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Date : 20050824

Dossier : IMM-8205-04

Référence : 2005 CF 1160

ENTRE :

GABERT ALEJANDR ACOSTA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

[1]                La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) a, sur le fondement des conclusions qu'elle avait tirées au sujet de la crédibilité du demandeur, rejeté la demande d'asile présentée par ce dernier. Ces conclusions étaient contraires à l'ensemble de la preuve documentaire. La SPR n'a pas motivé son rejet de ces éléments de preuve documentaires.

LE CONTEXTE

[2]                Le demandeur est un citoyen de 32 ans du Venezuela. Il soutient que des gens qu'il affirme être des partisans de Hugo Chavez le tueraient ou lui feraient du mal s'il devait retourner au Venezuela.

[3]                Il allègue plus particulièrement qu'il était un partisan de l'Accion Democratica (l'AD) et ce, malgré le fait qu'il n'était pas titulaire d'une carte de membre de ce parti. En 2000, il a commencé à participer à des activités d'opposition politique au Venezuela.

[4]                Il a déclaré qu'après la tentative avortée de coup d'État d'avril 2002, des partisans de Hugo Chavez, dont des membres des * Cercles bolivariens +, ont commencé à l'intimider. Il a notamment fait l'objet de menaces au téléphone avant la tenue d'un important rassemblement organisé par les forces d'opposition. Lors de ce rassemblement, des chavistes ont attaqué son groupe. Des coups de feu ont été tirés dans sa direction mais il a réussi à prendre la fuite en automobile. Ce rassemblement politique a eu un retentissement considérable dans le public et dans la presse.

[5]                Il a signalé l'incident à son assureur à qui il a soumis des photographies des trous laissés par les balles dans sa voiture. Il a confié à son avocat le soin de déterminer s'il pouvait réclamer une protection mais son avocat lui a répondu que la police était, au mieux, indifférente. Son avocat lui a conseillé de quitter le pays à cause du danger qu'il courait.

[6]                Il a également raconté qu'alors qu'il était passé dans la clandestinité chez un ami, on a de nouveau tiré des coups de feu sur lui. Il a par conséquent quitté le Venezuela pour le Canada.

[7]                Dans sa brève décision, la SPR a rejeté la demande d'asile. Dans le passage critique des motifs que le demandeur conteste, la SPR a conclu que les faits relatés n'étaient pas vraisemblables. Ce passage est le suivant :

[...] J'en conclus que la déclaration du demandeur selon laquelle il n'a pas adhéré à l'AD parce qu'il ne voulait pas donner de son temps, qu'il consacrait à gagner sa vie, est sans fondement. Je conclus à la non-crédibilité de son allégation selon laquelle son avocat lui a conseillé de quitter le pays et de sa déclaration selon laquelle il a vécu dans la clandestinité avant de partir et a reçu des menaces,. Il a fabriqué les allégations d'association avec l'AD, de menaces téléphoniques et de passage dans la clandestinité pour tromper la Section de la protection des réfugiées et l'amener à conclure que sa vie était en danger au Venezuela. J'en conclus que le demandeur ne participait aux activités de l'AD ou aux activités anti-Chavez, et que le régime Chavez ou les cercles bolivariens ne s'intéressaient aucunement à lui. J'en arrive à la conclusion que le demandeur n'est pas crédible en ce qui concerne toutes les questions importantes liées à sa demande d'asile.

DÉCISION

[8]                La SPR a normalement droit à un degré élevé de retenue en ce qui concerne les conclusions qu'elle tire en matière de crédibilité et de vraisemblance. La Cour doit toutefois être en mesure de voir comment la SPR est arrivée à ses conclusions, surtout lorsqu'il s'agit de conclusions clés. L'obligation faite au tribunal administratif de motiver ses conclusions augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question (Cepeda-Gutierrez et autres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425).

[9]                En l'espèce, le débat ne tourne pas autour de la question de savoir si la SPR a suffisamment motivé sa décision, mais sur la question de savoir si elle a rendu une décision « fondée sur une conclusion de fait erronée [...] sans tenir compte des éléments dont [elle] dispos[ait] » (Loi sur les Cours fédérales, paragraphe 18.1(4)). La seule explication ou analyse fournie par la SPR pour justifier son rejet de la preuve du demandeur était le fait qu'elle ne la considérait pas crédible.

[10]            Pour chacune des conclusions factuelles clés niant que certains faits s'étaient produits, il y a des éléments de preuve précis qui permettent de conclure que ces faits se sont effectivement produits, et il n'y a aucun élément de preuve contraire :

C           L'avis de l'avocat : une copie de la lettre de l'avocat a été déposée. L'avocat y explique les démarches qu'il a entreprises pour obtenir la protection de l'État et il termine en conseillant au demandeur de quitter le pays. Le demandeur a proposé de faire authentifier la lettre (ainsi que les Règles de la SPR permettent à celle-ci de le faire). La SPR a refusé. La conclusion est manifestement erronée.

C           Le danger pour la vie : le demandeur a produit des copies de la déclaration de sinistre qu'il avait soumise après l'incident ainsi que des photographies des trous laissés par les projectiles dans sa voiture et des éléments de preuve provenant de sources publiques au sujet des violences commises lors du rassemblement politique et des documents qui corroboraient ces faits. Les conclusions tirées par la SPR ne reposent pas sur la preuve.

C           L'association à l'AD : une lettre de l'AD confirmant sa participation a été déposée. La conclusion de fait tirée par la SPR ne repose pas non plus sur la preuve.

[11]            La SPR avait l'obligation soit d'expliquer pourquoi elle n'acceptait pas des éléments de preuve critiques, soit de démontrer que le dossier justifiait tellement clairement leur rejet qu'aucune explication n'était nécessaire. En l'espèce, aucune explication n'a été fournie pour justifier le rejet des éléments de preuve documentaires ou pour expliquer pourquoi le témoignage du demandeur n'était pas retenu, et le dossier ne renferme aucun élément de preuve qui permettrait à notre Cour de trouver un fondement aux conclusions de fait tirées par la SPR.

[12]            Les conclusions de la SPR contredisent carrément la preuve. La SPR a par conséquent rendu sa décision sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

[13]            Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la SPR sera annulée et l'affaire sera renvoyée à la SPR pour être examinée par un tribunal différemment constitué.

[14]            Il n'y a pas de question à certifier.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    IMM-8205-04

INTITULÉ :                                                   GABERT ALEJANDR ACOSTA

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                            Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 26 juillet 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              le juge Phelan

DATE DES MOTIFS :                                 le 24 août 2005

COMPARUTIONS :

D. Clifford Luyt                                                POUR LE DEMANDEUR

Neeta Logsetty                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Czuma, Ritter                                                   POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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