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Date : 20000824

Dossier : IMM-5870-99

ENTRE :

                                                               MORIE B. LAHAI

                                                                                                                                      demandeur

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                        ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SIMPSON

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), d'une décision par laquelle la Section du statut de réfugiéde la Commission de l'immigration et du statut de réfugié(la Commission) a, en date du 9 novembre 1999, jugéque le demandeur ntait pas un réfugiéau sens de la Convention.


Les faits

[2]         La revendication du demandeur a étépour la première fois entendue et rejetée par une formation composée de deux membres. Par la suite, la Commission a admis qu'elle avait manquéau principe de justice naturelle en rendant par erreur sa décision sans avoir pris connaissance des éléments de preuve supplémentaires du demandeur. Par conséquent, une nouvelle audience a étéprévue devant un seul commissaire. C'est la décision rendue par ce seul commissaire lors de la nouvelle audience qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[3]         Le demandeur, âgéde 35 ans, est un citoyen de la Sierra Leone. Sa femme, ses deux fils et d'autres membres de sa famille vivent toujours dans ce pays. Le demandeur était banquier à la banque commerciale Sierra Leone à Freetown. Il s'est décrit lui-même comme un [TRADUCTION] « cadre intermédiaire » . Pendant la période suivant laquelle une junte militaire a retiréle pouvoir au gouvernement civil qui dirigeait la Sierra Leone, seule la banque du demandeur est restée ouverte.


[4]         En février 1998, un gouvernement civil a remplacéla junte. Le demandeur a déclaréque [TRADUCTION] « tous ceux qui ont travailléet reçu un salaire pendant la junte sont devenus la cible de harcèlement et d'interrogatoire » . Le demandeur a déclaréque lui et d'autres [TRADUCTION] « cadres » de la banque ont étéinterrogés relativement à leur conduite quand la banque était exploitée sous le règne de la junte. Il semble que les employés de la banque qui avaient fui le pays quand la junte s'est emparée du pouvoir ont fait des allégations selon lesquelles les employés qui sont restés étaient soit des collaborateurs soit des partisans de la junte. Ces allégations étaient particulièrement dirigées sur des cadres supérieurs de la banque. Le demandeur a admis qu'il ntait pas un cadre supérieur.

[5]         Le demandeur déclare que certains cadres supérieurs de la banque ont étédétenus par le gouvernement civil et ont étéaccusés de trahison. Le demandeur prétend qu'on lui a ordonnéde donner un faux témoignage contre les accusés. On lui a dit que s'il refusait, il serait accuséd'un crime passible de la peine de mort. Le demandeur a d'abord acceptéde collaborer, mais il a plus tard décidéde se sauver. Pour quitter la Sierra Leone, le demandeur a passépar la Guinée afin d'y obtenir un visa de visiteur de l'ambassade canadienne.

[6]         Le gouvernement canadien a délivréun visa de visiteur au demandeur le 10 octobre 1998. La demande de visa du demandeur était appuyée par des lettres de sa banque, de l'ambassade de la Sierra Leone en Guinée, et d'une lettre de M. Mohamed Swaray, président d'une entreprise appelée Global Exchange à Halifax (Nouvelle-Écosse). La lettre de M. Swaray informait l'ambassade canadienne en Guinée que Global Exchange invitait le demandeur à visiter Halifax pendant trois semaines pour discuter des liens d'affaires entre le demandeur et l'entreprise, qui venait dtablir une sociétéaffiliée en Sierra Leone. Le demandeur devait également rencontrer des clients potentiels intéressés à travailler avec l'entreprise et à faire des affaires en Sierra Leone. Après avoir obtenu son visa en Guinée, le demandeur est retournéen Sierra Leone.


[7]         Le demandeur est entréau Canada le 11 novembre 1998, et a demandéle statut de réfugiéau sens de la Convention le 17 novembre 1998. Il a comparu devant un tribunal de la Commission composéde deux personnes le 4 mai 1999. Pendant l'audience (la première audience), la Commission a indiquéqu'elle procéderait à une enquête indépendante relativement à certaines questions, et elle a invitéle demandeur à déposer des documents relativement à ces questions.

