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     Date : 19980420

     Dossier : T-938-95

OTTAWA (ONTARIO), LE 20 AVRIL 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARC NOËL

         AFFAIRE INTÉRESSANT la révocation de la citoyenneté en vertu des articles 10 et 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, modifiée, et de l'article 19 de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1952, ch. 33, modifiée;                 
         ET une demande de renvoi à la Cour fédérale en vertu de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, modifiée;                 
         ET un renvoi à la Cour en vertu de la règle 920 des Règles de la Cour fédérale.                 

ENTRE :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     Requérant,

     - et -

     JOHANN DUECK,

     Intimé.

     ORDONNANCE

1.      La requête de l'intimé visant à interroger une autre personne et à obtenir une ordonnance ajournant les interrogatoires préalables en conséquence est rejetée.

2.      La demande faite par l'avocat de l'intimé à l'audience afin que l'interrogatoire préalable de l'intimé débute le 28 avril plutôt que le 27 avril est accueillie. Le paragraphe 1 des directives enjoignant à l'intimé de se présenter pour être interrogé au préalable doit être interprété en conséquence.

     Marc Noël

                                             Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19980420

     Dossier : T-938-95

ENTRE :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     Requérant,

     et

     JOHANN DUECK,

     Intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NOËL :

[1]      L'intimé présente une requête sur préavis abrégé en vue d'obtenir une ordonnance obligeant le requérant à désigner une autre personne que John Lynn Baker pour être interrogée au préalable en son nom. L'intimé demande aussi par voie de requête une ordonnance enjoignant au requérant de produire des copies non épurées des documents énumérés dans l'annexe I jointe à son Affidavit de documents.

[2]      L'avocat du requérant a consenti à l'audition de la première requête sur préavis abrégé, mais il a informé la Cour qu'il n'était pas en mesure de plaider la deuxième requête. L'avocat du requérant a également précisé qu'il n'était pas prêt pour l'audition de sa propre requête visant à faire entendre le renvoi à Toronto. Cette dernière requête sera entendue conformément à la règle 324 comme le requérant l'a demandé à l'origine. Par conséquent, les présents motifs visent uniquement la requête par laquelle l'intimé demande l'autorisation d'interroger une autre personne et l'ajournement des interrogatoires préalables en conséquence.

[3]      L'intimé fait valoir que le représentant du requérant, John Lynn Baker ne s'est pas renseigné convenablement au sujet des questions pertinentes au renvoi, contrairement au paragraphe 458(2) des Règles. L'intimé fait remarquer que M. Baker est un fonctionnaire à la retraite dont le requérant a retenu les services pour être interrogé en son nom à l'enquête préalable. L'intimé soutient que M. Baker a une connaissance limitée de l'affaire et que lors de son interrogatoire il n'a pu [Traduction] " produire rien d'autre qu'une interminable série d'engagements... "1. De l'avis de l'intimé, M. Baker ne peut donc pas être considéré à juste titre comme " un gestionnaire, un fonctionnaire ou un employé bien renseigné " au sens du paragraphe 456(3) des Règles2.

[4]      La demande de l'intimé en l'espèce suit immédiatement un interrogatoire de M. Baker que l'intimé a abandonné moins d'un jour complet après le début des neuf jours d'enquête préalable dont les parties avaient convenu. L'avocat de l'intimé soutient qu'il est vain de procéder à l'interrogatoire préalable du représentant du requérant car il [Traduction] " ne sait rien de l'affaire hormis ce que n'importe qui peut apprendre à la lecture du dossier "3. Bien que l'avocat n'ait pas voulu nommer un autre représentant, il a laissé entendre qu'une personne [Traduction] " responsable " des questions visées par le renvoi constituerait un candidat plus approprié.

[5]      Pour demander qu'une autre personne soit désignée pour être interrogée, l'intimé s'appuie sur le paragraphe 456(4) des Règles qui autorise la Cour à exercer à la place de la Couronne le droit de désigner la personne qui sera interrogée en son nom. À l'appui de sa requête, l'avocat de l'intimé a invoqué la décision de la Cour dans l'affaire Irish Shipping Ltd. c. La Reine4. Le juge Collier y a statué que la Cour pouvait, à la demande de la partie opposée, remplacer la personne désignée par le Couronne pour témoigner en son nom par une personne plus appropriée. Je note toutefois que cette décision a été prononcée avant les modifications apportées en 1990 aux Règles de la Cour fédérale à l'occasion desquelles le paragraphe 456(4) a été édicté5.

