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Date : 20060612

Dossier : IMM-5193-05

Référence : 2006 CF 737

Fredericton (Nouveau-Brunswick), le 12 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

 

ENTRE :

SERGIO GUSTAVO PENA

SANDRA VERONICA D’ALCONZO

ANGELINA PENA

XAVIERA GISELLE PENA

LEON AGUSTIN PENA

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.  Introduction

 

[1]               M. Sergio Gustavo Pena (le demandeur principal), sa femme Sandra Veronica D’Alconzo et leurs enfants Angelina Pena, Xaviera Giselle Pena et Leon Agustin Pena (les demandeurs) demandent le contrôle judiciaire de la décision d’une agente d’immigration rendue le 15 août 2005. Dans cette décision, l’agente d’immigration a rejeté la demande d’établissement présentée à partir du Canada par les demandeurs, soit une demande d’établissement présentée en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, modifiée (la Loi).

 

[2]               Le demandeur principal et les demandeurs sont citoyens de l’Argentine. Le demandeur principal et sa famille sont arrivés au Canada le 19 décembre 2002. Il a revendiqué le statut de réfugié au motif qu’il craignait d’être persécuté en Argentine par une organisation criminelle. Les demandeurs ont fondé leur demande d’asile sur la demande du demandeur principal.

 

[3]               Le demandeur principal a décrit ses problèmes en Argentine dans son formulaire de renseignements personnels. Ces problèmes ont débuté en 1997 quand la voiture de son père a été volée et vandalisée. D’autres incidents ont suivi. Entre autres, le demandeur principal et ses frères ont été attaqués par un groupe d’hommes qu’ils croyaient être des policiers. La police a été avisée de cet incident, mais d’après le demandeur principal, il n’y a pas eu d’enquête.

 

[4]               En mars et en avril, le demandeur principal a reçu des menaces par téléphone qui, d’après lui, venaient de policiers qui l’avaient déjà averti de ne pas déposer de plainte. Il a décidé de s’enfuir aux États-Unis et en juin 2000, le demandeur principal et les demandeurs se sont rendus aux États‑Unis. Ils se sont établis en Utah et ils souhaitaient y rester de façon permanente, mais après les événements du 11 septembre 2001, ils ont été incapables d’obtenir le statut de résident permanent aux États-Unis. Comme ils craignaient pour leur vie en Argentine, ils sont venus au Canada en décembre 2002 et ont demandé l’asile.

 

[5]               Un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté leur demande d’asile le 10 juillet 2003. La Commission a conclu que la crainte du demandeur principal d’être persécuté en Argentine n’était pas fondée parce qu’il n’existait aucun lien entre leur demande et l’un des motifs prévus par la Convention. La Commission a aussi conclu qu’il existait une possibilité de refuge intérieur à Mendoza et dans d’autres régions en Argentine.

 

[6]               Le demandeur principal et les demandeurs ont demandé un examen des risques avant renvoi (ERAR). Une décision défavorable a été rendue à ce sujet le 11 mars 2005 au motif qu’il n’y avait aucun nouveau renseignement attestant que le demandeur principal et sa famille seraient exposés à un risque s’ils retournaient en Argentine.

 

[7]               Le 28 janvier 2003, le demandeur principal et les demandeurs avaient présenté une demande d’exemption de l’exigence habituelle de faire une demande d’établissement de l’extérieur du Canada. Une telle demande est communément appelée « demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire » (demande CH). Le demandeur principal et les demandeurs ont souligné le taux élevé de criminalité, la récession économique et le risque que courraient leurs enfants comme motifs de la demande CH.

 

[8]               Au cours du traitement de la demande CH, des examens des risques ont été effectués et ils devaient permettre de déterminer si le demandeur principal et les demandeurs seraient personnellement exposés à des risques s’ils retournaient en Argentine.

 

[9]               Le 17 mai 2005, l’agent qui a effectué l’évaluation des risques a rendu la même décision que celle rendue pour l’ERAR. L’agent d’ERAR avait conclu que le demandeur principal et sa famille subiraient un stress s’ils retournaient en Argentine, mais qu’ils ne seraient pas exposés à un risque dans ce pays.

