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Date : 20060331

Dossier : IMM‑5571‑05

Référence : 2006 CF 421

Ottawa (Ontario), le 31 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

BRANDON DAVID HUGHEY

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

 

 


TABLE DES MATIÈRES

 

PAR.

 

I.          Introduction........................................................................................................................... 1

 

 

II......... Les faits................................................................................................................................. 6

 

 

III.       La preuve relative à la légalité de la guerre en Irak................................................................ 30

 

 

IV.       La décision de la Commission relativement à la preuve dans l’affaire Hinzman...................... 33

 

V.        La décision de la Commission sur le fond de la demande d’asile de M. Hughey..................... 46

 

i)                    La protection de l’État............................................................................................. 47

ii)                   M. Hughey avait‑il raison de craindre d’être persécuté aux États‑Unis?..................... 61

iii)                 Le paragraphe 171 du Guide du HCNUR................................................................ 66

iv)                 La peine prévue pour la désertion : poursuites ou persécution?.................................. 75

 

 

VI....... Les questions en litige.......................................................................................................... 88

 

 

VII.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la preuve relative à la prétendue illégalité de l’action militaire américaine en Irak n’était pas pertinente aux

            fins de la conclusion à tirer par la Section de la protection des réfugiés en application du paragraphe 171 du Guide du HCNUR?....................................................................................................................... 90

 

i)......... La position de M. Hughey........................................................................................ 92

ii)........ La norme de contrôle judiciaire................................................................................ 99

iii)........ Le rôle et l’objet du Guide du HCNUR.................................................................. 102

iv)....... La culpabilité individuelle à l’égard de crimes contre la paix..................................... 139

v)........ Pertinence pour d’autres raisons de la preuve contestée.......................................... 148

vi)....... Conclusion............................................................................................................ 151

 

 

VIII.     La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que M. Hughey n’avait pas

            réussi à démontrer que les violations du droit international humanitaire perpétrées par

            l’armée américaine en Irak avaient atteint un caractère généralisé ou étaient tolérées

            par l’État?......................................................................................................................... 155

 

 

 

 

PAR.

 

 

IX....... La Commission a‑t‑elle commis une erreur en imposant à M. Hughey le trop lourd

........... fardeau de démontrer qu’il aurait lui‑même pris part à des actes illégaux s’il était

........... allé en Irak?....................................................................................................................... 166

 

 

X........ Conclusion sur ce point...................................................................................................... 175

 

 

XI....... La Commission a‑t‑elle analysé de manière erronée les questions de la protection de l’État et de la persécution?

 

i)......... La position de M. Hughey...................................................................................... 178

ii)........ La norme de contrôle judiciaire.............................................................................. 185

iii)........ Analyse................................................................................................................. 188

iv)....... Conclusion............................................................................................................ 214

 

 

XII...... Résumé et conclusion......................................................................................................... 220

 

 

XIII..... Certification....................................................................................................................... 222

 

 

........... Jugement........................................................................................................................... 226

 


I.          Introduction

[1]               Brandon Hughey était soldat au sein de l’armée américaine et il a déserté après le déploiement de son unité en Irak en vue de la participation de celle‑ci au conflit. M. Hughey déclare avoir déserté en raison de ses fortes objections morales à cette guerre et parce qu’il estimait illégale l’action militaire dirigée par les États‑Unis en Irak.

 

[2]               Après avoir déserté, M. Hughey est venu au Canada et y a demandé l’asile, faisant valoir qu’il craignait avec raison d’être persécuté aux États‑Unis en raison de ses opinions politiques. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que M. Hughey n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger et a donc rejeté sa demande d’asile.

 

[3]               M. Hughey demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la Commission, au motif que celle‑ci aurait commis une erreur en ne lui permettant pas de présenter une preuve relativement à la prétendue illégalité de l’action militaire américaine en Iraq. La Commission aurait également fait erreur, soutient‑il, en faisant abstraction de la preuve visant à démontrer qu’on aurait toléré les violations des droits de la personne perpétrées par l’armée américaine en Irak et que ces violations étaient généralisées.

 

[4]               En outre, M. Hughey affirme que la Commission lui a imposé le trop lourd fardeau de démontrer qu’il aurait lui‑même pris part à des actes illégaux s’il était allé en Irak. M. Hughey soutient en dernier lieu que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas valablement compte du fait qu’aux États‑Unis, on ne reconnaît pas l’objection à une guerre particulière comme motif légitime de l’octroi du statut d’objecteur de conscience. Sa sincère objection de conscience à la guerre en Irak n’ayant pas été prise en compte par l’armée américaine, M. Hughey soutient que toute peine pouvant lui être infligée pour avoir déserté équivaut automatiquement à de la persécution.

 

[5]               J’ai conclu, pour les motifs qui suivent, qu’il y a lieu de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Comme la Cour n’a pas été saisie de la question de savoir si l’intervention militaire dirigée par les États‑Unis en Irak est ou non illégale, il convient de noter qu’aucune conclusion n’a été tirée à cet égard.

 

II.        Les faits

[6]               Comme la Cour d’appel fédérale l’a fait observer dans Zolfagharkhani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 3 C.F. 540, les affaires d’objection de conscience sont bien souvent tributaires des faits d’espèce. Il sera nécessaire, par conséquent, de m’attarder sur les faits qui sous‑tendent la demande d’asile de M. Hughey, notamment ceux liés à la nature de son objection au service militaire de manière générale, et à sa participation à la guerre en Irak en particulier.

 

[7]               M. Hughey s’est enrôlé dans l’armée américaine à l’âge de 17 ans et il a pris son service le 9 juillet 2003, alors qu’il était âgé de 18 ans. M. Hughey a dit avoir joint les rangs de l’armée pour deux raisons. Premièrement, l’aide financière de l’armée lui permettrait d’étudier à l’université après son engagement. Deuxièmement, M. Hughey estimait [traduction] « qu’il valait la peine de combattre pour certaines causes ». Il a aussi déclaré ne pas être [traduction] « pacifiste sans réserve » et croire en la nécessité de défendre famille et foyer.

 

[8]               M. Hughey aurait pu s’enrôler pour une période de deux, quatre ou six ans. Il a choisi de le faire pour quatre ans, au motif, a‑t‑il précisé, que cela [traduction] « assurait un bon équilibre entre l’obtention d’avantages et le fait de ne pas demeurer pour toujours dans l’armée [...] ». La formation qu’il a choisi de suivre était celle de conducteur de chars.

 

[9]               On a envoyé M. Hughey suivre son entraînement de base à Fort Knox, au Kentucky. Bien que M. Hughey ait dit croire dans son témoignage que le gouvernement américain avait déclaré désuète la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, 75 R.T.N.U. 135, entrée en vigueur le 21 octobre 1950, il a également reconnu avoir, pendant son entraînement de base, suivi un cours sur les dispositions de la Convention.

 

[10]           M. Hughey a également reconnu qu’on n’avait jamais dit aux recrues de tirer sur des personnes qu’elles savaient être des civils et qu’on ne les avait jamais autrement encouragées à le faire.

 

[11]           M. Hughey a soutenu que l’entraînement de base lui avait déplu et qu’il a commencé à regretter de s’être enrôlé. Les valeurs transmises pendant l’entraînement de base étaient contraires à toutes les valeurs que son père lui avait inculquées, soit notamment la nécessité de penser par soi‑même et de mettre en doute l’autorité.

 

[12]           M. Hughey jugeait normales ses préoccupations et croyait qu’elles étaient ressenties par les autres recrues. Il n’a rien fait pour apporter remède à ces préoccupations, comme il ne savait par quel moyen s’y prendre.

