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Date : 20191223


Dossier : T‑295‑19

Référence : 2019 CF 1658

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2019

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

WILTON A. SMITH

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le demandeur [Monsieur Smith] sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel [la Section d’appel] de la Commission des libérations conditionnelles du Canada [la Commission] datée du 18 janvier 2019 confirmant la décision de la Commission de révoquer son examen de sa semi‑liberté ou sa libération conditionnelle totale en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la Loi].

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire de M. Smith est rejetée.

II.  Contexte

A.  Les faits

[3]  M. Smith purge une peine d’emprisonnement à perpétuité dans un établissement fédéral pour meurtre au premier degré. Il est actuellement incarcéré à l’établissement de Springhill, en Nouvelle‑Écosse, un établissement à sécurité moyenne.

[4]  M. Smith est devenu admissible à la semi‑liberté en mars 2014 et à la libération conditionnelle totale en mars 2017. Il a demandé les deux le 12 juin 2016, mais sans succès.

[5]  C’est la deuxième fois que M. Smith comparaît devant la Cour relativement à ses efforts pour obtenir une semi‑liberté ou une libération conditionnelle totale. Il a eu gain de cause la première fois, lorsque la Cour (le juge Southcott) a conclu que la Commission et la Section d’appel avaient toutes deux commis une erreur dans leur traitement de l’argument de M. Smith selon lequel un addenda préparé par l’Équipe de gestion des cas [l’EGC] au Service correctionnel du Canada [SCC] en prévision de son audience de libération conditionnelle [addenda de 2016] n’aurait pas dû être pris en compte par la Commission et la Section d’appel, puisqu’il avait été retiré de son dossier carcéral par le directeur de l’établissement avant son audience de libération conditionnelle (Smith c Canada (Procureur général), 2018 CF 200 [Smith]). La décision de la Section d’appel a donc été annulée, et l’affaire a été renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué.

[6]  Dans la décision Smith, la Cour décrit le contexte général de ce cas de la façon suivante :

[3]  M. Smith est au début de la cinquantaine et purge une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre au premier degré. Il est incarcéré depuis le 29 avril 1994 et se trouve depuis 2003 à l’établissement de Springhill, au Nouveau‑Brunswick, un établissement à sécurité moyenne. M. Smith a fait appel de sa condamnation, sans succès, auprès de la Cour d’appel de l’Ontario et de la Cour suprême du Canada. Il continue de clamer son innocence.

[4]  Bien que M. Smith soit au Canada depuis le début de la vingtaine, il est né en Jamaïque et fait actuellement l’objet d’une ordonnance d’expulsion.

[5]  Selon le dossier dont la Cour est saisie, les événements ayant mené à la condamnation pour meurtre étaient les suivants. M. Smith avait une relation avec une femme nommée Patricia Innis de septembre à décembre 1991, lorsque M. Smith l’a agressée, l’a menacée avec un couteau et lui a volé un certain nombre de ses biens. Il a été accusé de menaces, d’agression armée, de vol et de possession de biens criminellement obtenus. M. Smith a été libéré sous caution, sous réserve d’une ordonnance de non‑communication concernant Mme Innis. Il a enfreint l’ordonnance en continuant de communiquer avec Mme Innis et de lui rendre visite. M. Smith devait subir son procès le 12 mars 1992, mais le 10 mars 1992, il est entré chez Mme Innis et l’a attaquée en la frappant au cou avec une machette, et la tuant ainsi.

[6]   M. Smith a un fils avec qui il est en contact et il a eu un certain nombre de relations amoureuses de diverses durées pendant son incarcération. Il a participé à des visites familiales privées avec ces femmes et son fils, et aucun problème de violence familiale n’a été signalé. M. Smith nie avoir fait preuve de quelque violence que ce soit dans ses relations. Il a également terminé tous les programmes de réadaptation proposés, et on dit qu’il s’est comporté de façon appropriée au cours de ces programmes et qu’il en a tiré profit. Selon le dossier carcéral de M. Smith, il a eu une condamnation pour avoir porté une arme dissimulée, fondée sur un incident survenu en 2001, où il a été découvert avec un poignard. Mis à part cet incident et un conflit avec un membre du personnel de la cuisine de la prison en 2016, M. Smith semble s’être conduit de façon prosociale durant son incarcération. Il a occupé un emploi et défendu ses intérêts et ceux des autres détenus.

[7]  M. Smith est devenu admissible à la semi‑liberté et à la libération conditionnelle totale en mars 2014 et en mars 2017, respectivement. Dans la demande qui a mené aux décisions prises en considération dans cette demande de contrôle judiciaire, M. Smith a sollicité soit une semi‑liberté pour être libéré en Nouvelle‑Écosse, soit une libération conditionnelle totale en vue d’un retour en Jamaïque.

[7]  La première demande de contrôle judiciaire de M. Smith a été déposée en avril 2017, mais avant qu’elle ne soit entendue, il a déposé une demande auprès de la Commission pour faire examiner sa demande de semi‑liberté ou de libération conditionnelle totale. La commission a accusé réception de cette demande le 16 novembre 2017.

