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     T-2620-96

ENTRE :


DONAHUE INC.

-et-

PRODUITS FORESTIERS DONAHUE INC.

-et-

DONAHUE QUNO INC.

-et-

LÉO CAUCHON LTÉE


Requérantes


- ET -


LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

-et-

LE MINISTRE DU COMMERCE INTERNATIONAL

-et-

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES


Intimés


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER

     Le 29 novembre 1996, les requérantes instituaient une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision du Ministre du commerce international en date du 31 octobre 1996.

     Le même jour, en vertu de la Règle 1612 des Règles de la Cour fédérale1 (ci-après les "Règles"), les requérantes adressèrent au Ministre du commerce international une demande de divulgation de documents.

     Les intimés s'opposent à cette demande de divulgation invoquant le caractère confidentiel des documents. Il s'agit donc en l'espèce de décider du bien-fondé de cette demande.

Les dispositions législatives pertinentes

     Sont pertinents aux fins des présentes les articles 37 et 39 de la Loi sur la preuve2. Ils se lisent comme suit:

     37. (1) Un ministre fédéral ou toute autre personne intéressée peut s'opposer à la divulgation de renseignements devant un tribunal, un organisme ou une personne ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements, en attestant verbalement ou par écrit devant eux que ces renseignements ne devraient pas être divulgués pour des raisons d'intérêt public déterminées.         
     (2) Sous réserve des articles 38 et 39, dans les cas où l'opposition visée au paragraphe (1) est portée devant une cour supérieure, celle-ci peut prendre connaissance des renseignements et ordonner leur divulgation, sous réserve des restrictions ou conditions qu'elle estime indiquées, si elle conclut qu'en l'espèce, les raisons d'intérêt public qui justifient la divulgation l'emportent sur les raisons d'intérêt public invoquées lors de l'attestation.         
     (3) Sous réserve des articles 38 et 39, dans les cas où l'opposition visée au paragraphe (1) est portée devant le tribunal, un organisme ou une personne qui ne constituent pas une cour supérieure, la question peut être décidée conformément au paragraphe (2), sur demande, par:         
         a)      la Section de première instance de la Cour fédérale, dans les cas où l'organisme ou la personne investis du pouvoir de contraindre à la production de renseignements en vertu d'une loi fédérale ne constituent pas un tribunal régi par le droit d'une province;         
         b)      la division ou cour de première instance de la cour supérieure de la province dans le ressort de laquelle le tribunal, l'organisme ou la personne ont compétence, dans les autres cas.         
     (4) Le délai dans lequel la demande visée au paragraphe (3) peut être faite est de dix jours suivant l'opposition, mais le tribunal saisi peut modifier ce délai s'il l'estime indiqué dans les circonstances.         
     (5) L'appel des décisions rendues en vertu des paragraphes (2) ou (3) se fait :         
         a)      devant la Cour d'appel fédérale, pour ce qui est de celles de la Section de première instance de la Cour fédérale;         
         b)      devant la cour d'appel d'une province, pour ce qui est de celles de la division ou cour de première instance d'une cour supérieure d'une province.         
     (6) Le délai dans lequel l'appel prévu au paragraphe (5) peut être interjeté est de dix jours suivant la date de la décision frappée d'appel, mais la cour d'appel peut le proroger si elle l'estime indiqué dans les circonstances.         
     (7) Nonobstant toute autre loi fédérale:         
         a)      le délai de demande d'autorisation d'en appeler à la Cour suprême du Canada est de dix jours suivant le jugement frappé d'appel, visé au paragraphe (5), mais le tribunal compétent pour autoriser l'appel peut proroger ce délai s'il l'estime indiqué dans les circonstances;         
         b)      dans les cas où l'autorisation est accordée, l'appel est interjeté conformément au paragraphe 60(1) de la Loi sur la Cour suprême, mais le délai qui s'applique est celui qu'a fixé le tribunal qui a autorisé l'appel.         
     39. (1) Le tribunal, l'organisme ou la personne qui ont le pouvoir de contraindre à la production de renseignements sont, dans les cas où un ministre ou le greffier du Conseil privé s'opposent à la divulgation d'un renseignement, tenus d'en refuser la divulgation, sans l'examiner ni tenir d'audition à son sujet, si le ministre ou le greffier attestent par écrit que le renseignement constitue un renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada.         
     (2) Pour l'application du paragraphe (1), un "renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada" s'entend notamment d'un renseignement contenu dans :         
         a)      une note destinée à soumettre des propositions ou recommandations au Conseil;         
         b)      un document de travail destiné à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques à l'examen du Conseil;         
         c)      un ordre du jour du Conseil ou un procès-verbal de ses délibérations ou décisions;         
         d)      un document employé en vue ou faisant état de communications ou de discussions entre ministres sur des questions liées à la prise des décisions du gouvernement ou à la formulation de sa politique;         
         e)      un document d'information à l'usage des ministres sur des questions portées ou qu'il est prévu de porter devant le Conseil, ou sur des questions qui font l'objet des communications ou discussions visées à l'alinéa d);         
         f)      un avant-projet de loi ou projet de règlement.         
     (3) Pour l'application du paragraphe (2), "Conseil" s'entend du Conseil privé de la Reine pour le Canada, du Cabinet et de leurs comités respectifs.         
     (4) Le paragraphe (1) ne s'applique pas:         
         a)      à un renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada dont l'existence remonte à plus de vingt ans;         
         b)      à un document de travail visé à l'alinéa (2)b), dans les cas où les décisions auxquelles il se rapporte ont été rendues publiques ou, à défaut de publicité, ont été rendues quatre ans auparavant.         


