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                                                                                                                                 Date : 20000210

                                                                                                                                             T-577-87

E n t r e :

                                                THE LUBRIZOL CORPORATION

                                                et LUBRIZOL CANADA LIMITED

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                             et

                                COMPAGNIE PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE LIMITÉE

                                                     et sa subdivision PARAMINS

                                                                                                                                    défenderesses

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                     (prononcés oralement à l'audience à Ottawa (Ontario)

                                                          le mercredi 9 février 2000)

LE JUGE HUGESSEN


[1]         Je suis saisi d'une requête présentée par la défenderesse la Compagnie pétrolière Impériale en vue d'obtenir des directives de la Cour. Ces directives porteraient de façon générale sur deux questions. La première question concerne la façon dont l'Impériale mène l'interrogatoire préalable de la demanderesse Lubrizol dans le cadre du renvoi qui a présentement lieu pour déterminer le montant, s'il en est, des profits que l'Impériale doit remettre par suite de sa contrefaçon du brevet de Lubrizol. La seconde grande question visée par la requête et par les directives demandées concerne non seulement le déroulement du renvoi en question, mais également la poursuite du procès dont la Cour d'appel a ordonné la reprise et qui porte spécifiquement sur la question des dommages-intérêts exemplaires résultant de la violation d'une injonction par la défenderesse et par la fixation, s'il y a lieu, du montant des dommages-intérêts en question.

[2]         Je vais rejeter la requête.

[3]         J'estime tout d'abord que la requête est prématurée, car elle porte sur la conduite de l'interrogatoire préalable. On ne me demande pas d'examiner des questions précises, mais bien des questions générales que l'Impériale désire aborder et qui, selon ce qu'elle a appris de Lubrizol, seront contestées par cette dernière. Je ne crois pas que les moyens invoqués au soutien de la requête soient assez solides pour permettre à la Cour de se prononcer sur la conduite d'un interrogatoire préalable. La requête soulève de nombreux problèmes. Le tribunal ne peut se prononcer sur une question que si celle-ci est portée à sa connaissance. La façon dont une question est libellée revêt une grande importance et deux questions qui, aux yeux du profane, semblent essentiellement identiques, peuvent s'avérer fort différentes pour le juriste, au point où l'une peut être admissible et l'autre, non. Je ne suis pas disposé, ainsi que je l'ai déjà dit, à examiner cette question sur de telles bases.


[4]         Il existe toutefois une autre raison tout aussi fondamentale pour laquelle je ne suis pas disposé à rendre une décision à ce moment-ci. Les parties ont conclu une entente au sujet de la conduite du renvoi. La position de la défenderesse au sujet de cette entente n'est pas parfaitement claire. À certains moments, elle semble dire que cette entente n'a pas été conclue régulièrement et qu'elle n'est encore qu'un brouillon, alors qu'à d'autres moments, elle cherche à se prévaloir de cette entente. Est-il nécessaire de préciser qu'une telle ambivalence ne constitue pas une attitude qui est susceptible d'attirer beaucoup de sympathie de la part de la Cour. Quoi qu'il en soit, je suis convaincu, vu l'ensemble de la preuve dont je dispose, que les parties ont conclu une entente. J'ai d'ailleurs rarement vu une entente faire l'objet d'autant de conseils professionnels -juridiques et autres - de part et d'autre. Une entente est manifestement intervenue, selon moi. Elle a été conclue en janvier 1997. Il restait certaines modalités à préciser, mais je suis convaincu que la conduite des parties démontre bien qu'au plus tard le 30 avril 1997, ces modalités avaient été arrêtées et que la version définitive de l'entente avait été rédigée. Cela ne veut évidemment pas dire que les parties s'entendent sur la portée de leur entente ou sur la façon de l'interpréter, mais il s'agit là d'une question tout à fait différente sur laquelle la Cour devra se pencher.

[5]         On peut, de façon générale, dire que l'entente vise à cerner les questions qui devront être abordées dans le cadre du renvoi et à éliminer une grande quantité d'éléments de preuve qui auraient autrement dû être présentés lors du renvoi. Comme toute entente, cette entente doit être interprétée et appliquée. Elle porte expressément sur la bonne façon de calculer les frais supportés par l'Impériale pour vendre le produit contrefait, ainsi que sur les modes de ventilation possibles auxquels l'Impériale peut recourir, une question au sujet de laquelle l'Impériale a de toute évidence la charge de la preuve. Finalement, l'entente porte sur les produits précis qui font l'objet de la comptabilisation des profits.


[6]         En ce qui concerne les questions des frais et de la ventilation, je crois cependant qu'il est assez évident que je ferais preuve d'un manque total de sagesse si je devais sous-estimer la capacité des avocats de trouver des ambiguïtés là où je crois qu'il n'y en a pas. Il est par ailleurs indiscutable qu'il y aura un débat pour déterminer quelles sont les questions légitimes qui peuvent être posées lors de l'interrogatoire préalable au sujet de la question des frais et de la ventilation.

[7]         Indépendamment du fait que, comme je l'ai déjà dit, ces questions ne peuvent être résolues que lorsqu'on en connaîtra la teneur, il n'en demeure pas moins que je ne pourrai me prononcer sur l'interprétation qu'il convient de donner de cette entente et sur son application à des faits et à des questions précises que lorsque ces faits et ces questions précises auront été portés à ma connaissance.

