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                                                                                                                              Date :     20050531

                                                                                                                  Dossier :    IMM-8239-04

                                                                                                                Référence :    2005 CF 768

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2005

PRÉSENT :    MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                IMRAN MOHAMMAD ASGHAR

                                                                                                                         Partie demanderesse

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                           Partie défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION


[1]                Le demandeur, Imran Mohammad Asghar, est un citoyen du Pakistan âgé de 22 ans. En tant que membre de la famille d'un policier impliqué dans la luttre contre le terrorisme, le demandeur prétend avoir une crainte fondée de persécution en raison de son appartenance à un groupe social. Il demande le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 1er septembre 2004, qui a statué qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la LIPR).

[2]                En terme de remède, il demande à cette Cour de décerner un bref de certiorari annulant la décision de la Commission et ordonnant un nouvel examen de la demande.

CONTEXTE FACTUEL

[3]                En 1999, le père du demandeur procède à l'arrestation de quelques hommes, membres de groupes criminels et terroristes, pour le meurtre du surintendant senior de la police (surintendant) à Gujranwala. Les prévenus sont libérés en attente de leur procès. Dans les jours suivant leur libération, ils tentent d'enlever le demandeur, menacent son père et tuent son oncle. Ces incidents sont rapportés à la police.

[4]                En 2000, le père du demandeur prend une retraite anticipée. En février 2001, le demandeur quitte le Pakistan pour les États-Unis en voyagent avec un visa à entrées multiples. Il étudie et travaille à New York jusqu'en février 2003. Au moment où la nouvelle loi américaine en matière d'enregistrement prend effet, le demandeur quitte les États-Unis puisqu'il craint la déportation. Il arrive au Canada où il réclame le statut de réfugié.

[5]                En mars 2003, le père du demandeur témoigne dans le cadre du procès des prévenus qu'il a arrêtés six ans plus tôt. Il est victime d'un attentat sur sa vie. Aucune arrestation n'est effectuée. Suite à cet incident, le père et le frère du demandeur s'installent à Abu Dhabi et y demeurent toujours.


[6]                La demande d'asile du demandeur est rejetée par la Commission le 1er septembre 2004. La demande d'autorisation pour introduire la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie le 26 janvier 2005.

DÉCISION CONTESTÉE

[7]                La Commission détermine en premier lieu que le demandeur n'a pas établi de lien entre sa demande et les motifs de persécution figurant à l'article 96 de la LIPR. La Commission décide que l'allégation du demandeur qu'il craint la persécution des criminels cherchant vengeance contre son père n'a pas de lien avec un des motif établi à l'article 96 de la LIPR.

[8]                De plus, en ce qui a trait à la détermination sous l'article 96, la Commission conclut que le demandeur ne peut fonder sa réclamation sur son appartenance à un groupe social identifiable, soit la famille, puisque le lien avec un des motifs de persécution à l'article 96 ne peut être établi en l'absence d'un motif sous-tendant la demande d'asile : Serrano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no. 570, en ligne : QL.

[9]                La Commission conclut en outre que le paragraphe 97(1) de la LIPR ne s'applique pas aux faits en l'espèce. La Commission juge que le demandeur n'est pas crédible sur des points centraux de sa demande.


[10]            En dernier lieu, la Commission statue que le dossier indique qu'il y a suffisamment de protection étatique au Pakistan. La Commission juge que le demandeur n'a pas fourni de preuve claire et convaincante que l'État du Pakistan est incapable de le protéger. Par conséquent, la demande d'asile du demandeur est rejetée.

QUESTIONS EN LITIGE

[11]            Les questions litigieuses suivantes sont soulevées dans le cadre du présent contrôle judiciaire :

1)         La Commission a-t-elle erré en concluant que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de l'article 96 de la LIPR?

2)         La Commission a-t-elle erré dans son appréciation de la preuve au dossier dans le cadre de sa détermination que le demandeur ne peut être considéré comme une personne à protéger en vertu du paragraphe 97(1) de la LIPR?