 

[13]           Au moment où M. Hughey s’est enrôlé dans l’armée, la participation américaine à la guerre en Irak ne le préoccupait pas. Il a dit estimer que, si le président des États‑Unis disposait de renseignements exacts et que l’Irak représentait bel et bien pour son pays un danger imminent, la guerre était alors justifiée.

 

[14]           Pendant que se déroulait son entraînement de base, toutefois, M. Hughey a pris connaissance du fait qu’aucune arme de destruction massive n’avait été trouvée en Irak. Il a également appris qu’on n’avait établi aucun lien entre le régime irakien et Al‑Qaïda, l’organisation terroriste responsable des attaques du 11 septembre 2001 contre les États‑Unis. M. Hughey affirme qu’une fois son entraînement de base terminé, il en était venu à croire qu’on avait déclenché la guerre en Irak sous de faux prétextes.

 

[15]           M. Hughey n’a fait part à personne de ses préoccupations, parce qu’exprimer ses réserves vis‑à‑vis la guerre en Irak lui aurait mis à dos les autres recrues et aurait [traduction] « fait [de lui] une cible ».

 

[16]           M. Hughey a eu une permission d’un mois une fois son entraînement de base terminé. Pendant sa permission, il a entendu des commentaires répétés sur la campagne « choc et terreur » menée en Irak et sur les civils innocents tués par des soldats américains. Cela lui a fait douter encore davantage qu’il devait participer à la guerre en Irak. Il a soutenu que ce qui le préoccupait, c’était [traduction] « d’être envoyé dans un pays étranger où je serais en situation soit de perdre ma vie, soit de tuer d’autres humains sous de faux prétextes et pour des fins [...] que mon gouvernement avait alors du mal à justifier ».

 

[17]           M. Hughey a aussi fait des recherches sur Internet qui l’ont conduit à croire que la guerre en Irak était contraire à la Charte des Nations Unies et que la communauté internationale ne l’avait pas approuvée.

 

[18]           Une fois de retour à sa base, M. Hughey a discuté de son opposition à la guerre avec un sous‑officier. À ce dernier, il a dit savoir qu’il serait probablement envoyé sous peu en Irak et qu’il avait des préoccupations face à la guerre. Il lui a également demandé à être libéré de l’armée. Le sous‑officier a dit à M. Hughey qu’il n’y avait rien à faire puisqu’il avait signé un contrat. M. Hughey affirme ne pas avoir alors été au courant de la possibilité pour lui de demander le statut d’objecteur de conscience.

 

[19]           En janvier 2004, M. Hughey s’est absenté sans permission. Il est retourné chez lui et a fait part de ses préoccupations à son père. Il a dit que son père lui avait suggéré de retourner auprès de l’armée et d’essayer de discuter avec un autre officier. Jamais le père de M. Hughey n’a‑t‑il conseillé à ce dernier de demander le statut d’objecteur de conscience.

 

[20]           M. Hughey est retourné à sa base, où le sergent‑major l’a immédiatement convoqué. Il dit avoir de nouveau expliqué que, selon lui, la guerre en Irak était injuste au plan moral. Il a laissé entendre au sergent‑major que cela vaudrait mieux pour tout le monde s’il était libéré du service militaire.

 

[21]           M. Hughey affirme s’être de nouveau fait dire qu’il n’y avait aucun moyen de quitter l’armée une fois le contrat signé, et qu’on ne lui a pas fait part de la possibilité de demander le statut d’objecteur de conscience.

 

[22]           M. Hughey a témoigné qu’en février 2004, il savait que son unité serait déployée en Irak le mois suivant. Il a dit qu’il était alors angoissé et avait commencé à songer au suicide. Il n’a pas demandé l’aide d’un aumônier militaire ou d’un psychiatre pour y voir clair dans ses émotions. Il n’a pas envisagé non plus de refuser d’aller en Irak, parce qu’il estimait qu’il serait inéquitable qu’on l’envoie en prison pour avoir refusé de prendre part à une guerre qu’il croyait injuste.

 

[23]           M. Hughey a également déclaré lors d’une entrevue donnée à la télévision peu après son arrivée au Canada qu’il n’était pas prêt à se retrouver en prison à l’âge de 18 ans.

 

[24]           M. Hughey a ajouté qu’il aurait estimé la guerre injuste même si on avait découvert la présence d’armes de destruction massive en Irak, ou l’existence de liens entre ce pays et Al‑Qaïda, parce qu’à son avis, le peuple irakien ne représentait pas une menace imminente pour les États‑Unis.

 

[25]           Dans Internet, M. Hughey est alors tombé sur le nom de Carl Rising Moore, un activiste anti‑guerre. Ce dernier offrait d’aider les soldats américains à s’enfuir de l’armée.

 

[26]           M. Hughey a communiqué avec M. Rising Moore, qui a offert de l’aider à se rendre au Canada pour y demander l’asile. M. Hughey est arrivé au Canada le 5 mars 2004 et a demandé l’asile environ un mois plus tard, affirmant craindre avec raison d’être persécuté aux États‑Unis en raison de ses opinions politiques.

 

[27]           M. Hughey affirme avoir demandé l’asile pour faire en sorte de ne pas être emprisonné ou même exécuté en raison de sa décision de ne pas participer à la guerre en Irak.

 

[28]           M. Hughey dit que, s’il devait retourner aux États‑Unis, il serait vraisemblablement détenu de une à cinq années dans une prison militaire. Il croit qu’il serait traité plus sévèrement que d’autres déserteurs du fait de sa venue au Canada et de sa demande d’asile, l’armée désirant peut‑être ainsi faire de lui un exemple. Il concède cependant ne pouvoir étayer cette conviction d’aucun élément de preuve.

 

[29]           Bien que M. Hughey reconnaisse qu’il bénéficierait d’un procès impartial aux États‑Unis, instruit par un juge indépendant, il fait néanmoins valoir que toute peine qu’on lui infligerait pour avoir simplement écouté sa conscience équivaudrait à de la persécution.

 

III.       La preuve relative à la légalité de la guerre en Irak

[30]           La demande d’asile de M. Hughey a été entendue par le même commissaire de la Commission qui avait auparavant entendu et tranché la demande d’asile de Jeremy Hinzman. M. Hinzman est également un soldat américain qui a déserté parce qu’il ne voulait pas prendre part à la guerre en Irak. M. Hughey était représenté par le même avocat qui avait représenté M. Hinzman devant la Commission.

 

[31]           Dans l’affaire Hinzman, l’avocat du demandeur d’asile a cherché à présenter une preuve relative à la prétendue illégalité de l’action militaire américaine en Irak. Dans une décision préliminaire, la Commission a conclu qu’une telle preuve n’était pas pertinente aux fins de la demande de M. Hinzman et elle a refusé de l’admettre.

 

[32]           Dans le cas de M. Hughey, la Commission a refusé de façon sommaire d’admettre la preuve relative à la légalité de la guerre en Irak, en faisant essentiellement siens les motifs d’exclusion de la preuve énoncés dans Hinzman. Les prétendues erreurs dans cette dernière décision constituent un fondement de principe de la présente demande de contrôle judiciaire, de sorte qu’il sera nécessaire de présenter un résumé des motifs d’exclusion de la preuve contestée alors énoncés par la Commission.

 

IV.       La décision de la Commission relative à la preuve dans l’affaire Hinzman

[33]           Pendant le processus qui a précédé l’audition des demandes d’asile de M. Hinzman et des membres de sa famille, l’avocat des demandeurs a indiqué qu’il comptait présenter à l’audience une preuve relative à la prétendue illégalité de l’action militaire américaine en Irak.

