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Date : 20050301

 

Dossier : IMM-1817-04

 

Référence : 2005 CF 279

 

Ottawa (Ontario), le 1er mars 2005

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

 

 

ENTRE :

 

                ALI SAHIR AHMAD, SAMINA SAFAR SHAIKH et ZAFAR AHMAD

 

                                                                                                                                       demandeurs

 

 

 

 

                                                                             et

 

 

 

 

 

                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                                           défendeur

 

 

                               MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 


[1]               Les demandeurs sont des citoyens du Pakistan qui sont entrés au Canada le 20 février 2003, en provenance des États‑Unis. Les formulaires de renseignements personnels (FRP) des demandeurs leurs ont été postés le 26 février 2003, mais ils ne les ont reçus qu’à la mi‑mars. On a accordé aux demandeurs une prorogation de délai de quinze jours pour déposer leurs FRP. En raison des problèmes rencontrés pour obtenir un conseil et des troubles médicaux dont souffrait l’épouse du demandeur, en particulier, les demandeurs ont présenté leurs FRP le 7 mai 2003, soit quinze jours après le délai supplémentaire qui leur avait été accordé.

 

[2]               Les demandeurs se sont présentés à une audience de justification le 4 juin 2003 lors de laquelle ils ont eu l’occasion d’expliquer le retard à déposer leurs FRP. La Commission a conclu qu’aucune explication raisonnable n’avait été donnée pour le dépôt tardif et, dans une décision datée du 6 novembre 2003, elle a déclaré qu’il y avait eu désistement de leur demande. Les demandeurs n’ont pas demandé le contrôle judiciaire de cette décision.

 

[3]               Le 13 janvier 2004, les demandeurs ont demandé la réouverture de leur demande d’asile. Dans une décision datée du 11 février 2004, la Commission a rejeté leur demande. Aucune décision formelle n’a été délivrée mais l’inscription au dossier se lit comme suit :

[traduction]

 

 

Premièrement, bien que l’avis de désistement soit incorrect au sujet de la date de réception des FRP, il s’agit d’un détail technique puisque la décision même mentionne correctement la date comme étant la mi‑mars 2003. Deuxièmement, la déclaration du conseil, selon laquelle les troubles médicaux étaient cités dans la demande de prorogation du 20 mars 2003 comme un des motifs à l’appui de la prorogation, n’est pas exacte. La SEULE raison citée est celle du délai relatif à l’aide juridique. Si les troubles médicaux des demandeurs avaient occasionné des problèmes, ils auraient été cités dans la lettre du conseil. En outre, même la preuve médicale présentée maintenant ne mentionne pas d’hospitalisation et il n’y a aucune raison de croire que le demandeur n’aurait pas pu fonctionner assez bien pour remplir leurs FRP à temps. Dans sa décision, le membre a couvert l’ensemble des autres points des documents. En l’espèce, on n’a démontré aucun déni de justice naturelle.

 

 

 

 


LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[4]               Les demande de réouverture sont régies par l’article 55 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, lequel prévoit ce qui suit :

55. (1) Demande de réouverture d'une demande d'asile – Le demandeur d'asile ou le ministre peut demander à la Section de rouvrir toute demande d'asile qui a fait l'objet d'une décision ou d'un désistement.

 

 

(2) Forme de la demande – La demande est faite selon la règle 44.

 

 

(3) Contenu de la demande faite par le demandeur d’asile – Si la demande est faite par le demandeur d'asile, celui-ci y indique ses coordonnées et en transmet une copie au ministre.

 

 

(4) Élément à considérer – La Section accueille la demande sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle.

 

 

 

PREMIÈRE QUESTION :  La Commission devait‑elle donner des motifs pour rejeter la demande de réouverture des demandeurs?

 

[5]               Les demandeurs maintiennent qu’il s’agissait d’une décision définitive parce qu’aucune autre voie ne s’offre à eux et que, par conséquent, des motifs écrits complets sont nécessaires.

 


[6]               La question de savoir si des motifs écrits sont nécessaires dépend de celle de savoir si une décision est considérée définitive ou interlocutoire. Les décisions concernant les refus de rouvrir ou d’accorder une autorisation d’interjeter appel ont toujours été considérées comme des décisions interlocutoires. De ce fait, elles n’exigent pas de motifs écrits complets. Comme le juge Evans l’a déclaré dans la décision Faghihi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 1 C.F. 249, au paragraphe 28 :

Je suis disposé en l'instance à présumer qu'une requête demandant la réouverture d'une décision est une « matière interlocutoire », puisque si elle était accueillie elle ne trancherait pas le litige. Elle ouvrirait simplement la voie à un réexamen de la revendication par la Section du statut de réfugié en vertu de l'article 69.1.