Analyse

     A.      Le secret professionnel de l'avocat

     Le caractère privilégié des communications entre un avocat et son client a depuis longtemps été reconnu en droit canadien. Dans l'arrêt Solosky c. La Reine3, la Cour suprême du Canada définit le privilège comme un "droit civil fondamental". Dans ce même arrêt, le juge Dickson (il était alors juge puîné) énonce les critères d'application du privilège en ces termes :

     Comme le souligne le juge Addy, le privilège ne peut être invoqué que pour chaque document pris individuellement, et chacun doit répondre aux critères du privilège: (i) une communication entre un avocat et son client; (ii) qui comporte une consultation ou un avis juridiques; et (iii) que les parties considèrent de nature confidentielle. Le juge doit lire les lettres afin de décider si le privilège s'y rattache, ce qui exige, à tout le moins, qu'elles relèvent de la juridiction d'un tribunal. Enfin, le privilège vise à empêcher leur utilisation ou divulgation injustifiée et non simplement leur ouverture.4         

     Les critères d'application du privilège, tels qu'ils furent alors formulés par le juge Dickson, ont, depuis, fait l'objet d'une jurisprudence constante et unanime. Qu'il me suffise de référer aux trois arrêts suivants: Descôteaux c. Mierzwinski5, Geffen c. Succession Goodman6 et Idziak c. Canada (Ministère de la justice)7.

     J'ai examiné les documents 136 et 139. À mon avis, ils ne satisfont pas aux critères applicables. Il ne s'agit pas là de communications qui comportent un avis ou une consultation juridique. Quant aux documents 145 à 169, ils sont au contraire conformes aux critères et sont en conséquence couverts par le privilège. Les intimés n'auront donc pas à en divulguer le contenu.

     B.      Opposition en vertu de l'article 39 de la Loi sur la preuve (renseignements confidentiels du cabinet)

     Si l'interprétation que doit recevoir l'article 39 de la Loi sur la preuve a longtemps été problématique, il est dorénavant acquis que l'article doit être interprété de façon restrictive. Dans l'affaire Bande des Indiens Samson c. Canada8, mon collègue, le juge MacKay, après avoir passé en revue l'ensemble de la jurisprudence sur la question, exprime l'opinion suivante :

