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     Date : 19971121

     Dossier : IMM-3789-96

Ottawa (Ontario), Le 21 novembre 1997

EN PRÉSENCE DE : Monsieur le juge Joyal

ENTRE

     BABA JOHAR HAFIS PREENA,

     SITHI BALKIS PREENA,

     SITHI FARZANA PREENA et

     SHAZLY FARAH PREENA,

     requérants,

ET

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     Intimé.

     ORDONNANCE

         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                             L. Marcel Joyal

                                     JUGE

Traduction certifiée conforme

                         Tan Trinh-viet

     Date : 19971121

     Dossier : IMM-3789-96

ENTRE

     BABA JOHAR HAFIS PREENA,

     SITHI BALKIS PREENA,

     SITHI FARZANA PREENA et

     SHAZLY FARAH PREENA,

     requérants,

ET

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     Intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE JOYAL

[1]          Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 1er octobre 1996 dans laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que les requérants n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, en application du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985),

ch. I-2.

Les faits

[2]          Les requérants, qui sont le père, la mère et deux filles mineures, sont citoyens sri-lankais. Ils sont arrivés à Vancouver vers le 31 décembre 1994, et ils ont revendiqué le statut de réfugié le 9 janvier 1995.

[3]          Le père requérant était un agent de police à Colombo de 1968 à 1987. Il a quitté le service de police en 1987 parce qu'il ne voulait pas être affecté à la partie septentrionale du pays, où il craignait de travailler en raison de la présence des Tigres de libération de l'Ealam (les LTTE), un groupe de guérilla qui avait établi un gouvernement de facto dans cette région.

[4]          Vers la fin de 1987, le couple requérant s'est rendu à Singapour, où la femme a subi une fécondation in vitro. En 1988, la femme a donné naissance à deux filles jumelles, les premiers bébés-éprouvettes au Sri-Lanka. Par suite de la couverture des médias, la famille est devenue connue dans la communauté. Les requérants étant de religion musulmane, leurs ecclésiastiques les pressaient de faire circoncire les filles bébés. Le couple s'y est opposé et on les a menacés d'excommunication. Ces menaces n'ont jamais donné lieu à des incidents.

[5]          En 1991, le requérant a mis sur pied une compagnie d'exportation de fibres et de vêtements de choix. Il a établi de très bons rapports de travail avec les Japonais et son entreprise était en plein essor.

[6]          Au début de 1994, un ami du requérant, un certain

M. Lokuge, qui s'est trouvé être le ministre d'État du Tourisme et un membre de l'United National Party (Parti national unifié) (l'UNP) de la législature, s'est adressé au requérant en vue de sa campagne de réélection. Le requérant a accepté de l'aider en tant que conseiller de sécurité et de garde personnel du corps. Il a également contribué une grande somme d'argent à la campagne de M. Lokuge.

[7]          Le 20 mars 1994, alors que le requérant accompagnait le candidat dans sa campagne, trois jeunes l'ont menacé sous leur revolver. Il a été traîné hors du restaurant, détenu pendant deux heures et a en fin de compte été libéré avec l'avertissement de ne plus participer à la campagne. Le requérant a informé M. Lokuge de cet incident, mais aucune plainte officielle n'a été déposée. Le requérant prétend qu'au cours de la campagne, il était la cible des menaces et de l'intimidation de la part des partisans du parti d'opposition.

[8]          En août 1994, quelques jours avant l'élection générale, trois individus sont venus à la maison du requérant. Ils ont menacé le requérant et sa famille sous leur revolver, disant qu'ils les tuerait s'ils continuaient d'appuyer l'UNP. Le requérant les a suppliés, et ils sont en fin de compte partis tout en le prévenant qu'ils le surveilleraient de près. À cause de l'incident, la famille a abandonné sa maison, allant de la maison d'un parent à celle d'un autre, mais l'incident n'a jamais été signalé à la police. Ce mois-là, l'UNP a perdu l'élection générale, bien que M. Lokuge ait conservé son siège.

