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Date: 20060512

Dossier : IMM-5001-05

Référence : 2006 CF 569

ENTRE :

ANNIE MUJINGA ILUNGA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PINARD

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 25 juillet 2005 (avis de décision en date du 2 août 2005), par laquelle elle a conclu que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

[2]                Annie Mujinga Ilunga (la demanderesse) est citoyenne du Congo; elle allègue craindre d'être persécutée dans la République démocratique du Congo en raison des opinions politiques qu'on lui attribue.

[3]                La Commission a statué que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger, ayant conclu qu'elle n'avait pas de crédibilité.

[4]                La demanderesse soutient que la Commission a commis de graves erreurs lorsqu'elle a apprécié sa crédibilité, et donc que ses conclusions sont manifestement déraisonnables. J'abonde dans le même sens.

[5]                La Commission a ainsi mis en cause la crédibilité de la demanderesse :

      On a demandé à la demanderesse pourquoi une élève de première année (son cas) serait-elle mêlée dans des activités menées par des élèves de troisième année, ou comment elle aurait pu être perçue comme une « leader » du mouvement, vu son âge et année de scolarité. La demanderesse n'a pas pu donner une explication à ce sujet.

[6]                Cependant, la demanderesse a indiqué, dans son formulaire de renseignements personnels(FRP) et au cours de l'audience, que tous les étudiants de l'institut où elle étudiait avaient participé à la manifestation/grève du 8 décembre 2003. Dans son FRP, la demanderesse a déclaré que « des étudiants en troisième année licence ont commencé à parler aux autres étudiants [...] Ils ont demandé à tous les étudiants de participer » et aussi que, « [v]ers 8 h le matin du 8 décembre, tous les étudiants se sont réunis devant l'institut » . Il est possible que la manifestation ait été organisée par des étudiants de troisième année; cependant, tous les étudiants, y-compris ceux de première année, y ont participé. Il est manifeste que la Commission n'a pas tenu compte de ces éléments.

[7]                La Commission a mis en doute le fait que les autorités percevraient la demanderesse comme une « meneuse » du mouvement étudiant; là encore, elle n'a pas tenu compte de l'ensemble de la preuve lorsqu'elle a tiré cette conclusion. La demanderesse a clairement indiqué dans son FRP, et lors de l'audience, que les autorités la considéraient comme une meneuse du mouvement parce qu'elle appartient à la tribu Baluba; la plupart des membres de l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) - le principal mouvement d'opposition au régime Kabila - appartiennent à cette tribu.

[8]                Dans ses motifs, la Commission n'a pas mentionné ces éléments. Elle a dit que la demanderesse n'avait pas donné d'explication à ce sujet; là encore, elle n'a pas tenu compte de la preuve dont elle était saisie et elle a donc commis une erreur (voir, par exemple, Toro c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1981] 1 C.F. 652 (C.A.); Irarrazabel-Olmedo c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1982] 1 C.F. 125 (C.A.); Owusu-Ansah c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1989), 8 Imm.L.R. (2d) 106 (C.A.F.)).

[9]                La Commission a aussi dit que le fait que la demanderesse n'avait pas présenté de demande d'asile en Angleterre contredisait sa crainte subjective.

[10]            La demanderesse fait valoir que le dialogue suivant a eu lieu lors de l'audition de sa demande d'asile (pages 82 et 83 du dossier du tribunal) :

Le commissaire : « Juste pour clarifier, la question de joindre -- je n'ai pas bien compris. Vous avez décidé de ne pas aller en Belgique. Vous avez expliqué que c'était parce que votre soeur était ici. J'ai remarqué que vous avez passé par l'Angleterre aussi.

Est-ce que vous avez pensé que peut-être que vous auriez pu demander l'asile en Angleterre, par exemple? »

Demanderesse : « Oui, je pouvais demander d'abord là-bas, mais je me disais que demander là-bas, je ne connais personne. Et si j'avais, par exemple, besoin d'aide, à qui je pouvais me référer? Même s'il y a quand même une différence d'années et que je n'ai pas vécu avec ma soeur, même si je partais au Canada quelque chose pouvait m'arriver. J'avais quelqu'un au moins qui pouvait m'aider même s'il n'y a pas une bonne relation. »

[11]            La demanderesse soutient que, là encore, la Commission ne mentionne pas cette explication. La Commission n'a pas pour rôle de faire abstraction d'une explication raisonnable et d'apprécier la preuve comme si elle n'avait jamais été donnée (Mampia-Kitoko c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le 26 octobre 2004), IMM-8833-03 et Owusu-Ansah, précité).