3)         La Commission a-t-elle erré en concluant que l'État du Pakistan est en mesure d'offrir une protection à ses citoyens et au demandeur en particulier?

ANALYSE

1)         La Commission a-t-elle erré en concluant que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de l'article 96 de la LIPR?


[12]            Bien qu'il semble exister un avis partagé dans la jurisprudence de cette Cour quant à la norme de contrôle applicable à une détermination relative à la question du lien avec les motifs de persécution, qui touche à des questions mixtes de fait et de droit, j'ai récemment statué dans l'affaire La Hoz c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration) 2005 CF 762, que la norme appropriée était celle de la décision raisonnable simpliciter. J'adopte le même raisonnement en l'espèce et j'appliquerai le norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter.

[13]            La Commission a jugé que le demandeur ne pouvait fonder sa réclamation sur son appartenance à la famille en tant que groupe social puisqu'il y a absence d'un motif énuméré à l'article 96 de la LIPR sous-tendant la demande d'asile. En effet, la Commission a conclu que la persécution alléguée en l'espèce s'explique comme une vengeance personnelle contre le père du demandeur, qui passe entre autres par l'intimidation et l'agression des membres de sa famille.

[14]            La notion de groupe social doit être évaluée en gardant en tête le fait qu'elle s'inscrit dans les « thèmes sous-jacents généraux de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination qui viennent justifier l'initiative internationale de protection des réfugiés » : Ward c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 689. Trois catégories possibles de groupes sociaux ont été identifiées par la Cour suprême du Canada dans Ward, supra :

1)             les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable;

2)             les groupes dont les membres s'associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu'ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association;

3)             les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.


[15]            Le demandeur argumente que la Commission a erré en concluant qu'il y a un manque de connexité entre sa demande et les motifs de persécution énumérés à l'article 96 de la LIPR. Il soutient que sa demande est liée à l'article 96 parce que :

a)         il est persécuté en raison de son appartenance à un groupe social particulier, soit les enfants de policiers pakistanais;

b)         il est persécuté en raison de son appartenance à un groupe social particulier, soit sa famille, du fait que :

i)          son père est persécuté en raison de son appartenance à un groupe social particulier, soit les policiers pakistanais;

ii)         son père est persécuté en raison de ses opinions politiques.

a)         Le demandeur est-il persécuté en raison de son appartenance à un groupe social particulier, soit les enfants de policiers pakistanais?

[16]            En premier lieu, le demandeur allègue que la Commission a erré en droit en omettant de considérer qu'il appartient à un groupe social particulier du fait que son père était membre de la force policière pakistanaise. Le demandeur soutient que la Commission a intégré à ses propres directives la conclusion de cette Cour dans l'affaire Badran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no. 437, en ligne : QL, reconnaissant les enfants de policiers partisans de l'anti-terrorisme comme un groupe social.


[17]            Il est vrai que la directive à laquelle réfère le demandeur offre à titre d'exemple d'un groupe social reconnu les « enfants des policiers partisans de l'anti-terrorisme » . Il faut toutefois souligner que cette directive se fonde sur la décision de cette Cour dans l'affaire Badran, supra, où le litige portait sur la question de la protection de l'État et où il existait de la preuve à l'effet que les autorités étaient effectivement incapables de protéger les enfants de policiers égyptiens. En l'espèce, le demandeur n'a pas fourni de preuve en tant que telle démontrant que les enfants de policiers pakistanais étaient un groupe social particulier menacé par les terroristes. De plus, comme la directive n'a pas force de loi, elle n'a pas à être suivie quand une analyse contraire convient dans les circonstances : Narvaez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 2 C.F. 55.

b)         Le demandeur est-il persécuté en raison de son appartenance à un groupe social particulier, soit la famille?

