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Date : 20060530

Dossier : IMM‑3620‑05

Référence 2006 CF 652

Ottawa (Ontario), le 30 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

 

ENTRE :

MYONG SOOK KANG

(alias MYUNG SOOK KANG)

demanderesse

 

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET
DE LA PROTECTION CIVILE DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Myong Sook Kang a payé un cautionnement en espèces de 5 000 $ pour obtenir la mise en liberté de sa mère âgée, gardée dans un centre de détention de l’immigration. L’une des conditions de la mise en liberté était que la mère, Mme Sun Bi Lee, réside [Traduction] « en tout temps » au domicile de sa fille. Mme Lee était absente un jour où des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada se sont présentés chez sa fille pour se renseigner sur d’autres membres de la famille. Plusieurs mois plus tard, après le retour de Mme Lee en Corée, son pays, la gestionnaire des opérations du Centre de l’exécution de la loi, Région du Grand Toronto a déclaré que le dépôt de 5 000 $ était confisqué. Mme Kang demande le contrôle judiciaire de cette décision. Il s’agit en l’espèce des motifs pour lesquels je conclus que la gestionnaire des opérations a commis une erreur en exerçant son pouvoir discrétionnaire. Je ferai donc droit à la demande et je renverrai l’affaire pour qu’un autre gestionnaire l’examine.

 

[2]               Tout d’abord, comme l’a demandé le défendeur, l’intitulé de la cause est modifié afin de remplacer le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le solliciteur général du Canada par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile à titre de défendeur, parce que l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) relève maintenant de ce ministère.

 

Contexte

 

[3]               Étant donné que les faits qui sous‑tendent la décision de confisquer le cautionnement sont contestés, je crois qu’il convient de les examiner en détail. Mme Lee, une veuve âgée de 74 ans, est entrée au Canada sans visa en septembre 1998. Après une demande d’asile infructueuse, le refus d’une exemption pour motifs d’ordre humanitaire et un examen des risques avant renvoi défavorable, Mme Lee ne s’est pas présentée pour son renvoi, comme on le lui avait ordonné en février 2004. Elle a été arrêtée en vertu d’un mandat de l’Immigration le 29 novembre 2004. Des problèmes de santé ont empêché de procéder à son renvoi immédiat et les autorités de l’Immigration l’ont mise en liberté le 16 décembre 2004 pour qu’elle aille vivre chez sa fille, Mme Kang.

 

[4]               Mme Kang et Mme Lee ont signé le cautionnement en utilisant la forme coréenne de leurs noms. Il ressort de la preuve non contredite que ni l’une ni l’autre ne parle ou ne lit l’anglais. Entre autres conditions, Mme Lee était tenue de résider chez la demanderesse, au 8, Dunstable Place, Toronto (Ontario), sauf autorisation contraire écrite d’un agent.

 

[5]               Le 12 mars 2005, l’agent J. Atkinson de l’ASFC s’est présenté tôt dans la matinée au 8, Dunstable Place, à la recherche d’autres membres de la famille faisant l’objet de mandats et, pendant qu’il se trouvait là, il a constaté l’absence de Mme Lee. Quelques jours plus tard, Atkinson a dit à l’agent Mike Peterdy que Mme Kang avait déclaré que sa mère ne vivait pas chez elle. L’agent Peterdy a consigné cette déclaration sous forme de note dans le Système de soutien des opérations des bureaux locaux (SSOBL). Le fils de Mme Kang, Chul Hee Kang, qui parle l’anglais, déclare qu’il a servi d’interprète pour sa mère à cette occasion‑là et qu’il a donné par erreur à l’agent de mauvaises informations à cause de la confusion entourant le nom de sa grand‑‑mère et celui des autres membres de la famille qui étaient recherchés.

 

[6]               Le 14 mars 2005, Mme Lee s’est présentée au Centre de l’exécution de la loi de la Région du Grand Toronto (CELGT) et s’est entretenue avec l’agent Peterdy, en compagnie du pasteur de son Église. Le lendemain, soit le 15 mars 2005, la demanderesse, Mme Kang, s’est présentée elle aussi au CELGT en compagnie du pasteur et s’est entretenue avec l’agent Peterdy. La façon dont ces entrevues se sont déroulées n’est pas claire. Le pasteur a vraisemblablement servi d’interprète. L’agent Peterdy a pris des notes qui ont été consignées dans le SSOBL. Le défendeur se fonde sur ces notes comme compte rendu simultané des déclarations que la demanderesse et sa mère ont faites lors de ces rencontres. La demanderesse conteste l’exactitude de ce compte rendu. Il est toutefois admis que Mme Kang s’est engagée à prendre des mesures pour s’assurer que sa mère se conformerait à l’ordonnance de renvoi toujours en vigueur et retournerait en Corée, ce que cette dernière a fait en avril 2005.

