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Date : 20040901

Dossier : IMM-7428-03

Référence : 2004 CF 1201

Toronto (Ontario), le 1er septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

YASIN MOHAMMAD

RAZIA YASIN

UMAR MOHAMMAD (alias UMAD MOHAMMAD)

AHMAD HASSAN

FATIMA YASIN

ALI HASSAN

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Yasin Mohammad et les membres de sa famille, tous citoyens pakistanais, demandent le contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (la Commission), dont les motifs sont datés du 5 août 2003. Dans sa décision, la Commission a décidé que les demandeurs n'avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger. Les questions qui se posent sont de savoir si la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en tirant une conclusion négative en matière de crédibilité ou si elle a commis une erreur dans l'appréciation de la disponibilité de la protection de l'État.

Contexte

[2]                M. Mohammad est un musulman chiite âgé de 36 ans de Lahore, au Pakistan. Il était le propriétaire d'un dépanneur. Razia Yasin est son épouse et les quatre autres demandeurs sont ses trois fils et sa fille, tous mineurs. La demande d'asile des membres de la famille de M. Mohammad est fondée sur le lien familial qui les unit. M. Mohammad prétend craindre avec raison d'être persécuté du fait de sa religion par le groupe religieux sunnite musulman, le Sipah-e-Sahaba (Gardiens des amis du Prophète) (SSP).

[3]                M. Mohammad prétend que, le 14 octobre 2001, par suite de l'incapacité physique du secrétaire financier intérimaire de son Imam Bargah local, il a été nommé secrétaire financier adjoint. Dans le cadre de ses fonctions, il devait faire du porte-à-porte pour amasser des dons et organiser divers événements religieux. Il soutient qu'il a commencé à recevoir des appels téléphoniques menaçants du SSP quelques semaines après avoir été nommé à ce poste.


[4]                M. Mohammad prétend qu'il a été attaqué et qu'on a volé dans son magasin à cause de sa participation à ces activités religieuses. Il dit qu'il a été attaqué en rentrant chez lui après le travail, en décembre 2001, que son commerce a été saccagé et volé en février 2002, qu'en mars 2002, sa maison a été vandalisée, que lui et sa femme ont été attaqués et qu'en mai 2002, son commerce a de nouveau été attaqué et qu'il a été battu. Pendant l'attaque de mai 2002, les membres du SSP ont menacé d'enlever ses enfants et ils lui ont dit de ne pas communiquer avec la police. Les demandeurs ont quitté le Pakistan le 23 mai 2002 et ils sont arrivés au Canada le 24 mai 2002. Ils ont déposé une demande d'asile dès leur arrivée.

Décision de la Commission

[5]                La Commission n'a pas cru que M. Mohammad avait été nommé secrétaire financier par intérim de son Imam Bargah. En effet, elle a rejeté l'explication du demandeur concernant la raison pour laquelle la lettre provenant de l'Imam Bargah, produite en preuve à l'appui de sa demande, ne mentionnait pas ce fait très important. La Commission a plutôt conclu qu'il n'était qu'un petit employé de l'Imam Bargah et que, par conséquent, il n'avait pas le profil d'une personne qui serait visée par le SSP.


[6]                La Commission a également décidé que le Pakistan prenait des mesures importantes afin de protéger les citoyens chiites contre la violence religieuse exercée par le SSP et que, même si cette protection n'était pas parfaite, il s'agissait néanmoins d'une protection adéquate de l'État. Les demandeurs n'ont donc pas réfuté la présomption selon laquelle ils pouvaient se prévaloir de la protection de l'État au Pakistan. La Commission a mentionné plusieurs documents déposés en preuve qui établissaient que le Pakistan avait adopté des mesures pour diminuer la violence religieuse. La Commission a décrit la nature de la preuve documentaire en ces termes, à la page 4 de ses motifs :

Le U.S. Department of State et le British Home Office sont objectifs. Ils ont surveillé l'évolution de la situation au Pakistan pendant de nombreuses années et s'appuient sur des sources indépendantes. Les coupures de presse et les réponses aux demandes d'information précitées sont équilibrées et récentes.

