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Date : 20000608


Dossier : IMM-2218-99



ENTRE :


MAYBUROV MAKSIM,

MAYBUROV OLGA,

BALAN OLEG



demandeurs


et



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur



MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX


INTRODUCTION


[1]      La principale question litigieuse que soulève la présente demande de contrôle judiciaire porte sur le caractère raisonnable du refus d'accueillir une demande de dispense fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, et sur les facteurs ou éléments (et leur application), énoncés dans l'arrêt Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817, dont l'agent d'immigration doit tenir compte lorsqu'il considère l'intérêt des enfants dans le contexte d'une décision tranchant la question de savoir s'il convient d'accorder une dispense permettant aux parents de présenter une demande de résidence permanente au Canada sans devoir quitter le pays.

LES FAITS

[2]      Tous les demandeurs sont nés en Russie. Maksim Mayburov est l'époux de Olga Mayburov, qui est la mère de Oleg Balan, un garçon auquel elle a donné naissance alors qu'elle était l'épouse d'un autre homme. Ils ont immigré en Israël au début de 1993 et sont venus au Canada le 26 janvier 1996 en compagnie de Remilov Razalia, la mère de Mme Mayburov. Ils ont revendiqué le statut de réfugié sur le fondement de leur appartenance à un groupe social particulier, soit [TRADUCTION] « les étrangers en vertu de leurs particularités ethniques et religieuses » .

[3]      Le 17 juillet 1996, leur fils Max est né au Canada. Le 18 février 1999, la Section du statut de réfugié a rejeté leurs revendications du statut de réfugié au sens de la Convention.

[4]      Le 23 septembre 1997, soit avant que la Section du statut de réfugié ne rende sa décision, les demandeurs ont déposé, par l'entremise de leur procureur, des demandes dans lesquelles ils cherchaient à obtenir le droit de s'établir au Canada de même qu'une dispense leur permettant de demeurer au Canada pendant que leur demande était traitée.

[5]      Il ressort du dossier que deux demandes de résidence permanente ont été déposées : dans l'une, Mme Mayburov faisait valoir que son époux et ses deux fils étaient à sa charge (bien qu'elle fût sans travail depuis son arrivée au Canada); dans l'autre, Maksim Mayburov déclarait qu'il travaillait en tant que machiniste depuis octobre 1996 et que son épouse et ses deux fils étaient à sa charge. Voici ce qu'il a dit pour étayer sa demande de dispense lui permettant de demeurer au Canada pendant que sa demande de résidence permanente serait traitée :

[TRADUCTION Ma famille et moi-même avons déjà dû nous établir deux fois au cours des cinq dernières années. Nous avons dû quitter la Moldavie en raison des tensions ethniques et de la guerre civile qui ont suivi la dissolution de l'U.R.S.S. Nous sommes allés en Israël vu que cette destination nous était immédiatement accessible, en raison des origines juives de mon épouse. Cependant, comme nous ne pratiquons pas le judaïsme, nous nous sommes rendus compte que nous ne voulions pas demeurer là-bas.

[6]      Voici ce que M. Mayburov a dit au sujet des difficultés excessives qu'il subirait :

[TRADUCTION] Le développement de mon beau-fils et celui de mon fils né au Canada seraient grandement affectés, et ce de façon négative. En outre, il me serait extrêmement difficile de trouver du travail qui me permettrait de subvenir aux besoins de ma famille.

[7]      Par ailleurs, voici ce qu'il ressort essentiellement du dossier :