[6]      Dans la décision Bande indienne Ermineskin c. Canada6, que l'avocat de l'intimé ne semble pas connaître, le juge MacKay a expliqué les changements apportés par le nouveau paragraphe 456(4) des Règles sur le processus de désignation du représentant de la Couronne. En ce qui concerne la décision Irish Shipping et la jurisprudence connexe antérieure à la modification précitée, le juge MacKay a déclaré ce qui suit :

         Je suis d'avis que ces décisions doivent être interprétées en tenant compte du libellé de l'alinéa 465(1)c) des Règles en vigueur à l'époque, selon lequel on pouvait procéder à l'interrogatoire préalable "en interrogeant un officier ministériel ou autre officier de la Couronne désigné par le procureur général du Canada ... ou par ordonnance de la Cour". Par application du paragraphe 456(3) des Règles, la Couronne désigne maintenant son représentant et la Cour peut, en vertu du paragraphe 456(4) des Règles, " [l]orsqu'elle est saisie d'une demande de la part d'une partie en droit d'interroger une personne désignée, conformément à l'alinéa ... (3), ...ordonner qu'une autre personne soit interrogée ". Il me paraît clair que ces dispositions établissent un processus en deux étapes : le procureur général ou le sous-procureur général détermine d'abord qui doit représenter la Couronne et ce n'est qu'après que la Cour peut intervenir. Il est peu probable que la Cour exerce son pouvoir d'intervenir, à moins qu'il ne soit établi que la personne désignée par la Couronne n'est ni renseignée ni en mesure d'obtenir des renseignements quant aux faits essentiels aux questions visées par l'interrogatoire préalable.7                 

Il a ensuite expliqué le principe qui sous-tend le rôle plus restreint de la Cour dans la désignation du représentant de la Couronne :

         Cette nouvelle disposition traduit une plus grande reconnaissance implicite qu'auparavant du fait que la personne interrogée au préalable au nom de la Couronne ou d'une personne morale lie la partie qu'elle représente, savoir la Couronne ou la personne morale, par ses aveux sur des questions de fait. Cet aspect du rôle de la personne interrogée implique nécessairement qu'elle jouit d'une confiance raisonnable de la part de la Couronne pour agir comme son représentant ayant le pouvoir implicite de la lier.8                 

[7]      Par conséquent, selon cette nouvelle disposition des Règles, le choix de la personne à interroger incombe entièrement au requérant et la Cour ne peut intervenir, à moins que l'intimé ne puisse établir que la personne désignée n'est ni renseignée ni en mesure d'obtenir des renseignements quant à la question visée par le renvoi.

[8]      À mon avis, l'intimé n'a pas établi que M. Baker n'est pas renseigné ou qu'il n'est pas en mesure d'obtenir des renseignements quant aux questions pertinentes en l'espèce. Comme l'a souligné l'avocat du requérant, M. Baker a acquis beaucoup d'expérience en matière de citoyenneté et d'immigration, car il a travaillé pendant plus de vingt-sept ans dans ce domaine au Canada et à l'étranger en qualité d'agent des visas, de directeur des affaires des réfugiés, de rédacteur de textes législatifs, de gestionnaire responsable de dossiers complexes, de personne désignée pour exercer le pouvoir discrétionnaire du ministre, etc. Compte tenu de ses antécédents, M. Baker n'est pas une personne dont l'apport se limiterait à ce qu'il peut glaner dans les documents comme le prétend l'intimé.

[9]      L'intimé soulève aussi le fait que la personne interrogée a dû prendre de nombreux engagements au cours des premiers jours de l'interrogatoire préalable9. Cela n'est pas surprenant compte tenu de la nature de l'affaire qui englobe des événements s'échelonnant sur une période de plus de quarante ans. Dans la décision Ermineskin, précitée, le juge MacKay note que le témoin dans cette affaire, elle aussi caractérisée par la longue période sur laquelle elle s'est échelonnée, " s'est engagé à obtenir des renseignements à plus de 2 500 reprises jusqu'à maintenant "10. De toute évidence, aucune personne ne peut connaître à elle seule la réponse à toutes les questions. L'avocat de l'intimé est tout simplement irréaliste lorsqu'il s'attend à ce que chaque question reçoive une réponse immédiate.

