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     Date: 19990813

     Dossier: T-1022-99


ENTRE


LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES,


demanderesse,


et


EPOST INNOVATIONS INC.,


défenderesse.



MOTIFS DE L'ORDONNANCE


Le protonotaire John A. Hargrave

[1]      Cette requête découle d'une action pour usurpation de marques de commerce intentée par Postes Canada contre une société privée exploitant son entreprise en Colombie-Britannique. Dans cette requête, la défenderesse Epost Innovations Inc. (Epost) demande à la demanderesse, la Société canadienne des postes (Postes Canada), des précisions supplémentaires au sujet de l'acte de procédure conformément à l'article 181 des Règles de la Cour fédérale (1998).

LES FAITS

[2]      La plupart des faits sont énoncés dans la déclaration. Postes Canada est une société d'État qui a été constituée en 1981 conformément à l'article 4 de la Loi sur la Société canadienne des postes; elle remplaçait le ministère fédéral des Postes. Avant de devenir une société d'État, Postes Canada avait pendant plus de 100 ans fourni divers types de services postaux au Canada.

[3]      La mission de Postes Canada est énoncée à l'article 5 de la Loi, qui prévoit notamment ce qui suit :

5.(1) La Société a pour mission :
a) de créer et d'exploiter un service postal comportant le relevage, la transmission et la distribution de messages, renseignements, fonds ou marchandises, dans le régime intérieur et dans le régime international;
b) d'assurer les prestations, ainsi que la réalisation et la fourniture des produits, qu'elle estime utiles à son exploitation;

L'alinéa 5(1)b) de la Loi permettrait à Postes Canada d'étendre ses activités au besoin.

[4]      Au cours des années 1990, l'Internet est devenu, partout au monde, un service commun dans les entreprises et dans les ménages. Postes Canada a également envisagé des changements en vue de répondre aux besoins de ce nouveau marché non exploité. Par conséquent, le 8 octobre 1995, elle a officiellement adopté la désignation www.canpost.ca de façon à fournir des services de nature postale " en direct " sur son site Web.

[5]      Les services fournis par la demanderesse sur l'Internet comprennent maintenant un service de calcul des tarifs pour colis, une liste de codes postaux, un service de recherche de comptoirs postaux et un service de confirmation de livraison des colis envoyés au moyen de services spéciaux ou avancés. Les sites Web permettent également de commercialiser et de vendre les produits fabriqués par Postes Canada, comme les timbres, les enveloppes préaffranchies et les produits d'expédition.

[6]      En 1996, la désignation initiale a été remplacée par celle de www.mailposte.ca. Peu de temps après, une famille de désignations a été ajoutée : www.canadapost.ca, www.postescanada.ca, www.mailposte.net, www.mailposte.org, www.canpost.net, www.canpost.org, www.telepost.org, www.prioritypost.net, www.prioritypost.org, www.canadapost.com, www.postescanada.org et www.postescanada.net, pour n'en nommer que quelques-unes.

[7]      En ce qui concerne son entreprise et ses services, Postes Canada est devenue propriétaire d'un grand nombre de marques de commerce, de noms commerciaux et de marques officielles dans lesquels le mot POST est employé. Les détails relatifs aux marques de commerce déposées ou demandées et aux marques officielles de Postes Canada qui sont publiées ou aux demandes qui sont pendantes sont donnés aux annexes A, B et C de la déclaration.

[8]      Epost, dont la société mère, Cypost Corporation, du Delaware, est une personne morale plus récente, est une société exploitant un point de vente à North Vancouver (Colombie-Britannique); elle exercerait apparemment des activités de recherche relativement à des logiciels de sécurité applicables aux communications électroniques. Le 16 septembre 1997, Epost a produit une demande relative à une marque de commerce pour le mot " CyPost " à l'égard de logiciels et de matériel pour la communication et la transmission électroniques de données telles que les télécopies, le courrier électronique et les messages vocaux. Le 17 septembre 1997, l'un des dirigeants d'Epost a enregistré sur l'Internet la désignation www.cypost.com qui montre en évidence la marque de commerce CyPost. Le site Web et la marque de commerce ont été employés depuis lors.