     1)      leurs demandes de résidence permanente ont été transmises à Citoyenneté et Immigration Canada par leur procureur, qui a dit, dans une lettre datée du 4 octobre 1997 : [TRADUCTION] « Max est le demandeur principal. Il présente sa demande en tant qu'immigrant indépendant qui exerce le métier de machiniste. L'un des éléments essentiels de sa demande est ... une lettre ... de Sunrise Engineering and Manufacturing Inc. » (Sunrise). Leur procureur a proposé une appréciation du demandeur en vertu de laquelle ce dernier obtenait 76 points, dont 10 points au titre d'un emploi qui lui était réservé chez Sunrise;
     2)      leur procureur a également traité de leurs motifs d'ordre humanitaire en mettant l'accent sur le fait qu'ils ont dû quitter la Moldavie. Il a dit qu'en obligeant ses clients à présenter des demandes de visas depuis l'étranger, on les forcerait à se déplacer pour une troisième fois [TRADUCTION] « au cours des quelques cinq dernières années, ce qui ferait subir des difficultés excessives tant aux enfants qu'à leurs parents » ;
     3)      les demandeurs ont eu une entrevue avec l'agente d'immigration E. Peach-Tanner (l'agente d'immigration) le 24 février 1998. Leur procureur avait dit avant l'entrevue, dans une lettre datée du 20 février 1998, que leurs motifs d'ordre humanitaire s'appuyaient essentiellement sur deux fondements :
         a)      le fait que leur enfant canadien [TRADUCTION] « dépend, bien entendu, entièrement de ses parents. Et il ne devrait pas devoir subir le bouleversement qu'entraînerait l'obligation de quitter le Canada en leur compagnie afin qu'ils puissent présenter des demandes d'immigration depuis l'étranger » ;
         b)      leur fuite de la Moldavie vers Israël, le seul pays où ils pouvaient temporairement trouver refuge.

[8]      Les demandeurs ont fait valoir, dans un document qu'ils ont remis à l'agente d'immigration pour compléter les réponses qu'ils avaient fournies à leur entrevue du 24 février 1998, qu'un de leurs fils est né au Canada, que Balan, leur fils aîné, fréquentait une école secondaire, et qu'ils avaient beaucoup souffert dans le passé. Ils ont également mentionné le fait que la soeur de Mme Mayburov se trouve au Canada, que Mme Mayburov n'a pas d'autre frère ni soeur, et que sa mère se trouve également au pays.

[9]      Leur procureur a fourni des observations supplémentaires à CIC le 2 octobre 1998 dans lesquelles il fournissait de plus amples détails au sujet des considérations humanitaires susmentionnées. Il a répété que ses clients avaient dû s'enfuir de Moldavie, qu'ils avaient depuis été incapables de se rétablir avec succès ailleurs, et que l'enfant canadien de ces derniers subirait un bouleversement si ses parents devaient quitter le pays afin de présenter des demandes d'immigration. Il a également fait valoir, pour la première fois, que 1) les demandeurs ne parlaient ni le moldave, ni l'hébreu, et que 2) ils ont d'importantes racines au Canada étant donné que la mère de Mme Mayburov est maintenant une résidente permanente de ce pays et que sa soeur en est maintenant une citoyenne.

[10]      Il ressort également du dossier que l'offre d'emploi que M. Mayburov a reçue de Sunrise ne pouvait être validée. En effet, Ressources humaines Canada a déterminé, le 4 novembre 1998, que beaucoup de personnes au Canada possédaient déjà les mêmes aptitudes que le demandeur, et que son éventuel employeur n'avait pas fourni de preuve établissant qu'il avait d'abord cherché à confier le poste à un citoyen ou un résident permanent du Canada.




LA DÉCISION DE L'AGENTE D'IMMIGRATION

[11]      Après l'entrevue du 24 février 1998, l'agente d'immigration a versé une note au dossier cette journée-là. Voici comment elle a résumé les observations des demandeurs : [TRADUCTION] « se sentent chez eux ici; ont de bons emplois ici; peuvent vivre comme des être humains ici; peuvent avoir d'autres intérêts ici; ont un enfant né au Canada, Max; leur fils aîné Oleg est heureux ici; ne peuvent présenter une demande depuis l'étranger, car même un séjour aux É.-U. A. aurait une incidence sur les mesures conditionnelles dont ils font l'objet/ne seraient peut-être pas admissibles à recevoir un visa américain/et ne seraient peut-être pas en mesure d'entrer de nouveau au Canada » .

[12]      L'agente d'immigration a souligné, sous réserve de la demande invoquant la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC) relative à de sévères sanctions, qu'elle estimait, après avoir examiné tous les autres aspects/critères, qu'il n'y avait pas suffisamment de motifs pour permettre aux demandeurs de présenter une demande de résidence permanente sans qu'ils doivent quitter le pays. Elle a mentionné qu'il ressortait de l'appréciation qu'elle avait faite du demandeur selon le système de pointage qu'il [TRADUCTION] « ne serait pas admissible en tant qu'immigrant indépendant, à moins qu'il n'obtienne une validation d'offre d'emploi relative à son emploi actuel de machiniste » [Non souligné dans l'original.]. Cependant, elle a également fait remarquer que dans le cas où M. Mayburov était en mesure de produire une validation d'offre d'emploi indiquant qu'on a besoin de ses aptitudes et qu'il ne prendrait pas la place de citoyens ou de résidents permanents du Canada, elle tiendrait compte de cet élément en appréciant la demande fondée sur le paragraphe 114(2).

