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Date : 20011123

Dossier : DES-5-01

Référence neutre : 2001 CFPI 1288

AFFAIRE INTÉRESSANT une attestation remise en vertu

de l'article 40.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi);

ET le renvoi de cette attestation à la Cour fédérale du Canada

en vertu de l'alinéa 40.1(3)a) de la Loi;

ET Hassan Almrei

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER

[1]                 Il s'agit d'une décision au fond rendue en vertu de l'alinéa 40.1(4)d) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, dans sa forme modifiée, (la Loi) au sujet de la question de savoir si l'attestation remise par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et par le solliciteur général du Canada conformément à l'article 40.1 de la Loi était raisonnable.


I.          Nature de l'instance

[2]                 J'aimerais au départ donner un aperçu du mécanisme d'examen établi en vertu de l'article 40.1. Mon collègue, Madame le juge McGillis, a fait un excellent résumé de la question dans la décision Ahani c. la Reine (1995) 100 F.T.R. 261.

[3]                 Selon le régime établi à l'article 40.1, le ministre et le solliciteur général doivent fonder la décision selon laquelle une personne appartient à une catégorie non admissible uniquement sur les « renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité dont ils ont eu connaissance » .

[4]                 La remise de l'attestation ministérielle à un agent d'immigration ou à d'autres fonctionnaires désignés met en branle diverses procédures prévues par la loi, y compris la détention obligatoire de l'intéressé et le renvoi de l'attestation à la Cour pour qu'elle détermine si l'attestation est raisonnable.

[5]                 Dans les trois jours suivant la remise, le ministre est tenu « d'envoyer un avis » à l'intéressé pour l'informer de la remise et du fait que, à la suite du renvoi à cette cour, il pourrait faire l'objet d'une mesure d'expulsion.

[6]                 Dans les sept jours du renvoi de l'attestation à la Cour, le juge en chef ou le juge qu'il délègue examine à huis clos les renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité dont le ministre et le solliciteur général ont eu connaissance et recueille les autres éléments de preuve ou d'information présentés en leur nom.

[7]                 Le juge délégué fournit ensuite à l'intéressé un résumé des informations dont il dispose afin de permettre à celui-ci d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu à l'attestation. Le juge délégué donne en outre à l'intéressé la possibilité d'être entendu.

[8]                 Aux termes de son examen, le juge délégué décide si l'attestation est raisonnable compte tenu des éléments de preuve et d'information portés à sa connaissance. La décision rendue par le juge délégué ne peut être portée en appel ni être revue par aucun tribunal. (Pour un résumé plus détaillé, voir Ahani, précité).


[9]                 Il est maintenant bien établi que l'unique question qui se pose dans une instance visée à l'alinéa 40.1(4)d) est de savoir si l'attestation remise par le ministre et par le solliciteur général est raisonnable, compte tenu des éléments d'information à la disposition du juge délégué. Comme le juge McGillis l'a dit dans la décision Ahani, précitée, à la page 268, « [l]'instance prévue à l'article 40.1 de la Loi sur l'immigration vise seulement et exclusivement à déterminer le caractère raisonnable de l'attestation ministérielle qui certifie que la personne qui y est nommée appartient à une catégorie déterminée de personnes non admissibles. Cet article de la loi ne traite pas de la question de l'expulsion » .

II.         Historique

[10]            Le 16 octobre 2001, le ministre de l'Immigration et de la Citoyenneté et le solliciteur général du Canada respectivement ont signé une attestation en vertu de l'article 40.1, indiquant qu'à la lumière de renseignements secrets en matière de sécurité dont ils ont eu connaissance, ils étaient d'avis que Hassan Almrei appartenait à l'une des catégories visées au sous-alinéa 19(1)c.1)(ii), aux alinéas 19(1)c.2), d), e), f), g), j), k) ou l) ou au sous-alinéa 19(2)a.1)(ii).

[11]            Le 19 octobre 2001, le ministre a renvoyé l'attestation à la Cour en vertu de l'alinéa 40.1(3)a) de la Loi, pour qu'il soit décidé si l'attestation devait être annulée.

[12]            Conformément à l'alinéa 40.1(4)a) de la Loi, j'ai tenu une audience à huis clos dans les sept jours qui ont suivi le renvoi de l'attestation à la Cour.


[13]            Le 24 octobre 2001, conformément à l'alinéa 40.1(4)b), j'ai signé une ordonnance prévoyant la signification à M. Almrei d'un résumé des informations dont je disposais, afin de lui permettre d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu à l'attestation. L'ordonnance donne en outre à M. Almrei la possibilité d'être entendu à Toronto, le mardi 13 novembre, à 9 h 30.