[18]            En second lieu, le demandeur fait valoir que la Commission a erré en jugeant qu'il ne fait pas partie d'un groupe social particulier, la famille, au sens de l'article 96 de la LIPR. Il soutient qu'il est persécuté en raison de ses liens familiaux. En tant que policier, le père du demandeur a procédé à l'arrestation de suspects ayant des liens avec des groupes terroristes et a témoigné dans le cadre de leur procès, ce qui place son père en danger et rend le demandeur victime de persécution. Selon le demandeur, son père est persécuté compte tenu de son appartenance à un groupe social particulier, les policiers pakistanais, et de ses opinions politiques.


[19]            Afin qu'une famille puisse être considérée comme un groupe social selon les termes de l'article 96 de la LIPR, il faut que la victime soit persécutée à titre de membre de cette famille : Casetellanos c. Canada (Solliciteur général), [1995] 2 C.F. 190. Ainsi, il doit exister un lien bien défini entre la persécution dirigée contre l'un des membres de la famille et celle dont les autres membres de la famille sont victimes : Al-Busaidy c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no. 226, en ligne : QL.

[20]            La jurisprudence a clairement établi qu'une demande d'asile ne peut reposer uniquement sur l'appartenance à une famille, elle doit être supportée par un motif sous-jacent de persécution reconnu par la Convention : Serrano, supra.

Le demandeur voudrait que je décrète que tous ceux qui craignent d'être persécutés juste à cause d'un lien familial peuvent avoir droit à la protection de la Convention. Je crois que l'on étendrait ainsi la catégorie d'un « groupe social » bien au-delà des limites qui lui conviennent. Je ne souscris pas à l'idée qu'un lien familial est une caractéristique qui requiert la protection de la Convention, en l'absence d'un motif sous-jacent, énoncé dans la Convention, pour la persécution alléguée. Je conclus que dans le contexte des faits de l'espèce, la position du défendeur traduit mieux les objectifs de la Convention que celles des demandeurs.

[21]            À ce titre, je considère que la Commission n'a pas erré en se fiant sur ce principe. Il s'agit donc de déterminer si elle s'est méprise en déterminant que le motif sous-jacent à la réclamation du demandeur, liée à ses liens familiaux, ne constituait pas de la persécution au sens de l'article 96 de la LIPR. Tel que souligné précédemment, il doit exister un lien entre la persécution dirigée contre le membre de la famille, en l'espèce le père du demandeur, et la persécution dont sont victimes les autres membres de l'unité familiale, en l'espèce le demandeur : Casetellanos, supra.


[22]            Le demandeur maintient que son père est persécuté en raison de son appartenance à un groupe social particulier, les policiers pakistanais, et en raison d'opinions politiques imputées, vu qu'il est un policier impliqué dans la lutte anti-terroriste.

i)          Le père du demandeur est-il persécuté en raison de son appartenance à un groupe social particulier, soit les policiers pakistanais?

[23]            Je propose tout d'abord traiter de la prétention du demandeur à l'effet que son père est persécuté en raison de son appartenance à un groupe social particulier, la police pakistanaise. Son métier l'a amené à procéder à l'arrestation de suspects, ayant des liens avec des groupes terroristes, qui le menacent lui et sa famille parce qu'il a été appelé à témoigner dans le cadre de leur procès.

[24]            Il existe effectivement de la preuve au dossier indiquant que les gens appelés à témoigner dans le cadre de procès au Pakistan sont souvent la cible d'actes criminels perpétrés par les membres des groupes terroristes qui visent à les empêcher de se présenter comme témoin. Cependant, je suis d'avis que cette preuve indique précisément que ces individus sont ciblés par des « criminels » qui cherchent à les éliminer ou les faire taire. Comme la Commission l'a conclu, et comme le défendeur fait valoir, ce phénomène constitue des représailles et non de la persécution au sens de l'article 96 de la LIPR. Le mobile des agents de persécution est criminel, ce n'est pas un critère visé par la Convention.


