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Date : 19980320


Dossier : T-217-97

Ottawa (Ontario), le 20 mars 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MULDOON

ENTRE :


DAVID R. HUNT,


requérant,


- et -


LE MINISTRE DES ANCIENS COMBATTANTS,


intimé.


ORDONNANCE

     VU la demande de contrôle judiciaire entendue à Toronto le 4 décembre 1997 en présence des avocats des parties, et

     AYANT entendu les arguments développés par les avocats des deux bords et examiné les documents versés au dossier;

LA COUR ORDONNE le rejet de la demande présentée par le requérant.

                     " F. C. Muldoon "

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.


Date : 19980320


Dossier : T-217-97

ENTRE :


DAVID R. HUNT,


requérant,


- et -


LE MINISTRE DES ANCIENS COMBATTANTS,


intimé.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE MULDOON

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire d"une décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (ci-après dénommé le Tribunal), en date du 19 novembre 1996 (VE-15215), selon laquelle l"hépatite C chronique dont souffre le requérant n"est pas [traduction] " attribuable au service dans une zone de service spéciale (Égypte) ". La décision du Tribunal a eu pour effet de refuser au requérant une pension d"invalidité en raison de la maladie dont il vient d"être fait état, mais de lui reconnaître le droit à une pension d"invalidité partielle en raison d"une autre maladie.

[2]      Les faits, tels qu"extraits de la décision du Tribunal et quelque peu décantés, sont les suivants : le requérant est né le 24 octobre 1954. Il a servi dans les forces régulières du 7 juin 1972 au 23 août 1978. Il a contracté un réengagement avec les forces régulières dans lesquelles il sert sans interruption depuis le 9 mars 1979. Il a actuellement le grade de capitaine. Lorsqu"il s"est engagé dans les forces régulières, l"examen médical subi par le requérant a révélé que celui-ci avait contracté le virus de l"hépatite B. On a fait remonter cette maladie à un incident qui s"était produit lorsque le requérant avait 15 ans. Du 19 juin 1977 au 20 juillet 1977, le requérant a été en poste dans une zone de service spécial (Égypte). Pendant son service, le requérant a été appelé à travailler avec ou à fréquenter des personnes tuberculeuses. C"est ainsi que le coude droit du requérant a été infecté par la tuberculose et qu"il a dû être hospitalisé. D"après son affidavit, le requérant a été hospitalisé dans un immeuble sinistré dans lequel l"armée canadienne avait, dans des conditions précaires, installé un hôpital de campagne. Il a également déclaré avoir été mis sous perfusion à l"aide d"aiguilles qui, non seulement étaient réutilisées, mais qui étaient également bloquées et non stérilisées. D"après lui, la chose était courante en Égypte à l"époque. Le requérant a également produit un rapport de son médecin, selon lequel, vers la fin des années 70, l"hépatite C ravageait la région où le requérant était en poste. C"est le 29 janvier 1991, qu"on s"aperçoit que le requérant souffre d"hépatite C. Le tribunal ne disposait que de la preuve qui lui a été présentée. Sans doute aurait-il été impossible au requérant d"obtenir du personnel de l"hôpital la reconnaissance des conditions qu"il allègue.

[3]      La première demande de pension d"invalidité a été présentée par le requérant à la Commission canadienne des pensions en 1992. Dans sa demande de pension d"invalidité, le requérant faisait état d"une multitude de maladies, y compris : une adénite tuberculeuse du coude droit; une hépatite C chronique; une hépatite graisseuse moyenne avec fibromatose précoce du foie; des verrues plantaires, une gastrite antrale type B; une diverticulite; une duodénite; le syndrome du côlon uritable; et une oesophagite peptique. Par accord entre les avocats à l"audience, une utile brochure sur l"hépatite C, publiée par la Fondation canadienne du foie, a pu être versée aux débats à titre de pièce 1. La Commission a rejeté tous les motifs d"invalidité invoqués par le requérant pour demander une pension sauf la tuberculose du bras droit. Le requérant a fait appel de la décision de la Commission devant le Comité d"examen des pensions et le Comité d"examen, par une décision en date du 24 avril 1995, a confirmé la décision de la Commission. Le requérant a alors interjeté appel de la décision du Comité d"examen devant le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) qui, le 19 novembre 1996, a confirmé les conclusions de la Commission et du Comité d"examen en ce qui concerne l"hépatite C dont souffre le requérant mais, ce qui est plus important encore pour le requérant, a infirmé les conclusions précédentes concernant l"hépatite graisseuse moyenne avec fibromatose précoce du foie, lui accordant, pour cette maladie-là, une pension d"invalidité complète.

