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Date : 19990514

Dossier : IMM-3256-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 14 MAI 1999

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE LUTFY

ENTRE :

                                      JORGE ELIAS DUQUE LORENZANA,

                                                                                                                             demandeur,

                                                                    - et -

              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                              défendeur.

                                                          ORDONNANCE

                        VU la présente demande de contrôle judiciaire de la décision que l'agente d'immigration a rendue en date du 15 juin 1998 et dans laquelle elle rejette la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire que le demandeur a présentée en application du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration;

                        APRÈS avoir examiné les prétentions écrites des parties et compte tenu de l'audience du 5 mai 1999 tenue à Toronto (Ontario);


LA COUR ORDONNE :

                        La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Allan Lutfy »

                            J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


Date : 19990514

Dossier : IMM-3256-98

ENTRE :

                                      JORGE ELIAS DUQUE LORENZANA,

                                                                                                                             demandeur,

                                                                    - et -

              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                              défendeur.

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY

I.           En avril 1994, le demandeur, un citoyen du Guatemala âgé de 32 ans, est entré au Canada, où vit sa soeur, en tant que visiteur. Sa revendication du statut de réfugié a été rejetée le 11 novembre 1995. Le 13 août 1997, un agent chargé de la révision des revendications refusées a conclu que le demandeur n'était pas un demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada.

II.          En décembre 1997, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente à partir du Canada fondée sur des raisons d'ordre humanitaire[1]. Dans sa lettre de décision, l'agente d'immigration a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment de facteurs d'ordre humanitaire pour justifier une exemption des prescriptions normales de la loi.

III.        La contestation par le demandeur de la décision de l'agente d'immigration soulève des questions touchant les commentaires que celle-ci a faits dans son rapport descriptif sur les cas comportant des raisons d'ordre humanitaire[2]. Ce rapport a été préparé le 4 juin 1998, soit le jour de l'entrevue du demandeur avec l'agente d'immigration. Le rapport est divisé en six parties :

Partie 1 :            Renseignements généraux

Partie 2 :            Parents au Canada

            Partie 3 :            Parents dans le pays d'origine

            Partie 4 :            Raisons d'ordre humanitaire

            Partie 5 :            Degré d'établissement

            Partie 6 :            Décision et raisonnement

Ce formulaire de rapport a été rempli à la main. Les notes figurant dans la partie 4 portent principalement sur les questions relatives à l'établissement se rapportant aux antécédents professionnels du demandeur au Canada, à ses moyens de subsistance, à ses économies et à sa participation aux activités communautaires. Les notes se poursuivent dans la partie 5 (les mots « degré d'établissement » ont été biffés) et, dans la partie 6, elles prennent la forme d'un résumé des raisons pour lesquelles le demandeur veut présenter une demande de résidence permanente à partir du Canada. Les derniers mots apparaissant dans la partie 6, juste au-dessus de la signature de l'agente d'immigration, sont : « Demande rejetée : (voir commentaires sur l'écran de l'[ordinateur]) » .

IV.        L'avocat du demandeur a affirmé que les remarques de l'agente d'immigration tirées de l'écran d'ordinateur constituaient son « raisonnement » ; il s'agit, selon lui, du terme utilisé par les fonctionnaires du ministère, présumément dans le contexte de la partie 6 ( « Décision et raisonnement » ) du rapport. Dans son raisonnement, l'agente d'immigration a noté :

[TRADUCTION] [...] la crainte du demandeur de retourner au Guatemala pour des motifs politiques constitue la raison principale pour laquelle il veut présenter une demande de résidence permanente à partir du Canada; [...] les raisons pour lesquelles le demandeur craint de retourner au Guatemala sont les mêmes que celles qu'ils a soumises dans le cadre de sa revendication du statut de réfugié et de son examen relatif aux DNRSRC; le demandeur n'avait aucun nouveau renseignement à présenter en ce qui concerne sa crainte de retourner au Guatemala; [...]

