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                                                                                                                                         Date :    20020117

                                                                                                                           Dossier :    IMM-3178-00

                                                                                                            Référence neutre : 2002 CFPI 53

Ottawa (Ontario), ce 17ième jour de janvier 2002

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                           MOGAMED ALEXIBICH,

                                                                                                                                 Partie demanderesse,

                                                                              - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETE ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                  Partie défenderesse.

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER

[1]                 Monsieur Mogamed Alexibich présente une demande de contrôle judiciaire de la décision négative de la Section de statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ( « Section du statut » ) rendue le 23 mai 2000.


[2]                 M. Alexibich est citoyen russe de nationalité tchétchène. Il allègue une crainte de persécution de la part de ses compatriotes tchétchènes en raison de son refus de se joindre à eux dans la guerre entre la Russie et la Tchétchènie. Suite à son refus de devenir combattant, il est battu et menacé de mort. Le 28 novembre 1999, il quitte la Tchétchènie à destination de Moscou dans la crainte que les militants passent des menaces à l'action.

[3]                 Il arrive à Moscou, ville qui venait de subir des explosions causées par les terroristes tchétchènes. Le climat de la capitale russe, suite à ces actes barbares, ne favorise pas ceux de nationalité tchétchène. Ils se font arrêter et tabasser par la police russe. M. Alexibich est arrêté trois fois, détenu pour 10 heures et battu par les préposés du service correctionnel.

[4]                 Toujours préoccupé pour sa sécurité personnelle, M. Alexibich quitte Moscou pour New York après 20 jours et y arrive le 18 décembre 1999. Ses troubles continuent quand il se fait voler son sac alors qu'il utilisait les toilettes à l'aéroport. Il se trouve donc dépourvu de son passeport ainsi que de ses effets personnels. Le 19 décembre 1999, il se rend au Canada où il revendique le statut de réfugié le même jour.

[5]                 À l'audition relative à sa revendication, la Section du statut accorde à M. Alexibich un délai supplémentaire pour lui permettre de soumettre son passeport interne qu'il dit avoir laissé avec un ami. M. Alexibich profite de ce délai pour fournir à la Section du statut le passeport interne de son père au lieu du sien. Dans ses motifs, la Section du statut remarque que cette substitution n'est pas expliquée.


[6]                 La Section du statut conclut que M. Alexibich a des problèmes de crédibilité. Selon elle, il ne répond pas "à notre satisfaction" aux questions qui lui ont été posées au cours de l'audience. Elle dit avoir de la difficulté à croire à "toutes ces pertes présentées à l'improviste" et aux explications improvisées fournies lors de l'audience.

[7]                 La Section du statut mentionne dans ses motifs que ce n'est pas le fait que M. Alexibich ait fourni le passeport interne de son père au lieu du sien qui l'amènera à "faire changer notre décision" puisque M. Alexibich manque de crédibilité. M. Alexibich reproche à la Section du statut de ne pas avoir fait le suivi avec Me Lebrun, comme ce dernier l'avait invité à le faire, si celle-ci avait des questions au sujet des documents.

[8]                 La Section du statut conclut que M. Alexibich n'a pas réussi à établir qu'il existait une possibilité raisonnable de persécution en cas de retour dans son pays d'origine et conséquemment qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[9]                 M. Alexibich s'attaque à plusieurs aspects de la décision de la Section du statut. Tout d'abord, il allègue qu'une fois que sa nationalité ait été mise hors de question par les documents qu'il avait fournis à la Section du statut (notamment le passeport interne de son père qui démontre clairement la nationalité tchétchène de ce dernier, et donc celle de son fils, ainsi qu'une attestation qui faisait foi de sa nationalité), la Section du statut devait alors appliquer la preuve documentaire qui démontre que les tchétchènes sont harcelés et persécutés en Russie en raison de leur nationalité.


[10]            M. Alexibich allègue que la Section du statut aurait décidé de son sort avant de recevoir la documentation qu'il lui a envoyée, compte tenu de la phrase suivante retrouvée dans les motifs de la Section du statut, notamment, "ce n'est pas ce fait qui nous amènera à nous faire changer notre décision... ".