     L'évolution de l'immunité d'ordre public de la Couronne fédérale en ce qui concerne les questions de preuve est retracée par le juge Strayer dans le jugement Smith, Kline & French c. Procureur général du Canada. À la lumière de cette évolution, il semble évident que le législateur fédéral a pris des mesures pour restreindre l'immunité de la Couronne et, à l'article 39 de la Loi, qu'il protège cette immunité lorsqu'est déposée une attestation rédigée conformément à la Loi. L'article 39 ne crée pas une immunité en ce qui concerne les renseignements confidentiels du Cabinet. L'immunité prévue à l'article 39 porte plutôt sur les éléments de preuve documentaires et les témoignages qui se rapportent aux renseignements confidentiels en question. L'article 39 permet d'en refuser la divulgation malgré l'ordre qui a été donné à cet effet, pourvu que les conditions prévues à cet article soient respectées. Dans ces conditions, l'article 39 doit, selon moi, être interprété de façon restrictive.         

     La règle énoncée à l'article 39 l'était auparavant à l'article 36.3. Le libellé de la disposition n'ayant pas changé, la jurisprudence rendue sous l'empire de l'article 36.3 conserve, à mon avis, toute sa pertinence. Lorsque saisi d'une objection fondée sur l'article 39, le juge ne peut, contrairement à ce qui prévaut habituellement, examiner les documents. Son examen se limite à une analyse du certificat " i.e. de l'attestation. Le tribunal se doit déterminer si, à première vue, le certificat fait état de motifs qui justifient la revendication du privilège par l'exécutif. Ainsi, dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Central Cartage Co.9, le juge en chef Iacobucci (il siégeait alors à la Cour d'appel fédérale) émet l'opinion suivante :

     Il semble évident que, lorsqu'il a adopté l'article 36.3, le Parlement désirait confier à un ministre ou au greffier du Conseil privé, le soin de déterminer si un renseignement constitue un renseignement confidentiel du Conseil privé pour la Reine. La décision du ministre ou du greffier, que celui-ci atteste par écrit, ne peut faire l'objet d'un examen par un tribunal, pourvu, et c'est là la seule restriction, que les exigences explicites de cette disposition soient respectées. La Cour ne peut aller au-delà du libellé du certificat et examiner les documents comme elle peut le faire sous le régime des articles 36.1 et 36.2 [aujourd'hui les articles 37 et 38] de la Loi sur la preuve au Canada. Toutefois, il est loisible à un tribunal de déterminer si, à première vue, le certificat renferme une allégation de privilège selon les limites législatives concernant les revendications de privilège par l'exécutif.         

     Il s'agit donc, d'une part, de déterminer si l'attestation respecte certaines conditions de forme et, d'autre part, de voir si, à la face même du certificat, le document est de la nature de ceux dont traite le paragraphe 39(2). Quant aux conditions de forme, notons que le sceau du greffier du Conseil privé ne constitue pas une condition essentielle10.

     Pour ce qui est de la substance de l'attestation, la Cour d'appel fédérale a déjà décidé qu'une attestation n'est pas inadéquate du simple fait que l'on se contente d'y reprendre la substance du paragraphe 39(2)11. Ainsi, dans l'arrêt Central Cartage Co.12, la Cour d'appel fédérale a jugé valide et suffisant un certificat dans lequel la greffière du Conseil privé attestait avoir examiné les documents et que cet examen lui avait permis de conclure que ceux-ci contenaient des "renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada". Suivaient trois descriptions générales qui, essentiellement, reprenaient le libellé des alinéas 39(2)a), 39(2)d) et 39(2)e) de la Loi sur la preuve . Au minimum, pour être adéquate, une attestation doit référer au paragraphe 39(2). À cet égard, une indication que les renseignements visés sont des "renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada" sera suffisante13.

     Appliquant ces principes aux faits de la présente cause, il m'apparaît opportun de référer tout d'abord au certificat de la greffière du Conseil Privé, lequel s'énonce en ces termes :