L'agente d'immigration a ensuite conclu que le demandeur ne subirait aucune difficulté excessive ou indue s'il devait présenter une demande de résidence permanente à partir du Guatemala, comme l'exige la loi.

V.         Le premier argument du demandeur, selon lequel l'agente d'immigration a commis une erreur en omettant, dans sa décision et son raisonnement, d'évaluer et d'examiner l'établissement du demandeur au Canada, est rejeté après un examen plus attentif de son rapport. La distinction que le demandeur établit entre les notes manuscrites de l'agente d'immigration et ses remarques enregistrées sur ordinateur n'a pas lieu d'être. Les renseignements, y compris les données sur les questions relatives à l'établissement, font tous partie du même rapport.

VI.        En ce qui concerne l'établissement du demandeur au Canada, l'agente d'immigration a noté qu'il a résidé continuellement avec sa soeur depuis son arrivée au pays. Elle a pris note de ses antécédents professionnels depuis 1995 et, notamment, de l'emploi rémunérateur de cuisinier à temps plein qu'il occupe depuis mars 1996. L'agente d'immigration a fait référence à ses économies modestes et à sa participation limitée aux activités communautaires.

VII.       Quant à la crainte du demandeur de retourner au Guatemala, l'agente d'immigration a noté : [TRADUCTION] « [...] il a peur de retourner au Guatemala pour les mêmes raisons que celles qu'il a soumises dans sa revendication du statut de réfugié » . Elle a fait ensuite un résumé des difficultés rencontrées par le demandeur comme dirigeant syndical au Guatemala, parmi lesquelles figurent sa détention pendant trois jours par les forces de sûreté.

VIII.      L'agente d'immigration n'était pas mal renseignée lorsqu'elle a affirmé que la crainte du demandeur de retourner au Guatemala constituait la « raison principale » pour laquelle il voulait présenter une demande de résidence permanente à partir du Canada. Le demandeur a invoqué la même raison dans son formulaire de demande et, dans son affidavit, il ne remet pas en question l'insistance que l'agente d'immigration a mise sur ce point dans ses observations.

IX.        Dans Sandhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[3], mon collègue le juge Cullen s'est prononcé sur une affaire similaire dans les termes suivants :

Il ressort de cet extrait que l'agente d'immigration était parfaitement consciente de la crainte exprimée par le requérant. Bien qu'elle n'ait pas expressément renvoyé à cette crainte dans sa recommandation, il est évident qu'elle en était consciente. Compte tenu de cet extrait, je ne peux conclure que l'agente d'immigration a omis de tenir compte de la crainte du requérant de retourner en Inde. L'agente d'immigration n'a pas omis de tenir compte d'une preuve pertinente à cet égard.[4]

On peut dire la même chose des notes de l'agente d'immigration en l'espèce. Même si son raisonnement de la partie 6 était axé sur la crainte du demandeur de retourner au Guatemala, je suis convaincu qu'elle a rejeté la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire en tenant dûment compte des facteurs relatifs à l'établissement du demandeur au Canada, lesquels sont énoncés de façon assez circonstanciée dans ses notes. Rien dans la loi n'oblige l'agente d'immigration à donner les motifs de sa décision. Dans le même esprit, elle n'était pas non plus tenue de se référer à chacun des facteurs qu'elle a pris en considération dans son raisonnement.

X.         Suivant le deuxième argument du demandeur, l'agente d'immigration n'a pas fait par elle-même une évaluation indépendante du risque en s'en remettant totalement aux décisions de la Section du statut de réfugié et de l'agent chargé de la révision des revendications refusées. À mon avis, cette prétention doit être rejetée compte tenu de l'affidavit du demandeur quant à la réponse qu'il a donnée à l'agente d'immigration lorsqu'elle lui a demandé s'il avait peur de retourner au Guatemala :

[TRADUCTION] J'ai confirmé que j'avais peur. J'ai dit à l'agente que j'avais des problèmes politiques, en particulier parce que j'étais un activiste syndical, je lui ai donné des détails concernant mes problèmes et j'ai confirmé que ceux-ci constituaient la raison de ma revendication du statut de réfugié au Canada. J'ai dit que j'avais encore peur pour les mêmes raisons et que la situation au Guatemala était toujours dangereuse et risquée. [Non souligné dans l'original.]

