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Date : 20191003


Dossier : T‑516‑19

Référence : 2019 CF 1256

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 octobre 2019

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

GÁBOR LUKÁCS

demandeur

et

LE PRÉSIDENT DE L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Gábor Lukács, présente une requête visant la radiation de trois paragraphes de l’affidavit public de Mme Patrice Bellerose souscrit le 26 juillet 2019. L’affidavit public a été signifié au demandeur le 31 juillet 2019 dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire du demandeur, déposée à l’encontre de la décision du défendeur de ne pas communiquer certains dossiers qu’il avait demandés au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P‑21.

[2] La requête est rejetée pour les motifs qui suivent.

I.  Aperçu/contexte

[3] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du délégué du président de l’Office des transports du Canada [l’OTC]. Le délégué a fourni certains dossiers au demandeur en réponse à sa demande présentée au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels et refusé de fournir d’autres dossiers. Dans son avis de demande, le demandeur fait valoir, entre autres, que le délégué a commis des erreurs en refusant de communiquer des dossiers portant la mention [traduction] « alinéa 12(1)b) » et en restreignant son pouvoir discrétionnaire ou en n’exerçant pas son pouvoir discrétionnaire relativement aux exemptions prévues aux articles 26 et 27 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

A.  L’affidavit en cause

[4] L’affidavit public de Mme Patrice Bellerose a été souscrit le 26 juillet 2019. L’affidavit a été signifié au demandeur, et l’affidavit de signification a été déposé devant la Cour le 1er août 2019. L’affidavit et les pièces qui y sont jointes n’ont pas encore été déposés devant la Cour.

[5] Mme Bellerose atteste être la directrice des Services de secrétariat et de registraire et de la Gestion de l’information de la Direction générale des services de soutien de l’OTC. Elle atteste que ses responsabilités incluent la gestion de la protection et de la communication des renseignements sous le régime de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Elle explique que, en raison de son rôle et de ses responsabilités, elle est personnellement au courant des faits attestés ou, sur la foi de renseignements tenus pour véridiques, elle atteste de la véracité de ceux‑ci.

[6] L’affidavit de Mme Bellerose fournit une chronologie des faits, à commencer par la demande que le demandeur a présentée en septembre 2016 pour obtenir des dossiers, l’insatisfaction du demandeur relativement aux dossiers lui ayant été fournis, sa plainte au Commissariat à la protection de la vie privée [le CPVP], les recommandations du CPVP à l’intention de l’OTC [le défendeur ou l’Office], le suivi qu’a fait l’Office des recommandations du CPVP, y compris la communication de dossiers supplémentaires auxquels le demandeur n’avait précédemment pas eu accès, et la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur à la Cour. L’affidavit renvoie aussi à plusieurs pièces, qui n’ont pas encore été déposées devant la Cour.

[7] Le demandeur sollicite la radiation des paragraphes 9, 25 et 26 de l’affidavit public qui portent que :

[traduction]

Paragraphe 9 — Le même jour, le demandeur a mentionné verbalement qu’il allait déposer une plainte devant le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (le CPVP) (Pièce D).

[La pièce D est une copie d’un courriel, daté du 22 novembre 2016, envoyé par une employée de l’Office, Mme H, à d’autres personnes au sein de l’Office pour dire que le demandeur avait mentionné verbalement son intention de déposer une plainte au CPVP.]

Paragraphe 25 — En ce qui concerne le reste des pages mentionnées précisément par le demandeur, l’Office n’a pas commis d’erreur en ne communiquant pas les renseignements portant la mention « alinéa 12(1)b) », puisque les renseignements que ces dossiers contenaient ne concernaient pas le demandeur et n’avaient par conséquent pas à être communiqués.

Paragraphe 26 — De plus, le défendeur a exercé correctement son pouvoir discrétionnaire de ne pas communiquer des dossiers, conformément aux articles 26 et 27 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

B.  Un affidavit confidentiel sera déposé

[8] Par une ordonnance datée du 4 septembre 2019, la Cour a accueilli la requête du défendeur de présenter un affidavit confidentiel assorti de pièces. La Cour a conclu qu’un affidavit confidentiel était nécessaire pour s’assurer que les renseignements qu’on tentait de protéger le restent en attendant une décision relativement à la demande de contrôle judiciaire. L’affidavit confidentiel sera déposé le ou vers le 4 octobre 2019. Il est attendu que l’affidavit confidentiel et les pièces connexes constitueront une part importante du dossier soumis à la Cour afin d’éclairer sa décision quant à savoir si le défendeur a correctement appliqué les exemptions prévues par la Loi et s’il a exercé de façon raisonnable son pouvoir discrétionnaire de ne pas communiquer certains dossiers.

II.  Les observations du demandeur

[9] Le demandeur soutient que le paragraphe 9 va à l’encontre du paragraphe 81(1) des Règles des cours fédérales [les Règles], parce qu’il constitue du ouï‑dire et qu’il n’est pas pertinent. Il fait valoir que les paragraphes 25 et 26 vont aussi à l’encontre du paragraphe 81(1) des Règles, parce qu’ils contiennent des opinions, des arguments et/ou des conclusions de droit.

[10]  Le demandeur fait valoir qu’il ne devrait pas subir un préjudice en raison d’éléments de preuve inadmissibles. Il soutient que, si les paragraphes 25 et 26 sont radiés de l’affidavit de Mme Bellerose, il ne tentera pas de contre‑interroger cette dernière. Cependant, si ce n’est pas le cas, il sera obligé de le faire. Il ajoute que la Cour ne devrait tolérer aucune transgression de ses Règles.