[7]                La Commission a conclu que même s'il existait toujours de graves problèmes reliés à l'élimination de la violence religieuse, le gouvernement Musharraf avait mis en oeuvre plusieurs mesures pour protéger ses citoyens et les changements positifs apportés étaient durables.

Analyse :

La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en tirant une conclusion négative en matière de crédibilité?


[8]                Les demandeurs prétendent qu'il n'était pas raisonnable de tirer une conclusion négative, contre M. Mohammad, comme l'a fait la Commission, au motif que la lettre écrite par le chef religieux de l'Imam Bargah au Pakistan ne mentionnait pas que M. Mohammad avait été secrétaire financier adjoint. M. Mohammad n'avait pas le titre officiel de la fonction puisqu'il n'était qu'un adjoint qui rendait bénévolement des services pour aider le secrétaire financier malade. Les demandeurs prétendent que M. Mohammad a témoigné au sujet des fonctions qu'il exerçait comme adjoint du secrétaire financier et qu'il a démontré qu'il avait une connaissance crédible de ce rôle. En se fondant sur Giron c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 143 N.R. 238 (C.A.F.), les demandeurs soutiennent qu'il n'était pas logiquement loisible à la Commission de prendre une décision négative en l'espèce et que la Cour devrait intervenir.


[9]         Je ne suis pas convaincu que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle dans son évaluation de la crédibilité du demandeur principal. On ne saurait qualifier d'arbitraires ou de manifestement déraisonnables les conclusions négatives que la Commission a tirées du fait que la lettre corroborante ne mentionnait ni le poste ni les tâches de M. Mohammad à l'Imam Bargah, lorsqu'il aidait le secrétaire financier. Comme l'a souligné la Commission, les problèmes des demandeurs auraient commencé après l'entrée en fonction de M. Mohammad et le rédacteur de la lettre devait être au courant des attaques et du fait que la lettre devait appuyer la demande d'asile de la famille. Comme la Cour l'a dit dans Adu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 114 (C.A.)(QL), la Commission pouvait tirer des conclusions de l'absence de renseignements dans certains documents déposés en preuve si on pouvait raisonnablement s'attendre à ce que ces renseignements soient mentionnés. La présomption selon laquelle le témoignage assermenté d'un demandeur est véridique demeure réfutable et dans des circonstances appropriées, la Commission peut décider que la présomption a été réfutée lorsque la preuve documentaire ne mentionne pas les faits qu'elle devrait normalement mentionner. En outre, les demandeurs d'asile ont le fardeau de présenter tous les documents nécessaires à l'appui de leur demande et, en l'espèce, les demandeurs n'ont pas réussi à démontrer que leurs demandes étaient bien fondées : Rahmatizadeh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 578 (1re inst.)(QL) et Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 92 F.T.R. 131.

[10]            Les remarques incidentes concernant la possibilité d'un contrôle des conclusions en matière de plausibilité et de crédibilité dans Giron, précité, sur lesquelles le demandeur se fonde ont été clarifiées dans la décision subséquente de la Cour d'appel, Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.). Il appartient au demandeur de démontrer que la Commission ne pouvait pas raisonnablement tirer cette conclusion et le demandeur ne s'est pas acquitté de ce fardeau en l'espèce.

[11]            Je constate que la conclusion de la Commission en matière de crédibilité était fondée uniquement sur cette seule inférence négative et cela pourrait, dans un autre contexte, soulever quelques préoccupations. Toutefois, comme je l'expliquerai plus loin, l'analyse de la Commission concernant la protection de l'État est longue et détaillée. Comme la Cour suprême du Canada l'a dit dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la détermination de la protection de l'État fait partie intégrante de la définition d'un réfugié et un demandeur doit produire une preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État de le protéger pour pouvoir établir une crainte bien fondée de persécution.    