[9]      Le 23 février 1999, Postes Canada a produit une déclaration d'opposition à l'égard de la demande qu'Epost avait produite pour la marque de commerce CyPost. Epost n'a pas produit de réplique : selon Postes Canada, la marque de commerce contestée sera bientôt réputée être abandonnée. Postes Canada allègue qu'Epost, même si elle n'a pas défendu la demande relative à la marque de commerce, a continué à employer la marque ou sa dénomination sociale sur le site Web.

[10]      La demanderesse dit qu'en avril 1999, elle a demandé qu'Epost cesse d'utiliser le site Web et sa désignation www.cypost.com pour le motif qu'ils causent vraisemblablement de la confusion avec l'une des marques de commerce ou des marques officielles de Postes Canada ou qu'on pourrait vraisemblablement les confondre. La demande a été rejetée ou il n'en a pas été tenu compte.

[11]      Étant donné qu'elle n'avait pas obtenu de réponse d'Epost, Postes Canada a déposé, le 11 juin 1999, une déclaration dans laquelle elle sollicitait entre autres choses un jugement déclaratoire et une réparation par voie d'injonction, la cession ou la remise de la désignation cypost.com, un changement de nom de la part d'Epost ainsi que des dommages-intérêts. Postes Canada se fonde en partie sur les articles 58 et 61 de la Loi sur la Société canadienne des postes, qui prévoient que l'emploi de marques laissant entendre que Postes Canada a donné son consentement constitue une infraction à la loi. Postes Canada affirme que sa réputation et son achalandage ont subi un préjudice irréparable par suite des activités d'Epost.

[12]      En réponse à la déclaration, Epost présente maintenant cette requête en vue d'obtenir des précisions supplémentaires conformément à la règle 181, et elle demande la vérification et la confirmation de diverses allégations figurant dans la déclaration.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[13]      Il s'agit ici de savoir si l'acte de procédure de Postes Canada renferme des renseignements adéquats en vue de permettre à Epost de comprendre la demande afin de préparer une défense, ou si Epost a le droit d'obtenir des précisions supplémentaires au sujet des circonstances qui ont donné lieu à la demande de Postes Canada avant d'avoir à déposer un acte de procédure. En particulier, Epost demande les précisions suivantes : (1) la désignation des types particuliers de marchandises et de services fournis par Postes Canada; (2) la désignation du nombre précis de marques dont Postes Canada est propriétaire; (3) des renseignements sur la date de production, la date de premier emploi et la date importante ainsi que sur les termes qui figurent dans les annexes jointes à la déclaration et dans la correspondance; (4) la portée de l'expression " services de transmission de messages électroniques ", telle qu'elle est employée dans la déclaration; (5) l'étendue exacte de la réputation de la demanderesse.

ANALYSE

Les précisions générales

[14]      Le but dans lequel des précisions sont demandées est bien établi dans la jurisprudence anglaise et dans la jurisprudence canadienne. Dans la décision qu'elle a rendue dans l'affaire Spedding c. Fitzpatrick (1888) 38 Ch D 410, la Cour d'appel anglaise a statué que les précisions visaient à permettre [TRADUCTION] " à la partie qui les demande de savoir à quels arguments elle aura à faire face à l'instruction, d'éviter ainsi des dépenses inutiles et d'empêcher que les parties soient prises par surprise " (p. 413).