[11]  Le demandeur reconnaît que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de radier un affidavit avec parcimonie, mais soutient que l’affidavit n’est pas conforme au paragraphe 81(1) des Règles ni à l’orientation de la Cour d’appel dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Quadrini, 2010 CAF 47, au paragraphe 18, [2010] ACF no 194 [Quadrini], sur le contenu approprié d’un affidavit.

[12]  Le demandeur fait valoir que les affidavits contenant des avis juridiques sur des questions de fond que la Cour doit trancher sont inadmissibles (Canada (Bureau de la régie interne) c Canada (Procureur général), 2017 CAF 43, au paragraphe 30, 412 DLR (4e) 336 [BRI]). Il soutient qu’il sera obligé de contre‑interroger Mme Bellerose, sinon il sera présumé qu’il a accepté les paragraphes 25 et 26 comme étant des faits. En s’appuyant sur l’arrêt Edw Leahy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 227 [Leahy], aux paragraphes 133 à 137, il ajoute que, si les paragraphes 25 et 26 de l’affidavit ne sont pas radiés et qu’il n’y a pas de contre‑interrogatoire, il y aura une lacune dans le dossier de preuve, particulièrement en ce qui concerne la question de l’identité de la personne ayant exercé le pouvoir discrétionnaire d’établir s’il fallait communiquer des dossiers par ailleurs exemptés.

[13]  En ce qui concerne le paragraphe 9, le demandeur fait valoir que la déclaration de Mme Bellerose constitue du ouï‑dire inadmissible qui n’est ni fiable ni nécessaire. Il soutient qu’il ne peut pas contre‑interroger de façon utile Mme Bellerose sur un tel ouï‑dire. Il soutient en outre que la question de savoir s’il avait déclaré son intention de déposer une plainte n’est pas pertinente, ajoutant que le défendeur n’a offert aucune explication concernant le défaut de fournir un affidavit de Mme H, si cet élément de preuve est important.

III.  Les observations du défendeur

[14]  Le défendeur soutient que radier un affidavit à l’étape interlocutoire constitue une mesure exceptionnelle (BRI, au paragraphe 8). Il fait valoir que, sauf dans le cas où la radiation de l’affidavit causerait un préjudice important au demandeur ou nuirait au déroulement ordonné de l’audition de la demande, l’approche appropriée consiste, pour le demandeur, à contester l’affidavit ou des parties de celui‑ci durant l’audition de la demande (Armstrong c Canada (Procureur général), 2005 CF 1013, aux paragraphes 34 et 40, [2005] ACF no 1270 [Armstrong]).

[15]  Le défendeur fait valoir que les paragraphes 25 et 26 sont des déclarations sur la position de la déposante, mais que la Cour établira si l’Office a agi de façon correcte ou raisonnable.

[16]  Le défendeur fait valoir que l’arrêt BRI n’appuie pas la position du demandeur. La déposante, Mme Bellerose, n’est pas une experte du domaine juridique et ne fournit pas un avis juridique. Elle réaffirme plutôt la position de l’Office. Le défendeur soutient qu’il s’agit d’une pratique courante et qu’il s’agit, au pire, d’une irrégularité.

[17]  Le défendeur soutient que, contrairement à l’arrêt BRI, où la Cour a radié l’affidavit à une étape préliminaire, le demandeur ne serait pas forcé de contre‑interroger la déposante ou de retenir lui‑même les services d’un expert pour répliquer à une opinion. Il ajoute que le fait de contre‑interroger la déposante ne constitue pas un préjudice pour le demandeur. En outre, le fait de laisser l’affidavit intact ne nuirait pas au bon déroulement de l’audition de la demande.

[18]  En ce qui a trait au paragraphe 9, le défendeur soutient que le paragraphe 81(1) des Règles n’interdit pas totalement le ouï‑dire tout comme il n’interdit pas l’acceptation d’éléments de preuve fondés sur des renseignements tenus pour véridiques. Les éléments de preuve fondés sur des renseignements tenus pour véridiques sont synonymes d’éléments de preuve admissibles au titre d’une exception à la règle du ouï‑dire (Cabral c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2018 CAF 4, au paragraphe 32, [2018] ACF no 21 (QL) [Cabral]). Le défendeur soutient que le paragraphe 9 est fiable, puisque Mme Bellerose est la supérieure de Mme H, qui a communiqué avec le demandeur, et qu’elle est en mesure de savoir si l’information est véridique. Il soutient en outre que le paragraphe 9 est nécessaire, parce qu’il explique les étapes suivantes de la chronologie, en particulier le paragraphe 10, qui mentionne que d’autres dossiers ont été fournis au demandeur par l’OTC après cette communication. Un affidavit distinct de Mme H aurait été une perte de temps.

[19]  Le défendeur fait valoir que le demandeur n’a pas prouvé le préjudice qu’il subirait ‒ à part dire qu’il ne peut pas contre‑interroger de façon significative Mme Bellerose au sujet du paragraphe 9 ‒ s’il gardait ses préoccupations au sujet du paragraphe 9 pour l’audition de la demande.

IV.  Les Règles et la jurisprudence applicables

[20]  Les articles 3 et 81 des Règles sont pertinents relativement aux questions soulevées dans la présente requête. Elles portent que :

3 Les présentes règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

3 These Rules shall be interpreted and applied so as to secure the just, most expeditious and least expensive determination of every proceeding on its merits.

