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Date : 20060612

Dossier : IMM-5637-05

Référence : 2006 CF 734

OTTAWA (ONTARIO), LE 12 JUIN 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

ADNAN AZIZ SOMANI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire fait suite à une décision en date du 30 août 2005 par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d'asile présentée par le demandeur en vue de se faire reconnaître la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger. Cette décision reposait en grande partie sur des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité, bien que la Commission ait estimé, à titre subsidiaire, que le demandeur disposait d'une possibilité de refuge intérieur. Les conclusions que la Commission a tirées sur le fond sont sans intérêt en ce qui concerne la présente demande parce que la seule question qui a été soulevée lors des débats porte sur le fait que la Commission a procédé aux interrogatoires « dans l'ordre inversé » en vertu des Directives no 7 du président de la Commission (Directives concernant la préparation et la tenue des audiences à la Section de la protection des réfugiés). Le demandeur affirme que l'application de ce protocole d'interrogatoire a donné lieu à un manquement aux principes de justice naturelle et d'équité procédurale.

 

[2]               L'avocat actuel du demandeur a reconnu à l'audience que j'ai présidée que l'avocat qui occupait par le demandeur devant la Commission ne s'était pas opposé au recours à la procédure d'interrogatoire dans l'ordre inversé. Il a également admis que le demandeur ne souffrait pas d'une vulnérabilité qui aurait justifié que l'interrogatoire se déroule dans un ordre différent, comme le prévoit l'article 23 des Directives no 7. Il ressort par ailleurs du procès-verbal de l'audience de la Commission que la procédure suivie n'était pas particulièrement de type contradictoire. L'avocat du demandeur s'est prévalu de la possibilité qui lui était offerte d'interroger assez longuement son client pour préciser et compléter les éléments de preuve qui appuyaient sa demande de réparation. En résumé, il n'y a rien dans le dossier qui permette de penser que la façon dont le demandeur a été interrogé l'a effectivement désavantagé de quelque façon que ce soit.

 

[3]               Le demandeur soutient maintenant que l'interrogatoire dans l'ordre inversé constitue une entrave à l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission qui rend en soi la décision de celle-ci susceptible d'annulation. Sur ce point, il table fortement sur la décision rendue par le juge Edmond Blanchard dans l'affaire Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2006] A.C.F. no 8, 2006 CF 16. Suivant le défendeur, il n'existe en l'espèce aucun fondement probatoire qui permette de conclure que la Commission a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire ou a violé un principe d'équité et il soutient qu'en tout état de cause, la procédure que la Commission a suivie n'a aucunement désavantagé le demandeur. Le défendeur se fonde pour sa part sur la décision du juge Richard Mosley dans l'affaire Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2006] A.C.F. no 631, 2006 CF 461.

 

[4]                 Il est acquis aux débats qu'il n'est pas nécessaire de se livrer à une analyse fonctionnelle et pragmatique lorsqu'il s'agit d'apprécier des allégations de déni de justice naturelle ou de manquement à l'équité procédurale. Si elle conclut à un manquement aux principes de justice naturelle ou d'équité procédurale, la Cour n'a pas à faire preuve de retenue judiciaire; elle annulera la décision de la Commission (voir le jugement Benitez, précité, au paragraphe 44).

 

[5]               Il ressort également des jugements Thamotharem et Benitez, précités, que l'interrogatoire dans l'ordre inversé ne contredit pas en soi les principes de justice naturelle bien que, dans certains cas, l'équité peut exiger une procédure différente. Ce qui compte, dans tous les cas, c'est que la procédure suivie ne limite pas de manière inéquitable le droit de l'intéressé d'exposer pleinement sa cause (voir les jugements Benitez, précité, aux paragraphes 77 et 120, et Thamotharem, précité, au paragraphe 53). Dans le cas qui nous occupe, rien ne permet de concoure que l'application des Directives no 7 a limité injustement le droit du demandeur d'exposer pleinement sa cause et, d'ailleurs, ce n'est pas ce que le demandeur prétend.