  

[14]            Au début de l'audience, le 13 novembre, les avocats du défendeur ont demandé que l'audience soit ajournée pour le motif que M. Almrei n'avait pas encore fait appel à leurs services et qu'on leur avait refusé l'accès à leur client. J'ai accordé l'ajournement et l'audience a repris le 19 novembre 2001.

[15]            Au début de l'audience, le demandeur a déposé d'autres documents qui ont été découverts à la suite d'une recherche effectuée par la GRC sur l'ordinateur de M. Almrei. Il y avait entre autres de nombreuses photos d'Osama Bin Laden et d'autres membres de l'Al Qaeda, et notamment de l'individu qui avait organisé le détournement, Mohammed Atta, ainsi que des photos d'un poste de pilotage d'avion, d'un insigne d'agent de sécurité, de copies de passeports, d'armes militaires et de soldats russes avec des documents d'identification.


[16]            L'avocate du défendeur a ensuite présenté à la Cour une requête visant à faire entendre à huis clos le témoignage de M. Almrei et à obtenir un voir-dire permettant de déterminer s'il était possible d'entendre ce témoignage à huis clos. Toutefois, l'avocate n'a pas expliqué à la Cour pourquoi il fallait entendre tout le témoignage à huis clos, sauf pour dire qu'il n'était pas possible de retrancher les parties du témoignage qui pouvaient être entendues en public.

  

[17]            Étant donné qu'une bonne partie du témoignage se rapporterait au résumé qui a été fourni au défendeur (lequel fait déjà partie du domaine public), j'ai proposé que M. Almrei témoigne en public, quitte à ce que, s'il se posait un problème, l'audience soit interrompue de façon à permettre aux avocats de faire valoir leur point de vue. Pareille façon de procéder permettrait de répondre à l'assertion antérieure de Me Jackman selon laquelle une partie seulement du témoignage de M. Almrei devait être entendue à huis clos :

[TRADUCTION] Le fait que certains éléments de preuve que M. Almrei pourrait présenter risqueraient de mettre en danger d'autres individus nous préoccupe dans une certaine mesure. En ce qui concerne ces aspects du témoignage, nous voudrions donc que l'audience ait lieu à huis clos. (Transcription, vol. 1, page 6).

[18]            Toutefois, à la suite d'un bref ajournement, le défendeur a décidé de ne pas témoigner.

III.        Demande d'audience à huis clos


[19]            Selon un principe fondamental, les audiences devraient avoir lieu en public. La Cour peut ordonner que l'instruction d'une instance se déroule en totalité ou en partie à huis clos si, après avoir entendu les arguments des parties, elle est d'avis que l'audience ne devrait pas être publique. Ce principe est confirmé par les paragraphes 29(1) et (2) des Règles de la Cour fédérale.

[20]            Dans l'arrêt Nouvelle-Écosse c. MacIntyre, [1982] 1 R.C.S. 175, la Cour suprême du Canada a établi le principe selon lequel la restriction de l'accès du public ne peut se justifier que s'il est nécessaire de protéger « des valeurs sociales qui ont préséance » . À la page 183, la Cour a signalé que « [l]a publicité est le souffle même de la justice » .

[21]            Dans l'arrêt Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 480, Monsieur le juge La Forest a noté que c'est à la partie qui demande l'exclusion des médias et du public qu'incombe la charge de justifier la dérogation à la règle de la publicité des procédures et qu'il doit exister au dossier une preuve suffisante à l'appui de l'exclusion (preuve présentée dans le cadre d'un voir-dire).

[22]            Récemment, dans l'arrêt R. c. Mentuck, [2001] A.C.S. no 73, paragraphe 39, la Cour suprême du Canada a réitéré que le concept des audiences publiques était important : « C'est justement parce que la présomption voulant que les procédures judiciaires soient publiques et que leur diffusion ne soit pas censurée est si forte et si valorisée dans notre société que le juge doit disposer d'une preuve convaincante pour ordonner une interdiction » .


[23]            En outre, dans l'arrêt R. c. A., [1990] 1 R.C.S. 992, page 993, la Cour suprême du Canada a indiqué que les arguments concernant l'exclusion doivent être présentés en audience publique. « Après avoir entendu les plaidoiries et les arguments présentés oralement, en audience publique, faisant valoir le danger que leur divulgation causerait pour la vie et la sécurité de B et C, la Cour a accordé la requête. L'ordonnance accordant cette requête a également été prononcée en audience publique. » (Non souligné dans l'original.)

[24]            Comme il en a ci-dessus été fait mention, la preuve peut au besoin être présentée dans le cadre d'un voir-dire, mais cela n'empêche pas l'avocat d'avoir à justifier la nécessité de tenir une audience à huis clos au moyen d'arguments présentés oralement, en audience publique. Comme l'a souligné Me Schabas, avocat du Toronto Star intervenant, une audience n'a pas lieu à huis clos [TRADUCTION] « simplement sur les dires d'un avocat » .