[...]

[...]

81 (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête – autre qu’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire – auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui.

81 (1) Affidavits shall be confined to facts within the deponent’s personal knowledge except on motions, other than motions for summary judgment or summary trial, in which statements as to the deponent’s belief, with the grounds for it, may be included.

(2) Lorsqu’un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables.

(2) Where an affidavit is made on belief, an adverse inference may be drawn from the failure of a party to provide evidence of persons having personal knowledge of material facts.

[21]  La jurisprudence fournit une orientation au sujet du contenu des affidavits et du pouvoir discrétionnaire de radier un affidavit ou des parties de celui‑ci.

[22]  Dans l’arrêt Quadrini, au paragraphe 18, la Cour d’appel a établi certaines règles générales concernant les affidavits :

[...] En général, l’affidavit doit contenir des renseignements pertinents qui aideraient la Cour à trancher la demande. Comme l’a souligné notre Cour dans Dwyvenbode c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 120, l’affidavit a pour but de présenter les faits pertinents quant au litige sans commentaires ni explications. La Cour peut radier des affidavits ou des parties de ceux‑ci lorsqu’ils sont abusifs ou n’ont clairement aucune pertinence, lorsqu’ils renferment une opinion, des arguments ou des conclusions de droit ou encore lorsque la Cour est convaincue qu’il est préférable de régler la question de l’admissibilité au stade préliminaire de façon à permettre le déroulement ordonné de l’audience (McConnell c. Commission canadienne des droits de la personne, 2004 CF 817, décision confirmée dans 2005 CAF 389).

[23]  Plus récemment, dans l’arrêt TsleilWaututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 116, au paragraphe 31, 280 ACWS (3e) 229 [TsleilWaututh], alors qu’elle abordait les exceptions à la règle générale selon laquelle la preuve au dossier de la cour de révision se limite à la preuve au dossier dont le décideur était saisi, la Cour d’appel a formulé des commentaires sur l’arrêt Quadrini, soulignant ce qui suit au paragraphe 37 :

Des demandeurs ont cité l’arrêt Canada (Procureur général) c. Quadrini, 2010 CAF 47, et sa mise en garde au paragraphe 18 selon laquelle les faits devraient être présentés « sans commentaires ni explications ». Cette phrase ne devrait pas être citée hors contexte. L’arrêt Quadrini met en garde contre l’argumentation controversée qui dépasse les limites de ce qui est permis. Parfois, un bon résumé du déroulement de l’instance devant le tribunal administratif peut contenir certaines explications et se révéler néanmoins admissible. Mais un affidavit ne saurait constituer un mémoire des faits et du droit.

[Non souligné dans l’original.]

[24]  Bien que la question dont la Cour était saisie dans l’arrêt TsleilWaututh ait été différente de celle dont est saisie la Cour, la précision au sujet de l’arrêt Quadrini s’applique quand même.

[25]  Dans l’arrêt BRI, la Cour d’appel a accueilli l’appel du défendeur relativement à la décision de la Cour fédérale de maintenir la décision du protonotaire de refuser de radier un affidavit présenté par le demandeur. La Cour d’appel a radié l’affidavit au complet.

[26]  La Cour d’appel a conclu que l’affidavit en cause ne se limitait pas à des faits, mais qu’il était « truffé » d’opinions (BRI, au paragraphe 21). La Cour d’appel a ajouté qu’on ne « saurait prétendre » que l’affidavit constituait un exposé des faits offrant des renseignements neutres, soulignant qu’il était plutôt assimilable à un avis juridique (au paragraphe 23). Elle a conclu que l’affidavit était inadmissible au titre du paragraphe 81(1) des Règles et qu’il n’était pas visé par l’exception accordée aux affidavits d’experts.

[27]  La Cour d’appel a souligné les principes pertinents, en particulier le fait que le pouvoir discrétionnaire de radier un affidavit doit être exercé seulement dans des cas exceptionnels, soulignant ce qui suit au paragraphe 29 :

29  Il est de jurisprudence constante, comme l’ont rappelé le protonotaire et le juge, que le pouvoir discrétionnaire de radier un affidavit en partie ou en totalité doit être exercé avec modération et seulement dans des cas exceptionnels. Dans la décision Armstrong, par exemple, sur laquelle le protonotaire s’est largement appuyé, la Cour fédérale a expliqué au paragraphe 40 que les tribunaux ne doivent exercer le pouvoir discrétionnaire de radier un affidavit que « dans les cas où il est dans l’intérêt de la justice de le faire, par exemple, ou dans les cas où cela causerait un préjudice important à une partie, lorsque le fait de ne pas radier un affidavit ou des parties d’un affidavit nuirait au bon déroulement de l’audition de la demande de contrôle judiciaire ». Notre Cour a réitéré ce point de vue dans les termes suivants au paragraphe 5 de l’arrêt Gravel :

[...] Dans la première décision, la juge saisie du dossier a reconnu la jurisprudence de notre Cour voulant que, dans le contexte d’une procédure de contrôle judiciaire, il ne faille recourir à des requêtes en radiation de la totalité ou d’une partie d’un affidavit que dans des circonstances exceptionnelles, surtout lorsque l’objet de la radiation a trait à la pertinence de la preuve : voir Canadian Tire Corp. Ltd. c. P.S. Partsource Inc., 2001 CAF 8. La raison en est bien simple : les demandes de contrôle judiciaire doivent procéder au mérite rapidement et les incidents procéduraux de la nature d’une requête en radiation ont pour effet de retarder indûment, et plus souvent qu’autrement inutilement, une décision au mérite.