     Je soussignée, Jocelyne Bourgon, domiciliée dans la ville d'Ottawa, dans la municipalité régionale d'Ottawa-Carleton en Ontario, atteste et déclare ce qui suit :         
     1.      Je suis le greffier du Conseil privé de la Reine pour le Canada et le Secrétaire du Cabinet;         
     2.      J'ai personnellement examiné et soigneusement inspecté les documents dont il est fait mention à l'Annexe A ci-jointe afin de déterminer s'ils contiennent des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada au sens de l'article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5;         
     3.      Je certifie à cette honorable Cour qu'au sens du paragraphe 39(1) de la Loi sur la preuve au Canada, les documents mentionnés dans ladite annexe contiennent des renseignements du Conseil privé de la Reine pour le Canada et je m'oppose à la divulgation de ces renseignements confidentiels;         
     4.      Je certifie en outre à cette honorable Cour que l'alinéa a) du paragraphe 39(4) de la Loi sur la preuve au Canada ne s'applique pas à ces documents puisqu'ils n'existaient pas il y a vingt ans, et que l'alinéa b) du même paragraphe de ladite Loi ne s'applique pas à ces documents.         
     5.      Si l'on cherchait à obtenir un témoignage oral sur le contenu des renseignements confidentiels contenus dans ces documents à la divulgation desquels je m'oppose dans la présente attestation, je m'opposerais à ce témoignage pour les mêmes motifs que je m'oppose par la présente à la divulgation de ces renseignements en question.         
     FAIT À OTTAWA, dans la province d'Ontario, ce 21e jour du mois de février 1997.         

     À mon avis, la suffisance du présent certificat est indiscutable. Je conclus donc que les documents 135, 137, 140, et 142 sont couverts par le privilège énoncé à l'article 39 de la Loi sur la preuve.

     C.      Opposition en vertu de l'article 37 de la Loi sur la preuve (raisons d'intérêt public: informations de nature commerciale transmises par des tiers)

     À l'égard des documents 125, 127, 128, 129, 130, 131, 143 et 166, l'intimé invoque non seulement la règle énoncée à l'article 37 de la Loi sur la preuve mais aussi un privilège de Common law.

         a)      En Common law

     Les intimés invoquent premièrement le privilège de Common law à l'égard des secrets commerciaux. Ils réfèrent au passage suivant de l'ouvrage du professeur Wigmore14:

     In a day of prolific industrial invention and active economic competition, it may be of extraordinary consequence to the matter of an industry that his process be kept unknown from his competitors, and that the duty of a witness be not allowed to become by indirection the means of rCuining an honest and profitable enterprise. This risk and the necessity of guarding against it, may extend not only to the chemical and physical composition of substances employed, and to the mechanical structure of tools and machines, but also to such other facts of possibly private nature as the names of customers, the subjects and amounts of expense, and the like.         
     Accordingly, there ought to be and there is, in some degree, a recognition of the privilege not to disclose that class of facts which, for lack of a better term, have come to be known as trade secrets.         

     Les documents dont il est question en l'espèce sont des documents par lesquels près de 1000 entreprises ont transmis au gouvernement canadien différentes informations aux fins d'obtenir des allocations d'exportation de bois d'oeuvre. Après consultation des documents 125, 127, 129 et 143, je suis d'avis qu'ils ne sont pas de la nature de ceux auxquels réfère le professeur Wigmore. Ils font état de renseignements de nature générale et non de renseignements dont peuvent dépendre la survie et la rentabilité d'une entreprise.


         b)      En vertu de l'article 37 de la Loi sur la preuve

     Ayant conclu que les documents 125, 127, 128, 129, 130, 131, 143 et 166 ne sont pas couverts par le privilège de Common law afférent aux secrets commerciaux, je passe maintenant au privilège prévu à l'article 37 de la Loi sur la preuve. Il s'agit en fait de voir si le privilège qui y est énoncé peut trouver application à l'égard de secrets commerciaux.

     Les parties s'entendent quant aux critères applicables pour décider de la légitimité de l'objection des intimés. Elles réfèrent aux critères suivants reconnus par la Cour suprême du Canada à l'occasion de l'arrêt La Reine c. Gruenke15, lesquels, soumettent-elles, sont conformes à l'esprit du paragraphe 37(2) de la Loi sur la preuve:

     (1)      Les communications ont été transmises confidentiellement avec l'assurance qu'elles ne seraient pas divulguées;         
     (2)      Le caractère confidentiel doit être un élément essentiel au maintien complet et satisfaisant des rapports entre les parties;         
     (3)      Les rapports doivent être de la nature de ceux qui, selon l'opinion de la collectivité, doivent être entretenus assidûment;         
     (4)      Le préjudice permanent que subiraient les rapports par la divulgation des communications doit être plus considérable que l'avantage à retirer d'une juste décision.         

