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Date : 20051207

Dossier : IMM-1706-05

Référence : 2005 CF 1667

Toronto (Ontario), le 7 décembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

MOHAMMAD KAFEEL QAZI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La seule question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si le demandeur a été privé de l'équité procédurale du fait qu'il s'est écoulé un long délai avant que soit complété l'examen des risques avant renvoi. En l'absence de toute autre preuve de préjudice, le demandeur subit-il un préjudice du fait même du seul délai?

[2]                Le demandeur est un citoyen du Pakistan âgé de 39 ans qui est entré au Canada en 1990 et qui a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. En 1993, il a épousé une citoyenne canadienne et il a retiré sa revendication du statut de réfugié. Peu après leur mariage, l'épouse du demandeur a parrainé la demande du demandeur présentée de l'intérieur du Canada en vue d'obtenir le statut de résident permanent et il est devenu un immigrant reçu en mars 1995. Trois enfants sont nés du mariage du demandeur.

[3]                Le demandeur a été déclaré coupable le 30 juillet 1998 d'agression sexuelle, de relations sexuelles avec un mineur de moins de 14 ans et d'incitation à des contacts sexuels résultant d'agressions sexuelles d'un enfant pendant une période de trois ans. Il a été condamné à cinq ans de prison et il a été libéré en février 2002.

[4]                En raison de ses déclarations de culpabilité, le demandeur appartient à une catégorie de personnes interdites de territoire décrites à l'alinéa 36(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. En mai 1999, on lui a signifié un avis suivant les paragraphes 70(5) et 53(1) de l'ancienne loi, la Loi sur l'immigration. Le 6 octobre 1999, le ministre a déclaré que le demandeur constituait un danger pour le public. M. le juge Hugessen a annulé l'avis du ministre parce que les rapports sur lesquels il était fondé n'avaient pas été communiqués et il a renvoyé l'affaire afin qu'une nouvelle décision soit rendue (voir la décision Qazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 192 F.T.R. 136).

[5]                Le demandeur a été libéré en février 2002, après un examen des motifs de la détention de l'immigration. Pendant qu'il était en détention, une enquête a eu lieu à l'égard de son cas et son statut de résident permanent a été révoqué. En octobre 2002, on a informé le demandeur personnellement qu'il pouvait demander un examen des risques avant renvoi (ERAR). Le demandeur a présenté une demande d'ERAR en novembre 2002 en invoquant une crainte d'être persécuté au Pakistan du fait de ses activités politiques et de celles de sa famille au cours des années 1980.

[6]                L'avocat du demandeur a présenté des observations détaillées à l'égard de la situation qui existait au Pakistan en 2002. Malgré ces observations, la décision rendue le 7 mars 2003 à la suite de l'examen des risques était défavorable au demandeur. Cependant, on a permis au demandeur à ce moment de présenter par écrit, par son avocat, des observations à l'égard des erreurs et des omissions contenues dans le rapport. L'avocat a répondu le 17 mars 2003.

[7]                Le lundi 21 février 2005, presque deux ans après qu'il eut répondu à la décision défavorable à l'égard de l'examen des risques, on a convoqué le demandeur pour lui remettre la décision rendue relativement à sa demande d'asile. Le demandeur s'est présenté au bureau de l'ERAR le 15 mars 2005 comme on lui avait donné instruction de le faire. À ce moment, on lui a remis la décision défavorable à l'égard de l'ERAR datée du 11 avril 2003. Aucune explication ne lui a été fournie quant au retard à lui remettre la décision. L'avocate du défendeur a décrit cela simplement comme une erreur.

[8]                L'agent d'ERAR a mentionné dans sa décision qu'il avait examiné en détail les observations et la preuve documentaire présentées par le demandeur, de même que l'avis quant aux risques daté du 7 mars 2003, et qu'il a conclu que le demandeur n'avait pas la qualité de personne à protéger.