 

[34]           Cette preuve consistait principalement en des affidavits de deux professeurs de droit international, qui insistaient l’un et l’autre sur le défaut d’autorisation par le Conseil de sécurité des Nations Unies de l’usage de la force par le gouvernement américain en Irak. Les deux professeurs ont fait remarquer que la Charte des Nation Unies, 26 juin 1945, R.T. Can. 1945, n° 7 [la Charte des NU], n’autorise le recours à la force par un pays contre un autre que dans deux cas, soit en situation d’autodéfense et lorsque le Conseil de sécurité l’autorise.

 

[35]           Les deux professeurs ont fait observer que les États‑Unis n’avaient pas invoqué l’autodéfense pour justifier au plan juridique leur intervention militaire en Irak. Ils ont en outre soutenu qu’aucune des résolutions des Nations Unies sur lesquelles les États‑Unis se sont appuyés pour justifier leurs actes n’admettait le recours à l’action militaire contre l’Irak dans les circonstances en cause. Les professeurs ont fait référence expressément à la résolution 1441 du Conseil de sécurité, qui reconnaît des violations additionnelles par l’Irak de ses obligations en matière de désarmement, et requiert que tout nouvelle inobservation soit rapportée au Conseil de sécurité pour réévaluation. Les professeurs ont soutenu que, bien qu’on ne prévoie pas expressément dans cette résolution la nécessité d’une résolution additionnelle pour autoriser le recours à la force, il est impossible d’interpréter la résolution 1441 comme autorisant expressément ou implicitement le recours à la force, compte tenu des profonds désaccords ayant conduit à l’adoption de cette résolution de compromis.

 

[36]           L’un des professeurs a également traité d’une conception émergente d’intervention humanitaire comme troisième justification possible du recours par un État à la force contre un autre. Ce professeur a toutefois ajouté que le président Bush n’avait jamais invoqué l’intervention humanitaire pour tenter de justifier l’invasion de l’Irak par les États‑Unis.

 

[37]           Les deux professeurs ont conclu que, faute d’autorisation par le Conseil de sécurité autant que de solides motifs d’autodéfense, il n’existe aucun motif juridique justifiant la guerre en Irak. Chacun d’eux a conclu, par conséquent, que l’invasion américaine de l’Irak enfreignait l’interdiction du recours à la force consacrée au paragraphe 2(4) de la Charte des NU et était donc illégale.

 

[38]           Les autres éléments de preuve que les demandeurs ont cherché à présenter étaient concordants.

 

[39]           La Commission a décidé de traiter de l’admissibilité de cette preuve avant la tenue de l’audience et a reçu des parties leurs observations sur la question suivante :

[traduction]

[...] la question de savoir si l’allégation portant que l’action militaire des États-Unis en Irak n’était pas autorisée par la Charte des NU et la résolution des Nations Unies est pertinente aux fins d’établir s’il s’agit là du type d’action militaire condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires. Dans l’affirmative, en quoi l’est‑elle?

 

 

[40]           Dans une décision longue et détaillée, la Commission a répondu à cette question par la négative, concluant que la question de la légalité de l’action militaire en Irak n’était pas pertinente aux fins d’établir si cette action était « le type d’action militaire » qui est « condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires », au sens où l’entend le paragraphe 171 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié (le Guide), du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Genève, 1988.

 

[41]           Le paragraphe 171 du Guide prévoit ce qui suit :

171. N’importe quelle conviction, aussi sincère soit‑elle, ne peut justifier une demande de reconnaissance de statut de réfugié après désertion ou après insoumission. Il ne suffit pas qu’une personne soit en désaccord avec son gouvernement quant à la justification politique d’une action militaire particulière. Toutefois, lorsque le type d’action militaire auquel l’individu en question ne veut pas s’associer est condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission peut, compte tenu de toutes les autres exigences de la définition, être considérée en soi comme une persécution. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[42]           La Commission a conclu que, lorsque les tribunaux canadiens et internationaux se sont penchés sur ces dispositions pour établir si une personne était ou non visée par la définition d’un « réfugié au sens de la Convention », ce qui était déterminant, c’était presque invariablement la nature des actes devant être posés par l’insoumis ou le déserteur ou dont il serait complice, et non la légalité du conflit dans son ensemble.

 

[43]           Se fondant sur le critère ainsi applicable, la Commission a conclu que la preuve relative à la prétendue illégalité de la guerre en Irak n’était pas pertinente aux fins de l’analyse à effectuer en application du paragraphe 171 du Guide.

 

[44]           La Commission a également rejeté la prétention de M. Hinzman quant à la pertinence, pour sa demande, de la question de la prétendue illégalité de la guerre en Irak, celle‑ci rendant plus probable les violations généralisées et à grande échelle du droit international humanitaire en Irak auxquelles il serait appelé à participer. La Commission a jugé cet argument de nature purement théorique.

 

[45]           Par conséquent, la Commission a refusé dans Hinzman d’admettre la preuve relative à la légalité de l’action militaire américaine en Irak, jugeant cette preuve sans pertinence aux fins des demandes d’asile des demandeurs. La Commission a refusé pour les mêmes motifs d’admettre la preuve en cause dans le cas de M. Hughey.

 

V.        La décision de la Commission sur le fond de la demande d’asile de M. Hughey

[46]           La Commission a dégagé les quatre questions de fond suivantes soulevées par la demande d’asile de M. Hughey :

            1.         M. Hughey a‑t‑il réfuté la présomption légale selon laquelle le gouvernement des États‑Unis voudra ou pourra assurer sa protection?

            2.         M. Hughey est‑il un réfugié au sens de la Convention? Plus précisément, craint‑il avec raison d’être persécuté par le gouvernement et l’armée des États‑Unis du fait de ses opinions politiques, de sa religion ou de son appartenance à un groupe social, à savoir les objecteurs de conscience à l’accomplissement du service militaire dans l’armée américaine?

            3.         Le type d’action militaire auquel M. Hughey ne veut pas être associé est‑il condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires au sens où l’entend le paragraphe 171 du Guide du HCNUR?

            4.         M. Hughey est‑il une personne à protéger, en ce sens qu’il serait personnellement exposé, par son renvoi aux États‑Unis, à des traitements ou peines cruels et inusités de la part du gouvernement et de l’armée des États‑Unis? À cet égard, le risque de peine que court M. Hughey pour avoir déserté l’armée américaine est‑il un élément inhérent ou accessoire de sanctions légitimes infligées conformément aux normes internationales reconnues?

 

            i)          La protection de l’État

[47]           Quant à la question de la protection de l’État, la Commission a relevé que les faits de l’affaire Hinzman étaient très similaires à ceux de l’espèce, sauf que M. Hinzman avait demandé le statut d’objecteur de conscience alors qu’il faisait toujours partie de l’armée américaine, tandis que M. Hughey n’avait pas tenté de le faire.

 

[48]           Une fois cette différence relevée, la Commission a repris le raisonnement qui avait été le sien dans Hinzman sur la question de la protection de l’État.

 

[49]           Dans Hinzman, la Commission a fait remarquer que la responsabilité d’assurer une protection internationale ne s’applique qu’en l’absence d’une protection de l’État dans le pays d’origine du demandeur d’asile. La Commission a ajouté qu’il existe une présomption réfutable selon laquelle, à l’exception des cas où l’État connaît un effondrement complet, l’État est capable de protéger ses propres citoyens. En outre, plus l’État est démocratique, plus l’intéressé doit avoir cherché à épuiser les recours qui s’offrent à lui dans son pays d’origine avant de demander l’asile à l’étranger.

