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Date : 20040602

Dossier : IMM-8204-03

Référence : 2004 CF 807

Edmonton (Alberta), le mercredi 2 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

                                                  RIAD MUHSEN ABOU ALWAN

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                M. Alwan, un ressortissant libanais de vingt-deux ans, prétend craindre avec raison d'être persécuté du fait de sa collaboration antérieure avec l' Armée du Liban-Sud (ALS). Il a quitté le Liban en décembre 1999, il est venu au Canada, en passant par la République tchèque, l'Irlande et l'Angleterre, et il est arrivé en mai 2000, en possession d'un faux passeport. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SPR) a décidé que M. Alwan était exclu du statut de réfugié aux termes de l'alinéa 1Fa) de la Convention relative au statut des réfugiés du fait de son implication avec l'ALS, un groupe mêlé à des violations des droits de la personne et à des crimes contre l'humanité. Plus particulièrement, la Commission a conclu que M. Alwan était complice de crimes contre l'humanité en raison de ses activités dans l'ALS entre 1995 et 1999. M. Alwan demande que la décision soit annulée et renvoyée pour nouvel examen.

[2]                C'est la deuxième fois que la demande d'asile de M. Alwan est rejetée aux termes de l'alinéa 1Fa). M. Alwan avait demandé avec succès le contrôle judiciaire de la première décision de la Commission et sa demande avait été renvoyée pour une nouvelle audition. Le ministre était représenté à l'audience et y a participé. Les conclusions suivantes de la SPR ne sont pas contestées :

-          Un des objectifs principaux de l'ALS consistait à recueillir des renseignements permettant d'arrêter et de détenir des personnes qu'elle considérait comme des menaces pour la sécurité. En plus de maltraiter des civils libanais, l'ALS a été responsable de la gestion du centre de détention d'El-Khiam où des cas de torture, par brûlures de cigarettes, chocs électriques aux doigts, aux pieds et aux parties génitales, emprisonnement dans des cages et privation d'eau, ont été signalés. De 1991 à 1999, l'ALS a commis, de façon généralisée et systématique, des actes de cruauté barbare contre la population civile, lesquels constituent des crimes contre l'humanité.


-           Alors que le demandeur était un conscrit qui n'a pas adhéré volontairement à l'ALS, ses propres expériences ont fait qu'il était parfaitement au courant des tactiques et des actes de l'ALS;

-          Les contradictions du demandeur quant à savoir s'il était armé ou non nuisent à la crédibilité de son témoignage;

-          Le demandeur était un membre actif de l'ALS et était perçu comme tel;

-          Le demandeur ne s'est pas dissocié de l'ALS. Il a essayé de quitter après deux ans, mais on lui a dit qu'il en savait trop et il a continué à servir. Le fait qu'il ne soit pas parti à la première occasion, ou lors des nombreuses autres occasions que l'on peut raisonnablement supposer s'être présentées, a montré que le demandeur était prêt à servir, de bonne grâce ou non;

-          Bien que sa participation dans l'ALS n'était pas celle d'un acteur principal, le demandeur faisait des rapports réguliers à l'ALS et il savait ce qui risquait d'arriver à ceux qu'il signalait. Il se montre [traduction] « volontairement aveugle » en affirmant qu'il ne savait pas ce qui arrivait aux personnes qu'il dénonçait;


-          Le demandeur avait également connaissance des atrocités commises par l'ALS. Il avait volontairement servi en tant qu'agent de sécurité ou informateur pour l'ALS pendant cinq ans.