 

[7]               Normalement, le cautionnement en espèces de 5 000 $ aurait dû être restitué à Mme Kang car l’objet de la garantie avait été respecté. En fait, Mme Kang déclare que c’est ce qu’on lui a dit lors de l’entrevue tenue en mars. Cependant, le 5 avril 2005, l’agent Atkinson a présenté une « demande de confiscation de cautionnement » en faisant valoir que Mme Lee n’avait pas fourni son changement d’adresse et n’avait pas résidé en tout temps chez Mme Kang, comme l’exigeaient les conditions de mise en liberté.

 

[8]               Dans une lettre datée du 3 mai 2005, Mme Kang a été informée qu’elle avait jusqu’au 10 juin 2005 pour expliquer par écrit pourquoi il n’y avait pas lieu de confisquer le cautionnement. La demanderesse a répondu par l’entremise d’un avocat le 24 mai 2005; elle a dit que Mme Lee avait habité à l’adresse prescrite, mais qu’elle s’était parfois rendue au domicile de son autre fille, à Toronto, pour voir ses petits‑enfants. Quand les agents de l’ASFC s’étaient présentés chez elle le 12 mars 2005, sa mère était à l’église pour la prière du matin et le petit‑déjeuner. Ces affirmations étaient étayées par des affidavits de Mme Kang et de son gendre, ainsi que par une lettre d’un pasteur adjoint de l’église, annexés à la demande de restitution du cautionnement.

 

[9]               Le 26 mai 2005, la gestionnaire des opérations du CELGT, Mme Dodi Gilker, a inscrit sa décision sur la lettre de demande de l’avocat :

[Traduction] J’ai passé en revue et examiné avec soin les renseignements fournis par l’avocat de la caution. Je suis néanmoins d’avis qu’il y a lieu de confisquer le cautionnement.

 

[10]           Par voie d’une lettre portant la même date, la décision de Mme Gilker a été communiquée à la demanderesse en ces termes :

[Traduction] Comme suite à vos observations, la gestionnaire a décidé que le cautionnement de 5 000 $ portant le numéro B114115, que vous avez signé le 16 décembre 2004, est maintenant confisqué. Sun Bi Lee n’a pas respecté les conditions de sa mise en liberté.

 

[11]           Dans un affidavit déposé dans le cadre de la présente instance, Mme Gilker affirme avoir examiné le dossier de la demanderesse et déclare [Traduction] « […] à ce titre, je suis au courant des questions mentionnées ci‑après. Lorsque mes déclarations sont fondées sur des renseignements tenus pour véridiques, je l’ai indiqué ». Dans son affidavit, Mme Gilker fait ensuite l’historique des faits ressortant du dossier, sans fournir d’indication au sujet de ce dont elle était personnellement au courant ou de ce qui était fondé sur des renseignements tenus pour véridiques. Mme Gilker répète les déclarations factuelles contenues dans les notes que l’agent Peterdy a rédigées et consignées dans le SSOBL. La preuve par affidavit contradictoire que la demanderesse a présentée est simplement qualifiée d’« observations ». Mme Gilker conclut, au paragraphe 11 :

[Traduction] J’ai pris en considération la totalité de la preuve au dossier ainsi que les observations de la demanderesse et j’ai déterminé que Mme Lee avait contrevenu à une condition de sa mise en liberté, ce qui a provoqué la confiscation du cautionnement de la demanderesse.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

[12]           Les points en litige que soulève la demande se présentent aux questions suivantes :

1.      La gestionnaire des opérations a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’il y a eu contravention aux conditions?

2.      La décision de confisquer le cautionnement était‑elle fondée?

 

ANALYSE

 

Norme de contrôle

 

[13]           La première question à trancher en l’espèce est celle de savoir s’il y a eu contravention aux conditions de mise en liberté. Comme l’a dit la juge Anne Mactavish dans Uanseru c. Canada (Solliciteur général) (2005), 44 Imm. L.R. (3d) 262, 2005 CF 428, au paragraphe 16, la conclusion selon laquelle il y a eu contravention à une condition de mise en liberté est une conclusion de fait, qui commande donc un degré élevé de retenue. La norme à appliquer est celle qui est définie à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C., 1985, ch. F‑7. La Cour ne peut intervenir que si elle est d’avis que la décision est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont le décideur dispose. Cette norme est celle de la décision manifestement déraisonnable : Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 1 R.C.F. 3, 2003 CAF 325.