[8]  Le 23 janvier 2018, M. Smith, en vertu des paragraphes 157(3) et 158(3) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620 [le Règlement], a demandé à la Commission de reporter son examen en vue d’une semi‑liberté ou d’une libération conditionnelle totale au mois de juin (2018). Les paragraphes 157(3) et 158(3) du Règlement prévoient que la Commission peut reporter l’examen de la libération conditionnelle si elle a obtenu le consentement du délinquant. Selon sa demande de report, son objectif était d’obtenir l’appui de sa nouvelle agente de libération conditionnelle, Mme Margaret Hoyt, pour l’application de la prochaine audience de révision.

[9]  Le 30 janvier 2018, le premier contrôle judiciaire demandé par M. Smith a été entendu sur le fond et le 21 février 2018, le juge Southcott a rendu sa décision.

[10]  En mai 2018, une évaluation en vue d’une décision [l’évaluation de 2018] a été préparée en prévision de l’audience de révision demandée par M. Smith. Le 23 mai 2018, la Commission a informé M. Smith que son audience de libération conditionnelle était prévue pour le 12 juin 2018.

[11]  L’audience du 12 juin 2018 a débuté, comme prévu, devant un tribunal différemment constitué, mais a été ajournée à deux mois plus tard, en vertu des paragraphes 122(3) et 123(4) de la Loi ainsi que des alinéas 157(4)a) et 158(4)a) du Règlement, qui prévoient qu’un examen peut être ajourné pour une période d’au plus deux mois si la Commission a besoin de plus de renseignements pour effectuer son examen. L’ajournement visait à permettre à la Commission de recueillir des renseignements sur le soutien qui pourrait être fourni à M. Smith au moment de son expulsion dans son pays d’origine, après sa libération conditionnelle, ainsi que tout renseignement pertinent des autorités étrangères ou canadiennes concernant son dossier.

[12]  Le 24 juillet 2018, Mme Hoyt a préparé un addenda à l’évaluation [l’addenda de 2018] afin de fournir à la Commission les renseignements qu’elle avait demandés.

[13]  L’audience de révision a repris le 10 août 2018 avec deux nouveaux commissaires, car ceux qui étaient présents le 12 juin 2018 n’étaient pas libres. Comme il y avait deux nouveaux commissaires, l’audience devait se tenir de novo, conformément à l’article 11.5.10 du Manuel des politiques décisionnelles à l’intention des commissaires [le Manuel des politiques]. Comme il ne se sentait pas prêt pour une audience de révision en bonne et due forme, M. Smith a demandé l’ajournement. Sa demande a été acceptée.

[14]  L’audience de révision a repris le 24 août 2018, avec les deux commissaires qui étaient présents le 12 juin 2018. À la fin de l’audience, la Commission a rejeté la demande de libération conditionnelle de M. Smith, estimant qu’il présentait toujours un risque inacceptable pour la société.

B.  La décision de la Commission

[15]  Après avoir d’abord décrit ce que les renseignements figurant au dossier ont révélé au sujet du profil personnel et des antécédents criminels de M. Smith, la Commission a examiné l’évaluation psychologique du risque prélibératoire réalisée en 2016. Elle a souligné que le risque de récidive de violence générale de M. Smith était faible et que son risque de violence dans le contexte d’une relation intime était modéré, ce qui concordait avec une évaluation psychiatrique effectuée en 2014. L’évaluation de 2018 a confirmé que les risques relevés étaient toujours présents.

[16]  La Commission a constaté, quant aux antécédents carcéraux de M. Smith, qu’il a d’abord été placé dans un établissement à sécurité maximale, puis a été transféré dans un établissement à sécurité moyenne en 1997 avant d’être placé à nouveau dans un établissement à sécurité maximale après sa condamnation, en 2001, pour avoir porté une arme dissimulée. La commission a souligné que M. Smith a fait preuve de bonne conduite en milieu carcéral et qu’il a été en mesure de retourner dans un établissement à sécurité moyenne au cours de la même année. En 2016, M. Smith a été reclassifié comme détenu dit « à sécurité minimale », mais il a refusé d’être transféré, craignant d’être victime de discrimination et d’avoir à recommencer son plan correctionnel (dossier des défendeurs modifié, p. 59).

[17]  La Commission a également reconnu que M. Smith avait réussi divers programmes visant à répondre à ses besoins au cours de sa peine, le dernier ayant été achevé en 2011. Elle a également souligné qu’il avait obtenu diverses attestations d’emploi et participé à un certain nombre de campagnes de collectes de fonds et de travaux bénévoles. Malgré l’achèvement de ces programmes et sa participation à ces activités, la Commission a constaté que l’évaluation de 2018 indiquait que le refus de M. Smith de reconnaître son crime rendait difficile de cerner la qualité des progrès qu’il avait réalisés.

[18]  La Commission a répondu à la préoccupation de M. Smith selon laquelle son audience du 24 août 2018 était une audience de novo plutôt que la poursuite de l’audience du 12 juin 2018.