[10]      La preuve relative à ce qui s'est passé jusqu'à maintenant révèle que des réponses ont été fournies, que des engagements ont été pris et qu'aucune question posée n'a été rejetée. Aucun des éléments qui figurent pour l'instant au dossier ne laisse croire que M. Baker ne sera pas capable d'informer complètement l'intimé des prétentions qu'il doit réfuter en supposant, bien sûr, que l'intimé se prévaudra de son droit de mener un interrogatoire préalable. En fait, l'avocat de l'intimé est tout simplement " parti avant le signal de départ " en abandonnant l'interrogatoire préalable.

[11]      Le 7 avril, j'ai rejeté la demande d'ajournement de l'interrogatoire préalable de l'intimé. En abandonnant l'interrogatoire préalable le tout premier jour, l'avocat a de fait agi de façon contraire à cette ordonnance et gaspillé trois des neufs jours qui lui avaient été réservés pour qu'il interroge le requérant au préalable. J'ai la certitude que l'intimé a présenté la présente requête de bonne foi. Toutefois, il lui revient maintenant d'utiliser à bon escient le temps qui lui reste pour mener l'interrogatoire préalable, même s'il est maintenant clair qu'il se poursuivra au-delà de l'échéancier prévu.

[12]      Pour ces motifs, la requête de l'intimé visant à interroger une autre personne et à obtenir une ordonnance ajournant les interrogatoires préalables en conséquence est rejetée. J'accueille néanmoins la demande faite par l'avocat de l'intimé à l'audience afin que l'interrogatoire préalable de l'intimé débute le 28 avril plutôt que le 27 avril, de façon à lui permettre de prendre les mesures nécessaires pour terminer l'interrogatoire préalable du requérant avant d'être lui-même interrogé11. Le paragraphe 1 des directives enjoignant à l'intimé de se présenter pour être interrogé au préalable doit être interprété en conséquence. Une ordonnance sera délivrée en conformité avec les motifs qui précèdent.

     Marc Noël

                                             Juge

OTTAWA (ONTARIO)

20 avril 1998

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          T-938-95

INTITULÉ DE LA CAUSE :      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c. JOHANN DUECK

LIEU DE L'AUDITION :          OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDITION :          17 AVRIL 1998

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE NOËL

DATE DES MOTIFS :          20 AVRIL 1998

ONT COMPARU :

                     DONALD MACINTOSH

                     CHERYL MITCHELL

                                 POUR LE REQUÉRANT

                     PETER DOODY

                                 POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

                     GEORGE THOMSON

                     SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                     OTTAWA (ONTARIO)

                                 POUR LE REQUÉRANT

                     SCOTT & AYLEN

                     OTTAWA (ONTARIO)

                                 POUR L'INTIMÉ

__________________

1      Paragraphe 49 du mémoire des faits et du droit de l'intimé.

2      L'intimé ne soulève pas le fait que le représentant ne soit ni un gestionnaire ni un employé de la Couronne. Il accepte qu'une personne dont les services ont été retenus comme M. Baker est un fonctionnaire de la Couronne au sens du paragraphe 456(3) des Règles.

3      Paragraphe 49 du mémoire des faits et du droit de l'intimé.

4      [1974] 1 C.F. 445.

5      Ordonnance modificatrice no 13, DORS/90-046, art. 15.

6      [1995] 3 C.F. 544.

7      Décision précitée à la note 6, à la page 553.

8      Décision précitée à la note 6, à la page 555.

9      J'aurais cru que l'avocat de l'intimé qui persiste à affirmer qu'il a besoin de plus de temps pour se préparer aurait accueilli d'un oeil favorable la prolongation de l'enquête préalable découlant de ces engagements.

10      Décision précitée à la note 6, à la page 548.

11      Conformément aux prétentions formulées dans le cadre de la présente requête. Si l'avocat de l'intimé désire prendre des mesures pour reporter l'interrogatoire préalable de son client, il devra présenter requête à cette fin dont l'audition aura lieu à Ottawa, le 27 avril, à 10 h. Le cas échéant, l'avocat du requérant pourra décider de comparaître par voie de téléconférence en se présentant à cette fin aux bureaux de la Cour à Toronto.

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