 

[14]           Si l’on présume que la preuve étaye les faits constatés par l’agent, la norme de contrôle à appliquer pour savoir si la décision de confisquer un cautionnement était fondée est un peu plus complexe, car la jurisprudence de la Cour sur cette question continue d’évoluer.

 

[15]           Dans Gayle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2002), 20 Imm. L.R. (3d) 80, 2002 CFPI 335 (C.F. 1re inst.) ‑ une affaire dans laquelle s’appliquait l’ancienne Loi sur l’immigration ‑ la juge Eleanor R. Dawson a présumé, sans se prononcer sur la question, que la norme de la décision manifestement déraisonnable s’appliquait à une décision de confisquer un cautionnement prise à la suite d’une contravention aux conditions imposées par les autorités de l’Immigration. Dans cette affaire, la juge Dawson a examiné si la gestionnaire des opérations avait exercé correctement son pouvoir discrétionnaire en décidant de confisquer le cautionnement, et non si une conclusion de fait avait été tirée irrégulièrement.

 

[16]           Dans Tsang c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 474, [2006] A.C.F. no 576 (QL), la juge Dawson a statué que l’étendue du pouvoir discrétionnaire qui est délégué à un agent pour décider de confisquer un cautionnement était une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

 

[17]           Dans une autre décision récente, Khalife c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 221, [2006] A.C.F. no 293 (QL), j’ai conclu que la norme de contrôle qu’il convenait d’appliquer à la décision de confisquer un cautionnement était celle de la décision raisonnable. Dans Khalife, il s’agissait de déterminer si l’agente avait exercé correctement son pouvoir discrétionnaire en décidant d’ordonner la confiscation d’une somme équivalant à 50 % du cautionnement en espèces. Il n’a pas été contesté dans cette affaire que l’agente avait le pouvoir discrétionnaire de s’abstenir de confisquer le cautionnement ou de confisquer un montant moins élevé. Dans la présente affaire, le défendeur est d’avis que la gestionnaire, après avoir décidé qu’il y avait eu contravention à une condition de mise en liberté, n’avait aucun pouvoir discrétionnaire à exercer. Il s’agit d’une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Je demeure d’avis que, dans l’ensemble, la décision de confisquer un cautionnement en espèces devrait pouvoir résister à un examen selon la norme de la décision raisonnable.

 

 

Contravention aux conditions

 

[18]           Pour prendre sa décision, Mme Gilker semble s’être fiée aux notes consignées dans le SSOBL par l’agent Peterdy, lequel s’était appuyé sur ce que l’agent Atkinson lui avait dit et sur ce qu’il avait appris lors de ses entretiens avec la demanderesse et sa mère, accompagnées de leur pasteur. Ces notes contiennent des déclarations qui, à première vue, semblent confirmer que la demanderesse et sa mère ont reconnu que Mme Lee n’avait pas résidé en tout temps chez la demanderesse au 8, Dunstable Place.

 

[19]           La demanderesse prétend que les notes contiennent les conclusions de l’agent qui a mené l’entrevue, plutôt que des déclarations qui peuvent raisonnablement lui être attribuées ou être attribuées à sa mère. D’après la preuve par affidavit que la demanderesse a produite, Mme Lee a habité chez la demanderesse pendant toute la durée des conditions imposées, depuis sa mise en liberté en décembre 2004 jusqu’à son départ du Canada en avril 2005.

 

[20]           Le défendeur soutient que la gestionnaire des opérations avait était saisie d’éléments de preuve contradictoires et qu’il lui était donc loisible de les évaluer et de conclure qu’il y avait eu contravention aux conditions de mise en liberté. La décision quant à savoir s’il y contravention à une condition est une conclusion de fait qui commande la retenue de la part de la cour saisie du contrôle judiciaire. La gestionnaire avait le droit de soupeser la preuve, et c’est ce qu’elle a fait en l’espèce pour tirer une conclusion de fait. Cette conclusion ne doit pas être annulée à la légère.

 

[21]           Je serais normalement d’accord pour dire qu’il n’est pas manifestement déraisonnable qu’un gestionnaire, dont on ne peut s’attendre à ce qu’il ait une connaissance personnelle des faits de chaque affaire, se fonde sur des notes préparées par un agent à la même époque où il a mené une enquête et qui sait de première main s’il y a eu contravention à une condition de mise en liberté.