 

[10]           Le demandeur principal et les demandeurs ont présenté d’autres observations en vue d’élargir leurs motifs de demande CH. Ils ont mentionné leur établissement au Canada et le revenu de la famille généré par les emplois stables du demandeur principal et de sa femme. Ils ont aussi soulevé la question de l’intérêt supérieur des demandeurs mineurs et ont fait référence à l’éducation de qualité qui est offerte au Canada.

 

[11]           L’agente d’immigration a rendu une décision défavorable au sujet de la demande CH le 15 août 2005. Les motifs de cette décision démontrent que l’agente d’immigration a tenu compte des facteurs favorables qui appuyaient l’accueil de la demande, ainsi que des facteurs qui tendaient vers le rejet de la demande. L’agente d’immigration a tenu compte des répercussions qu’aurait une décision défavorable sur les demandeurs mineurs et a exposé deux scénarios possibles, soit le renvoi des demandeurs aux États-Unis, ou le renvoi des demandeurs en Argentine.

 

[12]           En ce qui a trait à la première possibilité, soit le renvoi aux États-Unis, l’agente d’immigration a reconnu que si les parents étaient détenus par les autorités aux États-Unis, la séparation qui s’ensuivrait serait déplorable pour les enfants. Cependant, elle a noté qu’une telle séparation ne constituait pas une difficulté parce que le demandeur principal et les demandeurs pouvaient choisir de quitter volontairement le Canada. Un départ volontaire éviterait qu’ils soient détenus aux États-Unis.

 

[13]           En ce qui a trait au renvoi en Argentine, l’agente d’immigration a tenu compte des inquiétudes des parents au sujet du bien-être de leurs enfants. Elle a noté que la qualité de vie en Argentine était moindre que celle au Canada. Cependant, l’agente n’était pas persuadée qu’un retour en Argentine avec leurs parents serait contraire à l’intérêt supérieur des enfants. En fin de compte, l’agente d’immigration a conclu que, en ce qui avait trait à tous les facteurs liés à la demande CH, la preuve ne faisait pas ressortir l’existence de difficultés inhabituelles, injustifiées et excessives justifiant une exemption de l’exigence selon laquelle le demandeur principal et les demandeurs doivent demander l’établissement au Canada de la façon habituelle, soit de l’extérieur du pays.

 

II.  Les observations des parties

 

[14]           De façon générale, le demandeur principal et les demandeurs soutiennent que l’agente d’immigration a commis une erreur en entravant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire parce qu’elle n’a pas tenu compte de leur degré d’établissement au Canada. Ils allèguent que le paragraphe 25(1) de la Loi prévoit que la situation d’un futur immigrant doit être abordée d’un point de vue neuf et que l’agent ne doit pas tenir compte des décisions antérieures. Ils fondent cette allégation sur la décision rendue dans l’affaire Yhap c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 1 C.F. 722 (1re inst.).

 

[15]           Les demandeurs soutiennent que la décision de l’agente d’immigration au sujet de l’intérêt supérieur des enfants a été tirée de façon abusive, arbitraire et sans fondement. À ce sujet, ils se fondent sur les arrêts Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, et Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 C.F. 555 (C.A.).

 

[16]           Pour sa part, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) est d’avis que la décision contestée est sujette à un contrôle en fonction de la décision raisonnable, comme cela a été décidé dans l’arrêt Baker, précité. Cette norme impose une grande déférence et la décision faisant l’objet du contrôle doit être maintenue si elle se fonde sur une preuve quelconque; voir l’arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247. Le défendeur soutient que les conclusions de l’agente d’immigration sont étayées par la preuve et que la Cour ne devrait pas intervenir.

 

[17]           Le défendeur ajoute que l’agente d’immigration n’a pas entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et qu’elle a examiné correctement la preuve dont elle était saisie, y compris la preuve au sujet des demandeurs mineurs et de leur intérêt supérieur.

