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     Date : 19990115

     Dossier : IMM-2342-98

ENTRE :

     THONG PHUOC LU,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ

[1]      La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision en date du 30 avril 1998 par laquelle la section d'appel de l'immigration (la Commission) a ordonné le rejet de l'appel formé par le demandeur contre une mesure de renvoi prise le 12 mai 1994.

[2]      Le demandeur est un ressortissant du Vietnam âgé de trente-trois ans. En 1986, le demandeur, ses parents et un de ses frères ont été parrainés par sa soeur aînée. Ils ont obtenu le droit d'établissement au Canada le 24 mars 1992. Au moment de la demande de parrainage, le demandeur était célibataire et était à la charge de son père. Le demandeur s'est marié le 21 avril 1989. En 1992, il avait deux enfants.

[3]      Le demandeur reconnaît qu'il n'a pas divulgué son mariage à l'agent des visas canadien lorsqu'il a présenté sa demande de résidence permanente par l'entremise de l'ambassade du Canada à Bangkok en 1989. Il affirme toutefois avoir déclaré à l'agent d'immigration qui lui a accordé le droit d'établissement à l'aéroport international de Vancouver le 24 mars 1992 qu'il était marié et qu'il avait des enfants. Après avoir obtenu le droit d'établissement, le demandeur a parrainé sa femme et ses enfants. Dans l'intervalle, sa femme l'a quitté pour quelqu'un d'autre. Ses beaux-parents ont pris ses enfants en charge, mais il a subvenu à leurs besoins. Les parents du demandeur, ses deux frères et une soeur aînée vivent au Canada et ont tous la citoyenneté canadienne.

1.      La décision de la Commission

[4]      À l'audience devant la Commission, l'agent d'immigration qui a accordé le droit d'établissement au demandeur à l'aéroport international de Vancouver, M. Vescera, a témoigné qu'il n'avait aucun souvenir particulier du demandeur, mais que si le demandeur avait répondu " oui " à la question " Avez-vous d'autres personnes à votre charge outre celles qui sont mentionnées ci-dessus? ", il aurait paraphé la case 13 et ne lui aurait pas accordé le droit d'établissement.

[5]      Dans sa décision, la Commission mentionne que d'après la case 13 de la fiche relative au droit d'établissement du demandeur celui-ci n'avait aucune personne à sa charge, et que l'agent d'immigration avait encerclé et paraphé la réponse " non " donnée par le demandeur à cette question.

[6]      La Commission mentionne que le demandeur, sa soeur et leur père avaient tous comploté pour tromper les autorités de l'Immigration à l'étranger afin que le demandeur puisse obtenir un visa d'immigrant. La Commission a décidé de croire l'agent d'immigration plutôt que le demandeur :

     [traduction] Compte tenu de l'ensemble de la preuve, je ne suis pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que l'appelant a déclaré à l'agent d'immigration à l'aéroport international de Vancouver qu'il était marié. Je préfère le témoignage de M. Vescera à celui de l'appelant. L'appelant a obtenu le droit d'établissement par suite d'une indication trompeuse sur un fait important. Il est donc une personne visée à l'alinéa 27(1)e) de la Loi. La mesure d'expulsion dont l'appelant fait l'objet est valide en droit1.         

[7]      Pour statuer sur la deuxième question soulevée dans le cadre de l'appel formé en vertu de l'alinéa 70(1)b) de la Loi sur l'immigration2 (la Loi), la Commission a procédé ainsi :

     [traduction] Les circonstances que la section d'appel prend en considération lorsqu'elle exerce son pouvoir discrétionnaire dans le cadre d'un appel fondé sur l'alinéa 70(1)b) de la Loi sont les suivantes :         
     (1)      la gravité de l'indication trompeuse qui a entraîné la mesure d'expulsion prise contre l'appelant;         
     (2)      le degré d'enracinement de l'appelant au Canada;         
     (3)      l'importance des épreuves que l'appelant subirait en retournant dans le pays dont il a la nationalité;         
     (4)      la présence de membres de la famille au Canada et la séparation que l'expulsion de l'appelant pourrait leur occasionner.         

La Commission a conclu que [traduction] " les circonstances défavorables à l'appelant l'emportent sur les circonstances qui lui sont favorables ".

[8]      L'avocat du demandeur a énergiquement et éloquemment contesté la décision de la Commission en invoquant deux moyens : premièrement, la Commission n'aurait pas dû préférer le témoignage de l'agent d'immigration à ceux du demandeur et de ses témoins sans fournir de motifs et, deuxièmement, la Commission a entravé l'exercice du pouvoir discrétionnaire que lui accorde l'alinéa 70(1)b) de la Loi en ne tenant aucun compte de la circonstance très importante qu'est l'appui offert au demandeur au Canada.