[28]  La Cour d’appel a conclu que la question de l’admissibilité de l’affidavit en cause devait être réglée à une étape précoce, et ce, pour deux raisons (BRI, aux paragraphes 30 et 31). Premièrement, l’affidavit était « si manifestement inacceptable et rempli d’opinions juridiques qu’il [fallait] l’écarter au plus tôt », et il avait été présenté pour fournir un avis juridique d’expert sur la question que la Cour devait examiner. Deuxièmement, il était dans l’intérêt de la justice d’intervenir rapidement, parce que, s’il n’était pas radié, l’affidavit causerait un préjudice important aux appelants et nuirait à la bonne marche de l’instruction de la demande. La Cour d’appel a expliqué, au paragraphe 32, que, si le maintien de l’affidavit était autorisé, les appelants pourraient se voir contraints de retenir les services de leur propre expert pour déposer un affidavit en réponse, ce qui détournerait l’attention de la Cour, en entraînant un débat superflu pour décider lequel des experts est le plus crédible et le plus fiable, allongeant ainsi indûment ce qui devrait être une instance rapide.

[29]  Dans la décision Bande de Sawridge c Canada, [2000] ACF no 192, 95 ACWS (3e) 20 [Bande de Sawridge], la Cour s’est penchée sur la requête des intervenants pour radier un affidavit présenté par les demandeurs. La Cour a conclu qu’elle n’avait aucun doute que l’affidavit était inapproprié, soulignant qu’il débordait d’allégations constituant des conclusions et des arguments « touchant presque toutes des questions de droit à l’égard desquelles son auteur n’est apparemment pas qualifié » (au paragraphe 5). Malgré cette conclusion, la Cour a rejeté la requête pour radier l’affidavit, soulignant, au paragraphe 6 :

6  Cela dit, je ne suis pas convaincu que cet affidavit doit être radié. Selon moi, dans une procédure moderne saine, les irrégularités dans les actes de procédure ne doivent pas faire l’objet d’une requête et ne doivent pas commander que la Cour prononce des ordonnances radiant ou corrigeant de telles irrégularités à moins que la partie qui soulève l’irrégularité puisse démontrer qu’elle lui cause un préjudice quelconque. J’ai expliqué ce point clairement à l’avocat des intervenants et le seul préjudice causé éventuellement à ses clients qu’il a pu mentionner était que la Cour, lorsqu’elle entendra la requête principale, pourrait être incitée à croire que ces allégations très tendancieuses de l’affidavit sont des questions de fait non contestées. Je crois que l’avocat attribue à la Cour un degré de crédulité qui n’est, je l’espère, pas justifié. Par conséquent, en l’absence de la preuve d’un préjudice et même si presque tout l’affidavit est irrégulier et n’aurait pas dû être présenté à la Cour, aucun motif ne justifierait que je radie l’affidavit. L’avocat des intervenants reconnaît d’emblée que pratiquement chaque paragraphe de l’affidavit énonce un argument admissible qui peut être invoqué régulièrement par l’avocate des demandeurs et qu’elle a effectivement fait valoir dans sa plaidoirie écrite à l’appui de la requête principale. Je vais donc rejeter la requête en radiation de l’affidavit.

[30]  En ce qui concerne la préoccupation du demandeur au sujet des répercussions liées au fait de ne pas contre‑interroger la déposante, dans l’arrêt Exeter c Canada (Procureur général), 2015 CAF 260, 260 ACWS (3e) 700, la Cour d’appel a dit clairement ce qui suit au paragraphe 9 :

9  [...] Le fait que l’avocate du ministère public n’ait pas contre‑interrogé Mme Exeter au sujet de son affidavit ne signifie pas qu’elle reconnaît la véracité du contenu de l’affidavit. Zheng c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1311, [2007] J.C.F. no 1686, paragraphe 13. [...]

[31]  Dans la décision Zheng citée ci‑dessus, la Cour a déclaré ce qui suit au paragraphe 13 :

13 Il n’existe aucune obligation de contre‑interroger l’auteur d’un affidavit relativement à celui‑ci, et une omission à cet égard ne donne pas lieu à une présomption d’admission.

[32]  Pour résumer, les principes tirés de la jurisprudence qui encadrent l’appréciation de la présente requête et plus particulièrement l’examen de la question de savoir si les paragraphes 25 et 26 devraient être radiés sont les suivants :

  • en règle générale, un affidavit doit contenir des renseignements pertinents qui aideront le tribunal à trancher la demande (Quadrini);

[33]  un affidavit doit présenter les faits pertinents « sans commentaires ni explications », ce qui signifie sans « l’argumentation controversée qui dépasse les limites de ce qui est permis » (Quadrini et TsleilWaututh);

  • la Cour peut radier des affidavits ou des parties de ceux‑ci lorsqu’ils sont abusifs ou n’ont clairement aucune pertinence, lorsqu’ils renferment une opinion, des arguments ou des conclusions de droit ou lorsqu’il est préférable de régler la question de l’admissibilité au stade préliminaire, de façon à permettre le déroulement ordonné et en temps opportun de l’audience (Quadrini);
  • cependant, il ne faut exercer le pouvoir discrétionnaire de radier un affidavit qu’avec modération et seulement dans des circonstances exceptionnelles, c’est‑à‑dire dans les cas où il est dans l’intérêt de la justice de le faire, dans les cas où cela causerait un préjudice important à une partie ou lorsque le fait de ne pas radier un affidavit nuirait au bon déroulement de l’audition de la demande (BRI, Armstrong et Bande de Sawridge);
  • il n’est pas nécessaire de contreinterroger un déposant, et le fait de ne pas procéder à un contreinterrogatoire n’équivaut pas à une reconnaissance de la véracité des allégations (Exeter et Zheng).