[13]      Je remarque qu'il ressort du dossier que l'agente d'immigration a fait part de ses conclusions préliminaires au procureur des demandeurs dans une lettre datée du 16 septembre 1998.

[14]      Le 7 avril 1999, le bureau de CIC de Vancouver a examiné la demande invoquant la catégorie des DNRSRC et conclu que la vie des demandeurs ne serait pas véritablement en danger et qu'ils ne risqueraient pas vraiment de subir des sanctions extrêmes ou un traitement inhumain s'ils étaient tenus de quitter le Canada pour retourner en Israël.

[15]      Le 13 avril 1999, l'agente d'immigration a complété son appréciation des motifs d'ordre humanitaires invoqués par les demandeurs, soulignant que la Section du statut de réfugié avait rejeté leurs revendications et que CIC avait, à son tour, rejeté leur demande invoquant la catégorie des DNRSRC. L'agente d'immigration a dit qu'elle avait reçu l'avis de l'agent chargé d'examiner la demande invoquant la catégorie des DNRSRC et qu'après avoir analysé cet avis, de même que les renseignements qui le sous-tendaient, elle l'estimait raisonnable.

[16]      En ce qui concerne la validation d'une offre d'emploi au Canada, elle a dit :

[TRADUCTION] J'ai téléphoné aujourd'hui (13avr99) à DRHC pour confirmer si l'intéressé avait ou non obtenu la validation. J'ai été informée qu'en fait, on la lui a refusée le 4 novembre 1998 relativement à un poste chez Sunrise Engineering and Manufacturing, étant donné qu'il y a au Canada une main d'oeuvre abondante pouvant occuper ce poste et que l'employeur (Sunrise) n'a pas fourni la preuve qu'il avait cherché à offrir le poste à un citoyen ou un résident permanent du Canada. L'intéressé aurait été avisé de cette décision par DRHC.

[17]      Voici ce qu'elle a dit au sujet de leur fils Max :


[TRADUCTION] J'ai tenu compte du fait que l'intéressé a un enfant qui est né au Canada. Ils ont sciemment décidé de faire un enfant au Canada même si leur statut d'immigrant n'était pas déterminé et s'ils étaient susceptibles d'être renvoyés du pays. Par ailleurs, s'ils étaient tenus de quitter le Canada, c'est de leur gré qu'ils décideraient de confier leur enfant à leurs parents qui se trouvent au pays. Les parents sont libres de déterminer l'intérêt de leur enfant canadien. Après avoir examiné tous les renseignements que les demandeurs et leur avocat m'ont fournis, je n'estime pas qu'il existe des motifs humanitaires suffisants pour justifier l'octroi d'une dispense à l'égard de l'exigence d'obtenir un visa. Je recommande qu'ils soient tenus de se rendre à l'étranger pour présenter leur demande.

L'ANALYSE

     La norme de contrôle applicable

[18]      Les demandeurs contestent le bien-fondé de la conclusion relative aux motifs d'ordre humanitaire. Compte tenu de l'arrêt Baker, précité, la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à une telle décision dans le présent contexte est celle de la décision raisonnable simpliciter :

[62]      Tous ces facteurs doivent être soupesés afin d'en arriver à la norme d'examen appropriée. Je conclus qu'on devrait faire preuve d'une retenue considérable envers les décisions d'agents d'immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l'analyse, de son rôle d'exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi. Toutefois, l'absence de clause privative, la possibilité expressément prévue d'un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, Section de première instance, et la Cour d'appel fédérale dans certaines circonstances, ainsi que la nature individuelle plutôt que polycentrique de la décision, tendent aussi à indiquer que la norme applicable ne devrait pas en être une d'aussi grande retenue que celle du caractère « manifestement déraisonnable » . Je conclus, après avoir évalué tous ces facteurs, que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter. [Non souligné dans l'original.]