[12]            Cependant, contrairement à ce qu'a soutenu la demanderesse, la Commission s'est précisément penchée sur cette explication et elle a exposé les motifs pour lesquels elle l'a rejetée. À la page 6 de sa décision, elle a déclaré :

      La demanderesse n'a pas fait une demande d'asile en Angleterre. Son explication a été qu'elle n'y connaissait pas personne.

      Le tribunal n'accepte pas cette explication puisque la demanderesse est une adulte et possède treize années de scolarité. Il est raisonnable de s'attendre qu'une fois partie de la RDC, la demanderesse aurait fait une demande d'asile aussitôt que possible. Pourtant, la demanderesse ne l'a pas fait. L'Angleterre est un pays développé, signataire de la Convention. Le fait que la demanderesse n'ait pas demandé l'asile là-bas, dans un pays démocratique, met aussi en cause sa crainte subjective.

[13]            Quoiqu'il en soit, il n'en reste pas moins que la conclusion tirée par la Commission est manifestement déraisonnable. La demanderesse a quitté l'Angleterre le jour même de son arrivée. Nul doute que ce pays n'était qu'une escale dans son itinéraire vers le Canada. Les motifs de l'arrêt Tung c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1991), 124 N.R. 388, rendu par la Cour d'appel fédérale, sont pertinents :

[20]       Quatrièmement, le tribunal a conclu que l'omission de l'appelant de « demander l'asile » dans l'un des pays où il a séjourné en route pour le Canada était incompatible avec le comportement d'une personne qui craint pour sa vie. Rien ne prouve que l'un ou l'autre de ces pays ait ratifié la Convention des Nations Unies de 1951 et le protocole de 1967 ou qu'il ait adopté des lois de mise en oeuvre de ces conventions. Quoi qu'il en soit, la Commission est certes habilitée par le paragraphe 68(2) de la Loi à "admettre d'office les faits ainsi admissibles en justice" [Voir Note 11 ci-dessous], mais je crois que c'est à tort qu'elle a supposé qu'il était possible pour les réfugiés de se réclamer de la protection de ces pays. Cela mis à part, l'appelant est resté en transit pendant tout ce temps et avait déjà décidé de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention après être arrivé ici.

[14]            Dans l'affaire Tung, le demandeur avait quitté la Chine depuis cinq semaines et était passé par quatre pays avant d'arriver au Canada. En l'espèce, la demanderesse avait passé moins d'un jour en Angleterre. Je suis donc d'avis que, en l'occurrence, la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le séjour de la demanderesse en Angleterre, qui a duré moins d'une journée, contredisait sa crainte subjective de persécution : en effet, elle avait déjà décidé de faire une demande d'asile au Canada, qui a toujours été son pays de destination.

[15]            Je suis d'avis que les conclusions de la Commission sont erronées. Comme elle a rendu sa décision en se fondant sur le manque de crédibilité de la demanderesse, je suis d'avis que ses erreurs l'entachent dans son ensemble et que cela justifie l'intervention de la Cour. J'accueillerai donc la présente demande de contrôle judiciaire, la décision de la Commission sera annulée et l'affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission, qui procèdera à une nouvelle audition et statuera à nouveau conformément aux présents motifs.

« Yvon Pinard »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 12 mai 2006

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-5001-05

INTITULÉ :                                        ANNIE MUJINGA ILUNGA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 27 AVRIL 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE PINARD

DATE DES MOTIFS :                       LE 12 MAI 2006                     

COMPARUTIONS:

Micheal Crane                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Janet Chisholm                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Micheal Crane                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


Date: 20060512

Dossier : IMM-5001-05

Ottawa (Ontario), le 12 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD

ENTRE :

ANNIE MUJINGA ILUNGA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Est annulée la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 25 juillet 2005 (avis de décision en date du 2 août 2005), par laquelle elle a conclu que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission, qui procèdera à une nouvelle audition et statuera à nouveau conformément aux motifs émis au soutien du présent jugement.

                                                                                                                  « Yvon Pinard »

Juge

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.

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