[3]                À la fin de l'audience, la SPR a demandé au conseil de M. Alwan, à l'agent de la protection des réfugiés et au conseil du ministre de lui présenter des observations écrites sur la question de savoir s'il avait été satisfait au critère de l'exclusion prévu à l'alinéa 1Fa). Le conseil du ministre a mentionné qu'il ne fournirait pas d'observations écrites sur la question puisqu'il était d'avis que les éléments de preuve dont disposait la Commission à cet égard n'étaient pas convaincants et que le critère n'avait pas été établi. Il a laissé à la SPR le soin d'en tirer sa propre conclusion. L'APR et le conseil de M. Alwan ont fourni des observations écrites. En dépit de la position du ministre et de celle de M. Alwan, la SPR a conclu qu'il avait été satisfait au critère et qu'il y avait des raisons sérieuses de croire que M. Alwan avait commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité.

[4]                M. Alwan affirme que le tribunal a commis une erreur dans sa conclusion et que celle-ci était abusive. Bien que les observations écrites allèguent une violation de la justice naturelle ou de l'équité, ces arguments n'ont pas été invoqués à l'audience.


[5]                Les observations écrites de M. Alwan reposent essentiellement sur le fait qu'il ressortait clairement de son témoignage qu'il ne visait ni ne dénonçait des civils. Il faisait plutôt rapport concernant la résistance. Invoquant l'arrêt Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.F.), il fait valoir que le ministre a le fardeau de prouver les faits menant à une conclusion d'exclusion. Le conseil du ministre était d'avis que la preuve concernant l'exclusion n'avait pas été établie. La SPR l'a reconnu, mais n'était pas d'accord. On affirme qu'il fallait faire preuve d'une grande retenue à l'égard de l'avis du conseil du ministre. La SPR n'a pas eu cette retenue et, en ce faisant, selon M. Alwan, elle a commis une erreur de droit.

[6]                Dans l'arrêt Harb c. Canada (2003), 302 N.R. 178 (C.A.F), le juge Décary a déclaré que ces conclusions, dans la mesure où elles sont factuelles, ne peuvent être révisées que si elles sont erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont la SPR disposait. Les conclusions, dans la mesure où elles appliquent le droit aux faits de la cause, ne peuvent être révisées que si elles sont déraisonnables. Ces conclusions, dans la mesure où elles interprètent le sens de la clause d'exclusion, peuvent être révisées si elles sont erronées.


[7]                Bien que je puisse comprendre la frustration de M. Alwan, je ne puis convenir que la SPR aurait dû faire preuve de retenue à l'égard de l'avis du conseil du ministre. Le paragraphe 162(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2002, ch. 27 (la LIPR), confère à la SPR compétence exclusive pour connaître des questions de droit et de fait, y compris en matière de compétence. Dans la décision Gutierrez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 84 F.T.R. 227 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 17, le juge MacKay a déclaré que la non-participation du ministre n'influe pas sur la question de savoir s'il existait suffisamment d'éléments de preuve pour tirer une conclusion de fait relativement à l'exclusion.

[8]                De même, dans la décision Fletes c. Canada (Secrétaire d'État) (1994), 83 F.T.R. 49 (C.F. 1re inst.), le juge Noël, maintenant à la Cour d'appel fédérale, a traité des cas où aucune observation écrite n'avait été reçue de la part du conseil du ministre et où les observations de l'agent d'audience favorisaient le demandeur. Le juge Noël a décidé que, en dépit de sa participation à l'audience, le ministre n'était pas tenu de faire des observations quant à l'application de la clause d'exclusion. De plus, les observations de l'agent d'audience ne pouvaient en aucun cas lier la Commission. Il revenait à la Commission, en se basant sur les éléments de preuve dont elle disposait, d'assumer le rôle de décider si la clause d'exclusion devait ou non s'appliquer. L'omission de la part du ministre de déposer des observations écrites n'influait aucunement sur l'appréciation de la suffisance des éléments de preuve présentés.