[34]  En ce qui concerne le paragraphe 9, la jurisprudence fournit une orientation sur la portée des affidavits en ce qui a trait aux renseignements tenus pour véridiques. Le paragraphe 81(1) des Règles permet le dépôt de tels affidavits à l’appui de requêtes ‒ autres que des requêtes en jugement sommaire ou en procès sommaire ‒ lorsque les motifs étayant la croyance sont énoncés. Dans l’arrêt Cabral, la Cour d’appel a expliqué, au paragraphe 32, que la jurisprudence de la Cour d’appel et de la Cour fédérale « a interprété le terme “renseignements tenus pour véridiques”, tel qu’employé dans le présent contexte, comme étant synonyme de ouï‑dire, de sorte que les éléments de preuve qui sont admissibles en vertu d’une exception à la règle du ouï‑dire ne contreviennent pas à l’interdiction prévue à la Règle 81(1) ».

[35]  Dans la décision O’Grady c Canada (Procureur général), 2016 CF 9 [O’Grady CF], la Cour a souligné les principes pertinents aux paragraphes 18 à 21, y compris le fait que la jurisprudence a confirmé que, dans certaines circonstances, un déposant peut s’appuyer sur une preuve par ouï‑dire et une preuve fondée sur une croyance. La Cour a conclu que la déposante, qui était directrice générale du groupe responsable des données citées, était en mesure de savoir que les faits attestés dans son affidavit étaient véridiques. La Cour a souligné ce qui suit au paragraphe 19 :

19  La Cour suprême du Canada a élaboré une méthode fondée sur des principes pour se pencher sur la recevabilité de la preuve par ouï‑dire, laquelle a été adoptée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Éthier c Canada, [1993] 2 CF 659, 63 FTR 29 ainsi que par la Cour fédérale dans la décision Twentieth Century Fox Home Entertainment Canada Limited c Canada (Procureur général), 2012 CF 823, 414 FTR 291 (Twentieth Century Fox) en ce qui a trait à l’admissibilité de la preuve par ouï‑dire produite par affidavit. Dans la décision Twentieth Century Fox, le juge Phelan a statué qu’un déposant est en mesure de savoir que les faits sont véridiques lorsque la preuve s’apparente à une preuve « relative à l’entreprise », en ce sens que le déposant exerce des fonctions de supervision et qu’il est responsable de ses subalternes (au paragraphe 22). [...]

[36]  Dans l’arrêt O’Grady c Canada (Procureur général), 2016 CAF 221 [O’Grady CAF], la Cour d’appel a rejeté l’appel et reconnu que les affidavits étaient admissibles et que, à la lumière des responsabilités de la déposante, cette dernière était en mesure de faire une déposition relativement aux déclarations sans, nécessairement, avoir une connaissance personnelle (au paragraphe 10). La Cour d’appel a formulé une précision, concluant, au paragraphe 11 :

[11]  Que l’auteur ait ou non une connaissance personnelle des faits, comme l’exige le paragraphe 81(1) des Règles, a une incidence sur la recevabilité de l’affidavit. Cependant, il convient de laisser au juge de première instance le soin de décider de l’opportunité de tirer une conclusion défavorable à partir d’éléments de preuve par ailleurs recevables, car il dispose du dossier complet et des arguments des avocats. À cette fin, une clarification des motifs du juge s’impose. La question de la conclusion, défavorable ou non, qu’il y a lieu de tirer relève du juge de première instance qui entend l’affaire sur le fond.

V.  Les paragraphes contestés ne seront pas radiés

[37]  Je ne suis pas convaincue que les paragraphes en cause devraient être radiés, et ce, pour diverses raisons.

[38]  Le demandeur s’appuie sur les arrêts Quadrini et BRI à l’appui de son affirmation selon laquelle les paragraphes en cause devraient être radiés, parce qu’ils contiennent un avis, un argument ou une conclusion de droit. Cependant, l’arrêt Quadrini établit une règle générale qu’il faut appliquer en tenant compte de la jurisprudence qui a fourni une orientation supplémentaire. De plus, les paragraphes en cause sont très différents de ceux qui, selon la Cour d’appel, allaient à l’encontre du paragraphe 81(1) des Règles dans l’arrêt BRI. Ils ne sont pas « truffés » ni « remplis » d’opinions. Mme Bellerose n’est pas un témoin expert et elle ne fournit pas un avis juridique. Elle a plutôt énoncé son point de vue selon lequel l’OTC avait fait ce qu’il était censé faire : communiquer des dossiers et refuser d’en communiquer d’autres, conformément à la Loi. Il serait surprenant que l’OTC prenne toute autre position que celle‑là. Les paragraphes ne contiennent pas des faits qui seront déterminants au moment de trancher la demande.