[9]          Le requérant a alors participé à la campagne de l'UNP en vue de l'élection présidentielle de novembre 1994. Le 20 octobre 1994, quatre individus ont mis à sac son bureau et l'ont menacé de mort. On l'a épargné, mais on l'a averti de ne pas signaler l'incident à la police, autrement il serait tué et ses enfants seraient enlevés. Par suite de cet incident, le requérant a fermé définitivement son bureau, mais il a continué ses activités de la campagne présidentielle.

[10]          Le 8 novembre 1994, le jour antérieur à l'élection, alors que le requérant conduisait ses enfants à l'école, il se trouvait devant les revolvers de trois individus qui menaçaient d'enlever ses enfants s'il continuait d'appuyer l'UNP. Le requérant n'a pas emmené ses enfants à l'école, mais il est allé porter une plainte officielle à la police. Cette nuit-là, sa maison a été bombardée de pierres.

[11]          Par suite de ces incidents et bien que la famille ait déménagé à 100km de Colombo, elle a bientôt commencé à revoir des appels téléphoniques anonymes. La soeur du requérant, qui avait accueilli la famille chez elle, a eu peur et elle leur a demandé de partir. Le requérant et sa famille ont alors été forcés de se déplacer, demeurant chez divers amis. Après avoir discuté de la situation avec M. Lokuge, le requérant a reçu l'avis de quitter le pays avec sa famille.

[12]          Le requérant et sa famille ont donc légalement quitté Colombo le 31 décembre 1994, utilisant des passeports sri-lankais valables. Ils sont arrivés au Canada peu de temps après, et ils ont demandé le statut de réfugié le 9 janvier 1995.

La décision de la Commission :

[13]          La Commission a décidé que, compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait, le requérant n'avait pas raison de craindre d'être persécuté, et qu'il pouvait demander la protection de l'État sri-lankais. La Commission a examiné minutieusement les documents de voyage du requérant, et elle s'est préoccupée du fait que son passeport avait des visas pour trois pays et qu'il les avait obtenus en peu de temps (un mois). La Commission a également rejeté la correspondance du requérant avec sa famille parce qu'elle la jugeait non digne de foi. Et en dernier lieu, la Commission a conclu que le requérant et sa famille pouvaient demander la protection de la police et avaient en fait été aidés par celle-ci à la suite de sa plainte du 8 novembre 1994.

Les points litigieux

[14]          Le requérant a soulevé les points suivants :

         1.      La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a tiré des conclusions déraisonnables de la possibilité pour le requérant d'obtenir des visas pour se rendre au Japon, aux États-Unis et au Canada pendant le mois de décembre 1994.
         2.      La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a eu tort de décider que le requérant n'avait pris aucune mesure corrective relativement aux incidents de mars et d'août 1994.
         3.      La Commission a mal interprété ou a méconnu une quantité importante des éléments de preuve objectifs étayant la crainte de persécution du requérant.
         4.      La Commission s'est mal renseignée sur les questions juridiques de la protection de l'État.
         5.      La Commission a eu tort d'énoncer une norme de preuve indûment élevée pour établir que la crainte de persécution du requérant est fondée.

Analyse

[15]          Il est bien établi que dans les affaires de réfugiés, la question de la crédibilité et celle du poids des éléments de preuve relèvent de la compétence exclusive du tribunal , et qu'il y a lieu d'y toucher seulement lorsque des erreurs énormes sont commises.

[16]          Au sujet des visas obtenus par le requérant antérieurement à son départ de Colombo, il n'était pas nécessairement déraisonnable pour le tribunal de déduire l'existence d'une contradiction entre la crainte intense de persécution du requérant et les délais occasionnés par sa demande banale ou routinière de trois visas.

[17]          Le tribunal a dit que le requérant n'avait pris aucune mesure corrective relativement aux incidents de mars et d'août 1994 avant qu'il n'eût signalé à la police l'incident du 8 novembre. L'avocat du requérant conteste cela, et il soutient que le requérant avait présenté des plaintes orales. Néanmoins, la lecture de la page 18 de la transcription (voir la p. 066 du Dossier) semble confirmer l'observation faite par la Commission à cet égard.