[25]            En l'espèce, aucune explication n'a été fournie à la Cour au sujet de la raison pour laquelle la divulgation pourrait mettre d'autres individus en danger ou au sujet des individus qui peuvent être en danger. Je dois supposer, à la lecture des interviews que l'avocate du défendeur, Me Jackman, a accordées aux médias, que la divulgation mettrait en danger la vie ou la sécurité de certains associés de M. Almrei dans d'autres pays.


[26]            En outre, aucune explication n'a été fournie à la Cour au sujet des raisons pour lesquelles, par exemple, les faits se rapportant aux déplacements de M. Almrei et à son statut au Canada ainsi qu'à son entrevue avec le SCRS devraient faire l'objet d'une audience à huis clos. Étant donné que ces faits figurent dans le résumé qui a été fourni à M. Almrei, lequel relève du domaine public, je ne puis constater l'existence d'aucune raison pour laquelle pareils renseignements pourraient mettre d'autres individus en danger.

[27]            En outre, Me Jackman n'a pas expliqué pourquoi M. Almrei ne pouvait pas témoigner afin d'expliquer pourquoi les photos se trouvaient sur son ordinateur. Toutefois, des raisons ont été données aux médias en dehors de la salle d'audience par l'avocate, qui a déclaré que ces photos étaient tirées d'articles que M. Almrei lisait en direct. À coup sûr, en parlant aux médias à ce sujet, Me Jackman était convaincue que ces renseignements ne mettraient pas en danger la vie ou la sécurité des associés de son client. Le témoignage se rapportant à ces renseignements n'a donc pas à être présenté à huis clos.


[28]            Comme il en a ci-dessus été fait mention, étant donné qu'aucune raison justifiant la tenue d'une audience à huis clos n'a été fournie, j'ai proposé d'entendre le témoignage en public, en ajoutant que, s'il se posait un problème, j'étais prête à entendre les arguments à huis clos. Cette procédure est semblable à l'approche proposée par Monsieur le juge Trafford dans la décision Toronto Star Newspapers Ltd. c. Ontario, [2000] O.J. no 2398, paragraphe 34 :

[TRADUCTION] Il importe de faire remarquer que, quoi qu'il en soit, il aurait été préférable de commencer en public l'audition de la demande visant à faire sceller les renseignements et de faire sortir le public pour une brève période en vue de permettre aux avocats de traiter des renseignements dans le cadre de l'argumentation, s'il s'avérait nécessaire de le faire.

  

[29]            Toutefois, M. Almrei a rejeté cette proposition et il a décidé de ne pas témoigner.

IV.        Caractère raisonnable de l'attestation

[30]            Comme c'était le cas dans la décision Al Sayegh (Re), [1997] A.C.F. no 537, la décision de M. Almrei de ne pas témoigner constitue une omission de sa part de se prévaloir de la possibilité d'être entendu. Par conséquent, le seul élément de preuve mis à ma disposition est celui qui a été présenté à l'audience qui a eu lieu, conformément à l'alinéa 40.1(4)a) de la Loi, le 24 octobre 2001.

[31]            Les renseignements confidentiels, que je ne puis divulguer, étayent fortement la thèse voulant que M. Almrei soit membre d'un réseau international d'extrémistes qui appuient les idéaux islamiques extrémistes épousés par Osama Bin Laden et qu'il fasse partie d'un réseau de faussaires ayant des liens internationaux qui produit de faux documents.


[32]            Compte tenu de la preuve qui m'a été présentée à huis clos le 24 octobre, je n'hésite pas à conclure que l'attestation que le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et le Solliciteur général du Canada ont signée est raisonnable.

    

« Danièle Tremblay-Lamer »

JUGE

OTTAWA (ONTARIO),

le 23 novembre 2001.

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                                                                      DES-5-01

INTITULÉ :                                                                     AFFAIRE INTÉRESSANT une attestation remise en vertu de l'article 40.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi);

ET le renvoi de cette attestation à la Cour fédérale du Canada en vertu de l'alinéa 40.1(3)a) de la Loi;

ET Hassan Almrei

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           les 13 et 19 novembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           Madame le juge Tremblay-Lamer

DATE DES MOTIFS :                                                  le 23 novembre 2001

  

COMPARUTIONS :

M. Robert Batt                                                                  pour le ministre de la Citoyenneté et

M. Murray Rodych                                                            de l'Immigration et le procureur général du Canada

Mme Barbara Jackman                                                     pour Hassan Almrei

M. Clifford Luyt

  

- 2 -

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MORRIS ROSENBERG

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

OTTAWA (ONTARIO)                                                  POUR LE MINISTRE

JACKMAN, WALDMAN ET ASSOCIÉS

Avocats

Toronto (Ontario)                                                              POUR LE DÉFENDEUR

   

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