[25]            La jurisprudence de cette Cour a constamment établi que la crainte de représailles motivées par de la vengeance ou le fait d'être victime d'un acte criminel ne constitue pas un motif de persécution tel que prévu par l'article 96 : Rawji c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1773, en ligne : QL; Mason c. Canada (Secrétaire d'État), [1995] A.C.F. no. 815, en ligne : QL; Mousavi-Samani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no. 1267, en ligne : QL; Montchak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 111, en ligne : QL; Klinko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 327. Les victimes d'actes criminels n'appartiennent pas de ce fait à un groupe social.

[26]            Compte tenu des catégories identifiant les groupes sociaux établies dans Ward, supra, je ne peux conclure, tel que le soutient le demandeur, que la Commission a erré en décidant que son père, en tant que policier pakistanais témoin à charge, n'était pas persécuté au sens de l'article 96 de la LIPR puisqu'il ne faisait pas partie d'un groupe social identifiable.

ii)         Le père du demandeur est-il persécuté en raison de ses opinions politiques?


[27]            Je ne suis pas non plus en mesure de conclure que, dû à son métier de policier impliqué dans la lutte anti-terroriste, le père du demandeur était persécuté en raison de ses opinions politiques. Je reconnais que les termes « opinion politique » doivent recevoir une interprétation large : Klinko, supra; Zhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 C.F. 379. Dans Ward, supra, l'État n'était pas complice des éventuels persécuteurs de M. Ward. Ce dernier craignait d'être persécuté par le Irish National Liberation Army et non par l'État, pour avoir aidé les otages qu'il gardait à s'évader. Selon la Cour suprême, cet acte permet d'imputer une opinion politique quant aux limites qu'il convient de fixer à l'égard des moyens employés pour réaliser des changements politiques. Un individu peut être considéré comme une menace par un groupe opposé au gouvernement en raison de ce qui semble être son point de vue politique. Également, dans Klinko, supra, la Cour a conclu que les agissements corrompus largement répandus au sein du gouvernement, que le revendicateur a dénoncés, constituent une « question dans laquelle l'appareil étatique, gouvernemental et politique, peut être engagé » .   

[28]            Néanmoins, eu égard à la preuve au dossier, j'estime que le fait pour le père du demandeur de procéder à l'arrestation de « criminels » et de témoigner contre eux ne constitue pas l'expression d'une opinion politique qui engage l'appareil étatique dans le sens prévu par l'arrêt Ward, supra. En l'espèce, les agents de persécution sont membres de groupes criminels et terroristes et ne sont aucunement liés à l'appareil étatique. Selon moi, la Commission a, à bon droit, conclu que les groupes criminels ne pourchassent pas le père du demandeur en raison d'opinions politiques imputées mais plutôt dans le but de l'éliminer pour l'empêcher de témoigner contre eux. Le père du demandeur exerçait ses fonctions de policier et aucun élément de preuve en l'espèce aurait pu permettre à la Commission de conclure que le père du demandeur était motivé par une opinion politique qu'on aurait pu lui imputer. Il en résulte que la Commission n'a pas erré en déterminant l'absence d'un motif énuméré à l'article 96 de la LIPR sous-tendant les allégations de persécution du père du demandeur, plus particulièrement les opinions politiques.


[29]            Par conséquent, et à la lumière de ce qui précède, je suis d'avis que la Commission ne s'est pas méprise en concluant que le père du demandeur n'était pas persécuté au sens de l'article 96 de la LIPR et que le demandeur ne pouvait donc fonder sa réclamation sur son appartenance à la famille en tant que groupe social, puisqu'il y a absence d'un motif énuméré à l'article 96 de la LIPR sous-tendant la demande d'asile.

[30]            Tel que le souligne la juge Dawson dans Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 345; lorsque la victime principale d'une persécution ne répond pas à la définition de réfugié au sens de la Convention, toute revendication connexe fondée sur l'appartenance au groupe de la famille ne saurait être accueillie. Conclure autrement résulterait en une anomalie.