[11]            M. Alexibich questionne aussi le critère d'évaluation que la Section du statut applique à son témoignage quand elle indique dans ses motifs qu'il n'a pas répondu "à notre satisfaction" aux questions qu'on lui a posées. Selon lui, le critère pour l'évaluation de la crédibilité ne saurait être aussi subjectif que de répondre aux questions posées à la satisfaction du panel qui statue sur sa revendication.

[12]            M. Alexibich s'attaque d'une façon particulière aux conclusions que la Section du statut a tirées au sujet de sa crédibilité. Cette appréciation de crédibilité est axée sur deux éléments du récit de M. Alexibich. D'abord, la Section du statut doute que M. Alexibich aurait pu se rendre de la Tchétchènie à Moscou sans difficulté car, selon elle "la région du Caucase est un secteur à risque, explosif et dangereux". On doit donc croire que la Section du statut ne croyait pas que M. Alexibich pouvait simplement s'éloigner sans difficulté. La question que se pose M. Alexibich relativement à cette conclusion est la suivante: s'il avait eu des difficultés lors de sa fuite de la Tchétchènie, comme semble le croire la Section du statut, quel motif aurait-il à dissimuler ce fait? Selon lui, cette conclusion adverse, quant à sa crédibilité sur une question qui ne touche aucun élément important de sa revendication, est sans fondement et dépourvue de sens.


[13]            Le deuxième élément qui touche la crédibilité de M. Alexibich est la question de la perte de ses documents. La Section du statut considère que le vol du sac de M. Alexibich dans les toilettes de l'aéroport de New York était une histoire improvisée. Dans son affidavit, M. Alexibich souligne que cinq mois avant l'audition de sa revendication il avait déclaré à l'agent d'immigration au point d'entrée qu'il avait perdu son sac aux États-Unis. Ceci contredit carrément la suggestion d'histoire improvisée.

[14]            Finalement, M. Alexibich s'attaque à la conclusion de la Section du statut relativement au fait qu'il ne sera pas persécuté dans son pays d'origine. Il constate que dans l'affaire Sorogin v. Canada, [1999] FCJ No. 630, la Section du statut avait devant elle la même preuve documentaire. Sur la foi de cette preuve, la Section du statut accueilla la revendication du demandeur Sorogin. Comment se peut-il que la même preuve documentaire soit suffisante pour supporter une demande de statut de réfugié dans le cas de Sorogin et non dans le sien? Il allègue que la Section du statut a agi de façon discriminatoire.

[15]            M. Alexibich tente à deux reprises de présenter l'argument qu'une fois son identité tchétchène établie, la Section du statut ne peut faire autrement que de le reconnaître comme réfugié sur la foi de la preuve documentaire. Cette logique sous-tend l'argument que la Section du statut avait tort de ne pas lui accorder le statut de réfugié lorsqu'il a fourni la preuve de sa nationalité. Selon M. Alexibich, la même logique que celle appliquée dans l'arrêt Sorogin, (supra), devrait s'appliquer en l'espèce, à savoir, qu'une revendication soit accueillie sur la foi de la preuve documentaire; statuer autrement serait discriminatoire.


[16]            En effet, M. Alexibich voudrait persuader le tribunal que tout citoyen tchétchène peut se faire reconnaître comme réfugié sur la foi de la preuve documentaire. Or, toute personne réclamant le statut de réfugié doit faire preuve d'une crainte subjective de persécution qui est fondée sur une réalité objective. La preuve documentaire peut bien satisfaire l'exigence d'une réalité objective mais elle ne peut aucunement fournir la preuve d'une crainte subjective. Celle-ci doit venir du demandeur. Voici ce qu'en a dit le juge Noël dans l'arret Sinora c. M.E.I. (1993), 66 F.T.R. 113 :

Le requérant admet ne pas avoir établi qu'il faisait personnellement l'objet de persécution. Il ajoute cependant que puisque la preuve documentaire démontre clairement que les pauvres sont maltraités en Haïti, les membres de la Section se sont fourvoyés en statuant qu'aucune preuve de persécution n'a été présentée.    À mon avis la demande du requérant est tout à fait sans fondement. Il est bien établi qu'un requérant doit démontrer une crainte objective et subjective de persécution. En l'occurrence, il n'était pas suffisant de simplement déposer de la preuve documentaire. Il fallait tout au moins démontrer que le requérant lui-même avait une crainte réelle de persécution. En l'absence de cette preuve, les membres de la Section étaient en droit de conclure comme ils l'ont fait.