 

 

 

[7]               Le juge Mosley a également souscrit à ce raisonnement dans la décision Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1153.

 

[8]               Bien qu’il soit ainsi bien établi que les décisions interlocutoires n’exigent pas de motifs écrits, il existe également un deuxième raisonnement, à savoir que les inscriptions peuvent remplacer les motifs écrits. En l’espèce, la Commission a fait une longue inscription, laquelle révèle certainement le raisonnement du décideur. Par conséquent, l’inscription peut servir en tant que fac‑similé des motifs écrits (voir la décision Wackowski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 280).

 

[9]               Que l’on se base sur un raisonnement ou sur l’autre, l’argument concernant l’absence de motifs écrits n’est pas fondé.

 

 

 


DEUXIÈME QUESTION : La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas eu de déni de justice naturelle lors de l’audience relative au désistement en cause?

 

[10]           Les demandeurs font valoir que la décision de la Commission lors de l’audience relative au désistement devrait être infirmée. Ils plaident que la Commission :

a) a rendu une décision non étayée par la preuve;

b) a appliqué le mauvais critère.

Ils aimeraient que j’examine la décision rendue lors de l’audience relative au désistement en me fondant sur ces éléments.

 

[11]           En ce qui concerne plus particulièrement le point b), ils font valoir que le critère applicable aux audiences relatives au désistement est énoncé dans la décision Anjum c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 496, aux paragraphes 27 à 29 :

La CISR ne s'est pas posée la bonne question. Elle s'est demandée s'il y avait des « circonstances extraordinaires » en l'espèce. On ne trouve pas ce critère juridique dans les règles régissant le désistement.

 

 

La CISR a invoqué que la preuve était insuffisante pour les fins d'un désistement. Il s'agissait d'un cas de désistement dans lequel l'enquête doit porter sur la véritable intention et les actes du demandeur afin de conclure qu'il y a eu désistement de la demande. Il ne s'agissait pas d'une demande de prorogation de délai en vertu du paragraphe 6(2) des Règles qui, incidemment, n'impose pas un critère de « circonstances extraordinaires ».

 

 

La CISR n'a jamais porté son attention sur la question de savoir si les demandeurs étaient prêts à faire valoir leur revendication. En fait, la CISR a omis de cocher son document interne, le formulaire d'endossement, dans lequel cette question pertinente était posée.

 

 

 

[12]           Ils allèguent également qu’en l’espèce, lors de l’audience relative au désistement, la Commission a appliqué un critère différent et prétendument incorrect lorsqu’elle a déclaré :

[traduction]

 

 

Selon moi, rien dans la preuve qui m’a été présentée n’explique ou ne justifie, de façon raisonnable, l’omission de la part des demandeurs de déposer leurs FRP avant l’expiration du délai prolongé.

 

 

 

[13]           Je ne vois aucune raison me permettant de donner mon adhésion au raisonnement des demandeurs. Il ne s’agit pas d’un contrôle judiciaire de la décision de déclarer qu’il y avait eu désistement de la demande. Il s’agit d’un contrôle de la décision de ne pas rouvrir et, par conséquent, je dois restreindre mon examen à la question de savoir si, lors de l’audience relative au désistement, la Commission a manqué aux principes de justice naturelle.

 

[14]           Il a été établi que, lorsqu’elle entendait une demande en vertu de l’article 53 des Règles, la Commission ne pouvait traiter que du manquement aux principes de justice naturelle. Comme le juge Mosley l’a déclaré dans la décision Ali, précitée, aux paragraphes 24 et 25 :

À première vue, le libellé de la règle 55 des Règles de la SPR ne semble pas limiter les motifs permettant d’examiner les demandes de réouverture et le seul facteur qui appelle une décision positive est l’établissement par le demandeur de la violation de la justice naturelle. Cependant, après un examen approfondi, je suis convaincu que la bonne interprétation est que la demande de réouverture ne peut être accueillie que s’il est établi qu’il y a eu manquement à un principe de justice naturelle.