Conclure autrement reviendrait à conclure qu'un acte de persécution contre des membres de la famille qui ne serait nullement lié à un motif de discrimination ou à des droits humains fondamentaux donnerait ouverture à la protection de la Convention. Par exemple, si des enfants étaient victimes d'un acte de persécution parce qu'un de leurs parents n'a pas renoncé à une occasion d'affaire ou à tricher lors d'un événement sportif, je ne crois pas qu'on avait prévu de s'en remettre à la Convention pour assurer la protection des enfants. Cela ne veut pas dire qu'aucune protection ne devrait être consentie ou qu'on ne consentirait pas à une telle protection, mais simplement que la Convention ne devrait pas en constituer le fondement.

Cette façon d'interpréter l'expression « groupe social » évite en outre l'anomalie de la situation dans laquelle, en tant que victimes du crime, les parents de Mme Gonzalez ne pourraient invoquer la protection de la Convention alors que Mme Gonzalez le pourrait du seul fait de sa relation avec ses parents.


[31]            Ces propos sont particulièrement pertinents en l'espèce. Le demandeur n'a pas rencontré le fardeau d'établir que la victime principale, son père, répond à la définition de réfugié au sens de la Convention. Ainsi, la demande connexe du demandeur ne peut être accordée, faute de lien avec les motifs de persécution établis à l'article 96 de la LIPR. Il en résulte de la décision de la Commission, que le père du demandeur n'était pas persécuté au sens de l'article 96 de la LIPR et que, conséquemment, la crainte de persécution du demandeur en raison de ses liens familiaux n'était pas fondée, n'est entachée d'aucune erreur susceptible de révision par cette Cour.

2)         La Commission a-t-elle erré dans son appréciation de la preuve au dossier dans le cadre de sa détermination que le demandeur ne peut être considéré comme une personne à protéger en vertu du paragraphe 97(1) de la LIPR?

[32]            Le demandeur conteste également la décision de la Commission qu'il n'est pas crédible en raison d'incohérences entre son témoignage et la preuve documentaire présentée.

[33]            Dans le contexte d'un contrôle judiciaire, les déterminations relatives aux faits, à la crédibilité et à l'appréciation de la preuve que la Commission est appelée à faire sont révisées en vertu du critère établi à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7, 2002, c.8 :


18. Motifs

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

18. Grounds of review

(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;



[34]            Ce standard a été identifié comme l'équivalent du caractère manifestement déraisonnable : Association canadienne des fabricants de pâtes alimentaires c. Aurora Importing & Distributing Limited, [1997] A.C.F. no 115, en ligne : QL.

[35]            La Commission déclare fortement douter de la crédibilité du demandeur vu les incohérences entre son témoignage et des éléments de preuve documentaire quant à des points centraux de sa demande, soit la tentative d'enlèvement à son égard, l'incident du meurtre de son oncle, le témoignage de son père dans le procès pour meurtre du surintendant, et la tentative de meurtre à l'égard de son père.

[36]            La Commission doute également de la crédibilité du demandeur quant à la façon dont il explique pourquoi il n'a pas réclamé le statut de réfugié aux États-Unis. Elle conclut que le demandeur a tardé à réclamer le statut de réfugié. Elle ne croit pas non plus qu'un conseiller scolaire aurait suggéré au demandeur qu'il demeure aux États-Unis même si son visa était expiré.

[37]            Le demandeur conteste cette conclusion et s'oppose entre autres à la détermination de la Commission qu'il n'est pas crédible sur les éléments suivants :

-           l'heure de la tentative d'enlèvement à son endroit;

-           qui, de ses parents ou de son oncle, le directeur du collège a appelé suite à la tentative d'enlèvement;

-           le fait que le meurtre de son oncle était en fait un attentat contre son père;

-           le rejet des certificats médicaux;

-           le temps passé aux États-Unis avant de réclamer le statut de réfugié et les conseils donnés par son conseiller scolaire.