[4]      Le requérant sollicite maintenant de la Cour le contrôle judiciaire de la décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) pour la conclusion à laquelle le Tribunal est parvenu sur la question de son droit à une pension d"invalidité au titre de l"hépatite C. Voici les moyens invoqués par le requérant (Avis de requête introductive d"instance, p. 2) :

[TRADUCTION]

     1.      En ce qui concerne l"hépatite C, le Tribunal a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire et sans tenir compte des éléments dont il disposait.         
     2.      Dans sa décision et dans les motifs de celle-ci, le Tribunal a commis une erreur manifeste en ce qui concerne l"hépatite C, décision à laquelle il ne pouvait raisonnablement pas aboutir compte tenu des renseignements dont il disposait.         
     3.      En ce qui concerne le droit à une pension au titre de l"hépatite C, la décision du Tribunal ne tient pas compte de tous les facteurs pertinents et ne se fonde que sur de minces extraits des rapports médicaux, pris hors contexte, au lieu de tenir compte de l"ensemble des éléments dont il est fait état dans les rapports médicaux et du témoignage non contredit du requérant.         
     4.      En ce qui concerne l"hépatite C, le Tribunal est parvenu à une conclusion qui est si déraisonnable qu"elle ne saurait être l"effet d"aucune juridiction censée fonder sa décision sur la raison.         
[5]      Le requérant soutient que, lors de l"audition de la preuve, le Tribunal ne devrait pas rejeter sur le requérant le fardeau de celle-ci, le Tribunal devant, au vu d"une preuve non contredite, tirer les conclusions les plus favorables possibles au requérant. Le requérant fait également valoir que, de par la loi, le Tribunal est tenu d"accepter tout élément de preuve non contredit qui lui semble vraisemblable. À l"appui de ces deux arguments, le requérant cite l"article 10 de l"ancienne Loi sur le tribunal d"appel des anciens combattants, abrogée en 1995. L"article 39 de la Loi sur le tribunal des anciens combattants (révision et appel) remplace la disposition ainsi citée. L"article 39 de la Loi sur le tribunal des anciens combattants (révision et appel) L.C. 1995, ch. 18, dispose que :         
         39. Le Tribunal applique, à l"égard du demandeur ou de l"appelant, les règles suivantes en matière de preuve :         
     a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possibles à celui-ci;         
     b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l"occurrence;         
     c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.         
[6]      À l"appui des arguments mentionnés ci-dessus, le requérant cite également un certain nombre de décisions de justice. Il cite notamment : Carol Chenier c. Tribunal d"appel des anciens combattants (Canada) (1991), 136 N.R. 377 (C.A.F.), Moar c. P.G. (Canada) (1995), 103 F.T.R. 314 (C.F. 1re inst.), Nathan Silver c. P.G. (Canada) (1996), 112 F.T.R. 292 (C.F. 1re inst.), Fillmore c. Tribunal d"appel des anciens combattants (Canada) (1990), 111 N.R. 354 (C.A.F.). Il convient de noter que le requérant s"est systématiquement trompé dans les indications concernant les sources jurisprudentielles citées à l"appui de sa demande, mais il faut reconnaître qu"il a joint, dans l"exposé des moyens de droit qu"il invoquait, une copie des décisions de justice qu"il entendait invoquer.         
[7]      Le principal jugement qu"il cite est intervenu dans l"affaire Moar c. P.G. (Canada) , précitée; dans ce jugement, le juge suppléant Heald a déclaré que le tribunal avait perdu compétence en n"acceptant pas des éléments de preuve non contredits. Il est bien établi en droit qu"un tribunal administratif, qui agit dans les limites de sa compétence, ne perd celle-ci que s"il agit de manière manifestement déraisonnable. Lorsque, cependant, le tribunal enfreint une disposition législative limitant sa compétence, " une simple erreur fait perdre compétence ". (Canada (P.G.) c. A.F.P.C. ([1993] 1 R.C.S. 941 (C.S.C.), voir également Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendant of Brokers) [1994] 2 R.C.S. 557 (C.S.C.), au sujet de l"échelle mobile des critères de contrôle judiciaire). En l"espèce, le Tribunal n"a pas dit qu"il n"accordait aucun crédit à la seule preuve indépendante dont ait fait état le requérant, en l"espèce, l"opinion du Dr Buchholz, mais, il est clair que le Tribunal a conclu, du rapport médical du Dr Buchholz, qu"il n"existait aucune preuve médicale permettant d"attribuer directement au service accompli par le requérant dans une zone de service spécial, la maladie dont il souffrait maintenant. Dans son rapport, le Dr Buchholz affirmait ce qui suit :         
