sommaires ont été résumés ainsi par madame le juge Tremblay-Lamer, de notre Cour, dans Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd., [1996] 2 C.F. 853, aux pages 859 et 860 :
1. ces dispositions ont pour but d'autoriser la Cour à se prononcer par voie sommaire sur les affaires qu'elle n'estime pas nécessaire d'instruire parce qu'elles ne soulèvent aucune question sérieuse à instruire (Old Fish Market Restaurants Ltd. c. 1000357 Ontario Inc. et al);
2. il n'existe pas de critère absolu (Feoso Oil Ltd. c. Sarla (Le)), mais le juge Stone, J.C.A., semble avoir fait sien les motifs prononcés par le juge Henry dans le jugement Pizza Pizza Ltd. c. Gillespie. Il ne s'agit pas de savoir si une partie a des chances d'obtenir gain de cause au procès, mais plutôt de déterminer si le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d'être examinée par le juge des faits dans le cadre d'un éventuel procès;
3. chaque affaire devrait être interprétée dans le contexte qui est le sien (Blyth et Feoso);
4. les règles de pratique provinciales (spécialement la Règle 20 des Règles de procédure civile de l'Ontario, [R.R.O. 1990, Règl. 194]) peuvent faciliter l'interprétation (Feoso et Collie);
5. saisie d'une requête en jugement sommaire, notre Cour peut trancher des questions de fait et des questions de droit si les éléments portés à sa connaissance lui permettent de le faire (ce principe est plus large que celui qui est posé à la Règle 20 des Règles de procédure civile de l'Ontario) (Patrick);
6. le tribunal ne peut pas rendre le jugement sommaire demandé si l'ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour lui permettre de trancher les questions de fait ou s'il estime injuste de trancher ces questions dans le cadre de la requête en jugement sommaire (Pallman et Sears);
7. lorsqu'une question sérieuse est soulevée au sujet de la crédibilité, le tribunal devrait instruire l'affaire, parce que les parties devraient être contre-interrogées devant le juge du procès (Forde et Sears). L'existence d'une apparente contradiction de preuves n'empêche pas en soi le tribunal de prononcer un jugement sommaire; le tribunal doit " se pencher de près " sur le fond de l'affaire et décider s'il y a des questions de crédibilité à trancher (Stokes ).
Il faut ajouter que, dans la décision Pizza Pizza v. Gillespie, le juge Henry a énoncé le principe bien connu qu'une partie doit " présenter sa cause sous son meilleur jour ", qui oblige la partie contre qui une requête pour jugement sommaire est présentée à produire suffisamment d'éléments de preuve pour démontrer qu'il existe une question véritable à trancher. En d'autres termes, il ne suffit pas, pour l'intimé, de se contenter de dire qu'une preuve plus étayée sera faite au procès : " c'est maintenant qu'il faut le faire ".

[23]      Il m'apparaît évident qu'il ne convient pas d'accorder un jugement sommaire étant donné les faits établis. La preuve soulève nombre de questions de fait et de droit valables, complexes, telles que le caractère distinctif et la confusion.

[24]      Je suis convaincu que la présente espèce dans son état actuel, c'est-à-dire qu'il y a une masse de documents au sujet desquels des explications supplémentaires plus satisfaisantes s'imposent, n'est pas prête pour un jugement sommaire.

[25]      Les avocats m'ont affirmé qu'à leur connaissance, il n'existe pas de jurisprudence canadienne sur la question en litige, savoir une marque de commerce opposée à un nom Internet comme dans la présente affaire.

[26]      Certainement, cette question doit être tranchée à l'issue d'un procès complet. Il faut, à mon avis, que des experts soient assignés et contre-interrogés devant un juge, et qu'une question de crédibilité pourrait alors se poser.

[27]      De plus, une cour devra se prononcer sur la question des dommages-intérêts. En pareil cas, je suis convaincu qu'il est préférable que toutes les questions soient tranchées par un juge présidant un procès.

[28]      En outre, en l'espèce, je suis convaincu que les parties étaient convenues que l'affaire devait être l'objet d'une instruction et qu'elles allaient demander une instruction accélérée. Cela signifie, à mon sens, que les parties sont convenues qu'il y a une question à instruire.

[29]      Après avoir examiné les nombreux affidavits et pièces déposés, je suis nettement convaincu qu'il est nécessaire que les questions fassent l'objet d'un procès.

[30]      Pour ces motifs, la demande de jugement sommaire présentée par la demanderesse est rejetée.

[31]      Les parties peuvent, dans un délai de 15 jours à compter d'aujourd'hui, faire des observations par écrit sur la question des dépens.



                             " Max M. Teitelbaum "

                                  Juge

                

Ottawa (Ontario)

Le 10 août 1999



Traduction certifiée conforme :



Richard Jacques, LL. L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE :              T-1459-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      ITV TECHNOLOGIES, INC., c. WIC TELEVISION LTD.
LIEU DE L"AUDIENCE :      VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
DATE DE L"AUDIENCE :      LE 16 JUILLET 1999

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE TEITELBAUM EN DATE DU 10 AOÛT 1999


ONT COMPARU :

PAUL D. GORNALL                  POUR LA DEMANDERESSE

GRAHAM McLENNAN                  POUR LA DÉFENDERESSE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

PAUL D. GORNALL

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)      POUR LA DEMANDERESSE

McLENNAN ROSS

EDMONTON (ALBERTA)                  POUR LA DÉFENDERESSE

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