[8]         Après la première audience, le demandeur a trouvédes preuves documentaires de la persécution de cadres de la banque commerciale Sierra Leone à cause de leur prétendue collaboration avec l'ancienne junte militaire. Ces documents ont étéenvoyés à la Commission, mais il paraît qu'ils n'ont pas étéremis aux commissaires avant qu'ils ne rendent leur décision le 7 juillet 1999 (la première décision).

[9]         Le 27 juillet 1999, le demandeur a présentéune requête devant la Commission en vue d'obtenir la réouverture de sa revendication, conformément à la règle 28 des Règles de la section du statut de réfugié, au motif que le défaut de la Commission de prendre connaissance de son nouvel élément de preuve équivalait à un déni de justice naturelle. La Commission a accueilli la requête du demandeur.


[10]       Le 6 octobre 1999, le demandeur a consenti à ce que sa nouvelle audience (la seconde audience) se tienne devant un seul commissaire. Par la suite, le 13 octobre 1999, le commissaire a envoyéune lettre à l'avocat du demandeur (la lettre) précisant la liste des pièces que la Commission examinerait lors de la seconde audience. La liste comprenait les documents dont disposait la Commission lors de la première audience, les nouveaux éléments de preuve, et (de manière significative) la décision de la Commission suivant la première audience. Le commissaire a indiquédans la lettre qu'il avait lu la documentation et qu'il ne serait pas nécessaire de répéter les renseignements qu'elle contenait. Il a dit que l'accent devrait être mis sur des [TRADUCTION] « éclaircissements, élaborations, aperçus, etc. » .

[11]       La seconde audience a eu lieu le 21 octobre 1999. Le demandeur a témoignélors de l'audience, comme l'a fait un témoin favorable, M. Swaray de Global Exchange. Le demandeur a parléen détail de tous les aspects de sa revendication du statut de réfugié.

La décision de la Commission

[12]       Dans sa décision du 9 novembre 1999 (la seconde décision), la Commission a rejetéla revendication du statut de réfugiédu demandeur au motif que celui-ci n'avait pas présentéune preuve suffisante pour démontrer qu'il était un réfugiéau sens de la Convention. Elle a signaléque le témoignage du demandeur et la preuve documentaire ne montraient même pas la [TRADUCTION] « simple possibilité » qu'il serait confrontéà la persécution en Sierra Leone.


[13]       La Commission a signaléque la crainte de persécution alléguée par le demandeur était fondée sur son refus de donner un faux témoignage au procès de cadres supérieurs de la banque et sur sa fuite de la Sierra Leone afin de ne pas avoir à témoigner. Toutefois, la Commission a constatéqu'il n'y avait pas de preuve attestant que le procès a bien eu lieu et que les cadres supérieurs de la banque ont depuis étélibérés. Il n'y avait pas de preuve non plus relativement au fait que le gouvernement civil aurait étéportéà considérer le demandeur comme un traître parce qu'il ntait pas au courant de la décision de ce dernier de ne pas témoigner. En outre, le gouvernement n'avait pas congédiéle demandeur de son emploi à la banque, il n'y avait aucune preuve non plus selon laquelle le gouvernement estimait que le demandeur avait commis un crime.

[14]       Au moment de l'audience, la junte militaire rebelle avait de nouveau occupéFreetown. Toutefois, la Commission a également rejetéles prétentions du demandeur selon lesquelles il serait persécutépar la junte au motif qu'il n'y avait pas de preuve qu'ils persécuteraient le demandeur. En fait, ses expériences avec la junte avaient étépositives. Pendant le gouvernement militaire, le demandeur avait conservéson poste à la banque et avait obtenu une promotion.

Les questions en litige

[15]       Le demandeur a reconnu que la seconde audience devait être une nouvelle audition après l'annulation par la Commission de sa première décision. Cependant, le demandeur a dit, pendant la seconde audience, que la Commission avait manquéau principe de justice naturelle parce que le commissaire :

1)          n'a pas réellement traité l'affaire comme une nouvelle audition et n'a pas permis à l'avocat du demandeur de présenter son affaire au complet, préférant plutôt se fonder sur la première décision;

2)          a lu la première décision et a fait de la première décision une pièce de la seconde audition, viciant ainsi la possibilité d'un vrai procès de novo.