[15]      Dans l'arrêt Anglo-American Timber Products Ltd. c. B.C. Electric Company Ltd. (1960), 31 W.W.R. 604, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a donné des renseignements additionnels sur le but des précisions : il faut qu'[TRADUCTION] " une partie clarifie les questions qu'elle a essayé de soulever dans son acte de procédure, de façon que la partie adverse puisse se préparer pour l'instruction au moyen d'un interrogatoire préalable ou de quelque autre façon " (p. 605). Cet arrêt-clé de la Colombie-Britannique a été approuvé dans l'arrêt Cansulex Limited c. Perry et al. (18 mars 1982), doc. Vancouver C785837 (C.A.C.-B.) où, à la page 10, Monsieur le juge Lambert a mentionné et appliqué la Supreme Court Practice anglaise, qui traite de la fonction des précisions. Il est utile de noter une partie pertinente de la décision :

[TRADUCTION]
[...] Je suis d'accord pour dire que la fonction des précisions, telle qu'elle est énoncée dans Le livre blanc, s'applique tant en Colombie-Britannique qu'en Angleterre; six éléments sont énoncés :
(1) informer l'autre partie de la nature des arguments auxquels elle devra faire face, à distinguer de la manière dont ces arguments seront prouvés ....
(2) empêcher que l'autre partie ne soit prise par surprise à l'instruction ....
(3) permettre à l'autre partie de savoir quelle preuve devrait être prévue et de se préparer pour l'instruction ....
(4) limiter la généralité des plaidoiries ....
(5) déterminer les points à instruire et ceux pour lesquels un interrogatoire est requis ....
(6) enlever toute liberté d'action à la partie de manière à ce qu'elle ne puisse, sans autorisation, examiner les questions qui ne font pas partie des plaidoiries ....

[16]      Dans l'arrêt Gulf Canada Ltd. c. le " Mary Mackin ", [1984] 1 C.F. 884, à la page 889, en mentionnant les décisions Spedding et Cansulex, la Cour d'appel fédérale a adopté les six fonctions des précisions, telles qu'elles ont été codifiées dans les règles anglaises :

Il [le juge d'appel Lambert] a ensuite énuméré et approuvé, aux pages 10 et 11 de ses motifs [dans Cansulex], les fonctions des détails telles qu'elles sont présentées dans le Livre blanc traitant des Règles de pratique anglaises. The Supreme Court Practice, 1982, vol. 1, page 318, énumère ces fonctions:
     * * * * * *
Étant donné que la Règle 408(1) [maintenant Règle 174], qui exige "... un exposé précis des faits essentiels sur lesquels se fonde la partie qui plaide" et que la Règle 415 [maintenant Règle 181], qui permet la présentation de demandes de détails plus amples et plus précis sur les allégations contenues dans une plaidoirie, sont pour l'essentiel semblables aux articles correspondants des règles anglaises, j'estime que les six fonctions énumérées plus haut s'appliquent également à une demande comme celle présentée en l'espèce en vertu des Règles de la Cour.

Précisions aux fins de la défense et de l'instruction

[17]      Les précisions demandées aux fins de la défense ne sont pas aussi étendues que les précisions demandées aux fins de l'instruction. Dans la décision Embee Electronic Agencies Ltd. c. Agence Sherwood Agencies Inc. et al. (1979) 43 CPR (2d) 285 (C.F. 1re inst.), Monsieur le juge Marceau (tel était alors son titre) fait une distinction précise entre les précisions qu'il faut avoir en vue de préparer sa défense et celles qu'il faut avoir aux fins de la communication.

[T]el que je comprends le droit applicable à cet égard, il faut distinguer une requête pour détails présentée avant la production de la défense d'une requête faite à un stade ultérieur de l'instance. Avant le procès, une fois les points en litige identifiés, un défendeur a le droit d'être informé de tous détails qui lui permettraient de préparer sa défense, afin de ne pas être pris par surprise au procès. Mais avant la production de la défense, le droit qu'a un défendeur d'obtenir des détails n'est pas aussi vaste, n'ayant pas le même fondement et servant à des fins différentes. Il ne devrait pas être permis à un défendeur d'utiliser une requête pour détails pour fureter dans le dossier de son adversaire dans l'espoir de découvrir l'étendue de la preuve qui pourrait être produite contre lui au procès, ni pour faire une "recherche à l'aveuglette" afin de découvrir des moyens de défense qu'il ignore encore. À ce stade préliminaire, un défendeur a le droit d'obtenir tous les détails qui lui permettront de mieux saisir la position du demandeur, de savoir sur quoi se fonde l'action contre lui et de comprendre les faits sur lesquels elle s'appuie, afin de pouvoir répondre intelligemment à la déclaration et énoncer correctement les moyens sur lesquels il appuie sa propre défense, mais il n'a pas le droit d'aller plus loin et d'en demander plus.