 

[22]           L’article 81 des Règles de la Cour fédérale (1998) prévoit que les affidavits, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête, se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle. Cela n’exclut pas forcément une preuve par ouï‑dire lorsqu’il est possible d’en établir la fiabilité et la nécessité : R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531, 113 N.R. 53; Ethier c. Canada (Commissaire de la G.R.C.), [1993] 2 C.F. 659, 151 N.R. 374 (C.A.F.). Je présume que la fiabilité du ouï‑dire que contiennent les notes versées dans le SSOBL peut être établie et que ces notes peuvent être introduites, le cas échéant, en tant que meilleure preuve disponible du dossier d’une personne en matière d’immigration. Toutefois, je présume aussi qu’on ne peut pas acquérir la connaissance personnelle dont il est question à l’article 81 des Règles en lisant simplement des notes dans un dossier.

 

[23]           Dans la présente espèce, la gestionnaire Gilker déclare que, dans son affidavit, tout ce qui est fondé sur des renseignements tenus pour véridiques est ainsi décrit. J’en déduis que tout ce qui n’est pas ainsi décrit ‑ le reste de l’affidavit ‑ est censément fondé sur sa connaissance personnelle. Cela inclut trois paragraphes qui décrivent ce que l’agent Atkinson a appris le 12 mars 2005 ainsi que les entrevues que l’agent Peterdy a menées les jours suivants. La description que fait la gestionnaire Gilker de ces faits ne peut être fondée que sur les renseignements provenant des notes, et non sur sa connaissance personnelle. À mon avis, il était inopportun pour la gestionnaire Gilker d’énoncer dans son affidavit, comme s’il s’agissait de faits, des déclarations que l’agent Peterdy a attribuées dans ses notes à l’agent Atkinson ainsi qu’à la demanderesse et à sa mère. Il s’agissait là d’informations de seconde main et il aurait fallu clairement l’indiquer dans l’affidavit.

 

[24]           Par ailleurs, une lecture attentive des notes donne à penser que ce qui peut ressembler à des aveux de la part de la demanderesse et de sa mère n’est rien de plus qu’une répétition de la conclusion qu’a tirée l’agent Atkinson sur la foi de ce que le fils de la demanderesse, Chul Hee Kang, peut lui avoir dit par erreur le matin du 12 mars 2005.

 

[25]           Le fait que d’autres membres de la famille faisaient l’objet de mandats d’arrestation et de mesures de renvoi de même que l’obstacle de la langue ont compliqué les choses. Je ne relève aucune erreur dans les mesures qu’ont prises les agents Atkinson et Peterdy. Cependant, la gestionnaire des opérations aurait dû penser, lorsqu’elle a été saisie d’une preuve par affidavit contradictoire, qu’il y avait peut‑être eu confusion ou erreur. À mon avis, la conclusion factuelle de la gestionnaire selon laquelle il y avait eu contravention à la condition de mise en liberté était manifestement déraisonnable compte tenu de cette preuve. En outre, aucune explication logique n’a été fournie pour indiquer pourquoi la preuve ne justifiait pas la non‑confiscation du cautionnement. Je conclus donc que la décision était déraisonnable et qu’elle devrait être infirmée.

 

[26]           Cette conclusion suffit pour faire droit à la demande, mais je crois qu’il convient aussi de traiter de la question de savoir si la gestionnaire des opérations a commis une erreur de droit en exerçant son pouvoir discrétionnaire pour décider de confisquer le cautionnement.

 

Exercice du pouvoir discrétionnaire

 

[27]           Comme il a été mentionné plus haut, la gestionnaire Gilker déclare dans son affidavit qu’elle a [Traduction] « […] déterminé que Mme Lee avait contrevenu à une condition de sa mise en liberté, ce qui a provoqué la confiscation du cautionnement de la demanderesse ». Cela laisse entendre que la gestionnaire a considéré qu’elle ne pouvait plus exercer un pouvoir discrétionnaire quelconque après avoir déterminé, en se fondant sur les faits, qu’il y avait eu contravention.

 

[28]           Dans des décisions rendues en vertu de l’ancienne Loi sur l’immigration, la Cour a statué que, bien que le défaut de se conformer à une condition de la mise en liberté soit une condition préalable à l’exercice du pouvoir discrétionnaire, l’agent doit quand même se consacrer à l’exercice de ce pouvoir au moment de décider s’il faut déclarer la confiscation d’un cautionnement : Gayle, précitée, et Bcherraway c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 255 F.T.R. 161, 2003 CFPI 1427 (C.F. 1re inst.).