 

[6]               À la différence du dossier des affaires Thamotharem et Benitez, précitées, je ne dispose en l'espèce d'aucun élément de preuve qui appuie l'allégation que la Commission a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire dans la manière dont elle a appliqué les Directives no 7. Les seuls éléments de preuve dont je dispose sont ceux qui ont effectivement été soumis à la Commission et sur lesquels celle-ci s'est fondée pour rendre sa décision sur le fond. Pour ce qu'elle peut valoir, je souscris à la conclusion que le juge Mosley a tirée d'après le dossier dont il disposait en estimant qu'aucune entrave générale du pouvoir discrétionnaire n'était évidente (voir le paragraphe 171). Dans la mesure où les conclusions tirées dans l'affaire Benitez, précitée, diffèrent de celles qui ont été dégagées dans l'affaire Thamotharem, précitée, je souscrirais à celles auxquelles est parvenu le juge Mosley dans la première décision.

 

[7]               Enfin, je suis d'accord avec le juge Mosley pour dire que le défaut d'une partie de s'opposer en temps utile à une procédure inéquitable et notamment à une entrave à l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, constitue une renonciation implicite. Comme il ne s'est pas opposé à l'application des Directives no 7 lorsque la Commission était saisie de l'affaire, le demandeur n'est plus recevable à soulever cette question pour la première fois devant le présent tribunal (voir le jugement Benitez, précité, aux paragraphes 221 et 237).

 

[8]               En conséquence, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Toutefois, comme les questions soulevées en l'espèce font maintenant l'objet d'un appel qui est en instance, on m'a demandé de certifier les mêmes questions que celles qui ont été certifiées dans le jugement Benitez, précité, au paragraphe 243. Je suis d'accord et je vais donc certifier les questions suivantes :

 

1.         Les Directives no 7, prises en vertu du pouvoir du président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, contreviennent-elles aux principes de justice fondamentale consacrés par l’article 7 de la Charte des droits et libertés en limitant indûment le droit d’un demandeur d’asile d’être entendu et son droit à un procureur?

2.         L’application des paragraphes 19 et 23 des Directives no 7 prises par le président contrevient-elle aux principes de justice naturelle?

3.         L’application des Directives no 7 constitue-t-elle une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés?

4.         Une conclusion selon laquelle les Directives no 7 entravent l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés signifie-t-elle nécessairement que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, sans qu’il soit tenu compte du fait que l’équité procédurale a autrement été assurée au demandeur dans ce cas particulier ou qu’il y a un autre fondement permettant de rejeter la revendication?

5.         Le rôle des commissaires de la Section de la protection des réfugiés au cours de l’interrogatoire des demandeurs d’asile, tel que prévu par les Directives no 7, donne-t-il lieu à une crainte raisonnable de partialité?

6.         Les Directives no 7 sont-elles illégales parce qu’elles sont ultra vires du pouvoir du président de donner des directives en vertu de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

7.         Quand un demandeur doit-il soulever une objection à l'application des Directives no 7 pour être en mesure de la plaider dans le cadre d’un contrôle judiciaire?


JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée et certifie les questions suivantes :

1.         Les Directives no 7, prises en vertu du pouvoir du président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, contreviennent-elles aux principes de justice fondamentale consacrés par l’article 7 de la Charte des droits et libertés en limitant indûment le droit d’un demandeur d’asile d’être entendu et son droit à un procureur?

2.         L’application des paragraphes 19 et 23 des Directives no 7 prises par le président contrevient-elle aux principes de justice naturelle?

3.         L’application des Directives no 7 constitue-t-elle une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés?

4.         Une conclusion selon laquelle les Directives no 7 entravent l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés signifie-t-elle nécessairement que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, sans qu’il soit tenu compte du fait que l’équité procédurale a autrement été assurée au demandeur dans ce cas particulier ou qu’il y a un autre fondement permettant de rejeter la revendication?

5.         Le rôle des commissaires de la Section de la protection des réfugiés au cours de l’interrogatoire des demandeurs d’asile, tel que prévu par les Directives no 7, donne-t-il lieu à une crainte raisonnable de partialité?

6.         Les Directives no 7 sont-elles illégales parce qu’elles sont ultra vires du pouvoir du président de donner des directives en vertu de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

7.         Quand un demandeur doit-il soulever une objection à l'application des Directives no 7 pour être en mesure de la plaider dans le cadre d’un contrôle judiciaire?

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5637-05

 

INTITULÉ :                                       ADNAN AZIZ SOMANI

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 31 MAI 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 12 JUIN 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :                        

 

Jonathan Otis                                                                            POUR LE DEMANDEUR

 

Matina Karvellas                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

M. John Pro

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

 

Otis & Korman      

Toronto (Ontario)                                                                     POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

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