[19]      Madame le juge L'Heureux-Dubé a également renvoyé aux motifs que M. le juge Iacobucci a exposés dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, où il dit, aux pages 776 et 777 :

[56]      Je conclus que cette troisième norme devrait être fondée sur la question de savoir si la décision du Tribunal est déraisonnable. Ce critère doit être distingué de la norme de contrôle qui appelle le plus haut degré de retenue, et en vertu de laquelle les tribunaux doivent dire si la décision du tribunal administratif est manifestement déraisonnable. Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s'il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve. Un exemple du premier type de défaut serait une hypothèse qui n'avait aucune assise dans la preuve ou qui allait à l'encontre de l'essentiel de la preuve. Un exemple du deuxième type de défaut serait une contradiction dans les prémisses ou encore une inférence non valable.
[57]      La différence entre « déraisonnable » et de « manifestement déraisonnable » réside dans le caractère flagrant ou évident du défaut. Si le défaut est manifeste au vu des motifs du tribunal, la décision de celui-ci est alors manifestement déraisonnable. Cependant, s'il faut procéder à un examen ou à une analyse en profondeur pour déceler le défaut, la décision est alors déraisonnable mais non manifestement déraisonnable. Comme l'a fait observer le juge Cory dans Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, à la p. 963, « [d]ans le Grand Larousse de la langue française, l'adjectif manifeste est ainsi défini: « Se dit d'une chose que l'on ne peut contester, qui est tout à fait évidente » » . Cela ne veut pas dire, évidemment, que les juges qui contrôlent une décision en regard de la norme du caractère manifestement déraisonnable ne peuvent pas examiner le dossier. Si la décision contrôlée par un juge est assez complexe, il est possible qu'il lui faille faire beaucoup de lecture et de réflexion avant d'être en mesure de saisir toutes les dimensions du problème. Voir National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, à la p. 1370, juge Gonthier; voir aussi Conseil de l'éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 787, au par. 47, le juge Cory. Mais une fois que les contours du problème sont devenus apparents, si la décision est manifestement déraisonnable, son caractère déraisonnable ressortira. [Non souligné dans l'original.]

     Les lignes directrices ministérielles

[20]      Madame le juge L'Heureux-Dubé a fait un certain nombre de remarques dans l'arrêt Baker, précité, au sujet du pouvoir discrétionnaire des agents des visas. Tenant compte des objectifs que vise la Loi, comme l'exige la démarche contextuelle, elle a mis l'accent sur l'importance des lignes directrices ministérielles :

[72]      Troisièmement, les directives données par le ministre aux agents d'immigration reconnaissent et révèlent les valeurs et la démarche qui sont décrites ci-dessus et qui sont énoncées dans la Convention. Comme il est dit plus haut, les agents d'immigration sont censés rendre la décision qu'une personne raisonnable rendrait, en portant une attention particulière à des considérations humanitaires comme maintenir des liens entre les membres d'une famille et éviter de renvoyer des gens à des endroits où ils n'ont plus d'attaches. Les directives révèlent ce que le ministre considère comme une décision d'ordre humanitaire, et elles sont très utiles à notre Cour pour décider si les motifs de l'agent Lorenz sont valables. Elles soulignent que le décideur devrait être conscient des considérations humanitaires possibles, devrait tenir compte des difficultés qu'une décision défavorable imposerait au demandeur ou aux membres de sa famille proche, et devrait considérer comme un facteur important les liens entre les membres d'une famille. Les directives sont une indication utile de ce qui constitue une interprétation raisonnable du pouvoir conféré par l'article, et le fait que cette décision était contraire aux directives est d'une grande utilité pour évaluer si la décision constituait un exercice déraisonnable du pouvoir en matière humanitaire. [Non souligné dans l'original.]