 

[29]           Ce courant jurisprudentiel a été suivi dans des décisions relatives à une confiscation effectuée en vertu de la loi actuellement en vigueur et, plus particulièrement, dans Uanseru. Dans cette affaire, il était question à la fois d’une garantie d’exécution de 5 000 $ et d’un cautionnement en espèces de 5 000 $. L’agente en cause a décidé de ne pas exercer la garantie d’exécution, mais a ordonné la confiscation du cautionnement en espèces. La juge Mactavish a conclu qu’il était impossible d’isoler dans les motifs de l’agente les raisons pour lesquelles elle avait fait une distinction entre les deux. Il n’y avait donc aucune façon de savoir si l’agente s’était fondée sur des considérations irrégulières ou étrangères à l’objet de la loi, l’un des principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans Maple Lodge Farms c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, 137 D.L.R. (3d) 558, pour déterminer si un pouvoir discrétionnaire a été correctement exercé.

 

[30]           Dans Uanseru, le ministre défendeur a admis que, malgré les modifications apportées à la législation, l’agente conservait le pouvoir discrétionnaire de ne pas déclarer la confiscation d’une garantie d’exécution en cas d’inobservation des conditions de mise en liberté.

 

[31]           Une concession similaire a été faite dans Khalife. De plus, dans Khalife, l’agente avait exercé son pouvoir discrétionnaire pour ordonner la confiscation d’un montant moins élevé. Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si l’agente était tenue de considérer le degré de la faute du sujet ou du garant et d’appliquer des principes de proportionnalité similaires à ceux qui ont été établis dans les cours criminelles pour la confiscation des cautionnements.

 

[32]           Dans Tsang, la juge Dawson a fait remarquer que l’avocate du ministre avait confirmé dans sa plaidoirie orale que le ministre était d’avis que l’agent aurait pu, en droit, décider de confisquer une partie seulement du montant du cautionnement. Ce pouvoir discrétionnaire résidait dans l’application des articles 24.1, 24.2 et 25 de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F‑10, art. 1, ainsi que dans le Règlement sur la radiation des créances (1994), DORS/94‑602. Il était question dans Tsang d’un cautionnement garanti par une hypothèque. La juge Dawson a conclu que l’agent savait qu’il avait le pouvoir discrétionnaire de confisquer ou non le cautionnement, mais qu’il avait commis une erreur susceptible de contrôle en omettant de considérer si un montant moins élevé aurait suffi.

 

[33]           Indépendamment des concessions faites antérieurement par son avocate, le défendeur est d’avis en l’espèce que la gestionnaire des opérations n’avait pas le pouvoir discrétionnaire de ne pas ordonner la confiscation du cautionnement en espèces ou d’exiger un montant moindre après avoir déterminé en se fondant sur les faits qu’il y avait eu contravention. Cette position repose sur le texte actuel concernant la confiscation des cautionnements, qui est plus strict que celui de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch I‑2.

 

[34]           L’article 104 de la Loi, tel qu’il était libellé en 2001, prévoyait ce qui suit :

104. L'inobservation des conditions fixées en application de l'alinéa 103(3)c) ou des conditions de la mise en liberté accordée aux termes de la présente loi peut entraîner, dans ce dernier cas, une nouvelle mise sous garde et, dans les deux cas :

 

104. Where a person fails to comply with any of the terms or conditions imposed under paragraph 103(3)(c) or with any of the terms or conditions subject to which he is released from detention under any provision of this Act

 

a) soit la confiscation par le ministre du cautionnement fourni;

 

 

 

 

b) soit la réalisation en justice de la garantie de bonne exécution.

 

(a) any security deposit that may have been made either pursuant to paragraph 103(3)(c) or as a condition of the person's release may be declared forfeited by the Minister, or

 

(b) the terms of any performance bond that may have been posted may be enforced and, where the person has been released from detention, he may be retaken into custody forthwith and held in detention.

 

 

[35]           La Loi actuelle ne dit rien au sujet du pouvoir discrétionnaire qu’a le ministre de confisquer un cautionnement ou une garantie d’exécution, mais elle prévoit, à l’article 61, la prise de règlements pour l’application de la Section 6, qui porte sur la détention et la mise en liberté. Le paragraphe 49(4) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS /2002‑227 (RIPR), prévoit ce qui suit :

49(4) En cas de non‑respect, par la personne ou tout membre du groupe de personnes visé par la garantie, d'une condition imposée à son égard, la somme d'argent donnée en garantie est confisquée ou la garantie d'exécution devient exécutoire.