 

[50]           Citant la décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Satiacum (1989), 99 N.R. 171, la Commission a conclu qu’une personne qui demande l’asile contre les États‑Unis doit établir l’existence de « circonstances exceptionnelles » permettant de conclure qu’elle ne pourra bénéficier d’un processus judiciaire juste et impartial.

 

[51]           Par conséquent, un demandeur devra établir qu’il ne bénéficierait pas de l’application régulière de la loi ou que la loi serait appliquée à son égard de manière discriminatoire s’il était renvoyé aux États‑Unis pour comparaître devant une cour martiale. Or, la Commission a conclu qu’on fait état dans le Universal Code of Military Justice (UCMJ) et le Manual for Courts‑martial des États‑Unis d’un système judiciaire élaboré qui respecte les droits de la personne, garantit un recours en appel et prévoit un accès limité à la Cour suprême des États‑Unis.

 

[52]           Faisant remarquer que le UCMJ est une loi d’application générale, la Commission a ensuite passé en revue la démarche suivie par la Cour d’appel fédérale dans Zolfagharkhani, précité, afin d’établir si une poursuite intentée contre M. Hinzman en vertu d’une loi ordinaire d’application générale équivaudrait à de la persécution.

 

[53]           La Commission en est ainsi venue à la conclusion qu’il incombait à M. Hinzman de démontrer que la loi américaine revêtait, ou bien en soi ou pour une autre raison, un caractère de persécution relativement à un motif énoncé dans la Convention. Or la Commission a estimé que M. Hinzman ne s’était pas acquitté de ce fardeau.

 

[54]           La Commission en est venue à cette conclusion parce qu’elle a jugé que M. Hinzman n’avait présenté aucun élément de preuve à l’appui de son allégation selon laquelle il n’aurait pas eu droit à la protection complète de la loi dans le cadre d’une cour martiale.

 

[55]           La Commission a également fait remarquer que les États‑Unis ont mis en place des dispositions réglementaires selon lesquelles les personnes qui peuvent invoquer d’authentiques raisons de conscience sont exemptées du service militaire et peuvent accomplir un service de remplacement à titre de non‑combattant. On reconnaît également dans les règlements que les objections de conscience peuvent avoir existé de longue date ou résulter de l’évolution, par suite d’expériences vécues pendant le service militaire, du système de croyances de l’intéressé.

 

[56]           La Commission a toutefois reconnu que les règlements militaires américains ne permettent pas qu’une objection de conscience se fonde sur l’objection à une guerre en particulier, et a fait remarquer que la Cour suprême des États‑Unis avait maintenu cette restriction dans la décision Gillette c. United States, 401 US 437 (1971) à l’époque de la guerre au Vietman.

 

[57]           La Commission a conclu que M. Hinzman n’avait pas présenté une preuve suffisante pour établir qu’il a été privé de l’application régulière de la loi relativement à sa demande de statut d’objecteur de conscience non combattant, ou qu’il serait privé de l’application régulière de la loi ou traité différemment s’il était renvoyé aux États‑Unis et était traduit en cour martiale.

 

[58]           La Commission a ainsi conclu que le défaut de M. Hinzman de réfuter la présomption de protection de l’État aux États‑Unis entraînait le rejet de sa demande d’asile aux termes tant de l’article 96 que 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

[59]           Comme je l’ai déjà mentionné, la Commission a appliqué à la demande d’asile de M. Hughey le raisonnement qu’elle avait adopté dans l’affaire Hinzman. La Commission a en outre conclu que la présomption de protection de l’État n’a pas pour effet de déplacer la charge de la preuve. Selon la Commission, même si le demandeur d’asile parvient à réfuter la présomption de la protection de l’État, il lui appartient quand même de prouver tous les éléments de sa demande d’asile.

 

[60]           La Commission a également conclu que la présomption de protection de l’État doit s’appliquer, même lorsque l’État est lui‑même le prétendu agent de persécution.

 

            ii)         M. Hughey avait‑il raison de craindre d’être persécuté aux États‑Unis?

[61]           Même si la Commission a conclu que la question de la protection de l’État était décisive quant à la demande d’asile de M. Hughey, elle a néanmoins examiné d’autres questions soulevées par la demande, tout d’abord celle de savoir si toute peine pouvant être infligée à M. Hughey en raison de son refus de servir en Irak revêtirait en soi un caractère de persécution, compte tenu de ses convictions politiques et morales.

 

[62]           La Commission a conclu que M. Hughey avait décidé de déserter parce qu’il s’opposait à l’incursion militaire américaine en Irak, et non parce qu’il s’opposait à la guerre en général. La Commission a fait remarquer à cet égard que l’Army Regulation 600‑43, qui régit la procédure d’objection de conscience, ne reconnaît que l’objection à la guerre en général et non l’objection à une guerre en particulier.

 

[63]           La Commission a également relevé le fait que M. Hughey ne s’opposait pas à la guerre en Irak en raison de présumés atrocités et crimes contre l’humanité qui y auraient été commis. M. Hughey estimait plutôt, pour reprendre les termes de la Commission, « que la guerre en Iraq était immorale et contraire au droit international ».

 

[64]           Citant la décision de la Cour dans Ciric c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 C.F. 65, la Commission a statué qu’on ne peut être un objecteur de conscience sélectif.

 

[65]           En conséquence, bien que la Commission ait implicitement reconnu la sincérité de l’opposition à la guerre en Irak de M. Hughey, elle a néanmoins conclu que ce dernier n’était pas un objecteur de conscience parce qu’il n’était pas opposé à la guerre, quelle qu’en soit la forme, ou au port d’armes en toutes circonstances, en raison de ses convictions politiques, religieuses ou morales. Par conséquent, la peine pouvant lui être infligée pour avoir déserté ne constitue pas en soi de la persécution.

 

            iii)        Le paragraphe 171 du Guide du HCNUR

[66]           M. Hughey craignait d’avoir à tuer des civils innocents s’il était allé en Irak. La Commission a toutefois rejeté la prétention de M. Hughey selon laquelle le type d’action militaire auquel il ne voulait pas être associé en Irak – soit les actes particuliers qu’il aurait eu à accomplir – était « condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires » selon l’expression utilisée au paragraphe 171 du Guide du HCNUR et, par conséquent, toute peine qui pourrait lui être infligée pour avoir déserté constituerait de la persécution.

 

[67]           Au soutien de sa prétention selon laquelle il aurait pu avoir à commettre des violations des droits de la personne s’il était allé en Irak, M. Hughey s’est appuyé sur une preuve établissant, selon ses dires, que les États‑Unis avaient violé à maintes reprises le droit international humanitaire en Irak. D’après M. Hughey, cette preuve démontrait qu’il aurait participé à certaines de ces atrocités s’il avait accepté d’être déployé en Irak. M. Hughey a également soutenu que cette preuve démontrait que les États‑Unis ont agi avec une relative impunité et ont complètement fait abstraction des normes internationales sur les divers fronts où ils ont engagé leur « guerre contre la terreur ».

 

[68]           M. Hughey a en outre soutenu devant la Commission que, s’il lui fallait participer à une action offensive en Irak et peut‑être alors tuer des civils innocents, la qualité de réfugié ou de personne à protéger lui serait alors interdite en vertu de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. En de telles circonstances, soutient‑il, la peine qui pourrait lui être infligée pour avoir déserté revêtirait en soi un caractère de persécution.