[39]  La Cour lit les paragraphes 25 et 26 ‒ dans le contexte de l’affidavit dans son ensemble et en tenant compte de la description par Mme Bellerose de son rôle ainsi que de ses responsabilités ‒ comme étant son affirmation que l’OTC a fait son travail. La Cour ne considère pas le point de vue de Mme Bellerose comme une affirmation de fait permettant de déterminer si l’OTC a correctement appliqué les exemptions et exercé son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable; ce qu’il appartiendra à la Cour de décider.

[40]  À l’audience relative à la présente requête, la Cour a laissé entendre au demandeur que le retrait de quelques mots aux paragraphes 25 et 26 ‒ c’est‑à‑dire [traduction« n’a pas commis d’erreur » et [TRADUCTION« correctement » ‒ pourrait dissiper ses préoccupations, parce que les mots restants ne donneraient manifestement pas à penser qu’il s’agit d’une opinion ni même d’une position. En outre, il ne serait pas alors possible de faire valoir que le contenu des paragraphes concerne la question que la Cour doit trancher. Les paragraphes seraient simplement une affirmation de ce que l’OTC a fait. Cependant, le demandeur a rejeté cette approche, rappelant qu’il serait tout de même obligé de contre‑interroger Mme Bellerose, ce qui lui causerait un préjudice et minerait le traitement ordonné de la demande.

[41]  Contrairement à ce qu’en pense le demandeur, aucun préjudice ne découle de son choix possible de contre‑interroger la déposante sur les paragraphes 9, 25 et 26. Le demandeur aurait pu ou aurait dû envisager qu’un ou plusieurs affidavits soient déposés par le défendeur et qu’il voudrait peut‑être contre‑interroger le ou les déposants. Comme le défendeur le souligne, le demandeur est un plaideur expérimenté. Le demandeur a l’option de contre‑interroger la déposante dans les limites convenables du contre‑interrogatoire, et ce, que les paragraphes en cause soient radiés ou non.

[42]  En outre, contrairement, encore une fois, à l’observation du demandeur, soit que, s’il ne contre‑interroge pas Mme Bellerose sur les paragraphes en cause, il sera considéré qu’il en accepte le contenu, et la Cour considérera les paragraphes en question comme des faits non contredits, tel n’est pas l’état du droit (Exeter et Zheng).

[43]  Le déroulement ordonné de l’audition de la demande ne serait pas miné d’une façon ou d’une autre par le fait de ne pas traiter dès maintenant des préoccupations du demandeur relativement à l’affidavit. Comme cela a été mentionné ci‑dessus, l’audition ne peut être mise au rôle tant que le défendeur n’a pas déposé l’affidavit confidentiel et les pièces connexes.

[44]  De plus, même si on interprétait les paragraphes 25 et 26 comme exprimant un avis ou un argument, cela ne justifierait tout de même pas leur radiation. Comme cela a été souligné dans l’arrêt TseilWaututh, la règle générale énoncée dans l’arrêt Quadrini « met en garde contre l’argumentation controversée qui dépasse les limites de ce qui est permis ». Les paragraphes en cause ne constituent pas une argumentation controversée et on ne peut pas dire qu’ils « dépasse[nt] les limites ».

[45]  Les paragraphes en cause ne s’approchent même pas des problèmes soulignés dans la décision Bande de Sawridge, où la Cour a conclu que l’affidavit était manifestement inapproprié, tout en établissant qu’il n’y avait aucun motif de radier l’affidavit, vu qu’aucun préjudice n’avait été démontré. Le demandeur a soulevé la même préoccupation que la Cour a rejetée dans la décision Bande de Sawridge, expliquant que la Cour n’est pas assez « crédule » pour interpréter la déclaration de la déposante comme étant déterminante quant à la question en litige en tant que telle que la Cour doit trancher dans le cadre de la demande.

[46]  Le demandeur s’appuie aussi sur l’arrêt Leahy pour faire valoir que, s’il ne contre‑interroge pas Mme Bellerose sur les paragraphes 25 et 26 pour déterminer, entre autres choses, qui a exercé le pouvoir discrétionnaire de ne pas communiquer les dossiers, il y aura une lacune dans la preuve. La Cour n’est pas convaincue que l’arrêt Leahy s’applique aux questions en litige dans la présente requête ni qu’il appuie la position du demandeur selon laquelle l’inclusion des paragraphes 25 et 26 lui sera préjudiciable. L’argument du demandeur porte à confusion, parce que, si les paragraphes en cause sont radiés, ce que le demandeur sollicite dans la présente requête, on pourrait se retrouver avec la même lacune dans la preuve que ce que le demandeur anticipe.

[47]  Dans l’arrêt Leahy, la Cour d’appel s’est concentrée sur le dossier de la Cour dans le cadre du contrôle judiciaire, ce qui n’est pas la question en litige dans le cadre de la présente requête. La Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel interjeté à l’encontre de la décision de la Cour, laquelle avait rejeté la demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par Citoyenneté et Immigration Canada, qui avait refusé de communiquer des documents au demandeur au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La Cour d’appel s’était demandé si le défendeur avait fourni un dossier de preuve suffisant pour permettre à la Cour de procéder au contrôle de la décision.