     Les renseignements dont font état les documents 127, 128, 129, 130, 131, 143 et 166 ont été obtenus au moyen de questionnaires. Ces questionnaires furent remplis par l'ensemble des entreprises impliquées dans le commerce du bois d'oeuvre. Le questionnaire indiquait aux répondants que l'information recueillie serait traitée confidentiellement. Ceci étant, le premier critère de l'arrêt Gruenke16 me paraît satisfait. Je ne peux toutefois en dire autant des autres critères.

     Comme je l'ai mentionné précédemment, les documents font état, principalement, des renseignements tels le chiffre d'affaires et la capacité de production de l'entreprise. Or, dans ces circonstances, je ne suis pas convaincue que le caractère confidentiel de la correspondance était essentiel au maintien de relations harmonieuses entre le Ministère et l'ensemble des entreprises. De même, je ne suis pas convaincue que la collectivité a intérêt à ce que la correspondance entre un ministère et des entreprises soit faite à titre confidentiel.

     Aussi, parce que les documents font état des statistiques sur lesquels on s'est fondé pour établir les quotas, je suis encline à croire qu'ils sont hautement pertinents dans le contexte de la demande contrôle judiciaire intentée par les requérantes. Dans ces circonstances, une ordonnance de divulgation me paraîtrait tout à fait justifiée. Je conclus donc que les documents 125, 127, 128, 129, 130, 131, 143 et 166 ne sont pas couverts par le privilège énoncé à l'article 37 de la Loi sur la preuve.

     D.      Opposition en vertu de l'article 37 de la Loi sur la preuve (raisons d'intérêt public: relations fédérales-provinciales)

     Les intimés ont sans succès invoqué le privilège afférent aux communications entre un avocat et son client à l'égard des documents 136 et 139. Il s'agit maintenant de savoir si ces mêmes documents, ainsi que le document 138, sont couverts par le privilège énoncé à l'article 37 de la Loi sur la preuve. Les intimés soumettent qu'ils le sont en raison de l'intérêt public des relations fédérales-provinciales.

     Dans la récente affaire K.F. Evans Ltd. c. Canada (Ministre des affaires étrangères)17, mon collègue, le juge Rothstein, y traite des principes applicables en ces termes :

     Selon la jurisprudence en vigueur, la procédure des affaires de confidentialité revendiquée en application de la Loi sur la preuve au Canada passe normalement par deux étapes. Dans la première étape, la Cour, sans examiner les pièces confidentielles mais se fondant uniquement sur l'attestation et les autres preuves et arguments, doit mettre dans la balance deux intérêts publics contradictoires - divulgation ou maintien du secret en raison du préjudice aux relations fédérales-provinciales ou internationales - afin de décider s'il y a commencement de preuve en faveur de la divulgation. Dans le cas où les arguments en faveur de la divulgation sont au moins aussi valides que les arguments en faveur du maintien du secret, elle passe à la seconde étape (l'examen des renseignements en cause) afin de décider lequel de ces deux intérêts publics prévaut dans les circonstances de la cause;         

     Il était question, dans l'affaire K.F. Evans Ltd.18, comme en l'espèce, de la légalité de décisions prises à l'égard d'un entrepreneur oeuvrant dans le domaine de l'exportation du bois d'oeuvre. Le juge Rothstein conclut :

     Pour ce qui est des autres occultations faites au titre de la Loi sur la preuve au Canada, j'ai examiné attentivement les renseignements confidentiels. Ces renseignements en soi n'expliquent pas pourquoi il faut les tenir confidentiels. Il ressort de l'examen de ces renseignements confidentiels qu'il ne s'agit pas de renseignements recueillis au moyen d'enquêtes secrètes qui en justifient la confidentialité; ils ne sont pas non plus manifestement confidentiels comme ce serait le cas de noms d'indicateurs. Comme noté supra, ils ne dévoilent pas une stratégie de négociation ou une position de repli.         
     Je ne pense pas qu'on puisse revendiquer la confidentialité de renseignements du seul fait que ceux-ci ont un certain lien avec une consultation internationale délicate.         