[38]            Le demandeur fait valoir que la Commission doit évaluer tous les éléments de preuve corroborant la thèse du demandeur et qu'elle sera en erreur si elle se fie de façon sélective à d'autres éléments de preuve documentaire : Tung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no. 292, en ligne : QL. Il avance aussi qu'il n'est pas permis pour la Commission de tirer une conclusion défavorable du fait qu'il n'y a pas de preuve documentaire corroborant son témoignage : Attakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no. 444, en ligne : QL. Enfin, le demandeur soutient que la Commission doit respecter son témoignage et ne pas le fausser : Maruthapillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no. 761, en ligne : QL.

[39]            Il est de jurisprudence constante, tel que le souligne le défendeur, que la Commission est mieux placée que cette Cour pour évaluer les questions relatives à la crédibilité. Toutefois, je suis d'avis, qu'en l'espèce, la Commission a, de façon manifestement déraisonnable, décidé que le demandeur n'était pas crédible. Elle a rejeté sans justification des explications, raisonnables et supportées par la preuve, offertes par le demandeur en réponse aux interrogations de la Commission.

[40]            La Commission a préféré les notes de l'agent d'immigration, qui indiquent que la tentative d'enlèvement à l'égard du demandeur s'est passée en soirée, vers 18h00, au témoignage de ce dernier et au rapport officiel de police qui indiquent tous deux que les événements sont survenus vers 16 h. Le fait que la Commission a attaqué la crédibilité du demandeur sur un détail, sans expliquer pourquoi elle préférait les notes de l'agent au témoignage du demandeur corroboré par le rapport officiel de la police, est une conclusion manifestement déraisonnable.


[41]            Il était également manifestement déraisonnable pour la Commission de conclure à la non crédibilité du demandeur sur la question de savoir qui, des parents du demandeur ou de son oncle, avait été contactés par le directeur du collège suite à la tentative d'enlèvement. Le demandeur a expliqué que le directeur du collège n'a pu rejoindre ses parents et, disposant des coordonnées de son oncle, à contacté ce dernier. La Commission n'a donné aucune raison expliquant pourquoi elle n'a pas accepté cette explication, préférant simplement conclure à la non crédibilité du demandeur en raison de divergences mineures dans la preuve documentaire, divergences raisonnablement expliquées par le témoignage du demandeur.

[42]            En somme, la Commission s'est rattachée à des détails pour juger que le demandeur n'était pas crédible. Elle a omis de tenir compte d'explications raisonnables offertes par le demandeur lors de son témoignage; elle n'a pas non plus justifié pourquoi elle les rejetait. En dépit du fait que cette Cour doit faire preuve d'une grande déférence à l'égard des conclusions de la Commission sur des questions de crédibilité, je suis d'avis qu'en l'espèce l'intervention de cette Cour est requise en raison de conclusions manifestement déraisonnables tirées par la Commission.

3)         La Commission a-t-elle erré en concluant que l'État du Pakistan est en mesure d'offrir une protection à ses citoyens et au demandeur en particulier?

[43]            Puisque le régime de réfugié a pour objectif de protéger les gens issus de pays qui sont incapables de protéger leurs citoyens, la détermination quant à savoir si l'État d'un demandeur d'asile peut lui fournir protection est une question clef. Si, en effet, le pays d'origine du demandeur d'asile est en mesure de le protéger, la réclamation sera rejetée.


[44]            La présomption en la matière veut que l'État soit capable de protéger ses citoyens, à moins que l'appareil étatique se soit effondré : Ward, supra. Le demandeur d'asile doit conséquemment fournir une preuve claire et convaincante que l'État est incapable de le protéger. Il ne suffit pas que le demandeur démontre que le gouvernement a parfois été inefficace pour protéger les gens dans sa situation : Atakurola c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no. 463, en ligne : QL.

[45]            Dans Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 193, la juge Tremblay-Lamer a effectué l'analyse pragmatique et fonctionnelle pour conclure que la notion de protection de l'État entraîne la considération de questions mixtes de fait et de droit et, par conséquent, l'application de la norme de contrôle raisonnable simpliciter. C'est la norme de contrôle que je juge applicable en l'espèce.