2.      La divulgation faite à l'aéroport de Vancouver

[9]      Puisque la Commission devait faire un choix entre la version du demandeur, qui avait tout à gagner en affirmant qu'il avait divulgué l'information, et celle de l'agent d'immigration, qui n'avait aucun intérêt particulier dans l'affaire, la Cour trouve compréhensible que la Commission ait préféré la version de l'agent d'immigration, à condition, bien entendu, qu'elle soit étayée par la preuve. Il ressort de l'examen des motifs fournis par la Commission que sa conclusion repose sur les faits suivants : la case 13 de la fiche relative au droit d'établissement indique que le demandeur n'avait aucune personne à sa charge; l'agent d'immigration Vescera a déclaré qu'il avait encerclé et paraphé la réponse " non " donnée par le demandeur; le demandeur a signé sa fiche relative au droit d'établissement à la case 40; le demandeur a déclaré dans sa déclaration solennelle en date du 30 juillet 1989 qu'il n'avait jamais été marié; et le demandeur est parvenu à tromper les autorités au Vietnam et l'agent des visas à l'étranger. La Commission pouvait certainement préférer la version de l'agent d'immigration vu ces motifs qui, de fait, apparaissent dans sa décision.

3.      Le pouvoir discrétionnaire conféré à la Commission par l'alinéa 70(1)b) de la Loi sur l'immigration

[10]      L'alinéa 70(1)b) dispose que le résident permanent visé par une mesure de renvoi peut interjeter appel auprès de la section d'appel au motif que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, il ne devrait pas être renvoyé du Canada. Les circonstances en question sont énoncées dans l'affaire Ribic, Marida c. M.E.I.3. Elles comprennent :

     (1)      les circonstances de l'indication trompeuse qui a entraîné l'expulsion;         
     (2)      le temps que l'appelant a passé au Canada et son degré d'enracinement;         
     (3)      la présence de membres de la famille au Canada et la séparation que l'expulsion de l'appelant pourrait leur occasionner;         
     (4)      l'appui offert à l'appelant au Canada;         
     (5)      l'importance des épreuves que l'appelant subirait en retournant dans le pays dont il a la nationalité.         

[11]      Ainsi qu'il vient d'être mentionné, la Commission mentionne seulement quatre circonstances dans sa décision et, selon le demandeur, elle n'a pas tenu compte de la circonstance (4) mentionnée dans l'affaire Ribic, soit " l'appui offert à l'appelant au Canada ". L'avocat du demandeur soutient que son client a démontré à la Commission qu'un appui lui est offert dans la collectivité, notamment au moyen de lettres de référence fournies par nombreuses connaissances, ainsi que des dépositions de deux témoins de moralité. Par conséquent, la Commission aurait entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en ne tenant aucun compte de ces éléments de preuve importants.

[12]      Les cinq circonstances que mentionne la Commission d'appel de l'immigration dans l'affaire Ribic ne sont pas exhaustives. D'autres circonstances peuvent être prises en considération. Dans l'affaire O'Connor c. Canada4, la Commission a statué que [traduction] " ces circonstances ne sont pas exhaustives et le poids que la section d'appel doit accorder à chacune d'elles dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire varie en fonction des circonstances de l'espèce ".

[13]      La Commission mentionne effectivement (à la p. 4) que [traduction] " de nombreuses lettres de référence provenant d'amis de l'appelant au Canada ont été soumises en preuve ". Pour ce qui est de l'appui offert au demandeur au Canada, la Commission déclare (à la p. 8) que [traduction ] " l'appelant a vécu au Canada pendant cinq ans et demi. Il a travaillé pendant presque toute cette période. Il est enraciné au Canada jusqu'à un certain point. Les parents de l'appelant, ses deux frères et sa soeur sont tous des résidents canadiens ". La Commission a également tenu compte du fait que [traduction ] " à son retour au Vietnam, l'appelant retrouvera les membres de sa famille qui lui sont les plus proches, soit ses deux jeunes enfants ". En ce qui concerne son renvoi au Vietnam, la Commission a également fait remarquer que les trois frères du demandeur qui vivent au Vietnam et leurs familles [traduction ] " lui fourniront un soutien moral et affectif ".

[14]      Enfin, il ressort clairement de la jurisprudence que la Cour ne doit pas modifier la décision de la Commission lorsque celle-ci exerce sa compétence en equity, à moins qu'elle ait agi de mauvaise foi, qu'elle ait été influencée par des considérations inappropriées ou qu'elle ait agi de façon arbitraire ou illégale5. Ce n'est pas le cas en l'espèce. La Commission a correctement exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'alinéa 70(1)b) de la Loi.

4.      Dispositif

[15]      Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il est acquis qu'il n'y a aucune question de portée générale à certifier.

                                 (S) " J. E. Dubé "

                                         J.C.F.C.

Vancouver (Colombie-Britannique)

15 janvier 1999

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                  IMM-2342-98

INTITULÉ :                          THONG PHUOC LU
                             c.
                             MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :                  Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 14 janvier 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE DUBÉ

en date du 15 janvier 1999

COMPARUTIONS :

     Andrew Wlodyka                  pour le demandeur

     Emilia Péch                      pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

     Wong & Associates                  pour le demandeur

     Vancouver (C.-B.)

     Morris Rosenberg                  pour le défendeur

     Sous-procureur général

     du Canada

__________________

     1      Dossier du demandeur, à la p. 11.

     2      Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée.

     3      Ribic, Marida c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (C.A.I. 84-9623), D. Davey, Benedetti, Petryshyn, 20 août 1985 (voir CCDJ, no 86.10, 14 mai 1986).

     4      O'Connor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 21 Imm. L.R. (2d) 64 (S.A.I.).

     5      Boulis c. M.M.I., [1974] R.C.S. 875.

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