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Date : 20191218


Dossier : IMM-2608-19

Référence : 2019 CF 1642

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 18 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

SAVANN CHIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Savann Chin, conteste le caractère raisonnable d’une décision de la Section d’appel de l’immigration [SAI], datée du 28 mars 2019, confirmant le rejet par l’agent des visas de sa demande de parrainage de son épouse, Thi Hong Cuc Nguyen, en vue d’obtenir la résidence permanente. La SAI a conclu que le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que son mariage était authentique et qu’il ne visait principalement pas l’acquisition d’un statut ou d’un privilège prévu par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[2]  L’intervention de la Cour n’est pas nécessaire en l’espèce.

[3]  Le demandeur est un citoyen du Cambodge qui a grandi dans un camp de réfugiés au Vietnam. Après un parrainage de la part de sa famille en 1993, il est arrivé au Canada, où il est devenu citoyen en 1997. Après trois mois de fréquentations en ligne avec Mme Nguyen, le demandeur s’est rendu au Vietnam en décembre 2016, où il l’a rencontrée en personne et lui a demandé de l’épouser 10 jours plus tard. Le couple s’est marié six mois plus tard au Vietnam, le 2 juillet 2016.

[4]  Le 25 novembre 2016, le demandeur a présenté une demande de parrainage de sa femme en vue d’obtenir la résidence permanente. Après une entrevue avec Mme Nguyen en septembre 2016, l’agent des visas a rejeté la demande parce qu’il a conclu que le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que son mariage était authentique et qu’il ne visait principalement pas l’acquisition d’un statut ou d’un privilège prévu par la Loi. Dans ses motifs, l’agent des visas énonce quatre principales préoccupations, à savoir :

  • (1) le développement rapide de la relation et les événements qui l’entourent;

  • (2) le manque de connaissances de l’épouse du demandeur concernant le lieu de résidence du demandeur, où elle vivrait;

  • (3) le manque de connaissance de l’épouse du demandeur concernant les anciennes relations du demandeur;

  • (4) le manque de préparation de l’épouse du demandeur pour rejoindre celui-ci au Canada.

[5]  Après les témoignages du demandeur et de Mme Nguyen devant la SAI, le 7 février 2019, la SAI a confirmé la décision de l’agent des visas. La SAI a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve indiquant de manière évidente et convaincante que le mariage du demandeur était authentique, et a rejeté de nombreux éléments du récit du demandeur, plus précisément :

  • (1) les témoignages des couples semblaient préparés et répétés;

  • (2) l’épouse du demandeur n’a pas été en mesure de fournir une explication raisonnable quant à la raison pour laquelle elle n’en savait pas davantage sur la ville où réside le demandeur et les relations passées de ce dernier;

  • (3) aucune explication raisonnable n’a été fournir quant au début et au développement rapide de la relation du couple;

  • (4) le but de la première visite du demandeur au Vietnam n’était pas clair;

  • (5) aucun poids n’a été accordé aux quatre visites au Vietnam depuis le mariage, en raison du fait que le demandeur a de la famille au Vietnam et de l’historique des voyages dans le pays avant le début de sa relation;

  • (6) compte tenu des conclusions précédentes, on accorde peu d’importance aux récents éléments de preuve à l’appui des visites, des transferts monétaires et des communications.

[6]  La question de savoir si un mariage visait principalement l’immigration ou s’il est authentique requiert une analyse hautement factuelle, et les cours de révision doivent faire preuve de retenue à l’égard des décisions des décideurs. Par conséquent, la norme du caractère raisonnable s’applique aux conclusions de fait tirées par la SAI (Idrizi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1187, au par. 21). La Cour ne doit pas intervenir dans la décision de la SAI si celle-ci appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et si elle est transparente et intelligible (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47).

[7]  Selon l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, il incombe au demandeur d’établir que le mariage est authentique et qu’il ne vise principalement pas l’acquisition d’un statut ou d’un privilège prévu par la Loi. Bien que la SAI ait le pouvoir discrétionnaire de juger que les éléments de preuve présentés ne sont pas déterminants, je conclus que les motifs ne corroborent pas le résultat ou contiennent d’autres erreurs qui jettent de sérieux doutes concernant le processus d’évaluation. De plus, l’analyse de crédibilité effectuée par la SAI n’était ni transparente ni intelligible. Par conséquent, je conclus que la décision de la SAI est déraisonnable.

[8]  Le demandeur a présenté de nouveaux éléments de preuve devant la SAI. De plus, le demandeur et son épouse ont tous deux fourni des éléments de preuve de vive voix. La SAI a tiré des conclusions défavorables de l’absence d’explications quant à la raison pour laquelle Mme Nguyen avait peu de connaissance quant à Newmarket et quant à d’anciennes relations du demandeur. Dans le contexte d’un appel de novo, la SAI ne peut pas reprocher à un demandeur d’avoir tenté de répondre aux préoccupations précédemment soulevées par un agent des visas. En effet, cette audience vise à permettre la présentation de nouveaux éléments de preuve pour répondre aux préoccupations de l’agent des visas.