[48]  La Cour d’appel a rappelé les principes établis dans les arrêts Dunsmuir c NouveauBrunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190, et Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c TerreNeuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 14 et 15, [2011] 3 RCS 708, entre autres, et expliqué, au paragraphe 121 :

Si les motifs de la décision sont inexistants, obscurs ou à d’autres égards indiscernables, et si le dossier dont disposait le décideur administratif ne permet pas de faire ressortir les raisons pour lesquelles il a tranché ou aurait pu trancher l’affaire comme il l’a fait, l’exigence de transparence et d’intelligibilité des décisions administratives n’est pas remplie [...]

[49]  La Cour s’est penchée de plus près sur le contenu d’un dossier suffisant dans les paragraphes subséquents et expliqué pourquoi le dossier dont elle était saisie ne contenait pas les renseignements de base requis pour qu’elle s’acquitte de sa tâche de contrôle judiciaire (Leahy, aux paragraphes 125 à 137).

[50]  Le demandeur renvoie, plus particulièrement, aux paragraphes 133 à 137 de l’arrêt Leahy, où la Cour d’appel a souligné que les motifs d’une décision du type en cause doivent montrer que le décideur était au fait du pouvoir discrétionnaire de communiquer des renseignements exemptés. Ces paragraphes confirment ce qui n’est pas contesté, soit que le décideur doit examiner la question de savoir si les exemptions prévues dans la Loi sur la protection des renseignements personnels s’appliquent, et ensuite établir si l’information doit être communiquée, peu importe si une exemption s’applique. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour doit établir, à la lumière du dossier dont elle est saisie, si le décideur a fait ce travail correctement et/ou de façon raisonnable. Si un dossier est insuffisant, la Cour peut conclure qu’il n’est pas possible d’établir si la décision est correcte ou raisonnable et, le cas échéant, qu’une nouvelle décision doit être rendue sur l’affaire.

[51]  Le demandeur s’appuie aussi sur les paragraphes 141 à 144 de l’arrêt Leahy, qui se trouvent sous la rubrique « Post‑scriptum ». Dans son post‑scriptum, la Cour d’appel fournit des directives à l’intimé au sujet de ce dont la Cour a besoin pour s’acquitter de son rôle dans le cadre d’un contrôle judiciaire et elle décrit les renseignements de base au paragraphe 141 :

141  Comme nous le disions, un tribunal de révision n’a besoin que de renseignements suffisants pour pouvoir s’acquitter de sa tâche. Dans les cas comme celui de l’espèce, il s’agit alors de s’assurer que les renseignements suivants figurent dans la lettre de décision ou le dossier : 1) l’identité de la personne qui a rendu la décision dans le dossier; 2) le pouvoir qui lui permet de rendre sa décision; 3) s’est‑elle prononcée et sur l’applicabilité des exceptions et sur la possibilité de divulguer malgré tout les renseignements en vertu de son pouvoir discrétionnaire? 4) les critères pris en compte; 5) a‑t‑elle précisé si ces critères ont été remplis et pourquoi?

[52]  Même s’il s’agit d’une orientation future utile pour le défendeur, l’arrêt Leahy ne modifie pas la jurisprudence sur la radiation d’affidavits, qui est la question en litige dans la présente requête. Le demandeur sollicite la radiation de paragraphes de l’affidavit; il ne fait pas valoir que le dossier dont est saisie la Cour est inadéquat, ce qu’il ne pourrait pas faire de toute façon, parce que le dossier n’a pas encore été déposé devant la Cour. Il serait prématuré pour la Cour de considérer que le contenu du dossier est suffisant pour lui permettre de trancher la demande de contrôle judiciaire. Le paragraphe 9 de l’affidavit, c’est‑à‑dire la déclaration de Mme Bellerose selon laquelle le demandeur avait indiqué son intention de déposer une plainte, et le courriel en pièce jointe de Mme H, qui appuie cette information, ne vont pas à l’encontre du paragraphe 81(1) des Règles. Conformément à la décision O’Grady (CF), la déposante, Mme Bellerose, vu ses fonctions de supervision, était en mesure de connaître l’état de la demande de dossiers du demandeur et ses interactions avec les employés de l’OTC au sein de son secrétariat. Elle était en mesure de savoir qu’une personne à l’emploi du secrétariat avait été informée par le demandeur de son intention de déposer une plainte, et elle était, par conséquent, en mesure de déclarer que les faits énoncés sur la foi de renseignements tenus pour véridiques étaient vrais. Dans les circonstances, il n’était pas nécessaire de fournir un affidavit de Mme H, qui a communiqué directement avec le demandeur, ce qui aurait constitué un gaspillage inutile de ressources. De plus, le fait que, au bout du compte, une plainte a été présentée au CPVP n’est pas contesté.

[53]  Contrairement à l’observation du demandeur selon laquelle le paragraphe 9 a été inclus pour le présenter sous un jour peu flatteur, soit celui d’une personne qui se plaint facilement, l’inclusion du paragraphe 9 fait partie de la chronologie permettant d’expliquer, au paragraphe suivant, que d’autres dossiers ont été fournis au demandeur.

[54]  Conformément à l’arrêt O’Grady (CAF), la question de savoir s’il faut tirer des inférences du paragraphe 9 sera tranchée au moment de la décision sur la demande. De même, l’importance accordée à cet élément de preuve ou aux autres éléments de preuve sera établie au moment de l’examen de la demande (BRI, au paragraphe 26).