[18]      Dans la décision International Business Machines Corp. c. Printech Ribbons Inc., (1994), 55 CPR (3d) 337, Monsieur le juge Teitelbaum a adopté la thèse avancée par Monsieur le juge Marceau dans l'arrêt Embee et a souligné que " la partie défenderesse ne doit pas se servir de la requête pour détails en vue de découvrir l'étendue de la preuve qui sera présentée au procès " (p. 340). L'avocat de Postes Canada a également mentionné la décision Quality Goods I.M.D. Inc. c. R.S.M. International Active Wear Inc. et al. (1996), 63 C.P.R. (3d) 499. Dans cette décision, Monsieur le juge Dubé a examiné la décision Embee et a statué que les précisions ne doivent pas servir de preuve des allégations que le demandeur fait et que le demandeur n'a pas à fournir au défendeur des précisions au sujet de faits que ce dernier connaît déjà.

    

[19]      Compte tenu de ces principes, j'examinerai maintenant à tour de rôle chacune des demandes qu'Epost a faites.

Marchandises et services

[20]      Epost soutient qu'elle a besoin de précisions au sujet de marchandises et services qui sont en cause avant de pouvoir plaider l'affaire. Les marchandises et services de Postes Canada et leurs marques de commerce liées sont énumérés aux annexes A, B et C de la déclaration. Plus précisément, Epost voudrait qu'il soit confirmé que la demande de Postes Canada est limitée à ce qui est énuméré dans les annexes et qu'elle n'englobe pas les autres enregistrements et demandes concernant des marques de commerce.

[21]      Une fois que les actes de procédure ont été déposés, la partie doit s'en tenir aux allégations de fait et aux demandes de réparation énoncées dans son acte de procédure. Sur cette base, Postes Canada a uniquement le droit de chercher à protéger les marques énumérées dans les annexes jointes à la déclaration. L'avocat de Postes Canada a concédé ce point pendant l'audience. Il convient donc d'examiner les annexes pour voir s'il faut donner des précisions supplémentaires à l'égard de ces marchandises et services.

[22]      À titre d'exemple, je mentionnerai une marque typique désignée à l'annexe A et les marchandises liées :

[TRADUCTION]
MAIL POSTE et dessin      Marchandises : porte-documents, carnets d'adresses, pochettes pour cartes d'affaires; papeterie : enveloppes, étuis à dossiers, cartes de souhaits, cartes de correspondance, bloc-notes, timbres, buvards, agendas, tablettes de notes, chemises, relieurs, couvertures de livres, papier d'écriture; autocollants, stylos, crayons, tampons de caoutchouc, règles, presse-papiers, ouvre-lettres; bijouterie : broches, épingles de cravate, épinglettes; vêtements; uniforme, cravates pour hommes, casquettes, t-shirts, chemises polo, blousons de survêtement, survêtements [et quatre douzaines d'autres articles]

La description des marchandises liées à la marque de commerce MAIL POSTE et dessin, tout en étant longue, est précise et claire. La liste renferme des renseignements adéquats permettant à Epost de savoir quelles marchandises sont en cause.

[23]      J'ai minutieusement examiné les annexes; je conclus que le libellé des annexes est en général clair et précis en ce qui concerne la nature des marchandises et des services liés à chaque marque de commerce. Il n'est pas difficile de savoir sur quoi repose la demande de Postes Canada. Postes Canada n'a pas à fournir de précisions puisque Epost les a déjà.