La Commission a -t -elle commis une erreur dans son appréciation de la disponibilité de la protection de l'État au Pakistan?

[12]            Les demandeurs prétendent que l'analyse de la protection de l'État effectuée par la Commission était fondée sur une opinion très sélective de la preuve documentaire et que la Commission n'a pas tenu compte de preuves qui contredisaient sa conclusion. Cette preuve indique que le gouvernement du Pakistan n'est pas sincère quand il promet de protéger la minorité chiite. Les demandeurs disent que le gouvernement est incapable de protéger les chiites et qu'il ne prend pas tous les moyens nécessaires pour atténuer la violence à caractère religieux. Les demandeurs affirment qu'en ne tenant pas compte de la preuve documentaire qui étaye cette conclusion, la Commission a commis une erreur : Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 106 (C.A.F.) et Tariq c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 822 (1re inst.)(QL).


[13]            J'accepte les observations du défendeur qui prétend qu'il ressort clairement des motifs de la Commission qu'elle connaissait les difficultés auxquelles faisaient face les musulmans chiites au Pakistan et que la Commission a examiné et mentionné toutes les preuves tant favorables que défavorables relativement à la demande d'asile des demandeurs. La Commission a mentionné le même rapport du Département d'État américain sur lequel les demandeurs s'étaient fondés et elle a également mentionné les graves problèmes que soulève le contrôle de la violence religieuse au Pakistan. La Commission a entrepris une analyse en profondeur de la question et elle a mentionné plusieurs mesures qu'a prises le gouvernement Musharraf au Pakistan pour protéger ses citoyens. La Commission a mentionné qu'au Pakistan, la protection de l'État n'est pas parfaite. À cet égard, son raisonnement est celui que l'on trouve dans la jurisprudence acceptée, plus particulièrement Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.).

[14]            Les demandeurs ne sont pas d'accord avec la manière dont la Commission a apprécié la preuve et avec la conclusion qu'elle a tirée concernant les moyens pris par le gouvernement Musharraf pour protéger les minorités. Il est normal qu'ils aient une opinion différente de la situation au Pakistan, mais cela ne veut pas dire que la Commission n'a pas tenu compte de tous les éléments de preuve ni qu'elle n'a pas apprécié correctement la pertinence et l'importance de ces éléments. Par conséquent, la Cour n'a aucun motif d'intervenir : Ye c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1233 (C.A.)(QL).

[15]            Les motifs révèlent, selon moi, que la Commission était au courant des problèmes et des dangers qui existent toujours au Pakistan. Sa conclusion selon laquelle les demandeurs en l'espèce pourraient se prévaloir de la protection de l'État n'était pas déraisonnable.

[16]            Aucune question grave de portée générale n'a été proposée et aucune question n'est certifiée.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

          « Richard G. Mosley »          

Juge                         

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL. B.


COUR FÉDÉRALE

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-7428-03

INTITULÉ :                                        YASIN MOHAMMAD, RAZIA YASIN

UMAR MOHAMMAD (alias UMAD MOHAMMAD),

AHMAD HASSAN, FATIMA YASIN, ALI HASSAN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 31 AOÛT 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                      LE 1ER SEPTEMBRE 2004     

COMPARUTIONS :

Lani Gozlan                                           POUR LES DEMANDEURS

Andrea Hammell                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Max Berger & Associates                      POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)         

Morris Rosenberg                                  POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE

      Date : 20040901

      Dossier : IMM-7428-03

ENTRE :

YASIN MOHAMMAD

RAZIA YASIN

UMAR MOHAMMAD (alias UMAD MOHAMMAD)

AHMAD HASSAN

FATIMA YASIN

ALI HASSAN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                           défendeur

                                                           

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                           


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