 

[69]           La preuve présentée par M. Hughey comprenait des rapports de Human Rights Watch, d’Amnistie internationale et du Comité international de la Croix‑Rouge portant sur la conduite des soldats américains en Irak. M. Hughey a également soumis à la Commission des éléments de preuve relatifs aux conditions prévalant au camp de prisonniers de Guantanamo, à Cuba, et aux actes de torture perpétrés à la prison d’Abou Ghraïb, ainsi que deux avis juridiques établis par le département de la Justice des États‑Unis (les avis Gonzalez) et laissant entendre que la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Rés. AG 39/46, annexe, 39 Doc. Off. Supp. (n° 51), 197, Doc. NU A/39/51, 1984, entrée en vigueur le 26 juin 1987, pourrait ne pas s’appliquer à l’interrogatoire de « combattants ennemis » détenus par les États‑Unis.

 

[70]           Après avoir examiné la preuve présentée par M. Hughey, la Commission a conclu que celle‑ci ne suffisait pas à établir que les États‑Unis s’étaient livrés à des actions militaires condamnées par la communauté internationale comme étant contraires aux règles de conduite les plus élémentaires.

 

[71]           Tout en reconnaissant qu’il y avait bien eu de graves violations du droit international humanitaire par des membres des forces armées américaines en Irak, la Commission a fait remarquer que l’armée américaine avait fait enquête sur les allégations d’usage inconsidéré ou aveugle de la force en Irak et avait pris des mesures disciplinaires dans les cas appropriés.

 

[72]           Faisant allusion à la déclaration de M. Hughey dans son témoignage selon laquelle, s’il était allé en Irak, il aurait vraisemblablement, à titre de conducteur de Humvee, été chargé de faire des patrouilles et de garder des points de contrôle, la Commission a reconnu que ces tâches l’auraient peut‑être amené à tuer des civils irakiens qui auraient omis de s’arrêter à un poste de contrôle ou qui seraient sérieusement soupçonnés d’y faire feu sur le personnel militaire. La Cour a cependant conclu à cet égard que les pertes de vie de civils innocents étaient une conséquence malheureuse de toute guerre.

 

[73]           La Commission en est ainsi venue à la conclusion que M. Hughey n’était pas parvenu à établir que, s’il avait été déployé en Irak, il aurait participé ou été associé à des actions condamnées par la communauté internationale comme étant contraires aux règles de conduite les plus élémentaires, ou en aurait été complice. La Commission a en outre conclu que M. Hughey n’était pas non plus parvenu à établir que les États‑Unis sont, sur le plan de leurs politiques ou de leurs pratiques, indifférents aux violations du droit international des droits de la personne en Irak.

 

[74]           La Commission a par conséquent conclu que la peine susceptible d’être infligée à M. Hughey pour avoir déserté ne constituait pas en soi de la persécution.

 

            iv)        La peine prévue pour la désertion : poursuites ou persécution?

[75]           Après avoir conclu que M. Hughey n’était pas un objecteur de conscience et que la peine pouvant lui être infligée ne constituait pas automatiquement de la persécution, la Cour a ensuite statué qu’afin d’établir qu’il risquait d’être persécuté, M. Hughey devait démontrer que la peine qu’il craignait de subir pour avoir déserté, s’il devait retourner aux États‑Unis, découlerait d’une application discriminatoire du UCMJ ou équivaudrait à un traitement ou peine cruel ou inusité.

 

[76]           La Commission a noté qu’à cet égard, selon le témoignage de M. Hughey, ce dernier se verrait vraisemblablement infliger une peine d’un à cinq ans dans une prison militaire et encourrait peut‑être une peine plus lourde que d’autres déserteurs, les autorités américains désirant ainsi dissuader les autres soldats de déserter au Canada.

 

[77]           Pour examiner cette question, la Commission s’est de nouveau appuyée sur son raisonnement dans Hinzman, où M. Hinzman avait lui aussi déclaré qu’on lui infligerait vraisemblablement une peine d’un à cinq ans dans une prison militaire et qu’il avait [traduction] « probablement heurté suffisamment les sensibilités militaires » pour que cela donne lieu à un traitement plus sévère que celui réservé aux autres déserteurs.

 

[78]           Dans Hinzman, la Commission a commencé son analyse par l’examen des dispositions pertinentes du Guide du HCNUR, reproduites intégralement en annexe de la présente décision. La Commission a relevé que la désertion est invariablement une infraction criminelle et que les peines alors prévues ne sont pas considérées comme une forme de persécution.

 

[79]           La Commission a toutefois fait observer que, selon le paragraphe 169 du Guide, un déserteur peut être considéré comme un réfugié s’il peut démontrer qu’il se verrait infliger pour l’infraction militaire commise une peine d’une lourdeur disproportionnée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques. Il en irait de même si le déserteur peut démontrer qu’il craint avec raison d’être persécuté pour ces motifs, indépendamment de la peine encourue pour désertion.

 

[80]           Après examen de tous les éléments de preuve présentés devant elle, la Commission a conclu que le traitement ou la peine que M. Hinzman craignait de recevoir aux États‑Unis consisterait en une peine pour une infraction à une loi neutre qui n’enfreint pas les droits de la personne et n’établit pas de distinction défavorable pour un motif énuméré à la Convention, que ce soit dans son libellé ou dans son application.

 

[81]           Faute d’une preuve suffisante pour l’étayer, l’argument de M. Hinzman selon lequel il se verrait infliger une peine plus sévère en raison de la publicité entourant son affaire n’a pas été retenu par la Commission.

 

[82]           La Commission a conclu en outre que les articles punitifs du UCMJ ne prévoyaient pas une peine exagérément disproportionnée par rapport à la gravité de l’infraction pour désertion. Et bien qu’en théorie la peine de mort puisse être infligée pour désertion en application du UCMJ, la dernière fois en pratique, la Commission a‑t‑elle relevé, qu’un déserteur a été condamné à la peine de mort remonte à la Seconde Guerre mondiale.

 

[83]           Après examen de la preuve, notamment celle concernant les peines infligées à d’autres déserteurs américains, la Commission a conclu qu’il existait moins qu’une simple possibilité que M. Hinzman soit condamné à la peine de mort. D’ailleurs, l’avocat de M. Hinzman a reconnu que ce dernier ne risquait pas la peine de mort.

 

[84]           Estimant que M. Hinzman recevrait vraisemblablement une peine d’emprisonnement d’un à cinq ans, en plus de se faire confisquer sa paie et d’être exclu pour cause d’indignité, la Commission a conclu que M. Hinzman n’avait pas démontré qu’il serait traité d’une manière équivalant à de la persécution.

 

[85]           La Commission a enfin conclu que, même si M. Hinzman risquait d’être victime de discrimination dans la société ou sur le marché du travail en raison de son exclusion pour cause d’indignité, celle‑ci n’équivalait pas non plus à de la persécution.

 

[86]           Appliquant ce raisonnement à la situation de M. Hughey et reconnaissant que ce dernier recevrait vraisemblablement une peine d’un à cinq ans d’emprisonnement pour désertion, la Commission a conclu que le traitement ou la peine que M. Hughey craint de se voir infliger aux États‑Unis en application du UCMJ découlerait de la violation d’une loi d’application générale qui n’enfreint pas les droits de la personne et n’établit pas de distinction défavorable pour un motif énuméré dans la Convention, que ce soit dans son libellé ou dans son application.