Définition de " grand " nombre de marques de commerce

[24]      J'examinerai maintenant la demande qu'Epost a faite en vue d'obtenir des précisions au sujet du mot " grand ", tel qu'il est employé à l'égard du nombre de marques de commerce dont Postes Canada est propriétaire. L'avocat d'Epost soutient que la gamme de marques que Postes Canada cherche à protéger est beaucoup trop étendue.

[25]      Lorsqu'une gamme de marques est employée, le demandeur peut se fonder sur " une famille de marques qui lui confèrent une gamme fort étendue de marques de commerce et de services " : voir Everex Systems, Inc. c. Everdata Computer Inc. (1992), 44 C.P.R. (3d) 175. Dans la décision Everex, Monsieur le juge Teitelbaum souscrivait à l'avis exprimé par Madame le juge Reed dans la décision Kabushiki Kaisha Edwin c. S.D.B. Design Group Inc. (1986), 9 C.P.R. (3d) 465, à la page 469, à savoir que " lorsqu'il existe une famille de marques, il est encore plus probable que le public pensera qu'un autre mot de cette famille désigne un autre produit fabriqué par la personne qui a fabriqué les marchandises associées à cette famille de marques " (Everex à la page 183) et, sur cette base, il a permis à la demanderesse de chercher à obtenir une protection en se fondant sur une gamme étendue de marques ou sur une " famille " de marques.

[26]      Comme l'avocat de Postes Canada l'a souligné en l'espèce, Epost a le droit, dans sa défense, de nier toute allégation se rapportant aux marques revendiquées. Il serait déraisonnable de contraindre Postes Canada à tronquer sa preuve avant l'instruction en se fondant uniquement sur le fait qu'elle cherche à faire protéger un " trop grand nombre " de marques.

Date du premier emploi; date de la production et date importante

[27]      La personne qui produit une demande relative à une marque de commerce en se fondant sur l'emploi d'une marque aux fins de l'enregistrement doit fournir la date la plus ancienne à laquelle la marque de commerce a été employée ou est réputée avoir été employée en liaison avec les marchandises et services. Il s'agit de la " date du premier emploi ". Dans le domaine de la propriété intellectuelle, cela peut prêter fortement à controverse étant donné que la période pendant laquelle la marque de commerce a été employée influe sur l'étendue de la réputation et de l'achalandage que le propriétaire des marques a accumulées et peut également permettre de déterminer s'il y a confusion parmi les consommateurs : voir par exemple United Artists Corp. c. Pink Panther Beauty Corp. (1998), 80 C.P.R. (3d) 247, à la page 260 (juge Linden).

[28]      En vertu des paragraphes 4(1) et (2) de la Loi sur les marques de commerce, une marque de commerce est réputée employée " en liaison avec des marchandises " si, " dans la pratique normale du commerce ", elle est montrée sur les marchandises mêmes ou si elle est employée dans l'exécution des services et qu'un avis de liaison est donné à la personne à qui les marchandises sont transférées ou dans l'annonce de ces services. Si le propriétaire de la marque de commerce se fonde sur cette disposition relative à l'" emploi réputé ", la date la plus ancienne de l'emploi ou la date du premier emploi doit être fournie dans la demande d'enregistrement de ladite marque.

