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Date : 20040528

Dossier : IMM-5320-03

Référence : 2004 CF 784

Ottawa (Ontario), le 28 mai 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

ENTRE :

                                                               PONNI PILLIYAN

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         La présente demande de contrôle judiciaire est déposée par une veuve tamoule du Sri Lanka âgée de 66 ans. Des soldats sri-lankais ont rendu invalide la demanderesse, des membres des Tigres tamouls l'ont menacée et une de ses enfants a été tuée par des membres de la force du maintien de la paix.

Les faits


[2]                La demanderesse a présenté des demandes suivant les articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la Loi). En plus des faits précédemment mentionnés, la demanderesse a deux enfants qui vivent au Canada; l'un d'eux est citoyen canadien et l'autre est un résident permanent. En plus de sa fille qui a été tuée au Sri Lanka, elle a une autre fille qui vit en Malaisie.

[3]                La demanderesse a expressément allégué les faits suivants au soutien de sa demande :

a)          Une enfant a été arrêtée par des membres de la force du maintien de la paix, a été détenue par eux et a été retrouvée sans vie trois jours plus tard près de chez elle.

b)          Les Tigres tamouls ont essayé de recruter un de ses enfants dans leurs rangs, mais ils n'ont pas réussi et ils ont alors essayé d'extorquer de l'argent et des bijoux à la demanderesse.

c)          La demanderesse a été aux prises avec des membres de l'armée sri-lankaise et des militants tamouls qui aidaient l'armée. Lorsqu'ils ont été informés que la demanderesse avait envoyé son fils ailleurs, elle a été battue avec la crosse d'un fusil et elle en est restée infirme.

d)          La demanderesse et sa fille se sont enfuies de chez elle pendant les combats parce qu'elles vivaient au milieu de la région où se déroulaient les combats.

e)          Au moment où la paix est revenue, elles sont retournées chez elle où elles ont de nouveau été exposées à des demandes d'appui par les Tigres et elles ont reçu des menaces à leur vie et à leur sécurité en raison de leur refus de fournir un appui.

[4]                Les motifs plutôt minces énoncés par la Commission pour justifier le rejet de la demande comprennent les conclusions principales suivantes :

-            Il n'est presque rien arrivé à la demanderesse après que ses enfants eurent quitté le Sri Lanka sauf l' « incident malheureux » au cours duquel elle a été battue au moyen d'une crosse de fusil. C'est l'incident qui l'a rendue invalide.


-            Le tribunal avait certaines préoccupations quant à la crédibilité de la demanderesse, non parce qu'elle a tenté de le tromper, mais parce qu'elle avait des problèmes de mémoire.

-            « [I]l existe des mesures de protection des aînés au Sri Lanka qui sont plutôt à la hauteur pour un pays du Tiers-Monde. »

Analyse

[5]                Je suis d'accord avec le défendeur lorsqu'il soutient que la norme de contrôle à l'égard des conclusions de fait est la décision manifestement déraisonnable. Cependant, à l'égard des questions mixtes de fait et de droit, la norme est la décision raisonnable et à l'égard des questions de droit, y compris la question du critère juridique applicable, la norme est la décision correcte.

[6]                Selon les faits, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) n'a aucunement mentionné la crainte qu'éprouvait la demanderesse à l'égard des Tigres ou les événements qui se rapportaient aux Tigres, même si cette crainte et les risques de représailles constituaient le fondement de sa demande.

[7]                Les commentaires faits inconsidérément par la Commission qui donnaient à penser que le fait que des membres de l'armée battent au moyen d'un fusil une femme âgée de 60 ans au point de la rendre invalide n'est simplement qu'un « incident malheureux » constituent une conclusion manifestement déraisonnable quant à la nature et à l'importance de l'événement.

[8]                La décision de la Commission est dépourvue de véritable analyse quant aux faits ou quant aux questions de droit.

[9]                La conclusion de la Commission selon laquelle elle se posait « des questions concernant la crédibilité » ne montre pas la pertinence des problèmes de mémoire. Rien ne donne à penser que la mémoire de la demanderesse était en quelque sorte déficiente à l'égard de l'un ou l'autre des faits sur lesquels la demanderesse fondait sa crainte et les risques d'être blessée.

[10]            Quant à la conclusion à l'égard de la protection de l'État selon laquelle « il existe des mesures de protection des aînés au Sri Lanka qui sont plutôt à la hauteur pour un pays du Tiers-Monde » , j'estime que cette conclusion n'a pas de pertinence juridique ni de fondement factuel selon le dossier.

[11]            Le critère des « mesures de protection » , en particulier parce qu'il est lié à une certaine comparaison avec d'autres pays, n'est pas le critère juridique applicable suivant l'article 96 ni suivant l'article 97 de la Loi. La Commission a essentiellement omis de prendre en compte le caractère adéquat ou efficace de la protection de l'État.

[12]            La Commission semblait reconnaître que la demanderesse avait la qualité de personne à protéger, mais elle n'énonçait pas ce qui avait entraîné cette qualité.

[13]            La Commission semble avoir confondu les conditions de vie et la protection de l'État.

[14]            La Commission a en outre omis d'examiner la question de savoir si l'article 97 de la Loi était applicable, ce qui en soi constitue une erreur de droit. Voir la décision Yorulmaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 128. Il ne s'agit pas d'une affaire dans laquelle les motifs qui justifiaient que soit tirée une conclusion sur le fondement de l'article 96 de la Loi peuvent être clairement vus comme des motifs qui justifiaient également que soit tirée une conclusion sur le fondement de l'article 97 de la Loi.


[15]            La présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE PAR LA PRÉSENTE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l'affaire est renvoyée à la Commission afin qu'un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l'affaire.

2.          Aucune question ne sera certifiée.          

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                                                             

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-5320-03

INTITULÉ :                                       PONNI PILLIYAN

      c.

      M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 17 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                     LE 28 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Micheal CranePOUR LA DEMANDERESSE

Alexis SingerPOUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal CranePOUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris RosenbergPOUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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