[8]         Il en va autrement en ce qui concerne la troisième catégorie de questions qu'on prévoit poser lors de l'interrogatoire préalable et qu'on cherche pour ainsi dire à légitimer à l'avance au moyen de la présente requête. Il s'agit des questions portant sur le règlement d'une action qui a été introduite au New Jersey il y a une vingtaine d'années par suite d'un engagement pris par la demanderesse ou par sa société mère envers la société mère de la défenderesse. Dans cette affaire, l'auteur de l'engagement en question qui, si j'ai bien compris, englobait les filiales et les succursales, s'engageait à ne pas faire valoir les droits de son prédécesseur ou de son équivalent étranger sur le brevet en litige relativement à certains produits.


[9]         Ainsi que je l'ai déjà dit, la présente entente porte de façon tout à fait explicite sur les produits qui doivent faire l'objet de la comptabilisation des profits. Cette entente a été conclue en 1997. L'action a été introduite en 1987 et un jugement a été rendu trois ans plus tard. Dans ce jugement, le tribunal a expressément conclu que certains produits qui, selon ce qu'on m'informe maintenant, étaient vraisemblablement visés par l'entente de règlement intervenue au New Jersey, étaient contrefaits par le brevet. Aucun moyen de défense n'a été présenté au sujet de cette question avant le prononcé du jugement qui, je tiens à le signaler, a été pour l'essentiel confirmé par la Cour d'appel.

[10]       En ce qui a trait à la présumée absence de contrefaçon des produits visés par l'entente de règlement conclue au New Jersey, on n'a pas expliqué de façon convaincante à la Cour la raison pour laquelle ce moyen n'avait pas été invoqué en temps utile.

[11]       L'avocat de l'Impériale soutient que, comme le tribunal a scindé la demande lors de l'instruction de la présente action, la conclusion de contrefaçon, qui était pourtant d'une limpidité indéniable, était d'une certaine manière irrégulière ou incomplète, étant donné qu'il restait à préciser l'ampleur de la contrefaçon dans le cadre du renvoi. Je ne suis pas de son avis. La contrefaçon et l'ampleur de la contrefaçon sont deux questions bien distinctes et la conclusion que le produit X contrefait le brevet Y est une conclusion qui lie les parties en ce qui concerne le fait de la contrefaçon. Si la défenderesse veut soutenir qu'au moment du procès, elle était en fait dégagée de toute responsabilité en ce qui a trait à la contrefaçon du brevet en raison de l'entente du New Jersey portant renonciation à invoquer certains droits, il lui fallait invoquer ce moyen au procès. Or, elle ne l'a pas fait.


[12]       Je reconnais qu'une comptabilisation des profits constitue une réparation en equity et qu'une partie ne peut s'enrichir injustement aux dépens de l'autre. Mais le caractère définitif des jugements constitue également un principe fondamental de notre système de justice. Je n'exclus pas la possibilité pour la défenderesse de rouvrir le débat en l'espèce et d'invoquer le règlement intervenu au New Jersey si elle réussit à démontrer qu'elle n'était pas consciente, ainsi que l'avocat l'a affirmé devant moi, de ce qu'elle avait fait, mais elle ne m'a soumis aucun élément de preuve convaincant en ce sens.

[13]       En conséquence, il n'existe à mon avis aucun motif qui me justifierait d'autoriser la défenderesse à poser des questions qui lui permettraient de revenir sur une question qui a été tranchée il y a une dizaine d'années dans ce dossier précis.

[14]       J'en viens maintenant au second volet de la requête en directives. La défenderesse me demande de prononcer une ordonnance « confirmant » la reprise du procès principal qui, comme je l'ai déjà précisé, porterait sur la question des dommages-intérêts exemplaires et sur leur calcul, question qui serait traitée indépendamment du renvoi qui est présentement en cours.

[15]       En premier lieu, une telle ordonnance serait, encore une fois, entièrement hypothétique. Je n'ai pas ordonné que les deux questions soient instruites simultanément et, autant que je sache, aucune ordonnance n'a été prononcée en ce sens.


[16]       Mais j'irais plus loin. Je ne vois aucune raison de ne pas prononcer une telle ordonnance si la partie qui la réclame réussit à en établir le bien-fondé. L'avocat de la défenderesse soutient que l'arrêt de la Cour d'appel empêche le prononcé d'une telle ordonnance. Je ne suis pas de son avis. Bien qu'il soit vrai que la Cour d'appel ait employé le mot « après » pour parler de la reprise du procès, je suis convaincu qu'elle a utilisé ce terme au sens abstrait plutôt que dans un sens temporel. Il en va de même lorsqu'un juge qui statue sur une affaire portant sur des lésions corporelles ne fixe le montant de l'indemnité à verser qu' « après » s'être prononcé sur la responsabilité. Le juge tranche ces deux questions dans le cadre de la même audience et se prononce en règle générale sur ces deux questions dans un seul et même jugement. Ce volet de la requête doit donc lui aussi être rejeté.

[17]       Sur la question des dépens, comme j'estime que la présente requête n'aurait pas dû être présentée, je condamne la défenderesse à payer sans délai les dépens de la demanderesse, que je fixe en tout état de cause à la somme de 7 500 $, à laquelle s'ajoutent les débours admissibles.

                                                                                                                         « James K. Hugessen »            

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 10 février 2000

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                             SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                             AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                           T-577-87

INTITULÉ DE LA CAUSE :               COMPAGNIE PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE LTÉE (PARAMINS) c. THE LUBRIZOL CORPORATION et autre

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                             Le 9 février 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Hugessen le 9 février 2000

ONT COMPARU :

Mes D. MacO'Drum et                                                                        pour la demanderesse

Peter Wells

Mes T. Heintzman, W. Richardson                                                    pour la défenderesse

et P. Trattner

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Lang Michener                                                                                   pour la demanderesse

Toronto (Ontario)

McCarthy Tétrault                                                                               pour la défenderesse

Toronto (Ontario)

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