[21]      En mars 1999, le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration a établi de nouvelles lignes directrices dont les agents d'immigration doivent tenir compte en tranchant des demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire. Or, le rapport de l'agente d'immigration que contient le dossier de la présente affaire couvre la période allant du 24 février 1998 au 13 avril 1999, soit un an. Dans ces circonstances, il est très clair que les anciennes lignes directrices, qui se trouvent au chapitre 9 du Guide de l'immigration : Examen et application de la loi, s'appliquent toujours en l'espèce. En voici la partie pertinente :

9.07 CONSIDÉRATIONS HUMANITAIRES
1) L'agent doit déterminer s'il existe des considérations humanitaires
Le L114(2) prévoit également l'exercice de pouvoirs discrétionnaires pour des raisons d'ordre humanitaire. Une fois qu'ils se sont assurés qu'un client qui présente une demande en vertu du L114(2) ne fait pas partie de l'une des catégories de personnes dont le cas est traité pour des raisons d'intérêt public (voir l'IE 9.06), les agents doivent déterminer s'il existe des considérations humanitaires.
2) Quand il existe des considérations humanitaires
     a) Il existe des considérations humanitaires lorsque des difficultés inhabituelles, injustes ou indues seraient causées à la personne sollicitant l'examen de son cas si celle-ci devait quitter le Canada.
     b) Si le fait qu'une personne soit autonome au Canada ne constitue habituellement pas un motif justifiant une recommandation favorable en raison de considérations humanitaires (ce fait ne suffirait pas non plus pour que la demande soit traitée, par exemple, suivant les directives concernant les résidents de fait en situation administrative irrégulière), il doit y avoir d'autres facteurs permettant de déterminer si le rejet d'une demande entraînerait des difficultés inhabituelles.
     c) Des exemples sont présentés ci-dessous pour aider les agents à déterminer s'il existe des considérations humanitaires. Il importe de noter que cette liste n'est pas complète.
3) Situations où il existe des liens de dépendance familiaux
     a) L'obligation de quitter le Canada et de présenter à l'étranger une demande de la façon habituelle pourrait occasionner des difficultés excessives à certains membres de la proche famille de résidents canadiens parce que ceux-ci dépendent de cette famille sur les plans financier ou émotif. Il pourra s'agir, par exemple, de parents, d'enfants ou même de personnes qui ne sont pas nécessairement unies par le sang à un résident du Canada, mais qui, dans les faits constituent des membres de la famille. Les conjoints ne sont pas ici mentionnés, puisqu'ils sont visés par les directives concernant les raisons d'intérêt public, mais la demande d'un conjoint dans le cas duquel il y a eu un retrait de l'engagement sera examinée en tenant compte de considérations humanitaires (voir l'IE 9.14(3)).
     b) Les agents doivent prendre en considération la raison pour laquelle la personne n'a pas présenté sa demande à l'étranger comme l'exige le L9(1), le degré d'autonomie dont elle a fait preuve avant sa venue au Canada, la présence d'un membre de la famille ou d'autres personnes susceptibles de l'aider dans le pays d'origine. En règle générale, les facteurs tels les coûts ou les inconvénients qu'entraînerait un retour dans le pays d'origine ne sont pas considérés comme étant des difficultés excessives. Après avoir considéré tous ces facteurs, les agents devraient pouvoir déterminer s'il y a lieu d'examiner favorablement le cas. [Non souligné dans l'original.]

[22]      Je fais remarquer que la section 9.07 renvoie à la section 9.06 du Guide, qui traite de certaines raisons d'intérêt public et donne notamment un aperçu des directives applicables aux conjoints, aux résidents de fait en situation administrative irrégulière et aux personnes qui ont un engagement à long terme au Canada, de même que des sanctions sévères ou du traitement inhumain que des personnes sont susceptibles de subir dans leur pays d'origine. Cela veut donc dire que l'on interpréter les lignes directrices comme un tout pour déterminer si l'agent d'immigration s'y est conformé.



     Les arguments subsidiaires des demandeurs

     [23]      Les demandeurs ont fait valoir un certain nombre d'arguments subsidiaires en plus de leur argument principal, qui portait sur la considération de l'intérêt de leur enfant. Je les ai examinés et j'estime qu'ils ne sont pas fondés.

[24]      Les demandeurs ont soutenu que l'agente d'immigration n'a pas fait sa propre appréciation de l'avis de l'agent de révision des revendications refusées. Je suis convaincu, ayant pris connaissance de son rapport, qui a été versé au dossier, qu'elle a bel et bien examiné l'avis de même que les renseignements sur lesquels il était fondé.