Analyse

Première question en litige

[16]       La façon de procéder du commissaire lors de la seconde audience n'a pas, contrairement aux prétentions du demandeur, amoindri la présentation de sa revendication du statut de réfugié. Le demandeur a soulignécinq endroits dans la transcription de la seconde audience où, selon lui, le commissaire a restreint la preuve. J'ai examinéchaque référence et j'ai conclu que, dans chacune des situations, le commissaire n'a fait qu'organiser la procédure. Àtoutes les fois oùil a demandéque les nouveaux documents soient examinés en premier, il a également dit que l'ensemble de la preuve serait entendu. De même, à une reprise, il a décidéque deux documents devaient être abordés dans les observations plutôt que dtre présentés par un témoin. Toutefois, il n'a jamais refusédes documents, et il n'a pas restreint la portée de la présentation de l'avocat. En fait, à plusieurs reprises le commissaire est intervenu en posant des questions pour s'assurer qu'il recevait toute l'information pertinente. Il est manifeste après examen de la transcription que le commissaire avait l'intention d'entendre toute la preuve et toutes les observations présentées au soutien de la revendication du demandeur et qu'il l'a réellement fait.

Deuxième question en litige

[17]       La deuxième question est de savoir si, simplement en lisant la première décision, le commissaire est devenu incapable de tenir une nouvelle audition conformément aux principes de justice naturelle. Ou, dit d'une autre façon, est-ce qu'une crainte raisonnable de partialitéa étésoulevée du fait que le commissaire a lu la première décision?

[18]       Je suis d'avis qu'une personne avertie qui a examinél'affaire d'une manière réfléchie, réaliste et pratique ne pourrait pas conclure que le commissaire qui a tenu la seconde audition ne pouvait pas procéder avec un esprit ouvert seulement parce qu'il avait lu la première décision[1]. Comme le commissaire qui a tenu la seconde audience ne l'ignorait certainement pas, la première décision était fondée sur des renseignements incomplets. Par conséquent, il est raisonnable de conclure qu'il a lu la première décision avec cette lacune à l'esprit.

[19]       J'estime que, compte tenu des circonstances de la présente affaire, et notamment du fait que l'ensemble de la preuve pertinente a étéentendu lors de la seconde audience et du fait que la seconde décision ne renvoyait pas à la première, la neutralitédu commissaire n'est pas automatiquement mise en doute seulement parce qu'il a lu la décision antérieure de ses collègues.

[20]       La question suivante est de savoir si la situation a changéparce que la première décision a étédéposée comme pièce dans la seconde audience. Àmon avis, ce geste a simplement eu pour effet de rendre public le fait que le commissaire avait lu la première décision. Ce geste de divulgation n'a pas crééune crainte raisonnable de partialité.

Conclusion

[21]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


Certification

[22]       Le demandeur a posé, et je l'ai accepté, la question suivante aux fins de la certification :

Y a-t-il manquement au principe de justice naturelle si un commissaire lit une décision antérieure défavorable avant l'audition d'une nouvelle revendication du statut de réfugié?

« Sandra J. Simpson »

Juge

Vancouver, (C.-B.)

le 24 août 2000

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.


                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

INTITULÉDE LA CAUSE :                        MORIE B. LAHAI

                          demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                                         défendeur

DOSSIER :                                                    IMM-5870-99

LIEU DE L'AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 10 août 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE SIMPSON

EN DATE DU :                                              24 août 2000

ONT COMPARU :

M. Davies Bagambiire                                          pour le demandeur

M. Negar Hashimi                                                    pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davies Bagambiire                                                             pour le demandeur

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                   pour le défendeur

Sous-procureur général du canada

Ottawa (Ontario)                 



     [1]       Cette affirmation paraphrase le critère de la crainte raisonnable de partialité énoncé par le juge Grandpré, auteur de motifs dissidents dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'Énergie, [1978] 1R.C.S. 369, appliqué par la Cour suprême du Canada plus récemment dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 46.


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