[19]  Parmi les autres facteurs précités, la Commission a souligné que les mesures actuarielles révélaient que M. Smith présentait un faible risque de récidive générale, mais un risque élevé de récidive de violence familiale.

[20]  De plus, la Commission a cerné les facteurs de risque de M. Smith et a conclu qu’il avait une compréhension limitée des facteurs ayant mené à la perpétration de son crime. En fait, la Commission a souligné qu’il avait besoin de plus d’interventions, y compris de passer du temps dans un établissement à sécurité minimale, afin de renforcer ses compétences et ses outils en matière de gestion du risque dans la collectivité.

[21]  La Commission a pris note de la recommandation négative de l’ECG de M. Smith concernant sa libération conditionnelle en raison des préoccupations concernant le plan de libération que ce dernier a proposé et de son manque de mesures de protection et de soutien.

[22]  Avant la reprise de l’audience de révision, la mère et le pasteur de M. Smith ont écrit à la Commission pour lui dire qu’il aurait de l’aide à son retour en Jamaïque. M. Smith a également fait plusieurs appels à des membres de sa famille pour confirmer leur soutien à son retour dans ce pays.

[23]  Lors de son refus d’accorder la semi‑liberté ou la libération conditionnelle totale, la Commission a indiqué que les antécédents criminels de M. Smith avaient aggravé son risque pour la société. La Commission était préoccupée par sa capacité de se maîtriser pendant sa libération, puisque le crime pour lequel il purge sa peine s’est produit pendant qu’il était en liberté sous caution.

[24]  La Commission a estimé que le plan de libération de M. Smith n’atténuait pas suffisamment son risque pour la société parce que :

  1. sa mère ne vit pas en Jamaïque, ce qui signifie qu’elle ne pourrait lui offrir qu’un soutien limité à son retour dans ce pays;
  2. la lettre de son pasteur manquait de détails;
  3. il a manqué à son obligation d’obtenir un passeport, car l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] a déclaré qu’il ne coopérait pas à l’égard de ladite demande de passeport;
  4. il n’y aurait aucune surveillance de la part des autorités jamaïcaines;
  5. il a refusé d’accorder une évaluation communautaire avec sa mère et sa sœur;
  6. il a également refusé de fournir à la Commission des renseignements sur son logement et son emploi à son retour en Jamaïque.

C.  La décision de la Section d’appel

[25]  La Section d’appel a d’abord conclu que la Commission avait traité M. Smith équitablement, qu’elle avait tenu l’audience de révision de façon objective et impartiale et qu’elle n’avait pas violé ses droits garantis par la Charte.

[26]  Ce faisant, la Section d’appel a conclu que l’erreur commise par la Commission en qualifiant l’audience de révision du 24 août 2018 de novo plutôt que de continuation de l’audience du 12 juin 2018 n’a pas porté atteinte à M. Smith.

[27]  La Section d’appel a fait remarquer que la protection de la société est le facteur prédominant dans toute évaluation d’une demande de libération conditionnelle et a conclu que M. Smith n’a soulevé aucun motif qui aurait amené la Section d’appel à intervenir dans la décision de la Commission. Elle a indiqué que le rôle de la Section d’appel n’était pas de réévaluer les questions de risque de récidive et de substituer ses propres conclusions et son pouvoir discrétionnaire à celui de la Commission, à moins que les conclusions de la Commission ne soient déraisonnables.

[28]  La Section d’appel a également souligné que la Commission a évalué les éléments positifs et négatifs du dossier de M. Smith, mais a conclu qu’il était raisonnable et à la discrétion de la Commission d’accorder plus d’importance aux renseignements indiquant qu’il présente toujours un risque de violence familiale élevé selon les mesures actuarielles, que le meurtre qu’il a commis s’est produit pendant qu’il était libéré sous caution, qu’il ne fait pas preuve d’une compréhension adéquate de son cycle de délinquance et que son plan de libération n’était pas encore suffisamment structuré.

[29]  En ce qui concerne la prétendue violation des conclusions de la décision Smith, la Section d’appel a conclu que la Commission n’avait pas tenu compte, dans sa décision, du document qui, selon le juge Southcott, n’aurait pas dû être pris en considération par la Commission ou la Section d’appel pour rendre sa propre décision dans cette affaire.

[30]  La Section d’appel a également conclu que la Commission n’avait pas outrepassé sa compétence en posant des questions sur le plan de libération de M. Smith en Jamaïque. Bien qu’elle ait reconnu que la Commission ne pouvait pas obliger une administration étrangère à fournir des renseignements ni insister pour qu’elle participe à la surveillance d’un délinquant, la Section d’appel a conclu que l’évaluation du plan de libération d’un délinquant faisait partie intégrante de l’évaluation du risque, y compris pour les délinquants étrangers susceptibles d’être expulsés au moment de leur libération.

D.  La contestation de M. Smith à l’encontre de la décision de la Section d’appel

[31]  M. Smith allègue que la Commission et la Section d’appel n’ont pas respecté la décision Smith puisqu’elles ont procédé à l’examen de son dossier au lieu de réexaminer la question, et ont tenu compte de l’addenda de 2016 alors que la Cour avait conclu dans la décision Smith qu’il n’aurait pas dû être pris en considération.