[25]      L'argument des demandeurs que l'agente d'immigration n'a pas tenu compte de la demande distincte de résidence permanente (et des motifs d'ordre humanitaire qui la sous-tendaient) de Mme Mayburov et son fils n'est pas fondé. Il est clair que l'agente d'immigration a considéré la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire que les demandeurs ont présentée en tant que cellule familiale et qu'elle a apprécié les demandeurs sur ce fondement. La lettre de refus s'adressait aux trois demandeurs. En outre, leur avocat avait pris la peine de préciser que M. Mayburov était le demandeur principal et non Mme Mayburov.

[26]      Les demandeurs ont soulevé une question litigieuse au sujet de la validation de l'offre d'emploi que Sunrise aurait faite à M. Mayburov. Les demandeurs ont soutenu qu'en fait, M. Mayburov travaillait pour Sunrise et que le poste qu'il y occupait n'avait aucune incidence sur les possibilités d'emploi de citoyens ou de résidents permanents du Canada. Le fait est que Ressources humaines Canada a déterminé que l'offre d'emploi de M. Mayburov ne pouvait être validée. Or, la présente instance de contrôle judiciaire ne saurait constituer un appel de cette décision. À mon avis, la décision de l'agente d'immigration n'équivaut pas à une conclusion que les demandeurs ne seraient pas admissibles à obtenir le statut de résidents permanents du Canada s'ils présentaient une demande après s'être rendus à l'étranger, bien qu'elle ait mentionné, dans sa note de service de février 1998 qui a été versé au dossier :

[TRADUCTION] Il ressort de l'appréciation que j'ai faite du demandeur selon le système de pointage qu'il ne serait pas admissible en tant qu'immigrant indépendant, à moins qu'il n'obtienne une validation d'offre d'emploi relative à son emploi actuel de machiniste. Comme il n'a pas reçu une telle validation, il n'est pas admissible.

[27]      Cette remarque, prise dans son contexte, est tout à fait acceptable. La question de savoir si M. Mayburov obtiendrait 70 points en tant qu'immigrant indépendant a été expressément soulevée par leur avocat, qui estimait lui-même que son client obtenait 76 points, mais qu'il n'en obtiendrait que 66 s'il ne mentionnait pas dans sa demande qu'un emploi lui était réservé au Canada. La note de l'agente se fondait sur ce point.

[28]      Outre cela, l'autosuffisance ne constitue pas d'elle-même, comme le mentionnent les lignes directrices, un motif permettant de faire une recommandation favorable sur le fondement de considérations humanitaires. J'estime que les remarques que mon collègue le juge Nadon a faites dans Tartchinska c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 373, sont très justes :

[20]      Les demandeurs soutiennent que le décideur a tenu compte de considérations non pertinentes, comme leur emploi non autorisé. Je ne crois pas que ce soit non pertinent ni une erreur de droit. Premièrement, bien que les directives relatives aux motifs d'ordre humanitaire ne soient pas obligatoires, elles disent toutefois clairement que l'autonomie seule ne garantit pas qu'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire serait accueillie : « Si le fait qu'une personne soit autonome au Canada ne constitue habituellement pas un motif justifiant une recommandation favorable en raison de considérations humanitaires [...], il doit y avoir d'autres facteurs permettant de déterminer si le rejet d'une demande entraînerait des difficultés inhabituelles » (9.07(2)b) des directives). Par conséquent, le facteur clé relativement à telle demande est de savoir si « des difficultés inhabituelles, injustes ou indues seraient causées à la personne sollicitant l'examen de son cas si celle-ci devait quitter le Canada » (9.07(2)a) des directives).
                     [Non souligné dans l'original.]

[29]      Je conclus en renvoyant au passage suivant de la lettre de refus de l'agente d'immigration :

[TRADUCTION] Cette décision ne doit pas être interprétée comme un rejet de votre demande de résidence permanente. Il s'agit plutôt d'une décision de ne pas vous dispenser de la règle, vous permettre de présenter une demande sans quitter le Canada. Pour présenter une demande, vous devrez donc vous adresser à un agent des visas à l'étranger.              [Non souligné dans l'original.]