[TRADUCTION]         
     * * * Je ne saurais affirmer si son hépatite C a été contractée en Égypte ou si elle est consécutive à son hépatite B. Il est clair qu"il a pu y être exposé alors qu"il était en Égypte, et il est clair également que l"hépatite C est endémique dans la région. Il est clair qu"il avait également contracté la tuberculose et qu"il a dû par la suite prendre du Rifampin.         
Le Tribunal a pris connaissance du rapport médical du Dr Buchholz, l"a attentivement étudié mais, compte tenu du rapport médical contradictoire du Dr Hughes, qui contenait une opinion médicale très nette sur l"état de santé du requérant, le Tribunal n"a pas pu, en définitive, retenir l"opinion neutre exposée par le Dr Buchholz.         
[8]      La seule autre preuve étayant la demande du requérant est son propre affidavit. Malheureusement pour le requérant, non seulement son affidavit est-il complaisant, mais il porte davantage sur ce que le requérant croit que sur ce qu"il sait effectivement. Bien que l"affidavit du requérant ne soit pas contredit quant aux événements auxquels il attribue son hépatite C, cet affidavit est uniquement fondé sur ce qu"il croit personnellement, et non pas sur des preuves indépendantes remontant à l"époque en question. Dans sa décision, le Tribunal n"a pas directement ou manifestement mis en doute la crédibilité du récit fait par le requérant, mais il s"est toutefois exprimé en des termes qui mettent en cause la vraisemblance de ce qu"a affirmé le requérant. En ce qui concerne la manière dont le requérant avait contracté la maladie en question, le Tribunal a dit :         
[TRADUCTION]         
         Quant à l"hépatite C chronique dont souffre le requérant, M. Hunt pense avoir contracté le virus de l"hépatite C lors de son service en Égypte, lorsque, pour le mettre sous perfusion, on aurait utilisé une aiguille qui auraitprétendument déjà servi. * * *         
Il est clair qu"en s"exprimant ainsi, le Tribunal n"estimait pas que ce témoignage était entièrement vraisemblable. Étant donné ces circonstances, les arguments développés par le requérant n"étant étayés par aucune preuve indépendante, les conclusions du Tribunal étaient raisonnables, même si cela est regrettable pour le requérant. Le juge aurait peut-être été porté à accueillir plus favorablement les arguments du requérant s"il m"avait appartenu de trancher cette affaire. Cela aurait pu permettre une issue différente si le législateur avait prévu un réel droit d"appel devant la Cour, alors qu"il n"a prévu qu"un recours en contrôle judiciaire. Il incombe à la Cour de veiller à ce que le Tribunal ne " déraisonne " pas. C"est-à-dire que si, au vu du dossier, le Tribunal pouvait raisonnablement parvenir à la décision qui a été la sienne, la Cour est tenue de ne pas intervenir, même si le juge aurait pu -- si c"est à lui qu"il avait appartenu de se prononcer -- parvenir à une décision différente. Il incombe au requérant de démontrer que la décision du Tribunal était assurément erronée et déraisonnable. C"est le principe même du contrôle judiciaire.         
[9]      Bien que l"article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) impose au Tribunal d"accepter tout élément de preuve non contredit, encore faut-il que cette preuve soit crédible. Le requérant est tenu au critère applicable en matière civile et doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu"il a effectivement contracté la maladie dont il souffre aujourd"hui alors qu"il servait sous les drapeaux. Son avantage réside dans le fait que la preuve sera interprétée de la manière qui lui est la plus favorable. Ce critère de preuve applicable en matière civile doit être interprété conjointement avec l"article 21 de la Loi sur les pensions , L.R.C. (1985), ch. P-6, ouvrant droit à pension. Cette disposition prévoit notamment que :         