[9]                Le demandeur ne conteste pas le contenu de fond de la décision rendue à l'égard de l'ERAR, mais il prétend qu'il a été privé de l'équité procédurale en raison du délai qui s'était écoulé depuis que le rapport avait été complété. Il prétend que l'examen des risques lors d'un ERAR a pour but d'être actuel et prospectif. L'à-propos et la documentation à jour sont deux éléments fondamentaux du processus d'ERAR. Pour qu'un examen des risques ait quelque valeur, il doit être à jour. Le demandeur prétend que, dans aucune circonstance, un ERAR fait deux années complètes avant que toute action soit prise en vue de renvoyer le demandeur du Canada ne peut être conforme aux principes de justice naturelle.

[10]            Le demandeur s'appuie sur le chapitre 3, de la section 2 du Guide utilisé par les employés de Citoyenneté et Immigration Canada à l'égard des personnes protégées. En particulier, la section énonce ce qui suit :

L'ERAR poursuit des objectifs de protection semblables à ceux du processus adopté par la CISR. Sauf dans les cas mentionnés au L112(3), le processus de l'ERAR tient compte des mêmes motifs que la CISR pour accorder l'asile et conférer le statut de réfugié. L'ERAR représente donc la réponse gouvernementale aux arrêts de la Cour fédérale, selon lesquels il faut procéder à un examen des cas des personnes qui se disent exposées à des risques si elles doivent quitter le pays. L'ERAR constitue également la réponse gouvernementale aux arrêts de la Cour suprême, qui donnent à entendre que toute personne, y compris les grands criminels et les personnes représentant une menace à la sécurité nationale, est admissible au processus d'examen des risques. L'ERAR vise l'amélioration de l'efficacité en regroupant dans un seul processus les procédures applicables antérieurement à la majorité des demandes pendant l'évaluation des risques dans le cas des personnes de la catégorie des DNRSRC et les procédures relatives à l'évaluation des motifs humanitaires. En s'assurant d'entreprendre l'ERAR immédiatement avant le renvoi, on réalise l'intégration des procédures. Les personnes conservent le droit de présenter des demandes pour des motifs humanitaires, mais le système est conçu de manière à ce que la plupart des demandes ne soient présentées qu'une fois, juste avant le renvoi. [Non souligné dans l'original.]

[11]            Le défendeur prétend que le demandeur doit démontrer qu'il a subi un préjudice en raison du délai écoulé avant que la décision lui soit remise, que les conditions au Pakistan ont changé au point où l'ERAR est désuet et qu'un nouvel examen pourrait donner un résultat différent aujourd'hui. De plus, selon ce que prétend le défendeur, il est loisible au demandeur de demander un deuxième ERAR avant qu'ait lieu son renvoi suivant l'article 165 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

[12]            Le demandeur dit qu'une nouvelle demande d'ERAR ne lui fournirait pas la protection d'un report de renvoi administratif auquel il aurait droit s'il avait gain de cause dans la présente demande et si l'ERAR initial était fait de nouveau. Le demandeur prétend qu'il n'est pas suffisant qu'il puisse demander à la Cour un report ou solliciter un sursis du renvoi en attendant que soit complétée une nouvelle demande d'ERAR.

[13]            L'alinéa 18.1(4)b) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, permet que des mesures soient prises si la Cour est convaincue que l'office fédéral n'a pas observé un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'il était tenu légalement de respecter. La Cour, lorsqu'elle examine une allégation de déni de justice naturelle, n'a pas à procéder à un examen de la norme de contrôle appropriée. Plutôt, la Cour est tenue d'évaluer si les règles d'équité procédurale ou l'obligation d'équité ont été respectées : Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19; Syndicat canadien de la fonction publique c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, 2003 CSC 29.