[29]      En l'espèce, Postes Canada a énuméré dans les annexes qui étaient jointes à la déclaration la date du premier emploi ou la date de la production des demandes relatives aux marques de commerce qui sont pendantes. La date de la production, par opposition à la date alléguée du premier emploi, est de toute évidence la date à laquelle le demandeur a produit une demande d'enregistrement à l'égard de sa marque. En ce qui concerne l'enregistrement de la marque de commerce, les deux dates sont utilisées en vue de déterminer si les marques sont enregistrables. Dans la décision Part I Knitting Ltd. c. Tetra Music Ltd. (1992), 43 C.P.R. (3d) 154, l'une des questions pertinentes dont la Commission des oppositions des marques de commerce était saisie était de savoir si la personne qui s'opposait à la marque avait montré qu'elle avait employé la marque contestée en liaison avec ses marchandises ou services avant la date à laquelle la demanderesse alléguait avoir employé la marque pour la première fois ou avant la date alléguée de la production. La personne qui s'opposait à la marque devait démontrer que la date du premier emploi ou la date de la production était antérieure à celle de la demanderesse.

[30]      Lorsque la date de production de la marque de la personne qui fait opposition est antérieure à la date à laquelle le demandeur a produit sa demande, mais qu'elle est postérieure à la date du premier emploi alléguée par ce dernier, la personne qui fait opposition doit prouver que la date du premier emploi alléguée par le demandeur est incorrecte et qu'elle est en fait postérieure à sa propre date de production ou à la date de premier emploi qu'elle allègue. Voir In-Wear A/S c. Prêt à Porter Orly Ltée (1990), 35 C.P.R. (3d) 340 (COMC).

[31]      En l'espèce, Postes Canada a uniquement fourni une date pour chaque marque, cette date pouvant être soit celle de la production soit celle du premier emploi. Epost demande à Postes Canada de préciser si les dates mentionnées dans les annexes jointes à la déclaration sont les dates du premier emploi ou les dates de production. L'avocat d'Epost mentionne la décision IBM c. Printech, supra, dans laquelle Monsieur le juge Teitelbaum a statué que, dans une affaire de marque de commerce, le défendeur a le droit de connaître la date du premier emploi. La date du premier emploi précède souvent la date de la production lorsqu'une marque de commerce est enregistrée et elle constitue donc le moment le plus ancien où la marque a été employée. Epost a le droit de savoir pendant combien de temps chaque marque est employée de façon à être en mesure de répondre de la façon appropriée aux allégations de la demanderesse.

[32]      Lorsque cette requête a été entendue, l'avocat de Postes Canada a convenu de fournir la date du premier emploi. Par conséquent, au lieu de délivrer une ordonnance prévoyant la désignation de chaque date mentionnée dans les annexes, je demanderai à Postes Canada de donner la date du premier emploi de chaque marque mentionnée dans les annexes.

[33]      Epost demande également que l'on donne des précisions au sujet de l'expression " date importante ", telle qu'elle est employée dans la déclaration, et en particulier au paragraphe 14 :

[TRADUCTION]
De plus, bien avant toute date importante, Postes Canada a employé les noms commerciaux Société canadienne des Postes, Canada Post Corporation, Poste Canada, Canada Post, ministère des Postes et Postes en liaison avec son entreprise.

En réponse , Postes Canada a défini la date importante comme étant [TRADUCTION] " la date de tout emploi possible ou allégué de " CyPost " ou d'" Epost " par Epost. Cette réponse est satisfaisante.

Services de transmission de messages électroniques

[34]      Epost soulève également la question de savoir ce qu'entend Postes Canada par " services de transmission de messages électroniques ". Selon Epost, cette expression pourrait s'entendre de la transmission de messages par un certain nombre de moyens et est donc trop générale.

[35]      Les mots pertinents de cette expression sont " électroniques " et " messages ". Dans le Living Webster Encyclopedic Dictionary , ces mots sont définis comme suit :

[TRADUCTION]
électronique, adj. Se rapportant à des dispositifs fonctionnant suivant les lois de l'électronique ou utilisant pareils dispositifs électroniques, n. Partie de la physique étudiant les effets du déplacement des électrons dans des tubes à vide, dans des gaz et dans des semi-conducteurs; techniques d'application.
message, n. Communication orale, écrite ou signalée envoyée par une personne ou par des personnes à une autre personne ou à d'autres personnes : renseignements, conseils, informations, instructions et ainsi de suite; télégramme; communication officielle, comme celle d'un sous-secrétaire d'État à un organisme législatif; l'objet de paroles, d'un roman, d'une pièce de théâtre, d'une oeuvre musicale et ainsi de suite; activités, courses ou mission d'un messager; communication inspirée devant être transmise au monde : message d'un prophète; ordinateurs, mot ou mots considérés comme une seule unité.

