Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20191218


Dossier : IMM-2358-19

Référence : 2019 CF 1619

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

LEVIS ANKENE AWUH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 26 novembre 2019. La structure, la grammaire, la syntaxe, la langue, les références et les citations ont été corrigées, et des renvois à la jurisprudence pertinente ont été incorporés le cas échéant.)

I.  La nature de l’affaire

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27, visant une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [« la SAR »] le 18 mars 2019. Le demandeur, M. Awuh, a demandé l’asile en raison de ses opinions politiques en tant que membre du Conseil national du Sud-Cameroun [« CNSC »] qui participe aux activités de ce parti. La SAR a rejeté l’appel, confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés [« la SPR »] selon laquelle le demandeur n’était pas crédible, et a conclu qu’il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger.

II.  Les faits allégués par le demandeur et la décision faisant l’objet du contrôle

[2]  Le demandeur affirme être devenu membre du CNSC le 3 janvier 2008 et avoir été arrêté, torturé, puis remis en liberté à deux reprises, en février 2008 et en octobre 2010.

[3]  Pour les fins de l’affaire, je n’ai pas besoin d’examiner tous les éléments de preuve qui ont été présentés à la SPR ou à la SAR.

[4]  Lorsqu’elle a rendu sa décision, la SAR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité en ce qui a trait aux arrestations, à la torture et aux détentions que le demandeur aurait subies en 2008 et en 2010. Elle a également tiré des conclusions sur la crédibilité qui sont défavorables au demandeur relativement à son hospitalisation en 2010, à la suite de sa sortie de prison. À elles seules, ces conclusions défavorables satisferaient normalement au critère de la décision raisonnable. Cependant, le rôle de la Cour n’est pas de déterminer si des conclusions individuelles relatives à la preuve sont raisonnables, mais plutôt de déterminer si la décision dans son ensemble satisfait au critère de la décision raisonnable énoncé dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]. Ainsi, la Cour doit chercher à savoir si la décision appartient aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit, et si le processus décisionnel utilisé pour en arriver à cette décision est justifié, transparent et intelligible.

III.  Analyse

[5]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision ne satisfait pas au critère de la décision raisonnable énoncé dans l’arrêt Dunsmuir.

[6]  À titre préliminaire, je note la bonne conduite et les observations louables de l’avocate du défendeur, Mme Mok, qui témoignent de sa connaissance des grandes traditions de la common law et de son engagement envers les fonctions d’officier de justice, de même que de sa capacité à bien représenter les intérêts de son client. Dans sa plaidoirie, Mme Mok a fait valoir que la SAR avait commis une erreur lorsqu’elle a tiré une conclusion sur la crédibilité qui est défavorable au demandeur relativement à une apparence de contradiction concernant son arrestation et sa détention en février 2008 et en octobre 2010. En ce qui concerne l’incident de 2008, le demandeur a allégué avoir été détenu au commissariat de sécurité publique de Bamenda. Quant à l’incident de 2010, il a affirmé avoir été détenu à la brigade de la gendarmerie nationale de Bamenda. La SAR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité parce que ces deux organismes policiers n’étaient pas les mêmes.  Mme Mok a fait remarquer avec raison qu’il existe trois appareils de sécurité au Cameroun : la police locale, la brigade de la gendarmerie et les forces militaires. Selon Mme Mok, la SAR a commis une erreur en concluant que le témoignage du demandeur était contradictoire parce qu’il a allégué avoir été détenu au poste de police local en 2008 et à la gendarmerie en 2010. Je suis d’accord.

[7]  Ensuite, la SAR a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité en raison des omissions perçues dans les affidavits de la mère du demandeur et les lettres du président du CNSC et de l’avocat du demandeur. La jurisprudence actuelle permet à la SAR de tirer une conclusion défavorable sur la crédibilité en s’appuyant sur des omissions importantes dans le formulaire de Fondement de la demande d’asile (Asfew c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 800 au para 15; Huseynov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1392 au para 16), mais pas sur des omissions dans des documents comme des affidavits et des lettres rédigées par des tiers (Plaisimond c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 998 au para 82, 91 Imm LR (3d) 275; Basbaydar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 387 au para 71).

[8]  À la lecture des paragraphes 40 et 42 de la décision de la SAR, il est évident que ces omissions ont été utilisées pour miner la crédibilité non seulement des auteurs des documents, mais aussi du demandeur. Il s’agit entre autres des extraits suivants : « J’estime qu’il existe des omissions importantes dans le formulaire FDA, les affidavits de la mère et du membre du [CNSC], ainsi que dans les lettres de l’avocat et du président du [CNSC] puisqu’ils ne mentionnent pas l’hospitalisation de l’appelant. » En outre, au paragraphe 42, la SAR a conclu que « [p]our toutes ces raisons, je souscris aux conclusions de la SPR et je conclus que le témoignage et la preuve de l’appelant en ce qui concerne ses détentions, la torture qu’il a subie et son hospitalisation n’étaient pas crédibles compte tenu d’omissions, d’incohérences et de contradictions importantes ». Ainsi, les conclusions relatives à la crédibilité fondées sur des omissions importantes, des incohérences et des contradictions ne se limitaient pas aux omissions dans le formulaire de fondement de la demande d’asile du demandeur.

[9]  Troisièmement, je suis également convaincu que les erreurs de la SAR concernant la crédibilité, qui incluent la conclusion erronée concernant une contradiction perçue dans la preuve relative aux lieux de détention du demandeur en 2008 et en 2010 ainsi que les renvois aux omissions dans des documents rédigés par des tiers, ont nui à l’analyse de la demande sur place. La SAR a conclu sans équivoque que le demandeur n’était pas un membre du CNSC. Cette conclusion contraste nettement avec la lettre du président du CNSC, que la SAR n’a pas commentée. Il est bien établi en droit que le décideur n’est pas tenu de mentionner tous les éléments de preuve (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (QL) au para 1 (CA)). Cependant, en l’espèce, je suis convaincu que le rejet de la lettre du président, qui confirmait l’appartenance du demandeur au CNSC, est le résultat direct des conclusions défavorables quant à la crédibilité fondées sur des omissions perçues dans la lettre.

[10]  Enfin, toujours en ce qui concerne la demande sur place, la mère du demandeur mentionne dans son affidavit que [traduction] « des gendarmes ont fait plusieurs visites surprises aux membres de sa famille vivant à Bamenda, dans la région du nord-ouest, à des heures insolites de la nuit, afin de les intimider et de les menacer pour qu’ils livrent [le demandeur] ». Là encore, bien que la SAR n’ait pas besoin de commenter toute la preuve, j’arrive à nouveau à la conclusion que le défaut de commenter cet élément de preuve, qui aurait eu une grande incidence sur l’analyse de la demande sur place, découle directement des conclusions sur la crédibilité défavorables à la mère qui sont attribuables à des omissions perçues dans son affidavit.

[11]  Pour ces motifs, je suis convaincu que la décision ne satisfait pas au critère de la décision raisonnable établi dans l’arrêt Dunsmuir. J’accueille la demande de contrôle judiciaire et je renvoie l’affaire à un autre commissaire de la SAR pour qu’il rende une nouvelle décision.

[12]  Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune. Aucune question n’est donc certifiée aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-2359-19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SAR pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale.

« B. Richard Bell »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2358-19

 

INTITULÉ :

LEVIS ANKENE AWUH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 NOVEMBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BELL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 18 DÉCEMBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Solomon Orjiwuru

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ada Mok

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Solomon Orjiwuru

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.