VI.  Conclusion

[55]  Sachant que le pouvoir discrétionnaire de la Cour de radier des affidavits en partie ou en totalité doit être exercé avec modération et seulement dans des cas exceptionnels, la Cour conclut qu’il n’y a en l’espèce aucune circonstance exceptionnelle. Le demandeur n’a pas démontré qu’il subira un préjudice. Son choix de contre‑interroger la déposante ne lui est pas préjudiciable, et son choix de ne pas la contre‑interroger n’entraînera pas une admission présumée des faits contenus dans l’affidavit. Comme cela a été souligné durant l’audience relative à la requête, la Cour est consciente des enjeux dans la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente qu’elle aura à trancher.

[56]  La Cour n’interprète pas les paragraphes 25 et 26 comme énonçant une opinion ou un argument. La Cour est au fait des questions qu’elle seule doit trancher. Cependant, même si les paragraphes 25 et 26 étaient interprétés comme s’apparentant à un avis plutôt qu’à une position de la déposante, les déclarations ne constituent pas « l’argumentation controversée qui dépasse les limites de ce qui est permis » (TsleilWaututh). Même si la Cour concluait que les paragraphes énoncent une opinion ou un argument, comme dans la décision Bande de Sawridge, où la Cour a conclu que l’affidavit était manifestement inapproprié, mais qu’il n’y avait aucun motif de le radier, il n’y a aucun motif du genre en l’espèce.

[57]  Le paragraphe 9 n’enfreint pas le paragraphe 81(1) des Règles. Comme il a été mentionné ci‑dessus, la déclaration de Mme Bellerose est fondée sur ses croyances découlant de ses fonctions de supervision. De plus, le fait de la plainte n’est pas contesté. Un affidavit de Mme H ou un contre‑interrogatoire de Mme Bellerose ne donneraient rien.

VII.  Les dépens

[58]  Le demandeur soutient que la présente requête était nécessaire, parce que le défendeur a déraisonnablement refusé sa demande non officielle de retirer les paragraphes en cause, le forçant à déposer une requête ayant entraîné un gaspillage de ressources et de temps. Le demandeur laisse entendre que la Cour devrait tenir compte du fait qu’il y a un déséquilibre en ce qui a trait aux ressources entre lui, en tant que plaideur non représenté tentant d’avoir accès à ses renseignements personnels, et le défendeur, le chef d’une institution gouvernementale. Le demandeur soutient également que la caractérisation faite par le défendeur de la présente instance et d’autres instances entreprises par le demandeur, dans le cadre desquelles des dépens ont été adjugés contre lui, le décrit sous un jour peu flatteur ou donne à penser que son comportement était inapproprié. Le demandeur soutient que cette caractérisation n’est pas fondée et est inappropriée, et qu’elle devrait être à même d’appuyer l’adjudication immédiate de dépens contre le défendeur.

[59]  Le défendeur soutient qu’il convient de lui adjuger des dépens relativement à la présente requête, parce que celle‑ci était inutile; le demandeur pouvait et aurait dû garder ses préoccupations au sujet des parties de l’affidavit pour l’audition de la demande. Le défendeur ajoute que l’audition de la demande devrait être une tâche relativement simple, mais il y a eu plusieurs questions préliminaires litigieuses. Il souligne que le demandeur, quoiqu’il se représente lui‑même, est un plaideur expérimenté.

[60]  Le demandeur n’a pas obtenu gain de cause dans le cadre de la présente requête. Conformément à l’approche générale selon laquelle les dépens suivent l’issue, des dépens devraient être adjugés contre lui. Cependant, la question des dépens relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour et, dans les présentes circonstances, la Cour refuse d’adjuger des dépens relativement à la présente requête.

[61]  Cependant, je ne suis pas d’accord avec le demandeur pour dire que le défendeur possède des ressources illimitées ou qu’il devrait s’agir d’un facteur poussant la Cour à ne pas ordonner de dépens contre le demandeur. Dans certains cas, les parties peuvent être plus disposées à faire des « concessions mutuelles » pour faire avancer une demande, ce qui permet d’éviter des requêtes supplémentaires. En l’espèce, il y a manifestement une tension entre les parties, et un apparent manque de confiance de la part du demandeur, tant à l’égard du défendeur qu’à l’égard de la capacité de la Cour d’aller au‑delà de la tension, d’interpréter objectivement l’affidavit et de trancher les questions en litige dans le cadre de la demande. Le défendeur n’était aucunement obligé de simplement accepter de retirer les paragraphes en cause à la demande du demandeur. La Cour a dit que ce n’étaient pas tous les désaccords qui pouvaient être réglés de façon informelle ou au moyen du mécanisme de gestion de l’instance, et que, si le demandeur devait porter l’affaire plus loin, une requête allait s’imposer. Le demandeur a ensuite déposé la présente requête, exigeant une réponse officielle du défendeur. Le fait que c’est la Cour qui a suggéré la présentation d’une requête est un facteur qui a été pris en compte pour refuser l’adjudication de dépens contre le demandeur.


ORDONNANCE dans le dossier T‑516‑19

LA COUR ORDONNE que la requête du demandeur en radiation des paragraphes 9, 25 et 26 soit rejetée. Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de novembre 2019

Christian Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑516‑19

 

INTITULÉ :

GÁBOR LUKÁCS c. LE PRÉSIDENT DE L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 SEPTEMBRE 2019

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :

LE 3 OCTOBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Gabor Lukacs

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Kevin Shaar

Gabrielle Fortier

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

[EN BLANC]

POUR LE DEMANDEUR

 

Office des transports du Canada

Direction des services juridiques

Gatineau (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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