[14]            Dans la décision Pathmanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2005), 25 Admin. L.R. (4th) 226, 2005 CF 6, M. le juge James O'Reilly a reconnu que bien qu'il soit inévitable qu'il s'écoule un certain délai avant qu'un demandeur soit informé d'une décision défavorable à l'égard d'un ERAR, il y a des situations dans lesquelles un retard causera un préjudice grave à un demandeur et entachera ainsi l'examen des risques effectué par l'agent. Dans de telles situations, la possibilité du refoulement d'une personne à protéger est extrêmement élevée, et un redressement est nécessaire lorsque l'examen des risques est devenu désuet.

[15]            Le juge O'Reilly a cependant conclu que dans les circonstances qui lui étaient soumises, soit l'écoulement d'un délai de cinq semaines, le contrôle judiciaire de la décision de l'agent n'est pas le redressement approprié. Il a fait remarquer, en mentionnant qu'on devrait s'attendre à ce que les agents d'ERAR tiennent leurs évaluations raisonnablement à jour, que les demandeurs d'ERAR doivent de plus être d'une certaine façon responsables de s'assurer que leurs demandes sont fondées sur les conditions actuelles. Ils peuvent ajouter à leurs observations faites à l'agent d'ERAR. Ils peuvent de plus demander un deuxième examen des risques et un report du renvoi en attendant que l'examen soit achevé ou solliciter de la Cour un sursis.

[16]            La décision Pathmanathan, précitée, laisse en suspens la question de savoir à quel moment un ERAR devient déraisonnablement désuet. Le défendeur prétend que la période qui s'est écoulée n'est pas le seul facteur dans le calcul. La Cour doit être convaincue que le demandeur a subi un préjudice du fait du délai écoulé.

[17]            Dans la présente affaire, le demandeur n'a fourni aucune preuve pour démontrer qu'il a en fait subi un préjudice. Bien que le demandeur prétende qu'il ne peut présenter une telle preuve en raison du principe général voulant que seule la preuve dont disposait le décideur administratif peut être examinée lors d'un contrôle judicaire, une preuve par affidavit est toujours admise à l'égard des questions d'équité procédurale et de compétence : Keeprite Workers' Independent Union c. Keeprite Products Ltd., [1980] O.J. no 12 (H.C.J. Ont.) (QL); Ordre des architectes de l'Ontario c. Association of Architectural Technologists of Ontario (2002), 291 N.R. 61, 2002 CAF 218, au paragraphe 30; McFadyen c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 360, [2005] A.C.F. no 1817 (QL).

[18]            La Cour d'appel fédérale a traité de la question du retard institutionnel dans un contexte d'immigration, de façon plus notable dans les arrêts Akthar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 3 C.F. 32, 14 Imm. L.R. (2d) 39 [Akthar, cité à la C.F.], et Rabbat c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 2 C.F. 46, confirmé par la C.A.F., autorisation d'appel à la C.S.C. refusé (1987), 80 N.R. 319. La Cour a clairement établi que pour avoir gain de cause dans une demande de contrôle judiciaire le demandeur doit démontrer que le préjudice est survenu en raison du retard, et que le retard est déraisonnable.

[19]            Dans l'arrêt Akthar, précité, la Cour d'appel a statué au paragraphe 20 que pour qu'un demandeur d'asile puisse invoquer une atteinte à ses droits garantis par la Charte sur le fondement d'un retard, il doit y avoir une certaine iniquité ou un préjudice subi du fait du retard. Le retard subi par les demandeurs dans cette affaire allait d'un peu plus deux ans et demi à un peu moins de trois ans.