 

49(4) A sum of money deposited is forfeited, or a guarantee posted becomes enforceable, on the failure of the person or any member of the group of persons in respect of whom the deposit or guarantee was required to comply with a condition imposed.

 

[36]           L’avocate du défendeur a honnêtement reconnu que la position exposée dans l’ancienne loi se reflète encore dans le Guide d’exécution de la loi de Citoyenneté et Immigration Canada. L’ancienne section 7.5 du chapitre 8 du Guide [citée dans Uanseru] indiquait aux agents qu’au moment d’exercer le pouvoir que la Loi leur conférait en matière de confiscation de cautionnements, chaque cas était un cas d’espèce. Le texte de la section 6.8 du Guide actuel est le suivant :

Les règles d’équité en matière de procédure veulent qu’un agent de CIC ou de l’ASFC ne recommande pas la confiscation d’un dépôt de garantie ou l’exécution d’une garantie d’exécution souscrite par un tiers avant que cette personne ne puisse faire une observation par écrit à propos de la décision en instance.

 

Quand une violation des conditions peut avoir pour conséquence la confiscation d’un dépôt de garantie ou l’exécution d’une garantie d’exécution, le déposant ou le garant doit être informé par écrit de l’infraction aux conditions et d’une possible confiscation ou exécution et doit se voir accorder la possibilité de faire une observation par écrit.

 

Le gestionnaire déterminera au cas par cas s’il convient de fixer un montant plus faible que celui stipulé à l’origine dans la garantie d’exécution, en accord avec les lignes directrices de l’administration centrale. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[37]           Je reconnais que les lignes directrices ministérielles n’ont pas force de loi et ne lient pas le défendeur et ses agents, mais elles sont accessibles au public et sont très utiles à la Cour pour décider si un pouvoir discrétionnaire a été exercé correctement : Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358, 2002 CAF 125.

 

[38]           En l’espèce, il ressort clairement de la preuve que la gestionnaire Gilker n’a pas examiné si un montant moins élevé, y compris un montant nul, suffirait pour satisfaire à la raison pour laquelle un cautionnement en espèces avait été exigé, surtout que la personne visée par la condition de mise en liberté est retournée dans son pays d’origine. La gestionnaire a donc entravé le pouvoir discrétionnaire qu’elle exerçait pour le compte du ministre.

 

[39]           En outre, il est impossible de déterminer, à partir des brefs motifs figurant dans les observations de la demanderesse ou de la lettre succincte par laquelle la décision a été communiquée, de quels facteurs la gestionnaire Gilker a tenu compte pour décider qu’il y avait lieu de confisquer le cautionnement. Comme l’a conclu la juge Mactavish dans Uanseru, la Cour n’a aucune façon déterminer si la gestionnaire s’est fondée sur des considérations irrégulières ou étrangères à l’objet de la loi pour exercer son pouvoir discrétionnaire.

 

[40]           Je conclus donc aussi que la gestionnaire a commis une erreur de droit en exerçant son pouvoir discrétionnaire, et il s’agit là d’un autre motif de conclure qu’il convient de faire droit à la demande et de renvoyer l’affaire à un autre agent pour nouvel examen.

 

[41]           La demanderesse a sollicité les dépens. En vertu de l’article 22 des Règles de la Cour fédérale en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, une demande ne donne pas lieu à des dépens, sauf ordonnance contraire pour des raisons spéciales. Les raisons spéciales mentionnées seraient une forme quelconque d’abus de la procédure de la Cour ou d’iniquité envers l’une des parties. Bien que je me pose des questions sur la manière dont la décision de confisquer le cautionnement a été prise et sur le manque évident de soin dans la façon dont l’affidavit de la gestionnaire a été préparé en l’espèce, je ne suis pas disposé à tirer une telle conclusion.

 

[42]           Aucune des parties n’a proposé une question grave de portée générale, et aucune question ne sera certifiée.

 


 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre gestionnaire de l’Agence des services frontaliers du Canada pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                              IMM‑3620‑05

 

INTITULÉ :                                             MYONG SOOK KANG

                                                                  (alias MYUNG SOOK KANG)

                                                                  et

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE DU CANADA

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     LE 16 MAI 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                  LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 30 MAI 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Dingwell

 

POUR LA DEMANDERESSE

Margherita Braccio

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DANIEL DINGWELL

Avocat

Mamann & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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