[18]          Pour ce qui est de la question relative au fait pour la Commission de méconnaître une quantité importante des éléments de preuve objectifs, il est bien établi qu'il faut tenir compte de tous les éléments de preuve. Il ne suffit pas pour un requérant de s'appuyer sur de petits passages extraits de la preuve documentaire pour établir l'existence d'une conclusion déraisonnable ou erronée de la part du tribunal. Je dois volontiers reconnaître que l'avocat du requérant avait accumulé et collationné une quantité impressionnante de documents qui aurait pu par ailleurs amener un tribunal à tirer une conclusion différente. Néanmoins, la conclusion du tribunal selon laquelle le requérant, en tant que résident de Colombo et Musulman, n'a pas raison de craindre d'être persécuté est, à mon point de vue respectueux, étayée par les éléments de preuve.

[19]          Quant à la thèse reconnue de la "protection de l'État", il est présumé qu'en l'absence d'un effondrement complet de tout le pouvoir public, l'État peut protéger ses citoyens. La remarque faite par la Commission à l'égard de la conduite des autorités policières lorsqu'une plainte a été déposée après l'incident du

8 novembre 1994 s'accorde avec cette présomption. Le défaut d'une nouvelle mesure par la police ne saurait être considérée comme déraisonnable étant donné le fait que le requérant ne pouvait reconnaître aucun des agresseurs. S'agissait-il tout le temps des mêmes personnes? Étaient-ils tous jeunes? Le seul élément en commun était-il celui du port d'armes, à savoir une mitrailleuse et peut-être une épée? Le dossier est complètement muet sur tout cela.

[20]          Le dossier est également muet quant à l'expérience connue par l'ami et employeur du requérant, M. Lokuge, le titulaire ministre d'État du Tourisme et le candidat de l'UNP cherchant à être réélu en 1994. A-t-il reçu des menaces? A-t-il été harcelé? A-t-il demandé la protection de la police? Dans la négative, il serait peut-être anormal que des hommes de main oppriment le requérant pour des activités politiques exercées pour le compte d'un homme politique qui pourrait être intouchable.

[21]          Il convient de faire une autre remarque relative à l'allégation du requérant selon laquelle le tribunal a établi une norme erronément élevée de preuve pour établir que la crainte de persécution du requérant était fondée. Il est dit que cette particulière disposition de la Convention des N.U. signifie que le fardeau de la preuve incombe au requérant selon la prépondérance des probabilités. Cela a amené la Cour, dans l'affaire Arduengo c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1982), 40 N.R. 436 à traduire ce concept en "une sérieuse possibilité par opposition à une simple possibilité [de risque]". Compte tenu des éléments de preuve dont le tribunal disposait, sa décision sur cette question ne saurait, à mon avis respectueux, être considérée comme étant abusive.

Conclusion

[22]          Je me montrerais négligent si je ne répétais pas les compliments que j'ai faits aux avocats des parties pour les documents minutieux et détaillés qu'ils ont produits, ainsi que pour l'argumentation savante qu'ils ont présentée. Il est évident que parmi toutes les erreurs attribuées au tribunal par l'avocat du requérant, certaines, isolément, pourraient être quelque peu fondées. Il est également évident que certaines expressions figurant dans la décision du tribunal créent de la confusion ou sont ambiguës. Cependant, on doit prendre connaissance de l'ensemble de la décision et, si besoin est, de l'ensemble de la transcription des procédures devant le tribunal, ce que j'ai fait, et ce faisant, je n'a pas trouvé le genre d'erreur qui, selon les critères du contrôle judiciaire, justifierait que j'intervienne.

[23]          Je devrais en conséquence rejeter la présente demande.

                             L. Marcel Joyal

                                      JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 21 novembre 1997

Traduction certifiée conforme

                         Tan Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                      IMM-3789-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :              Baba Johar Hafis Preena et autres c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 28 octobre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE JOYAL

EN DATE DU                      21 novembre 1997

ONT COMPARU :

    Douglas Cannon                      pour le requérant
    Brenda Carbonell                  pour l'intimé
                        

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

    McPherson, Elgin & Cannon
    Vancouver (Colombie-Britannique)      pour le requérant
    George Thomson
    Sous-procureur général du Canada
                                 pour l'intimé

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