     La principale question litigieuse : l'intérêt de l'enfant né au Canada

[30]      En analysant la portée du pouvoir discrétionnaire conféré à un agent d'immigration, Madame le juge L'Heureux-Dubé a dit, à la page 860 de l'arrêt Baker, précité, que les droits des enfants et la considération de leurs intérêts sont des valeurs d'ordre humanitaire fondamentales de la société canadienne. En conséquence, l'exercice raisonnable du pouvoir discrétionnaire exige que soit prêtée « une attention minutieuse aux intérêts et aux besoins des enfants » .

[31]      Madame le juge L'Heureux-Dubé a conclu, dans l'arrêt Baker, précité, que l'agent d'immigration avait exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable vu que : 1) l'agent « n'a prêté aucune attention à l'intérêt des enfants de Mme Baker » (page 859); 2) il a omis « d'accorder de l'importance et de la considération à l'intérêt des enfants » (page 859); 3) il n'a pas traité l'affaire « d'une manière réceptive, attentive ou sensible à l'intérêt des enfants de Mme Baker » ; et 4) il n'a pas considéré leur intérêt « comme un facteur décisionnel important » (page 863). Le juge L'Heureux-Dubé a ajouté, à la page 864 :

Cela ne veut pas dire que l'intérêt supérieur des enfants l'emportera toujours sur d'autres considérations, ni qu'il n'y aura pas d'autres raisons de rejeter une demande d'ordre humanitaire même en tenant compte de l'intérêt des enfants.

[32]      Madame le juge L'Heureux-Dubé a ensuite identifié certains facteurs que l'on doit considérer en déterminant l'intérêt des enfants :

     a)      il existe une obligation d'accorder une grande importance au maintien des enfants en contact avec leurs deux parents, si cela est possible, et au maintien du lien entre les membres d'une proche famille. (page 860);
     b)      l'enfance a droit à une aide et à une assistance spéciales, et elle exige une considération de l'épreuve qui pourrait leur être infligée par une décision défavorable (page 863), notamment celle de « de renvoyer des gens à des endroits où ils n'ont plus d'attaches » .

[33]      Dans l'arrêt Baker, précité, le juge L'Heureux-Dubé a examiné de façon distincte la question des difficultés que Mme Baker subirait si elle retournait en Jamaïque. Elle se trouvait au Canada depuis 12 ans, elle était malade et ne serait peut-être pas traitée en Jamaïque, et elle serait forcément séparée d'au moins quelques-uns de ses enfants.

[34]      J'ai récemment eu l'occasion de traiter d'un cas similaire, l'affaire Garasova c. Canada (M.C.I.) (décision non publiée rendue le 2 novembre 1999, no du greffe IMM-2674-98). Dans cette affaire, la demanderesse, Mme Garasova, était l'épouse d'un citoyen canadien avec qui elle avait eu un enfant, qui est né au Canada. Après la rupture du mariage, son époux avait mis fin à son parrainage. C'est alors que la demanderesse a présenté une demande, fondée sur le paragraphe 114(2) de la Loi et l'article 2.1 du Règlement, visant à obtenir que sa demande de résidence permanente soit traitée sans qu'elle doive quitter le pays, et ce pour des motifs d'ordre humanitaire.

[35]      Voici les conclusions que j'ai tirées dans cette affaire :

[39]      Non seulement l'arrêt Baker exige-t-il que les agents d'immigration aient une démarche plus ciblée, mais il confère également une nouvelle responsabilité, plus "pratique", au juge de révision. Le juge de révision doit considérer "en profondeur" la décision fondée sur des motifs d'ordre humanitaire et déterminer si elle est raisonnable, en examinant les motifs pour voir s'ils résistent à l'examen assez poussé sur le fondement de la preuve.
[40]      En examinant la décision de l'agente d'immigration dans la présente affaire, je remarque que l'analyse fondée sur des motifs d'ordre humanitaire porte exclusivement sur la demanderesse elle-même, I.G. Dans ces motifs, il n'a été tenu compte ni des intérêts de l'enfant né au Canada, ni de ceux de l'enfant né en République tchèque.
[41]      Or, une telle démarche de l'agente d'immigration ne saurait constituer un exercice raisonnable du pouvoir qui exige que les intérêts et les besoins des enfants soient examinés de près, étant donné que les droits des enfants et le respect de leurs intérêts constituent des valeurs humanitaires fondamentales de la société canadienne.
                     [Non souligné dans l'original.]