[32]  Il fait également valoir que la Commission et la Section d’appel n’auraient pas dû tenir compte de l’addenda de 2018, qu’il a refusé de signer, et que celui‑ci aurait dû être exclu de la preuve parce qu’il contient de faux renseignements, en particulier à l’égard de l’absence alléguée de collaboration avec l’ASFC pour faire renouveler son passeport jamaïcain. Il affirme que la Commission et la Section d’appel n’ont pas tenu compte de sa preuve concernant ces faux renseignements, y compris la plainte qu’il a déposée contre l’auteure de l’addenda de 2018, Mme Hoyt.

[33]  De plus, M. Smith soutient que la Commission ne s’est pas conformée à l’article 11.5 du Manuel des politiques en qualifiant l’audience qui a eu lieu le 24 août 2018 de nouvelle et non de continuation de l’audience du 12 juin 2018.

[34]  À l’audience relative à la présente demande de contrôle judiciaire, M. Smith a insisté sur le fait que, contrairement à la preuve présentée par Mme Hoyt, il a fait tout ce que son EGC lui a demandé. Il a dit, par conséquent, qu’il ne peut pas être raisonnablement jugé comme présentant toujours un risque inacceptable pour la société puisqu’il se trouve déjà au bas de l’échelle de risque, comme en témoigne la carte d’entrée de l’établissement qu’on lui a remise pour travailler à l’extérieur des murs de l’établissement de Springhill et les permissions de sortir avec escorte qui lui ont été accordées.

[35]  M. Smith a également insisté sur le fait qu’il n’a pas refusé son transfert dans un établissement à sécurité minimale, comme l’indique son dossier correctionnel. Il a rectifié en affirmant qu’il ne pouvait pas aller dans un tel établissement, car l’ASFC l’attraperait puisqu’il devait d’abord être libéré de l’établissement de Springhill pour être transféré dans un tel établissement. Il prétend qu’il n’y a pas d’établissements à sécurité minimale du SCC dans la Région de l’Atlantique, mais seulement des centres correctionnels communautaires, qui acceptent uniquement les détenus en libération conditionnelle.

III.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[36]  La présente affaire soulève selon moi les trois questions suivantes :

  1. La Commission et la Section d’appel se sont‑elles conformées à la décision du juge Southcott dans la décision Smith?
  2. Dans l’affirmative, le processus qui a mené aux décisions de la Commission et de la Section d’appel était‑il équitable envers M. Smith sur le plan procédural?
  3. Dans l’affirmative, ces décisions sont‑elles raisonnables?

[37]  La jurisprudence relative au contrôle judiciaire des décisions de libération conditionnelle établit que, bien que la procédure vise la décision de la Section d’appel, la Cour, en l’absence d’une erreur distincte de la part de la Section d’appel, examine en fait la légalité de la décision de la Commission lorsque la Section d’appel entérine ladite décision. Un tel examen est effectué en appliquant la norme de la décision raisonnable (Smith, au par. 22, citant Coon c Canada (Procureur général), 2016 CF 340 [Coon], aux par. 18, 19 et 21; Chartrand c Canada (Procureur général), 2018 CF 1183, aux par. 38 et 40; McLennan c Canada (Procureur général), 2019 CF 1267, au par. 17).

[38]  Cette norme signifie que la Cour n’interviendra dans la décision de la Commission ou de la Section d’appel que si cette décision n’est pas justifiée, transparente, intelligible ou qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47 [Dunsmuir]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux par. 86 et 105 [Vavilov]).

[39]  Pour ce qui est des questions d’équité procédurale, il est bien établi que la norme de contrôle applicable est la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 43 [Khosa]; Smith, au par. 23).

IV.  Analyse

A.  La Commission et la Section d’appel se sont‑elles conformées à la décision rendue par le juge Southcott dans la décision Smith?

[40]  Tel qu’indiqué au début des présents motifs, le juge Southcott a accueilli la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de M. Smith, au motif qu’elle avait commis une erreur dans son traitement de l’argument de M. Smith selon lequel l’addenda de 2016 n’aurait pas dû être pris en considération par la Commission puisqu’il avait été retiré du dossier carcéral de M. Smith par le directeur de l’établissement avant l’audience de libération conditionnelle.

[41]  L’addenda de 2016 avait été préparé par l’agente de libération conditionnelle de M. Smith à l’époque, Mme Diana Pettigrew, pour soi‑disant mettre à jour l’Évaluation en vue d’une décision qu’elle avait déjà rédigée et qui recommandait le refus de la demande de semi‑liberté ou de libération conditionnelle totale de M. Smith. Toutefois, cette évaluation a également permis de recueillir des opinions dissidentes favorables à la libération conditionnelle totale de M. Smith en vue de son expulsion vers la Jamaïque. Les signataires de ces opinions dissidentes, y compris le gestionnaire, Évaluation et intervention, de l’époque, étaient d’avis qu’il n’y avait aucun avantage particulier à transférer M. Smith dans un établissement à sécurité inférieure (Smith, aux par. 9 à 11).