 

[87]           Selon la Commission, M. Hughey n’a pas établi qu’il serait traité plus sévèrement du fait de ses opinions politiques, ou que les dispositions pénales du UCMJ étaient disproportionnées ou équivalaient à une peine cruelle ou inusitée.

 

VI.       Les questions en litige

[88]           On peut présenter comme suit les questions soulevées par M. Hughey devant la Cour :

1.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la preuve relative à la prétendue illégalité de l’action militaire américaine en Irak n’était pas pertinente aux fins de la conclusion à tirer par la Section de la protection des réfugiés en application du paragraphe 171 du Guide du HCNUR?

2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que M. Hughey n’avait pas réussi à démontrer que les violations du droit international humanitaire perpétrées par l’armée américaine en Irak avaient atteint un caractère généralisé ou étaient tolérées par l’État?

3.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en imposant à M. Hughey le trop lourd fardeau de démontrer qu’il aurait lui‑même pris part à des actes illégaux s’il était allé en Irak?

4.         La Commission a‑t‑elle analysé de manière erronée les questions de la protection de l’État et de la persécution?

 

[89]           Il faudra de plus examiner quelle est la norme de contrôle judiciaire appropriée à l’égard de chacune de ces questions.

 

VII.     La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la preuve relative à la prétendue illégalité de l’action militaire américaine en Irak n’était pas pertinente aux fins de la conclusion à tirer par la Section de la protection des réfugiés en application du paragraphe 171 du Guide du HCNUR?

 

[90]           Avant de me pencher sur les prétentions de M. Hughey à ce sujet, il importe d’observer qu’on ne doit pas examiner le paragraphe 171 du Guide isolément, mais plutôt à la lumière des autres dispositions du Guide qui portent sur les « Déserteurs, insoumis, objecteurs de conscience ».

 

[91]           Aux fins de cette analyse, il y a lieu, en particulier, d’interpréter le paragraphe 171 en tenant compte du paragraphe 170, tous deux reproduits ci‑dessous par souci de commodité :

170. Cependant, dans certains cas, la nécessité d’accomplir un service militaire peut être la seule raison invoquée à l’appui d’une demande du statut de réfugié, par exemple lorsqu’une personne peut démontrer que l’accomplissement du service militaire requiert sa participation à une action militaire contraire à ses convictions politiques, religieuses ou morales ou à des raisons de conscience valables.

 

171. N’importe quelle conviction, aussi sincère soit‑elle, ne peut justifier une demande de reconnaissance de statut de réfugié après désertion ou après insoumission. Il ne suffit pas qu’une personne soit en désaccord avec son gouvernement quant à la justification politique d’une action militaire particulière. Toutefois, lorsque le type d’action militaire auquel l’individu en question ne veut pas s’associer est condamné par la communauté internationale comme était contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission peut, compte tenu de toutes les autres exigences de la définition, être considérée en soi comme une persécution. [Non souligné dans l’original.]

 

 

            i)          La position de M. Hughey

[92]           M. Hughey soutient que la preuve qu’il souhaitait présenter relativement à la prétendue illégalité de la guerre des États‑Unis en Irak lui aurait permis d’établir que le « type d’action militaire » auquel il ne voulait pas s’associer – soit la guerre en Irak – était « condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires ».

 

[93]           S’il avait pu établir cela, affirme M. Hughey, il s’ensuivrait que toute peine à laquelle l’expose son objection au service au sein de l’armée américaine constituerait de la persécution et, par conséquent, le rendrait admissible au droit d’asile.

 

[94]           Selon M. Hughey, la Commission a commis une erreur de droit et restreint indûment l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en concluant que seule la légalité des activités militaires qu’il aurait dû lui‑même accomplir était pertinente aux fins de son enquête, et non la légalité du conflit dans son ensemble.

 

[95]           En d’autres termes, M. Hughey affirme que la Commission a eu tort de conclure que le « type d’action militaire » visé au paragraphe 171 renvoie aux violations « sur le terrain » du droit international humanitaire qui régit les actions menées pendant un conflit armé (jus in bello), et non les violations du droit international régissant l’usage de la force ou la prévention de la guerre elle‑même (jus ad bellum).

 

[96]           M. Hughey affirme en outre que, bien que la Commission ait conclu que la décision d’aller en guerre avait essentiellement un caractère politique et qu’il ne lui était pas permis de porter jugement sur les politiques étrangères d’autres pays, la question de la légalité d’une guerre donnée était, par définition, de nature juridique et non pas politique.

 

[97]           M. Hughey affirme de plus que la Commission peut – ce qu’elle fait fréquemment – tirer des conclusions quant à la légalité de guerres particulières lorsqu’elle évalue si des demandeurs du statut de réfugié devraient se voir refuser le droit d’asile du fait d’une participation à des crimes contre la paix.

 

[98]           M. Hughey fait valoir, enfin, les décisions Al‑Maisri c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. n° 642 de la Cour d’appel fédérale et Krotov c. Secretary of State for the Home Department [2004] EWCA Civ 69 de la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles (Division civile) (la Cour d’appel de l’Angleterre) au soutien de sa prétention selon laquelle la participation à une guerre non défensive (c.‑à‑d. illégale) fait tomber un demandeur d’asile directement sous le coup du paragraphe 171 du Guide.

 

            ii)         La norme de contrôle judiciaire

[99]           L’analyse de cette question m’oblige d’abord à établir quelle norme de contrôle il convient d’appliquer à cet aspect de la décision de la Commission. Cela requiert de cerner la nature de la question à trancher par la Commission à cet égard.

 

[100]       Comme je l’ai déjà mentionné, pour établir si la preuve contestée pouvait être utile à M. Hughey en faisant qu’il soit visé par le paragraphe 171 du Guide, la question à trancher par la Commission était celle de savoir si, en fonction des faits de l’espèce, l’expression « le type d’action militaire » renvoie uniquement aux actions « sur le terrain » ou également à la légalité de la guerre elle‑même. C’est là une question de droit, à laquelle s’applique donc la norme de la décision correcte (se reporter à Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.S. n° 39, 2005 CSC 40, ¶ 37, où la Cour suprême du Canada a récemment réaffirmé que la norme de contrôle appropriée pour les décisions sur des questions de droit de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié était celle de la décision correcte).

 

[101]       La question de la norme de contrôle appropriée étant réglée, je vais maintenant examiner les arguments de M. Hughey relatifs à l’interprétation qu’il conviendrait de donner au paragraphe 171 du Guide du HCNUR.

 

            iii)        Le rôle et l’objet du Guide du HCNUR

[102]       Avant de me pencher sur ces arguments, il me faudra d’abord examiner le rôle joué au Canada par le Guide dans la détermination du statut de réfugié.

 

[103]       Dans Chan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.S. n° 78, la Cour suprême du Canada a déclaré que le Guide :

[...] résulte de l’expérience acquise relativement aux procédures et critères d’admission appliqués par les États signataires. Ce guide, souvent cité, a été approuvé par les États membres du comité exécutif du HCNUR, y compris le Canada, et il est utilisé, à titre indicatif, par les tribunaux des États signataires. En conséquence, le Guide du HCNUR doit être considéré comme un ouvrage très pertinent dans l’examen des pratiques relatives à l’admission des réfugiés. [¶ 46]

 

 

[104]       Il est également nécessaire de bien comprendre l’objet du paragraphe 171. À cet égard, les dispositions du Guide portant sur l’objection de conscience et la désertion reconnaissent qu’en règle générale, la peine infligée pour la violation d’une loi nationale d’application générale qui interdit la désertion n’a pas nécessairement un caractère de persécution, même lorsque la désertion est motivée par une sincère objection de conscience.