[36]      Les mots, qu'ils soient considérés ensemble ou isolément, sont trop généraux et trop étendus. L'expression " services de transmission de messages électroniques " n'est au départ pas claire. Elle n'indique pas l'étendue réelle des marchandises et services sur laquelle Epost peut se fonder pour comprendre la preuve de Postes Canada et pour plaider sa cause.

[37]      Dans son argumentation écrite, Postes Canada devra donner un plus grand nombre de précisions au sujet d'une des marques mentionnées dans les annexes, OMNIPOST. Les " services de transmission de messages électroniques " liés à cette marque comprennent la préparation, l'impression, la transmission et la livraison de messages électroniques par la poste, par télécopieur et au moyen de communications directes entre ordinateurs. Cela est beaucoup plus utile en ce sens que la description permet à Epost de savoir quels " services de transmission de messages électroniques " précis sont en cause. Cependant, Epost peut bien ne pas savoir comment interpréter l'expression " services de transmission de messages électroniques " et présenter des plaidoiries à cet égard dans d'autres contextes.

[38]      L'expression " services de transmission de messages électroniques " étant trop générale et étendue, Postes Canada doit fournir des précisions additionnelles au cas où elle cherche à faire protéger une marque en liaison avec des " services de transmission de messages électroniques ", de façon à permettre à Epost de savoir quels services sont en cause.

Étendue de la réputation

[39]      Epost demande en outre des précisions sur l'étendue de la réputation de Postes Canada. Toute affaire de marque de commerce se rapporte dans une certaine mesure à la réputation et à l'achalandage que les propriétaires de marques ont accumulées. Il arrive bien souvent que la question de la réputation constitue le noeud du litige.

[40]      En l'espèce, il n'est pas nécessaire de clarifier l'étendue de la réputation aux fins des plaidoiries. L'étendue de la réputation de Postes Canada doit en fin de compte être réglée à l'instruction; elle ne doit pas l'être au moyen d'une requête, car cela se rapproche non seulement de la communication, mais entraînerait aussi l'examen de la preuve qui doit être présentée à l'instruction.

CONCLUSION

[41]      La demande qu'Epost a faite en vue d'obtenir des précisions au sujet de la désignation des marchandises et services est rejetée. Des précisions suffisantes sont données dans les annexes jointes à la déclaration. Je dois rejeter la demande qu'Epost a faite en vue d'obtenir des précisions au sujet de la réputation de Postes Canada.

[42]      Postes Canada devra donner les dates du premier emploi de chaque marque mentionnée dans les annexes. Postes Canada devra également fournir des précisions au sujet de toute marque de commerce liée aux " services de transmission de messages électroniques ".

[43]      Étant donné que les parties ont chacune dans une certaine mesure gain de cause, les dépens suivront l'issue de la cause. Je félicite les avocats pour leur travail.


     " John A. Hargrave "

     Protonotaire

Le 13 août 1999

Vancouver (Colombie-Britannique)

Traduction certifiée conforme


L. Parenteau, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :      T-1022-99

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

     c.

     EPOST INNOVATIONS INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :      VANCOUVER

DATE DE L'AUDIENCE :      le 19 juillet 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du protonotaire John A. Hargrave en date du 13 août 1999


ONT COMPARU :

Michael Manson      pour la demanderesse

D. Lawrence Munn      pour la défenderesse


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar

Vancouver (Colombie-Britannique)      pour la demanderesse

Clark, Wilson

Vancouver (Colombie-Britannique)      pour la défenderesse


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