[46]            En l'espèce, la Commission a jugé que, même en supposant que le demandeur est crédible sur les éléments fondamentaux de sa demande, il y a suffisamment de preuve au dossier pour conclure qu'il existe une protection étatique au Pakistan. La Commission souligne que le demandeur a déclaré que la police est intervenue lors de la tentative d'enlèvement à son égard, que deux policiers ont été assignés à la protection de sa famille de décembre 1999 à mars 2000, et que tous les incidents invoqués en l'espèce ont fait l'objet de rapports à la police.


[47]            De surcroît, le paragraphe 21(3) de la Loi anti-terroriste du Pakistan de 1997, révisée et élargie en 2002, indique que le gouvernement offre de la protection au juge, au procureur et aux témoins durant l'enquête, le déroulement des procédures relatives à cette Loi et par la suite si elle s'avère nécessaire.

[48]            Il est vrai, tel que le soulève le demandeur, que la Commission a reconnu que certains policiers ou autres acteurs du système judiciaire pakistanais ont été victimes d'attentats. Toutefois, je ne suis pas en mesure de conclure que la Commission a erré en décidant que preuve n'avait pas été faite que le Pakistan était incapable de protéger le demandeur. À mon sens, elle a bien jugé que la preuve au dossier indique que les mesures de protection de l'État ont été sollicitées par le demandeur et sa famille et qu'elles ont été mises en place. Le fait que la police n'ait pu empêcher les attentats n'est pas une indication d'un manque de protection étatique. En somme, le demandeur n'a pas présenté une preuve claire et convaincante pour se décharger de son fardeau de réfuter la présomption de protection étatique. La décision de la Commission, sur ce point, est raisonnable.

CONCLUSION

[49]            En dépit du fait que la conclusion de la Commission sur la question de la crédibilité du demandeur est manifestement déraisonnable, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée puisque la Commission a rendu une décision raisonnable en ce qui a trait à la question de protection de l'État. Ainsi, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


[50]            Le demandeur propose une question pour certification, question qui a d'ailleurs déjà été certifiée dans l'affaire Gonzalez, supra. Il la formule comme suit : une revendication du statut de réfugié peut-elle être accueillie sur la foi d'une crainte fondée de persécution du fait de l'appartenance à un groupe social qui est une famille, si le membre de la famille qui est principalement visé par la persécution n'est pas victime de persécution pour un motif énoncé dans la Convention?

[51]            Le défendeur fait valoir qu'il est opportun de certifier une question quand le juge est d'avis qu'elle transcende les intérêts des parties, qu'elle aborde les éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale, et qu'elle est aussi déterminante quant à l'issue de l'appel : Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no. 1637, en ligne : QL. En l'espèce, selon le défendeur la question proposée ne rencontre pas ces critères.

[52]            À mon avis, en l'espèce, la certification de cette question n'a aucun impact sur l'issue du litige. En effet, la Commission a rendu une décision raisonnable quant à la question de la protection étatique au Pakistan, ce qui mène au rejet de la demande d'asile. À l'opposé, aucune détermination sur la question de possibilité de refuge interne ou de protection étatique, qui scelle la question de la demande d'asile, n'a été faite dans l'affaire Gonzalez, supra.

[53]            Par conséquent, aucune question grave de portée générale ne sera certifiée.



                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                     « Edmond P. Blanchard »           

                                                                                                                                                     Juge                  


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                             

DOSSIER :                                         IMM-8239-04

INTITULÉ :                                        Imran Mohammad Asghar et al. c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 26 avril 2005

MOTIFS de l'ordonnance et ordonnance : L'honorable juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                       le 31 mai 2005

COMPARUTIONS:

Me Johanne Doyon                                           pour la partie demanderesse

Me Michel Pépin                                               pour la partie défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Johanne Doyon                                           pour la partie demanderesse

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                              pour la partie défenderesse

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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