     Il en vient donc à la conclusion que les documents doivent être produits. Il en restreint toutefois la divulgation. Ainsi, il ordonne aux procureurs des requérants de fournir un engagement, aux termes duquel ils promettent d'en utiliser le contenu qu'aux fins de la contestation.

     J'ai examiné les documents 136, 138 et 139. Ces documents font état des discussions qui ont entouré le choix d'une méthode de calcul des attributions de niveaux d'exportation de bois d'oeuvre. Ces documents font état des renseignements sur lesquels le ministère a ultimement fondé sa décision. Je ne crois qu'il s'agisse là, pour reprendre les termes du juge Rothstein, de renseignements manifestement confidentiels.

     Pour ces motifs, je suis d'avis que les documents 136, 138 et 139 doivent être divulgués. Cependant, ces documents ne devront être utilisés qu'aux fins de la contestation et leur divulgation devra en conséquence se faire en conformité avec les termes des paragraphes (2)(3) de l'ordonnance émise par le juge Dubé le 3 décembre 1996. Cette façon de faire permettra à mon avis de promouvoir, à la fois, l'intérêt public des relations fédérales-provinciales et une saine administration de la justice.

V.      Dispositif

     Pour ces motifs, j'accueille partiellement l'objection des intimés fondée sur le secret professionnel de l'avocat. J'accueille leur objection fondée sur l'article 39 de la Loi sur la preuve. Je rejette leur objection fondée sur le privilège de Common law afférent aux secrets commerciaux ainsi que les deux objections fondées sur l'article 37 de la Loi sur la preuve.



     En conséquence, j'ordonne donc aux intimés de produire les documents 125, 127, 128, 129, 130, 131, 136, 138, 139, 143 et 166. La divulgation des documents 136, 138 et 139 devra toutefois se faire en conformité avec les termes de l'ordonnance émise par le juge Dubé.

OTTAWA (ONTARIO)

Ce 19e jour d'avril 1997

    

                             JUGE

__________________

1 R.R.C. (1978), ch. 663, telles qu'amendées.

2 L.R.C. (1985), ch. C-5 (ci-après la "Loi sur la preuve").

3 [1980] 1 R.C.S. 821.

4 Ibid. à la p. 837.

5 [1982] 1 R.C.S. 860.

6 [1991] 2 R.C.S. 353.

7 [1992] 3 R.C.S. 631.

8 (1996) 110 F.T.R. 1 (C.F., 1ère instance, le juge MacKay).

9 [1990] 2 C.F. 641. (C.A.).

10 Bande des Indiens Samson c. Canada, supra note 8.

11 Canada (Procureur général) c. Central Cartage Co., supra note 9.

12 Ibid.

13 Bande des Indiens de Samson c. Canada, supra, note 8 et Smith, Kline & French Laboratories Ltd. c. Procureur général du Canada, [1983] 1 C.F. 917 (C.F. 1ère instance, le juge Strayer).

14 John Henry Wigmore, Evidence in Trials at Common Law , Little, Brown & Company, Vol. 8., 1961.

15 [1991] 3 R.C.S. 363.

16 Ibid.

17 (1996), 106 F.T.R. 210, à la p. 217 (C.F., 1ère instance).

18 Ibid. à la p. 219.


COUR FEDERALE DU CANADA SECTION DE PREMIERE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR : T-2620-96

INTITULE : DONAHUE INC. et al c.

LE PROCUREUR GENERAL DU CANADA et al

DECIDE SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE TREMBLAY-LAMER EN DATE DU 19 AVRIL 1997

OBSERVATIONS ECRITES PAR

ME PAUL LALONDE POUR LE REQUERANT

ME ROSEMARIE MILLAR POUR L'INTIME

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

FLAVELLE KUBRICK & LALONDE POUR LE REQUERANT OTTAWA, ONTARIO

GEORGE THOMSON POUR L'INTIME SOUS-PROCUREUR GENERAL

DU CANADA

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