[42]  M. Smith prétend que l’addenda de 2016 était toujours devant la Commission lorsqu’elle a examiné sa demande de semi‑liberté ou de libération conditionnelle totale en août 2018, ce qui va à l’encontre des motifs de jugement du juge Southcott. Il prétend également que la Commission n’a pas procédé à un nouvel examen de sa cause, comme l’a ordonné le juge Southcott, mais plutôt à un examen complet comprenant des éléments de preuve dont la Commission n’était pas saisie lorsqu’elle a examiné sa demande de semi‑liberté ou de libération conditionnelle totale.

[43]  Contrairement aux prétentions de M. Smith, je ne crois pas que ni la Commission ni la Section d’appel aient omis de tenir compte de la décision du juge Southcott.

[44]  Premièrement, en vertu du paragraphe 123(5) de la Loi, les détenus dont la demande de libération conditionnelle est refusée ont généralement droit au réexamen de leur dossier après deux ans. Dans le cas de M. Smith, cette période, selon le paragraphe 123(5.01) de la Loi, était de cinq ans, puisqu’il a été déclaré coupable d’une infraction accompagnée de violence pour laquelle il purge une peine d’au moins deux ans. Cela ne signifie toutefois pas qu’un détenu ne peut pas demander plus tôt une révision de sa demande de libération conditionnelle. La seule restriction à cet égard, fondée sur l’interaction entre les paragraphes 122(4) et 123(6) de la Loi et le Manuel des politiques, est que le détenu doit attendre au moins un an après le refus de sa libération conditionnelle avant de présenter une demande de révision ou jusqu’à toute date antérieure que le Règlement prescrit ou que la Commission détermine.

[45]  Comme il a été mentionné précédemment, M. Smith s’est vu refuser la libération conditionnelle en décembre 2016 et, en octobre 2017, il a présenté une demande pour que sa semi‑liberté et sa libération conditionnelle totale soient examinées par la Commission. Il n’y a rien au dossier qui explique pourquoi la demande de révision a été déposée le 17 octobre 2017, soit moins d’un an après le refus de décembre 2016. Toutefois, avant de procéder à un examen anticipé, la Commission doit, conformément au Manuel des politiques (sections 4.1.17 et 4.2.10), s’assurer que l’information fournie par le SCC comprend ce qui suit :

a. le délinquant, s’il fait l’objet d’une mise en liberté, ne présentera pas de risque inacceptable pour la société et la mise en liberté contribuera à la protection de la société en facilitant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois;

b. les questions ou les préoccupations soulevées dans les motifs de la décision antérieure de la Commission de refuser, d’annuler, de mettre fin ou de révoquer la libération ont été réglées.

[46]  La demande de révision anticipée a permis la procédure, mais aucune date d’audience n’a été fixée. Le 23 janvier 2018, soit un mois avant la délivrance de la décision Smith et une semaine avant l’audience relative au contrôle judiciaire demandé par M. Smith, celui‑ci a demandé de reporter son examen de libération conditionnelle à juin 2018, comme le permettent les paragraphes 157(3) et 158(3) du Règlement. Il a rempli le formulaire requis, déclarant qu’il voulait obtenir de l’aide de la part de son agent de libération conditionnelle. Ce formulaire lui donnait aussi l’occasion de demander le report de son audience puisqu’il attendait une décision de la Cour. Il ne l’a toutefois pas fait, même s’il devait être au courant de la date prévue de l’audience relative au contrôle judiciaire, puisque l’ordonnance fixant la date de cette audience a été rendue le 21 décembre 2017, comme il ressort du dossier de la Cour dans la décision Smith. M. Smith n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles il n’a pas coché cette case particulière sur le formulaire, et il n’y a pas non plus d’explications au dossier à cet effet.

[47]  Comme je l’ai déjà mentionné, l’audience relative à la demande de libération conditionnelle de M. Smith a finalement eu lieu le 12 juin 2018, avant d’être reportée par la Commission au 10 août 2018, puis, à la demande de M. Smith, au 24 août 2018.

[48]  À ces trois dates, le tribunal de la Commission était constitué d’autres commissaires que ceux qui avaient rendu la décision contestée dans la décision Smith. La Commission a réévalué l’ensemble du dossier de M. Smith et la décision qu’elle a rendue ne contient aucune indication qu’elle ait tenu compte de l’addenda de 2016 pour déterminer si, à la suite de l’examen, la semi‑liberté ou la libération conditionnelle totale devrait être accordée ou non à M. Smith. La Commission a souligné les antécédents procéduraux de la demande de libération conditionnelle de M. Smith et a même souligné la conclusion de la Cour dans la décision Smith, comme suit :

Vous avez poursuivi votre appel devant la Cour fédérale du Canada et, le 21 février 2018, votre demande de contrôle judiciaire a été accueillie par la Cour fédérale. Bien que la Cour ait conclu que plusieurs de vos arguments n’avaient rien pour les appuyer, l’un des arguments soulevés dans votre demande a été accepté; celui selon lequel la Commission et la Section d’appel ont tenu compte à tort des renseignements contenus dans un addenda de l’Évaluation en vue d’une décision indiquant que le soutien pour votre libération dans un centre correctionnel communautaire (CCC) local des établissements résidentiels communautaires (ERC) vous avait été retiré. Vous avez fait valoir que ce document aurait dû être retiré de votre dossier, comme vous l’aviez demandé, et comme l’avait approuvé le directeur avant votre audience. La Cour fédérale a ordonné que votre dossier soit renvoyé à la Commission aux fins de réexamen. De plus, des dépens s’élevant à 300,00 $ vous ont été adjugés.