Ce passage est cité par le juge Blais au para. 100 de ces motifs dans l'arrêt Ithibu c. Canada [2001] FCT 288 où il en est venu à la même conclusion :

La preuve documentaire révèle les abus commis par le gouvernement du Kenya. Toutefois, la preuve des abus commis au Kenya ne dégage pas le demandeur de prouver qu'il a une crainte subjective d'être persécuté.

En conséquence, M. Alexibich devait persuader la Section du statut qu'il avait une crainte subjective de persécution sans quoi il n'était pas réfugié mais simplement un ressortissant d'un pays où la vie est très dure.


[17]            Donc, il n'y a rien de discriminatoire dans le fait qu'un panel de la Section du statut aurait constaté dans l'affaire Sorogin que le demandeur tchétchène aurait fait preuve de crainte subjective, et qu'un autre panel aurait conclu différemment dans le cas de M. Alexibich.      La crainte subjective est avant tout une question de crédibilité. Si la Section du statut trouvait que M. Alexibich n'était pas crédible quant à des éléments importants de sa revendication, elle pouvait en toute justice rejeter d'autres éléments de sa revendication. C'est la conclusion à laquelle est arrivé le juge Pinard dans l'affaire Hajmemet c. Canada, [2001] A.C.F. No. 1698, où il s'exprima ainsi au para. 7 de ses motifs :

De plus, je suis d'avis, dans les circonstances, que la perception du tribunal que le demandeur n'est pas crédible équivaut en fait à la conclusion qu'il n'existe aucun élément crédible pouvant justifier sa revendication du statut de réfugié (voir Aguebor c. M.E.I. (1993), 160 N.R. 315, aux pages 316 et 317 et Sheikh c. Canada (M.E.I.), [1990] 3 C.F. 238, à la page 244).

[18]            Dans l'instance, M. Alexibich se présente au Canada sans passeport, un document qui lui était nécessaire pour franchir la frontière américaine afin d'ensuite se présenter à la frontière canadienne. La Section du statut avait raison de l'interroger sur l'absence de son passeport, d'autant plus que son passeport aurait révélé si M. Alexibich avait séjourné dans d'autres pays avant de se présenter à la frontière américaine ou encore la date de son entrée aux États-Unis.

[19]            M. Alexibich fournit une explication qu'on ne pourrait croire sans conclure qu'il soit d'une naïveté exceptionnelle. Ce n'est pas une question de connaissance d'office mais de simple expérience de vie qu'on ne laisse pas ses biens, surtout ses documents d'identité, à la porte lorsqu'on utilise les toilettes dans une place aussi fréquentée qu'un aéroport. La Section du statut aurait pu croire M. Alexibich après l'avoir entendu témoigner sans se faire critiquer pour autant mais elle ne l'a pas cru, conclusion qui lui était également loisible. Il n'y a rien de déraisonnable dans la conclusion à laquelle est arrivée la Section du statut.


[20]            M. Alexibich proteste qu'on l'accuse d'avoir fabriqué cette histoire à l'improviste quand les notes de l'agent au point d'entrée démontrent que M. Alexibich a offert la même explication à la frontière. Est-ce que cette conclusion erronée entache la décision entière de la Section du statut?