[20]            Dans l'arrêt Budh Singh Gill c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1984] 2 C.F. 1025, (1985), 60 N.R. 241 (C.A.F.) [Gill, cité à la C.F.], la Cour d'appel a examiné la question de savoir si un retard déraisonnable constitue un manquement aux principes de justice fondamentale justifiant l'annulation de la décision. La Cour a statué ce qui suit aux pages 1028 et 1029 :

Il se peut que l'obligation d'agir équitablement récemment dégagée, et imposée maintenant à l'administration, comporte celle de ne pas tarder déraisonnablement; ou, vu sous un angle plus positif, il se peut que l'obligation procédurale d'agir équitablement comporte celle d'agir dans un délai raisonnable. Il ne s'ensuit nullement toutefois que l'inexécution de cette obligation justifie l'annulation de l'acte tardif lorsqu'enfin il a lieu. Sûrement le recours approprié doit consister à obliger à agir avec diligence plutôt qu'à annuler l'acte qui, bien que tardif, peut néanmoins être fondé.

[21]            Cet arrêt a été cité et approuvé dans la décision Dacosta c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 674 (C.F. 1re inst.) (QL), au paragraphe 6 : « [e]n l'espèce, puisqu'il n'existe absolument aucune preuve relative au préjudice qui pourrait être causé au requérant par le retard, aucune réparation ne peut être accordée en vertu de la Charte ni en vertu des principes de justice fondamentale » .

[22]            Dans la décision Maraj c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 62 F.T.R. 256, 19 Imm. L.R. (2d) 90 (C.F. 1re inst.), la Cour traitait de la question de savoir si un retard de deux ans dans la communication d'une décision défavorable à l'égard d'une demande fondée sur des considérations d'ordre humanitaire constituait un déni de justice naturelle. Mme la juge Barbara Reed a déclaré ce qui suit à la page 102 :

Bien qu'il faille déplorer ce retard, il n'y a par ailleurs aucune preuve selon laquelle les requérants auraient tenté de connaître cette décision pendant toute la période en cause. Dans cette situation, je ne crois pas que les requérants puissent invoquer le retard comme un indice de parti pris ou de manque d'équité.

[23]            Entre mars 2003 et mars 2005, le demandeur ne s'est pas informé de sa demande d'ERAR et il n'a pas non plus fourni au défendeur des renseignements plus actuels démontrant qu'il était exposé à des risques. Comme la juge Reed a suggéré dans la décision Maraj, précitée, on pourrait conclure que le demandeur a en fait bénéficié du retard puisque durant une période de deux ans aucune mesure de renvoi n'a été prise contre lui. Durant cette période, il a présenté une autre demande d'établissement fondée sur des considérations humanitaires.

[24]            En l'absence de toute preuve démontrant que le demandeur a subi un préjudice du fait du délai écoulé avant qu'il obtienne la décision à l'égard de l'ERAR, je ne puis conclure qu'on a privé le demandeur de l'équité procédurale ou de la justice naturelle. Je mentionne une fois de plus qu'il est loisible au demandeur de solliciter un deuxième ERAR, et dans l'attente, de demander à la Cour un report du renvoi ou un sursis du renvoi.

[25]            Le défendeur prétend que si je décidais qu'il y a eu un manquement à la justice naturelle du fait du délai écoulé, il s'agirait d'un cas approprié pour appliquer le principe selon lequel un redressement peut être maintenu lorsque l'issue définitive est inévitable et aurait été la même si l'erreur susceptible de contrôle n'avait pas été commise : Mobil Oil Canada Ltd. et al c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, à la page 228, 111 D.L.R. (4th) 1; Yassine c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 949 (QL), aux paragraphes 9 et 10, 172 N.R. 308 (C.A.F.).

[26]            Je n'ai pas à trancher cette question dans les circonstances de la présente affaire et elle sera examinée à un autre moment lorsqu'un préjudice aura été démontré.

[27]            Aucune question de portée générale n'a été proposée par les parties et aucune n'est certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                          IMM-1706-05

INTITULÉ :                                         MOHAMMAD KAFEEL QAZI

demandeur

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 6 DÉCEMBRE 2005

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE MOSLEY

COMPARUTIONS :

Ralph Dzegniuk                                                 POUR LE DEMANDEUR

Bridget O=Leary                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green and Spiegel

Avocats

Toronto (Ontario)                                              POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                    POUR LE DÉFENDEUR

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