[49]  La Section d’appel a conclu que les renseignements à ne pas prendre en considération, comme prescrit dans la décision Smith, n’étaient pas un élément de la décision de révision de la Commission.

[50]  Ce qui découle raisonnablement de tout cela, c’est que la Commission, à la suite d’une ordonnance dans la décision Smith, était composée de commissaires différents lorsqu’elle a examiné la demande de libération conditionnelle de M. Smith et n’a pas tenu compte de l’addenda de 2016. De plus, il est raisonnable de conclure à partir des faits en l’espèce que, puisque M. Smith avait choisi de solliciter l’examen du refus de sa demande de libération conditionnelle avant la publication de la décision Smith et qu’il avait demandé le report dudit examen, non pas parce qu’il attendait une décision de la Cour dans le dossier Smith, mais parce qu’il voulait obtenir l’appui de son nouvel agent de libération conditionnelle, la Commission avait le droit de procéder à l’examen de l’ensemble du dossier de M. Smith, y compris l’évaluation de 2018 et l’addenda de 2018, qui ont mis à jour les renseignements au dossier.

[51]  À l’audience de la présente demande de contrôle judiciaire, M. Smith a prétendu qu’il avait été contraint de présenter sa demande de révision. Toutefois, je ne trouve aucune preuve à l’appui de cette affirmation au dossier.

[52]  En somme, je suis convaincu que la Commission et la Section d’appel ont respecté la décision rendue par le juge Southcott dans le dossier Smith lorsqu’ils ont rendu la décision contestée dans cette affaire.

B.  Le processus qui a mené aux décisions de la Commission et de la Section d’appel était‑il équitable sur le plan de la procédure envers M. Smith?

[53]  M. Smith affirme que la Commission ne s’est pas conformée à l’article 11.5 du Manuel des politiques en qualifiant l’audience qui a eu lieu le 24 août 2018 de nouvelle audience plutôt que de continuation de l’audience du 12 juin 2018.

[54]  L’article 11.5.10 du Manuel des politiques prévoit que, lorsqu’une audience est ajournée en vertu des paragraphes 157(4) et 158(4) du Règlement afin que la Commission puisse recueillir d’autres renseignements pertinents quant à l’examen, lorsque l’examen reprend, les mêmes commissaires doivent continuer d’examiner la question telle qu’elle a été laissée au moment de l’ajournement. Toutefois, s’il est impossible de réunir les mêmes commissaires, il faut recommencer l’examen.

[55]  Comme il a déjà été mentionné, la Commission a ajourné l’audience de révision le 12 juin 2018 et s’est réunie de nouveau le 10 août 2018 avec deux nouveaux commissaires, parce que les deux commissaires présents le 12 juin 2018 n’étaient pas en mesure d’être présents à ce moment‑là. La Commission a informé M. Smith que l’audience aurait lieu de novo, conformément au Manuel des politiques. M. Smith a ensuite demandé que l’audience soit ajournée pour lui donner l’occasion de se préparer. Cette requête a été accueillie.

[56]  Lorsque l’audience a repris le 24 août 2018, la Commission était constituée des deux commissaires qui étaient présents le 12 juin 2018. Selon le Manuel des politiques, l’audience devait se poursuivre à partir d’où elle en était au moment de l’ajournement, le 12 juin 2018.

[57]  M. Smith prétend que la Commission l’a informé que, même si l’audience était techniquement la continuation de celle du 12 juin 2018 et qu’elle porterait principalement sur son plan de libération et les documents reçus après l’ajournement, l’audience serait un nouvel examen puisque chaque audience doit être autonome.

[58]  Même si j’estime que la Commission a commis une erreur en disant à M. Smith que chaque audience doit être autonome, je dois souscrire à l’avis des défendeurs. La Section d’appel a reconnu l’erreur de qualifier l’audience comme telle, mais elle a tenu compte, après avoir écouté l’enregistrement audio de l’audience, du fait qu’elle portait principalement sur son plan de libération, ce que la Commission n’avait pas abordé le 12 juin 2018. D’ailleurs, M. Smith était d’accord avec la procédure après qu’on lui ait expliqué la nature et l’objet de l’audience.

[59]  De plus, dans la décision Sychuk c Canada (Procureur général), 2009 CF 105, au paragraphe 11, la Cour explique qu’il est bien établi que les manuels de politiques ne sont pas des lois et, par conséquent, ne sont pas contraignants pour le décideur. Il s’agit, par contre, d’indicateurs utiles pour évaluer si une décision était un exercice déraisonnable du pouvoir (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au par. 72; Latimer c Canada (Procureur général), 2014 CF 886, au par. 34).