[21]            Il se peut que la Section du statut aurait pu voir la revendication de M. Alexibich d'un autre oeil si elle n'avait pas conclu à la nature improvisée de cette explication. Mais il faut dire que ce n'est pas la nature improvisée de l'explication offerte par M. Alexibich qui la rend incroyable, mais plutôt son invraisemblance. D'ailleurs c'est ce qu'a dit la Section du statut : « Il nous semble invraisemblable qu'il ait subi toutes ces pertes lors d'événements inexplicables et par surcroît, que les explications qu'il nous a fournies lors de l'audience soient improvisées. » (L'emphase est celle de la Cour). L'erreur de la Section du statut sur ce point n'était pas de sorte à entacher sa décision.

[22]            Il faut aussi reconnaître que ceci n'est pas un élément sans importance dans la revendication de M. Alexibich. Le passeport de M. Alexibich ne sert pas seulement à établir son identité mais aussi ses déplacements. Pour ces raisons, la Section du statut y accorde beaucoup d'importance. Vu qu'il n'aurait pu franchir la frontière américaine sans ce document, son allégation qu'il n'était pas en mesure de le présenter à la Section du statut suscite, avec raison, l'intérêt de celle-ci.

[23]            D'autre part, M. Alexibich, ayant accepté de produire son passeport interne, ne peut reprocher à la Section du statut de prendre connaissance du fait qu'il produit à sa place le passeport de son père. Le fardeau d'expliquer les circonstances de ce changement lui incombe sans que la Section du statut ait à le poursuivre pour avoir des explications.


[24]            Finalement, M. Alexibich soulève des préoccupations avec le langage employé par la Section du statut, à savoir, lorsqu'elle discute les explications insatisfaisantes offertes aux questions qui lui étaient posées ou encore lorsqu'elle décide de ne pas changer sa décision après réception de preuve supplémentaire. Il est vrai que la Section du statut aurait pu rédiger ses motifs différemment, néanmoins, la rédaction choisie ne constitue pas une cause suffisante pour casser la décision. Quand la Section du statut dit que le demandeur ne répond pas aux questions à la satisfaction du panel, il est raisonnable de croire que ceci veut simplement dire que la Section du statut n'a pas été convaincue par le demandeur. À mon avis, un tel langage dans les motifs ne définit aucunement la norme de preuve qu'applique la Section du statut. (Est-ce qu'un juge qui se dit ne pas être satisfait qu'il y ait un doute raisonnable quant à la culpabilité de l'accusé se réfère à une norme autre que le doute raisonnable?)

[25]            Le passage cité par Me Lebrun, à l'appui de l'argument que la Section du statut aurait décidé la cause avant d'avoir reçu toute la preuve, évoque tout simplement la proposition que la Section du statut est en droit de recevoir et de considérer de la preuve additionnelle après la clôture de l'audience. Si la Section du statut accepte de recevoir des preuves additionelles après l'audience, elle est tenue de considérer cette preuve. Mais, ayant analysé la preuve autre que celle qui lui manquait, elle pouvait bien tirer des conclusions provisoires pourvu qu'elle soit prête à les reconsidérer à la lumière de la preuve soumise en dernier. Constater que la preuve ne l'a pas fait changer d'idée ne veut pas dire plus que la dernière preuve ne déplace pas le poids de la preuve reçue antérieurement.

[26]            Pour ces motifs, il n'y a pas lieu d'intervenir dans la décision de la Section du statut.


[27]            Les parties ne m'ont pas demandé de certifier une question grave de portée générale comme le prévoit l'article 83 de la Loi sur l'immigration, 1985, L.R.C. c. I-2, et ce, même si elles ont eu la possibilité de le faire. Je ne me propose donc pas de certifier pareille question.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                   « J.D. Pelletier »                                                                                                                                             Juge                    


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR: IMM-3178-00

INTITULÉ: MOGAMED ALEXIBICH c. MCI

COMPARUTIONS

Me Michel Le Brun POUR LA DEMANDERESSE

Me Jocelyne Murphy POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Morris Rosenberg POUR LA DÉFENDERESSE Sous-procureur général du Canada

Me Michel Le Brun POUR LA DEMANDERESSE Montréal (Québec)

LIEU DE L'AUDIENCE: Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE: 7 février 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE L'HONORABLE JUGE PELLETIER EN DATE DU 17 janvier 2002

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