XI.        Dans Gautam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[5], mon collègue le juge Evans a examiné un argument identique suivant lequel l'agente d'immigration avait entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en ne procédant pas à une évaluation indépendante du risque dans un cas où le demandeur avait invoqué les mêmes motifs que ceux qui avaient été soulevés lors de l'audience du statut de réfugié et de l'examen relatif aux DNRSRC. Je suis entièrement d'accord avec la conclusion du juge Evans : « Il était tout à fait approprié pour l'agente de se fonder sur le rejet des autres demandes lorsqu'elle a refusé la demande fondée sur le paragraphe 114(2), en l'absence d'éléments de preuve additionnels ou d'une prétention suivant laquelle, à leur retour [...], les demandeurs subiraient des sanctions excessivement sévères, [...] » .[6]

XII.       En 1'espèce, le demandeur a prétendu que l'agente d'immigration n'avait pas examiné la preuve documentaire qu'il lui avait soumise pendant l'entrevue, en plus des nombreuses pièces déposées avec sa demande. Après avoir noté qu'elle avait examiné avec soin tous les renseignements qu'elle avait recueillis pendant l'entrevue, l'agente d'immigration est arrivée à la conclusion que le [TRADUCTION] « demandeur n'avait pas de nouveaux renseignements à présenter quant à sa crainte de retourner au Guatemala » . Cette affirmation peut être interprétée comme signifiant que, même après avoir examiné la preuve documentaire additionnelle relativement aux conditions du pays, l'agente d'immigration a conclu qu'il n'avait pas présenté de « nouveaux renseignements » quant à sa crainte de retourner au Guatemala. Même si l'agent des visas n'avait pas examiné les nouveaux éléments de preuve documentaire, ce que le demandeur n'a pas établi, il paraît y avoir peu, s'il en est, de renseignements divulgués dans ces pièces, qui suggèrent une aggravation de la situation au Guatemala. Les extraits invoqués par l'avocat du demandeur renvoient aux violations des droits de la personne survenues après le processus de paix de 1996 et aucun d'entre eux ne concerne les difficultés sur lesquelles le demandeur fonde sa crainte de retourner au Guatemala.


XIII.      Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune des parties n'a proposé la certification d'une question grave.

                                                                                                                          « Allan Lutfy »                    

                                                                                                                                   J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 14 mai 1999

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                            COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                         SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                          AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :IMM-3256-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :Jorge Elias Duque Lorenzana c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :le 5 mai 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :le juge Lutfy

DATE DES MOTIFS:le 14 mai 1999

ONT COMPARU :

M. D. Clifford Luytpour le demandeur

M. Stephen H. Goldpour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. D. Clifford Luyt

Toronto (Ontario)pour le demandeur

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canadapour le défendeur



     [1]      Cette demande était fondée sur le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

     [2]      Dossier de la Cour, p. 216 à 221.

     [3]      (1997), 40 Imm. L.R. (2d) 142 (C.F. 1re inst.).

     [4]      Ibid., paragraphe 9.     La constatation de fait au paragraphe 26 de la décision ne modifie pas le principe auquel se réfère le juge Cullen dans l'extrait que j'ai cité. Dans Ogunfowora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 47 Admin. L.R. (2d) 182 (C.F. 1re inst.), l'agente d'immigration a omis de se référer à des rapports médicaux importants, ce qui constitue une situation pouvant être facilement distinguée de la présente affaire.

     [5]      (29 avril 1999), IMM-2725-98 (C.F. 1re inst.).

     [6]      Ibid., paragraphe 18.

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