 

III.  Analyse et dispositif

 

[18]           Les paragraphes 11(1) et 25(1) de la Loi sont pertinents et se lisent comme suit :

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

 

[19]           Il faut ensuite examiner quelle est la norme de contrôle appropriée. La conclusion en question a été tirée par une décisionnaire administrative exerçant un pouvoir délégué en vertu de la Loi. Afin de déterminer quelle est la norme de contrôle applicable en l’espèce, je dois effectuer une analyse pragmatique et fonctionnelle. Il y a quatre facteurs à considérer : l’existence d’une disposition privative, l’expertise de la décisionnaire, l’objet de la législation et la nature de la question.

 

[20]           Le premier facteur est neutre, puisque la Loi ne prévoit aucune disposition privative ni d’appel de plein droit. Le contrôle judiciaire est disponible, s’il est autorisé.

 

[21]           Les agents d’immigration doivent constamment évaluer des demandes CH. Leur expertise relativement plus importante que celle de la Cour mérite la déférence.

 

[22]           L’objectif général de la Loi est de réglementer l’admission des immigrants au Canada et de maintenir la sécurité de la société canadienne. Ceci implique qu’il faut examiner divers intérêts qui pourraient entrer en conflit. Il faut faire preuve d’une certaine déférence envers les décisions prises dans un contexte polycentrique.

 

[23]           Le dernier facteur à considérer porte sur la nature de la question. En l’espèce, l’agente d’immigration devait exercer son pouvoir discrétionnaire et tirer des conclusions de fait. Ce pouvoir discrétionnaire doit s’inspirer de la Loi et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés et il comprend un élément d’interprétation de la législation. L’application des dispositions légales et réglementaires à la preuve donne lieu à une question mixte de fait et de droit. La norme de contrôle pour une telle question est la décision raisonnable simpliciter.

 

[24]           La décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire est de nature discrétionnaire. Une telle décision a pour caractéristique que son issue n’est pas inévitable. Le décisionnaire est assujetti à la norme décrite dans l’affaire Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2 comme suit :

 

C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice  naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

 

 

[25]           Les demandeurs soutiennent que l’agente d’immigration a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à l’évaluation de la preuve de leur établissement au Canada parce qu’elle a accordé trop d’importance au fait qu’ils faisaient l’objet de mesures de renvoi. Compte tenu du dossier, je ne suis pas convaincue que l’agente d’immigration a commis une erreur susceptible de révision en ce qui a trait à la façon dont elle a traité la question de l’établissement, y compris au sujet des mesures de renvoi en instance. L’agente d’immigration devait examiner l’existence de ces mesures de renvoi et en tenir compte dans son évaluation du degré d’établissement des demandeurs au Canada. Je suis convaincue qu’elle n’a pas commis d’erreur dans son évaluation des faits pertinents.

 

[26]           Je suis aussi convaincue que l’agente d’immigration était réceptive et attentive à l’intérêt supérieur des demandeurs mineurs, conformément aux directives de la jurisprudence pertinente, soient l’arrêt Baker et l’affaire Hawthorne. Le fait que les demandeurs mineurs aient un meilleur niveau de vie au Canada qu’en Argentine ne signifie pas que l’agente doit exercer de façon favorable le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 25(1) de la Loi.

 

[27]           Essentiellement, les mêmes arguments ont été soulevés dans l’affaire Serda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356. Dans ses motifs détaillés, le juge de Montigny a traité de chacun des arguments et a rejeté la demande de contrôle judiciaire. Je ne vois aucune raison de suivre un raisonnement différent en l’espèce.

 

[28]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune question de portée générale n’est énoncée et aucune ne sera certifiée.

 

 

 

ORDONNANCE

 

 

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

 

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5193-05

 

INTITULÉ :                                       SERGIO GUSTAVO PENA et al. c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8  mars 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE HENEGAN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 12 juin 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Rishma Shariff

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Rick Garvin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Caron & Partners LLP

Calgary (Alberta)

 

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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