[60]  Je ne crois pas que l’erreur de la Commission d’avoir qualifié l’audience de nouvelle constitue un exercice déraisonnable de ses pouvoirs parce que, malgré cette erreur, la reprise de l’audience s’est déroulée conformément au Manuel des politiques et n’a pas porté atteinte à l’équité procédurale de l’audience. Comme les défendeurs l’ont souligné à juste titre, rien ne prouve que M. Smith a subi un préjudice quelconque à cause de cette erreur de qualification.

C.  La décision de rejeter la demande d’examen de M. Smith était‑elle raisonnable?

[61]  M. Smith prétend que l’addenda de 2018 aurait dû être exclu de la preuve au motif qu’il contient de faux renseignements, surtout en ce qui concerne son présumé refus de collaborer avec l’ASFC afin de faire renouveler son passeport jamaïcain. Il prétend également que la Commission et la Section d’appel n’ont pas tenu compte de sa preuve concernant ces faux renseignements, notamment la plainte qu’il a déposée contre l’auteure de l’addenda de 2018, Mme Hoyt, et le fait qu’il avait fait affaire 51 fois avec l’ASFC au sujet du renouvellement de son passeport.

[62]  Comme je viens de l’expliquer, il était approprié que la Commission tienne compte de l’addenda de 2018. Contrairement à l’addenda de 2016, il n’avait pas été retiré du dossier institutionnel de M. Smith et la décision  Smith n’empêchait pas son examen par la Commission. Il n’y a pas d’erreur ici.

[63]  L’argument de M. Smith, fondée sur son allégation selon laquelle l’addenda de 2018 contient de faux renseignements, ne peut être retenu non plus. Comme l’a expliqué le juge Southcott dans la décision Smith, « c’est bien le SCC, et non la Commission ou sa Section d’appel, qui est chargé de régler les questions relatives à l’exactitude des renseignements figurant au dossier du SCC d’un détenu » (Smith, au par. 57). Dans la décision Smith, M. Smith, comme il le fait en l’espèce en ce qui concerne l’addenda de 2018, alléguait qu’une demande de permission de sortir avec escorte avait été rédigée frauduleusement et qu’un agent de libération conditionnelle s’était livré à une inconduite. Encore une fois, il ne revient pas à la Commission ou à la Section d’appel de régler ces questions, mais au SCC de le faire, conformément à ce qui est prévu au paragraphe 24(1) de la Loi (Smith, au par. 58).

[64]  De plus, comme les défendeurs en sont satisfaits, la Commission n’entend ni n’évalue la preuve; elle agit plutôt en fonction de tous les renseignements pertinents quant à l’affaire, elle est non liée par les règles traditionnelles de la preuve et exerce une fonction inquisitoire sans faire intervenir les parties en cause (Mooring c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 RCS 75 [Mooring], aux par. 26 et 29).

[65]  Dans la mesure où M. Smith prétend qu’il était déraisonnable pour la Commission de se fonder sur le fait qu’il est visé par une mesure d’expulsion, cet argument a été rejeté par le juge Southcott dans la décision Smith (Smith, aux par. 41 et 42). Comme je suis lié par les principes de la courtoisie judiciaire, je ne vois aucune raison de m’écarter de cette conclusion. Quoi qu’il en soit, comme l’ont souligné les défendeurs, la Commission ne s’est pas appuyée uniquement sur son statut d’immigrant pour rendre une décision. Elle a plutôt tenu compte, comme nous le verrons, d’un certain nombre d’autres facteurs qui, pris ensemble, n’ont pas, selon elle, suffisamment atténué le risque pour la société et renforcé sa protection, conformément au principe directeur énoncé à l’article 100.1 de la Loi en ce qui concerne l’application de l’évaluation des demandes de libération conditionnelle.

[66]  Enfin, M. Smith soutient que, contrairement aux conclusions de l’évaluation de 2018, il a fait tout ce que son EGC exigeait de lui et que, par conséquent, il ne peut pas être raisonnablement jugé comme présentant toujours un risque inacceptable pour la société. Il affirme, à cet égard, qu’il est déjà au bas de l’échelle des risques, comme en témoigne la carte d’entrée de l’établissement qu’on lui a remise pour travailler à l’extérieur des murs de l’établissement de Springhill et les permissions de sortir avec escorte qui lui ont été accordées. Il soutient également que, contrairement à ce qu’indique son dossier carcéral, il n’a jamais refusé d’être transféré dans un établissement à sécurité minimale. Il affirme plutôt qu’il ne peut pas aller dans un tel établissement parce que, s’il le fait, l’ASFC l’attrapera. Il prétend qu’il n’y a pas d’établissements à sécurité minimale du SCC dans la Région de l’Atlantique, mais seulement des centres correctionnels communautaires, qui acceptent uniquement les détenus en libération conditionnelle.

[67]  En fin de compte, M. Smith se demande s’il y a un avantage à être transféré dans un établissement à sécurité inférieure pour avoir droit à la semi‑liberté ou à la libération conditionnelle totale.