     21. * * *         
         (2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l"armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou pendant le service militaire en temps de paix :         
         a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l"annexe 1 pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d"invalidité causée par une blessure ou maladie -- ou son aggravation -- consécutive ou rattachée directement au service militaire;         
     * * *         
         (2.1) En cas d"invalidité résultant de l"aggravation d"une blessure ou maladie, seule la fraction - calculée en cinquièmes - du degré total d"invalidité qui représente l"aggravation peut donner droit à une pension.         
         (3) Pour l"application du paragraphe (2), une blessure ou maladie - ou son aggravation - sont réputés, sauf preuve contraire, être consécutifs ou rattachés directement au service militaire visé par ce paragraphe s'ils sont survenus au cours :         
         e) du service dans une zone où la fréquence des cas de la maladie contractée par le membre des Forces ou qui a aggravé une maladie ou blessure dont souffrait déjà le membre des Forces, constituait un risque pour la santé des personnes se trouvant dans cette zone;         
     * * *         
         (9) Sous réserve du paragraphe (10), lorsqu"une invalidité ou une affection entraînant incapacité d"un membre des forces pour laquelle il a demandé l"attribution d"une compensation n"était pas évidente au moment où il est devenu membre des forces et n"a pas été consignée lors d"un examen médical avant l"enrôlement, l"état de santé de ce membre est présumé avoir été celui qui a été constaté lors de l"examen médical, sauf dans les cas suivants :         
         a) il a été consigné une preuve que l"invalidité ou l"affection entraînant incapacité a été diagnostiquée dans les trois mois qui ont suivi son enrôlement;         
         b) il est établi par une preuve médicale, hors de tout doute raisonnable, que l"invalidité ou l"affection entraînant incapacité existait avant son enrôlement.         
     * * *         
         (12) Les définitions qui suivent s"appliquent au présent article.         
     " évident " Relativement à une invalidité ou une affection entraînant incapacité d"un membre des Forces lors de son enrôlement, s"entend du fait que l"invalidité ou l"affection entraînant l"incapacité était apparente à ce moment ou aurait été apparente pour un observateur peu exercé qui aurait examiné le membre à ce moment;         
     " consigné lors d"un examen médical avant l"enrôlement " Relativement à une invalidité ou une affection entraînant incapacité d"un membre des forces, toute mention écrite, radiographie ou photographie de l"état d"invalidité ou de l"affectation entraînant incapacité qui est contenue, selon le cas :         
         a) dans une documentation médicale établie lors de l"enrôlement de ce membre des forces;         
         b) dans une documentation officielle touchant une période antérieure de service de ce membre des forces;         
         c) dans les dossiers du ministère relatifs à ce membre des forces;         
         d) dans les registres d"une commission d"indemnisation ou d"une compagnie d"assurance relatifs à ce membre des forces;         
         e) dans les registres d"un médecin ou d"une clinique, d"un hôpital ou autre établissement de santé, relatifs à ce membre des forces.         
Le témoignage du requérant devant le tribunal, et l"affidavit fragile produit devant la Cour, ne renforcent guère sa demande. Il était assez difficile au Tribunal de tirer des conclusions favorables au requérant au vu de preuves aussi peu substantielles. Le Tribunal n"a commis aucune erreur justiciable d"un contrôle judiciaire.         

[10]      Par ces motifs, et à regret, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.         
                 " F. C. Muldoon "         
                             Juge         
Traduction certifiée conforme         
C. Delon, LL.L.         

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

DIVISION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                  T-217-97
INTITULÉ :                      DAVID R.HUNT c. LE MINISTRE DES ANCIENS COMBATTANTS
LIEU DE L"AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L"AUDIENCE :              LE 4 DÉCEMBRE 1997
MOTIFS DE L"ORDONNANCE DE      MONSIEUR LE JUGE MULDOON
DATE :                      LE 20 MARS 1998

ONT COMPARU :

Me AUDREY RAMSAY              POUR LE REQUÉRANT
Me ROBERT JAWORSKI              POUR L"INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

HAFFEY, SHERWOOD, HUNT          POUR LE REQUÉRANT

TORONTO (ONTARIO)

GEORGE THOMSON              POUR L"INTIMÉ

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

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