 

[105]       Il existe toutefois des exceptions, par exemple lorsque la peine qu’encourt l’intéressé est disproportionnée, ou lorsque ce dernier risque de se voir infliger une peine plus lourde du fait de sa race, de sa religion ou d’une autre caractéristique personnelle.

 

[106]       Le paragraphe 171 du Guide prévoit une autre exception à la règle générale, qu’on a parfois qualifiée de « droit de ne pas être un persécuteur » (se reporter à Mark R. von Sternberg, The Grounds of Protection in the Context of International Human Rights and Humanitarian Law: Canadian and United States Case Law Compared (La Haye; New York : Martinus Nijhoff, 2002), pages 124 et 133.

 

[107]       Ainsi, la Convention relative au statut des réfugiés, 189 RTNU 150, entrée en vigueur le 22 avril 1954, (la Convention) requiert de par sa structure, y compris les motifs d’exclusion énoncés, qu’on interprète le paragraphe 171 du Guide de manière à permettre aux réfugiés éventuels d’éviter les actions militaires qui feraient d’eux des « persécuteurs » et les soustrairaient ainsi à la protection de la Convention : von Sternberg, page 133.

 

[108]       En d’autres termes, le paragraphe 171 donne ouverture au droit d’asile pour les personnes qui enfreignent des lois nationales d’application générale si le respect de ces lois devait entraîner la violation par ces personnes de normes internationales reconnues (Lorne Waldman, Immigration Law and Practice, 2e éd. (Buttersworth) §8‑212).

 

[109]       Le Conseil de l’Union européenne s’est dit favorable à ce qu’on interprète les unes avec les autres les dispositions du paragraphe 171 du Guide et les dispositions d’exclusion de la Convention. Comme la Chambre des lords l’a fait observer dans Sepet and Another c. Secretary of State for the Home Department, [2003] UKHL 15, [2003] 3 All E.R. 304, la position commune adoptée par le Conseil de l’Union européenne quant à l’harmonisation de l’application du terme « réfugié », c’est que le droit d’asile peut être accordé pour des motifs d’objection de conscience à un déserteur lorsque l’accomplissement par ce dernier de ses fonctions militaires le ferait participer à des activités visées par les clauses d’exclusion de l’article 1F de la Convention (Sepet, ¶ 14.)

 

[110]       Bien que je ne lui reconnaisse aucune force contraignante, le point de vue du Conseil de l’Union européenne est néanmoins révélateur quant à l’état de l’opinion internationale sur la question.

 

[111]       Donner une telle interprétation au paragraphe 171 est également conforme à la jurisprudence canadienne prépondérante en la matière. La décision Zolfagharkhani de la Cour d’appel fédérale, précitée, est sans doute la plus importante sur la question au Canada.

 

[112]       L’affaire Zolfagharkhani concernait une demande d’asile présentée par un Kurde iranien qui avait déserté l’armée iranienne parce que le gouvernement de l’Iran avait l’intention d’utiliser des armes chimiques dans la guerre interne contre les Kurdes. La communauté internationale condamnait indubitablement l’utilisation des armes de ce genre, comme en font foi les conventions internationales telles que la Convention des Nations Unies sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction, Rés. A.G. 65, Doc. Off. AGNU, 48e sess., supp. n° 49, 68, Doc. NU A/48/49 (1993), 1015 R.T.N.U. 163, entrée en vigueur le 25 mars 1975.

 

[113]       Même si le demandeur était un travailleur paramédical et n’aurait donc pas eu directement à utiliser des armes chimiques, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer qu’il aurait néanmoins pu être appelé à aider d’autres soldats pris par inadvertance dans des nuages chimiques. Par conséquent, le travail de M. Zolfagharkhani aurait aidé substantiellement les forces iraniennes à réaliser ses objectifs, en réduisant pour des contrevenants au droit international humanitaire les effets secondaires d’armes illégales.

 

[114]       La Cour d’appel fédérale a ajouté qu’il était possible de soutenir qu’un tel niveau de participation aurait empêché M. Zolfagharkhani de revendiquer le droit d’asile du fait de la perpétration d’un crime international. La Cour d’appel a conclu que, par conséquent, M. Zolfagharkhani était visé par les dispositions du paragraphe 171 du Guide.

 

[115]       La Cour d’appel fédérale s’est de nouveau penchée sur cette question l’année suivante dans Diab c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. n° 1277. Dans Diab, la Cour d’appel a une fois de plus accueilli l’appel d’un demandeur d’asile qui avait refusé de participer à des activités militaires équivalant à des crimes contre l’humanité.

 

[116]       Dans Radosevic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. n° 74, la Cour a rejeté une demande de contrôle judiciaire au motif qu’il n’était pas probable, sur la foi de la preuve, que le demandeur d’asile aurait eu lui‑même à commettre des atrocités.

 

[117]       Il ressort donc clairement de ces décisions que participer directement à des actions militaires qui violent le droit international humanitaire, ou en être le complice, fera tomber un demandeur d’asile sous le coup de l’exception prévue au paragraphe 171 du Guide. Ce qui est moins clair, toutefois, c’est si un demandeur d’asile qui a simplement participé à une guerre illégale d’agression en tant que soldat d’infanterie pourra également bénéficier de la protection de cette disposition.

 

[118]       Comme je l’ai déjà mentionné, M. Hughey s’appuie sur les décisions Al‑Maisri de la Cour d’appel fédérale et Krotov de la Cour d’appel de l’Angleterre, précitées, pour soutenir que la simple participation à une guerre non défensive (c.‑à‑d. illégale) fait tomber un demandeur d’asile directement sous le coup du paragraphe 171 du Guide.

 

[119]       Je vais d’abord me pencher sur la décision Krotov. Chacune des deux parties s’appuie fortement sur cette décision au soutien de sa position, ce qui requiert de l’examiner avec soin pour discerner ce qui y est vraiment dit. Ce qu’un tel examen révèle, lorsqu’on lit la décision avec impartialité en son entier, c’est que celle‑ci favorise l’interprétation du paragraphe 171 énoncée dans les paragraphes qui précèdent.

 

[120]       L’affaire Krotov concernait la demande d’asile présentée par un insoumis, citoyen de la Russie. M. Krotov s’objectait à la participation de son pays à la guerre en Tchétchénie parce qu’il y croyait que cette guerre avait un mobile politique et que cela offensait sa conscience.

 

[121]       Après avoir examiné en appel le rejet de la demande d’asile de M. Krotov, la Cour d’appel s’est dite d’avis que le critère devant être appliqué pour le paragraphe 171 est celui de savoir si l’action en cause est contraire au droit international ou au droit international humanitaire, et non si elle est condamnée par la communauté internationale, cela appelant une analyse de nature davantage politique.

 

[122]       La Cour a conclu que formuler le critère en termes d’actions contraires aux normes du droit international ou du droit international humanitaire applicables en temps de guerre était également conforme au cadre général établi par la Convention, compte tenu tout particulièrement des dispositions de celle‑ci relatives à l’exclusion.