     L'application à la présente affaire

[36]      Il incombait aux demandeurs d'établir que la décision de l'agente d'immigration de refuser de leur accorder une dispense qui leur aurait permis de présenter une demande de résidence permanente sans devoir quitter le Canada était déraisonnable. Je fais remarquer que le législateur a prévu, au paragraphe 9(1) de la Loi, une exigence selon laquelle les demandes de cette nature doivent habituellement être présentées et traitées à l'étranger. Le ministre a, dans ses lignes directrices, demandé aux agents d'immigration de n'accorder une telle dispense que pour des raisons d'intérêt public ou encore des motifs d'ordre humanitaire. En ce qui concerne les motifs d'ordre humanitaire, les lignes directrices ministérielles définissent les critères des difficultés inhabituelles, injustes ou indues et fournissent des exemples.

[37]      La cour de révision qui tranche la question de savoir si une telle décision est déraisonnable ne doit pas outrepasser son rôle. Il ne s'agit pas d'un appel, mais bien d'un contrôle judiciaire. Je ne peux examiner la preuve et substituer mon opinion à celle de l'agente d'immigration. Le juge qui doit trancher une demande de contrôle judiciaire doit examiner la preuve dont disposait l'agent d'immigration et déterminer, en l'espèce, s'il manquait des éléments de preuve ou encore si la décision était contraire à une preuve irrésistible. Je ne saurais tirer une telle conclusion.

[38]      Il ressortait de la preuve dont disposait l'agente d'immigration qu'il s'agissait d'une cellule familiale complète qui comprenait un jeune enfant canadien, maintenant âgé de presque quatre ans, et un autre garçon, qui aura 19 ans dans quelques mois. Les demandeurs sont des citoyens d'Israël et la question de leurs craintes d'y retourner a été traitée dans le cadre de deux décisions distinctes.

[39]      Les demandeurs ont soulevé un certain nombre d'arguments qui, tout bien considéré, ne font qu'énumérer plusieurs inconvénients auquel donne lieu l'obligation de devoir quitter le Canada pour présenter une demande de résidence permanente, ce qui constitue la règle normale que le législateur a établie. L'inconvénient n'est pas le critère des difficultés excessives que prévoient les lignes directrices et plusieurs décisions de notre Cour en matière de demandes traitant de préjudice irréparable et visant à obtenir qu'il soit sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi. En particulier, l'agente d'immigration a tenu compte de ces intérêts pour ce qui est de l'enfant canadien et, comme il a déjà été souligné, une cour de révision ne peut substituer son opinion à celle de l'agent d'immigration. Je conclus que la présente affaire est très différente de l'affaire Baker, précitée, et que, compte tenu de la preuve, on ne saurait prétendre que la décision de l'agente d'immigration était déraisonnable au point de justifier une intervention, vu le contexte législatif selon lequel les personnes qui cherchent à obtenir le statut de résident permanent doivent habituellement présenter leur demande à l'étranger et le contexte dans lequel se trouve le revendicateur du statut de réfugié débouté qui n'est pas admissible dans le cadre de la catégorie des DNRSRC. Aucun autre critère applicable n'a été rempli en l'espèce, et une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire dans le présent contexte ne peut permettre aux intéressés d'obtenir ce qu'ils souhaitent après avoir été déboutés, conformément au droit canadien, en exerçant tous les recours judiciaires qui s'offraient à eux.


LE DISPOSITIF


[40]      Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. L'affaire ne soulève pas de question qui mérite d'être certifiée.


« François Lemieux »

                                         J U G E


OTTAWA (ONTARIO)

Le 8 JUIN 2000.











Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE :                  IMM-2218-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :              MAYBUROV MAKSIM et autres c. MCI



LIEU DE L'AUDIENCE :              VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 28 FÉVRIER 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

EN DATE DU :                  8 JUIN 2000



ONT COMPARU :             

OLGA MAYBUROV et MAKSIM MAYBUROV     

                                     POUR LE DEMANDEUR

EMILIA PECH

                                     POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

OLGA MAYBUROV et MAKSIM MAYBUROV     

                                     POUR LE DEMANDEUR

M. MORRIS ROSENBERG

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                     POUR LE DÉFENDEUR

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