[9]  Au risque de me répéter, la SAI doit tenir compte des explications fournies lors de la nouvelle audience et déterminer si elles sont raisonnables. Dans la décision Glen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CanLII 46082 (CA CISR), la SAI a déclaré que le processus d’appel doit servir à « dissiper les préoccupations de l’agent des visas » et qu’elle doit analyser l’authenticité du mariage « au moment où a lieu l’audience ». Je souscris à cette interprétation de la loi applicable. Par conséquent, la SAI ne pouvait raisonnablement pas rejeter les éléments de preuve corroborants présentés devant elle simplement parce qu’ils sont ultérieurs à la décision de l’agent des visas. En passant, la SAI s’appuie sur la décision Bercasio c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 244 [Bercasio], mais je tiens à souligner que la décision Bercasio soutient l’affirmation selon laquelle les éléments de preuve antérieurs au mariage auraient moins de chance d’être manipulés que les éléments de preuve postérieurs au mariage, non pas que les éléments de preuve postérieurs au mariage ne peuvent pas être invoqués.

[10]  Par conséquent, en l’espèce, trois des conclusions défavorables à l’encontre du demandeur ont apparemment été tirées par la SAI parce que les éléments de preuve ont été produits après la décision de l’agent des visas. Mme Nguyen et le demandeur ont clairement expliqué pourquoi Mme Nguyen n’avait pas pu répondre aux questions de l’agent des visas concernant les mariages antérieurs du demandeur. Le demandeur ne lui avait pas parlé de ses précédents mariages parce qu’il pensait qu’elle aurait pu le quitter si elle avait été au courant de ceux-ci. De plus, le demandeur s’est rendu au Vietnam deux fois par année pendant environ quatre semaines en 2016, en 2017 et en 2018. Cet investissement important en argent et en temps témoigne de l’authenticité du mariage, et la SAI aurait dû y accorder un poids approprié conformément au témoignage du demandeur. Enfin, la SAI aurait dû accorder un poids approprié aux récents éléments de preuve à l’appui des transferts monétaires, ainsi qu’aux nombreuses pages de communication. Ensemble, ces écarts entre les éléments de preuve au dossier et les motifs vides utilisés pour justifier l’exclusion systématique de toute explication rendent la décision de la SAI déraisonnable.

[11]  De plus, la conclusion de la SAI quant à la crédibilité des témoignages du couple n’est ni transparente ni intelligible. Les témoignages sous serment du couple constituent « l’élément de preuve le plus probant en ce qui concerne le but principal de leur mariage » (Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1522, au par. 33), et sont présumés véridiques à moins que la SAI ne tire des conclusions défavorables quant à la crédibilité. Cependant, la SAI a simplement souligné que les témoignages du couple semblaient être préparés et répétés. Outre cette conclusion, la SAI n’a effectué aucune analyse de la crédibilité défavorable explicite et n’a fourni aucun détail concernant ce qui l’a amené à juger que le couple n’était pas en mesure de fournir des réponses en dehors d’un script donné. Il ne s’agit pas de motifs suffisants et transparents qui permettent à la SAI de rejeter les témoignages du couple. La SAI doit formuler des conclusions défavorables quant à la crédibilité en termes clairs et explicites (Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 228 (CAF); Zaytoun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 939, aux par. 6 à 8).

[12]  Par conséquent, la SAI aurait dû examiner dans son analyse le poids à accorder aux témoignages du demandeur et de Mme Nguyen concernant l’authenticité de leur mariage. Ainsi, le début et le développement rapide de la relation auraient été plus clairs. En ce qui concerne le voyage de décembre 2015 au Vietnam, le demandeur a clairement indiqué qu’il avait l’intention d’assister au mariage de son cousin et qu’il a décidé de demander à Mme Nguyen de l’épouser après avoir passé du temps avec elle. Le demandeur a également expliqué son premier contact sur Facebook par l’intermédiaire d’un ami mutuel – une collègue de l’époque de Mme Nguyen qui était la sœur de la belle-sœur du demandeur, et une tante de ce dernier. Par ailleurs, le demandeur a même témoigné qu’il considérait que le rythme de leur relation était [traduction« normal ». Par conséquent, la conclusion quant à la « précipitation » de la SAI était, au mieux, hypothétique ou a autrement été tirée sans tenir compte des valeurs non occidentales (voir aussi Padda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 708, au par. 13).

[13]  Pour ces motifs, la demande est accueillie. La décision contestée est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour nouvel examen. Aucune question de portée générale n’a été soulevée par les avocats, et aucune question ne sera certifiée par la Cour.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2608-19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision contestée est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SAI pour qu’il rende une décision. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 7e jour de janvier 2020.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2608-19

INTITULÉ :

SAVANN CHIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 décembre 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

 

Le 18 décembre 2019

COMPARUTIONS :

Ronald Poulton

POUR LE DEMANDEUR

Judy Michaely

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Poulton Law Office

Société professionnelle

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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