[9]                Dans la décision Malouf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 537 (1re inst.), le juge Gibson a conclu que, qu'il y ait eu ou non intervention du ministre, la SSR (Section du statut de réfugié) [maintenant la SPR] peut conclure que la clause d'exclusion s'applique en se basant sur les éléments de preuve et les observations dont elle dispose. La question de savoir si la Commission pouvait appliquer la clause d'exclusion comme faisant partie de la définition de réfugié au sens de la Convention sans qu'il y ait participation ministérielle a été certifiée, mais la Cour d'appel a refusé d'y répondre : Malouf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 190 N.R, 230 (C.A.F.). Toutefois, dans l'arrêt Arica c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1995), 182 N.R. 392 (C.A.F.), au paragraphe 8, la Cour d'appel a statué :

[...] il est alors évident que la Commission peut prendre une décision relativement à la clause d'exclusion en se fondant sur la preuve présentée. Le fait que le ministre ne participe pas à l'audience, soit parce qu'il ne le désire pas soit parce qu'il n'a pas droit à l'avis aux termes de la règle 9(3) [maintenant la règle 23], ne diminue pas le droit de la Commission de rendre une décision sur la question de l'exclusion[...]

[10]            En ce qui a trait au témoignage et à la position de M. Alwan selon quoi il ne faisait rapport que concernant la résistance, dans l'arrêt Harb, précité, le juge Décary a fait remarquer que si l'organisation persécute la population civile, ce n'est pas parce que le [demandeur] n'aurait persécuté que la population militaire qu'il échappe à l'exclusion, s'il est par ailleurs complice par association. La Cour a approuvé les règles relatives à la complicité énoncées dans l'arrêt Bazargan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 205 N.R. 282 (C.A.F.), en rapport avec l'exclusion, conformément à l'alinéa 1Fc), et les a appliquées à l'alinéa 1Fa). La Cour a fait remarquer que l'appartenance à un groupe fait qu'il est plus facile de conclure qu'il existait une « participation personnelle et consciente » .

[11]            En l'espèce, la SPR a tiré une conclusion selon laquelle M. Alwan était complice de crimes contre l'humanité. La conclusion qu'elle a tirée n'était pas qu'il avait commis les crimes. Plus particulièrement, la Commission a déclaré :

[...] Puisqu'il ne s'est pas dissocié de l'organisation et qu'il a continué à faire des rapports pendant cinq ans, le tribunal conclut qu'il a participé volontairement, et donc comme complice, à des actes qui appuyaient la réalisation des objectifs de l'ALS, une organisation qui violait impunément les normes internationales. [...]


Le tribunal a conclu que le demandeur avait connaissance des atrocités commises par l'ALS. Le tribunal a également établi qu'il avait volontairement servi en tant qu'agent de sécurité ou informateur pour l'ALS pendant cinq ans. Il était complice. Le tribunal conclut que les actes du demandeur montrent l'existence d'une « intention commune » .

[Renvoi omis.]

[12]            La Commission en est arrivée à cette conclusion après avoir noté que le conseil du ministre prenait la position qu'il n'avait pas été satisfait au critère et elle a exprimé son désaccord face à cette position, de même qu'à celle prise par M. Alwan. La SPR a pris en considération l'ensemble du témoignage présenté à l'audience et toute la preuve au dossier pour conclure qu'il avait été satisfait au critère.

[13]            Je ne vois aucune erreur susceptible de révision dans cette conclusion en me basant sur l'une ou l'autre des normes de révision énoncées dans l'arrêt Harb, précité. La SPR pouvait raisonnablement tirer cette conclusion et on ne peut affirmer qu'elle est erronée. Une intervention de ma part n'est pas justifiée. Les avocats n'ont soumis aucune question pour la certification et il n'est pas approprié d'en certifier une.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

       « Carolyn Layden-Stevenson »     

    Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                              COUR FÉFÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-8204-03

STYLE OF CAUSE:                                                   RIAD MUHSEN ABOU ALWAN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                         EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 2 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                              LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                                              LE 2 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Kevin E. Moore                                                            POUR LE DEMANDEUR

Rick Garvin                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kevin E. Moore                                                            POUR LE DEMANDEUR

Edmonton (Alberta)

Morris Rosenberg                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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