[68]  Il est important de souligner, à ce stade, que la Loi « édicte un régime d’application de la peine et non pas un régime de réduction de la peine » et que l’évaluation de l’admissibilité à la semi‑liberté ou à la libération conditionnelle totale repose principalement « dans l’observation et l’évaluation de la personnalité et du comportement du délinquant qui s’attachent au danger qu’il représente et son aptitude à réintégrer la communauté » (Ouellette c Canada (Procureur général), 2013 CAF 54 aux par. 30 et 31).

[69]  Aux termes de l’article 107 de la Loi, la Commission « a toute compétence et latitude » pour accorder la libération conditionnelle d’un délinquant. Selon l’article 102 de la Loi, la Commission peut accorder une libération conditionnelle si elle est « d’avis qu’une récidive du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société et que cette libération contribuera à la protection de celle‑ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois ». L’article 107 de la Loi doit toutefois être lu conjointement avec l’article 100.1 de la Loi, qui fait de la protection de la société le facteur prépondérant dans toute décision de libération conditionnelle (voir aussi : Mooring, au par. 7; Cartier c Canada (Procureur général), 2002 CAF 384, au par. 19; Fernandez c Canada (Procureur général), 2011 CF 275, au par. 15; Korn c Canada (Procureur général), 2014 CF 590, au par. 16).

[70]  En l’espèce, je conviens avec les défendeurs que la décision de la Commission était fondée sur suffisamment de renseignements convaincants et fiables pour satisfaire aux exigences d’une conclusion raisonnable au sens de l’arrêt Dunsmuir, comme l’a confirmé l’arrêt Vavilov.

[71]  La Commission a reconnu que M. Smith avait progressé grâce à sa participation à des programmes institutionnels et à son travail bénévole, mais elle était préoccupée par le fait que son plan de libération ne prévoyait pas d’interventions précises adaptées à ses besoins dans la collectivité compte tenu de sa longue période d’incarcération dans un contexte très structuré. Elle était également préoccupée par le fait que M. Smith ne serait pas sous la surveillance du SCC s’il était expulsé vers la Jamaïque après sa libération conditionnelle. Cela signifiait que M. Smith ne serait pas surveillé quant à la façon dont il gère les conflits interpersonnels dans le contexte d’une relation intime comportant divers facteurs de stress au quotidien.

[72]  Les préoccupations de la Commission à cet égard découlaient du fait que M. Smith a commis son infraction, qui a causé le préjudice le plus grave, alors qu’il devait respecter une condition de ne pas entrer en contact avec sa victime. Elles découlaient également du fait qu’il n’avait pas abordé correctement les questions émotionnelles, cognitives et comportementales liées à ce crime, puisqu’il niait toujours l’avoir commis. La Commission était donc d’avis que M. Smith profiterait d’un retour plus graduel dans la collectivité, ce qui comprendrait un transfert dans un établissement à sécurité minimale qui lui permettrait de démontrer, avec l’aide de son EGC, sa capacité de gérer ces risques dans un environnement moins structuré. Cela permettrait également à son EGC, selon la Commission, de surveiller et d’évaluer sa capacité de s’adapter à un environnement moins restrictif compte tenu de la dynamique particulière de son cas, surtout en ce qui concerne ses relations intimes.

[73]  Je remarque que, contrairement à l’évaluation de 2016, l’évaluation de 2018, qui faisait valablement partie des renseignements examinés par la Commission, ne contient aucune opinion dissidente et a également été signée par le gestionnaire, Évaluation et intervention, de l’époque.

[74]  Il n’appartient pas à la Cour, en matière de contrôle judiciaire, de soupeser à nouveau la preuve dont disposait la Commission et de substituer ses propres conclusions à celles de la Commission (Khosa, au par. 64; Smith, au par. 32). En l’espèce, je conclus qu’il était raisonnablement loisible à la Commission, compte tenu de l’ensemble des renseignements figurant au dossier, de conclure que la mise en liberté sous condition de M. Smith, sans qu’il soit d’abord transféré dans un établissement à sécurité minimale, présente toujours un risque inacceptable pour la société.

[75]  Ayant conclu que la décision de la Commission est raisonnable, je conclus que la décision de la Section d’appel est également raisonnable.

[76]  La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée. Les défendeurs demandent leurs dépens. Compte tenu de l’issue de cette affaire, ils y auront droit. Conformément au pouvoir conféré à la Cour en vertu du paragraphe 400(4) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, les dépens sont fixés à 200 $, débours compris.


JUGEMENT dans le dossier T‑295‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Des dépens d’une somme de 200 $ sont accordés aux défendeurs, débours compris.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de janvier 2020.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑295‑19

 

INTITULÉ :

WILTON A. SMITH c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À OTTAWA (ONTARIO), À HALIFAX (NOUVELLE‑ÉCOSSE) ET À SPRINGHILL (NOUVELLE‑ÉCOSSE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 octobre 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 23 décembre 2019

 

COMPARUTIONS :

Wilton A. Smith

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ami Assignon

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aucun

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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