 

 


Sous l’ancienne législation en matière d’immigration, il n’existait pas de mécanisme autorisant les requêtes en réouverture des demandes d’asile ayant fait l’objet d’une décision de désistement, mais ces requêtes étaient présentées aux termes de la règle 28 des anciennes Règles, conformément à la jurisprudence, comme l’arrêt Longia, précité, qui indiquait que la Commission avait le pouvoir inhérent de rouvrir une demande d’asile dans le seul cas où il y avait eu manquement à un principe de justice naturelle. J’estime que les nouvelles Règles de la SPR visent à codifier cette interprétation. Je note que cette interprétation de la règle 55 des Règles de la SPR a récemment été appliquée par la Cour dans l’arrêt Wackowski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. n° 315 (C.F.) (Q.L.), au paragraphe 12.

 

 

 

[15]           Ce dont la Cour est saisie, c’est la décision de ne pas rouvrir. Si les demandeurs avaient souhaité un contrôle de la décision de déclarer qu’il y avait eu désistement de la demande d’asile, ils auraient dû présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision. Ils ne l’ont pas fait et ils sont maintenant restreints à faire valoir que, lors de l’audition de la demande de réouverture, on a omis d’examiner l’audience relative au désistement à travers le prisme des principes de justice naturelle.

 

[16]           La décision Shahid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1607, étaye mon point de vue. La juge Simpson a déclaré aux paragraphes 13 et 14 :

L’avocate du demandeur fait valoir que les principes de justice naturelle ne se limitent pas aux seules questions d’équité procédurale. Ils englobent selon elle des questions comme le défaut d’appliquer le bon critère de droit au cours d’une audience portant sur le désistement. En ce qui concerne la présente affaire, elle affirme que la demande d’asile du demandeur aurait dû être rouverte parce qu’au cours de l’audience sur le désistement (à laquelle le demandeur était présent et était représenté par un avocat), la Commission n’a pas tenu compte de la diligence avec laquelle le demandeur avait fait instruire sa demande d’asile. À mon avis, bien que la diligence constitue un facteur pertinent lors de l’audience sur le désistement, elle perd toute pertinence une fois que la Cour refuse d’autoriser l’introduction d’une demande de contrôle judiciaire de la décision portant sur le désistement.

 

 

On ne peut se servir d’une requête en réouverture pour débattre des questions soulevées au cours de l’audience sur le désistement qui faisaient régulièrement l’objet de la demande d’autorisation (en l’espèce, le présumé défaut de tenir compte de la diligence.) À mon avis, la seule question qui se pose dans le cas d’une requête en réouverture est celle de savoir si le requérant a été traité de façon équitable sur le plan procédural. [...]

 

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

 

[17]           De même, dans la décision Kononov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n0 1121, le juge Nadon (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a mentionné au paragraphe 7 qu’une demande de réouverture ne pouvait être une contestation déguisée de la décision relative au désistement :

La demande de réouverture d'audience n'est pas et ne peut être une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 21 mai 1998 [selon laquelle il y avait eu désistement de la demande]. N'ayant pas attaqué cette décision, les demandeurs ne pouvaient espérer réussir sur leur demande de réouverture à moins de démontrer un déni de justice naturelle lors de l'audition [relative au désistement] du 21 mai 1998, ce qu'ils n'ont su démontrer.

 

 

 

[18]           L’élément décisif de l’article 55 des Règles serait perdu si des questions comme celle de l’application du mauvais critère étaient qualifiées de déni de justice naturelle. En effet, en pratique, il n’y aurait pas de différence entre le contrôle judiciaire d’une audience relative au désistement et celui d’une audience concernant une demande de réouverture.

 

[19]           En l’espèce, la Commission a à juste titre conclu qu’il n’y avait pas eu de déni de justice naturelle lors de l’audience relative au désistement. Le déni de justice naturelle est le bon facteur à employer dans une demande de réouverture. Lors de l’audition d’une demande de réouverture, ce n’est pas le rôle de la Commission d’examiner des questions qui auraient dû être soulevées dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire d’une audience relative au désistement.

 

 

 

 


CONCLUSION

 

[20]           Étant donné que les demandeurs n’ont pas eu gain de cause avec l’un ou l’autre des aspects de leur argumentation, la présente demande ne peut être accueillie.

 

 

 

 

                                       ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée.

 

« K. von Finckenstein »

                                                                                                     Juge                      

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-1817-04            

 

INTITULÉ :                                                              ALI SAHIR AHMAD et autres

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                     LE 17 FÉVRIER 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                              LE JUGE VON FINCKENSTEIN

 

DATE DES MOTIFS :                                             LE 1er MARS 2005

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Karina Thompson                                                        POUR LES DEMANDEURS

 

Gordon Lee                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robert I. Blanshay                                                      POUR LES DEMANDEURS

Robert I. Blanshay Law Office

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

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