 

[123]       La Cour a déclaré à cet égard :

[traduction]

On pourrait soutenir que, de la même manière qu’un demandeur d’asile n’obtiendra pas le statut de réfugié s’il a commis des crimes internationaux au sens où l’entend [la Convention], on ne doit pas lui refuser ce statut si le renvoyer dans son pays d’origine devait ne lui laisser d’autre choix que de participer à la perpétration de crimes internationaux, d’une manière contraire à ses convictions profondes et à sa conscience. [¶ 39]

 

 

[124]       La Cour a en outre déclaré qu’il ne fallait donner ouverture aux demandes d’asile fondées sur la crainte de participation à des crimes contre l’humanité que dans les cas de

[traduction]

[...] crainte raisonnable de la part de l’objecteur de prendre part lui‑même à de tels actes, et non pas dans les cas d’affirmation plus générale de crainte ou d’opinion sur la foi d’exemples rapportés d’excès particuliers du type qui a presque inévitablement cours lors d’un conflit armé, sans qu’il n’y ait perpétration à grande échelle d’actes inhumains commis en raison d’une politique ou de l’indifférence de l’État. [¶ 40, non souligné dans l’original.]

 

 

[125]       La Cour d’appel s’est fondée, pour en arriver à cette conclusion, sur la décision Sepet and Bulbul c. Secretary of State for the Home Department, [2001] EWCA Civ 681, [2001] INLR 376 [subséquemment confirmée par la Chambre des lords, précité], où la Cour a statué comme suit :

[traduction]

[...] il est clair (et d’ailleurs non contesté) qu’il existe des cas où un objecteur de conscience peut valablement faire valoir que la peine infligée pour son insoumission équivaudrait à de la persécution. Il en est ainsi lorsque le service militaire pour lequel on l’a conscrit donne lieu à des actes, auxquels il ne veut pas s’associer, qui sont contraires aux règles de conduite les plus élémentaires, lorsque les conditions du service militaire sont sévères au point de constituer elles‑mêmes de la persécution en l’espèce et lorsque la peine en cause est elle‑même sévère ou lourde de façon disproportionnée. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[126]       La Cour a établi en guise de conclusion dans Krotov un critère en trois volets auquel il y a lieu de recourir dans de telles situations. Il s’agit ainsi de démontrer

1.  que la nature et l’ampleur du conflit, ainsi que l’attitude des autorités gouvernementales compétentes à son égard, sont devenus tels que les combattants sont tenus ou pourraient être tenus à assez grande échelle de commettre des actes contraires aux règles de conduite les plus élémentaires selon ce que reconnaît généralement la communauté internationale;

2.  que les combattants seront punis s’ils refusent de commettre de tels actes;

3.  que la désapprobation de telles méthodes et la crainte d’une telle peine constituent le motif véritable du refus du demandeur d’asile de prendre part au conflit en cause.

 

 

[127]       Il est bien vrai que, dans Krotov, la Cour d’appel a statué que le critère devait être formulé en termes d’actes contraires au droit international humanitaire et au droit international. Cela, affirme M. Hughey, appuie sa prétention selon laquelle sa participation à une guerre illégale le ferait tomber sous le coup du paragraphe 171 du Guide.

 

[128]       Comme je le préciserai par la suite, j’estime que le refus de prendre part à un crime contre la paix pourrait faire s’appliquer éventuellement le paragraphe 171 à un membre important du gouvernement ou à un haut gradé. Un crime contre la paix ne peut survenir sans une violation du droit international par l’État concerné (R. c. Jones, [2006] UKHL 16, ¶ 16); lorsque le demandeur d’asile est une personne d’un tel rang, par conséquent, la légalité de la guerre en cause pourrait fort bien constituer un élément pertinent de la demande.

 

[129]       Cela suppose, toutefois, que le rang de l’intéressé et son niveau de participation sont tels qu’il puisse être coupable de complicité à l’égard d’un crime contre la paix. On a ainsi qualifié les crimes contre la paix de « crimes de dirigeants » (Jones, précité, ¶ 16). Il en découle que seules les personnes ayant le pouvoir de diriger, préparer, déclencher ou poursuivre une guerre d’agression sont coupables de crimes contre la paix. Or, M. Hughey n’était pas une telle personne. Je suis d’avis, par conséquent, que la mention des violations du droit international dans Krotov n’aide en rien la cause de M. Hughey.

 

[130]       Il reste donc la décision Al‑Maisri c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), précitée, de la Cour d’appel fédérale. M. Al‑Maisri était un citoyen du Yémen, l’un des rares pays qui a appuyé l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990. Bien que M. Al‑Maisri ait été prêt a se battre pour protéger son pays contre une agression étrangère, il n’était pas prêt à se battre pour défendre l’Irak dans un conflit où il y avait eu des prises d’otages et où on avait infligé des mauvais traitements à la population koweïtienne. M. Al‑Maisri a donc déserté et est venu au Canada, où il a présenté une demande d’asile.

 

[131]       La Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande de M. Al‑Maisri, concluant que ce dernier serait exposé au Yémen à des poursuites et non pas à de la persécution. La Cour d’appel fédérale a pour sa part accueilli l’appel de M. Al‑Maisri, concluant que la Commission avait mal appliqué les critères énoncés au paragraphe 171 du Guide en statuant que l’invasion du Koweït par l’Irak n’avait pas été condamnée par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, et ce, malgré le fait que les Nations Unies elles‑mêmes avaient condamné cette invasion. Citant le professeur Hathaway, dans son ouvrage intitulé The Law of Refugee Status, (Toronto : Butterworths, 1991), la Cour a déclaré :

[...] il y a un éventail d’activités militaires qui ne sont tout simplement jamais justifiées, parce qu’elles violent les normes internationales élémentaires. Entrent dans cette catégorie les actions militaires visant à porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne, les opérations qui violent les critères posés dans la Convention de Genève en ce qui concerne le déroulement de la guerre, et les incursions non défensives en territoire étranger. Lorsqu’une personne refuse d’accomplir un service militaire qui est contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission peut, compte tenu de toutes les autres exigences de la définition, être considérée en soi comme une persécution. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[132]       Puis, la Cour d’appel fédérale a statué comme suit sur l’appel :

Sur le fondement de ces opinions, dont la justesse n’a pas été contestée, je suis persuadé que la Section du statut de réfugié a commis une erreur en concluant que les actions de l’Iraq n’étaient pas contraires aux règles de conduite les plus élémentaires. En conséquence, j’estime que la peine prévue pour la désertion qui serait probablement infligée au requérant s’il devait retourner au Yémen équivaudrait, indépendamment de la nature de cette peine, à une persécution que l’appelant a raison de craindre de subir. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[133]       On pourrait ainsi soutenir qu’il est reconnu dans Al‑Maisri qu’une incursion non défensive en territoire étranger constituerait une action militaire condamnée par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, de sorte que toute peine infligée à un déserteur revêtirait en soi un caractère de persécution.

 

[134]       Le ministre affirme qu’il n’y a pas lieu de suivre la décision Al‑Maisri puisque, selon les termes de son avocat, il est contestable qu’elle fasse autorité quant au principe voulant que le désir de ne pas participer à une guerre illégale suffise à justifier l’octroi du droit d’asile à un déserteur. En outre, soutient l’avocat, aucune preuve n’avait été présentée à la Cour quant à des violations des droits de la personne sous forme de prise d’otages et de mauvais traitements infligés à la population koweïtienne, et il est difficile de discerner quel rôle ces violations « sur le terrain » du droit international humanitaire ont pu jouer dans la décision de la Cour. L’avocat relève également que la Cour ne cite aucune jurisprudence dans Al‑Maisri au soutien de ses conclusions, et que la décision n’a été prise en considération qu’une seule fois en plus d’une décennie (se reporter à Zuevich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n° 453).

 

[135]       À mon avis, toutefois, je ne puis faire tout simplement abstraction pour ces motifs d’une décision de la Cour d’appel fédérale. Je ne puis non plus, comme l’a fait la Commission, refuser de suivre cette décision parce que je pourrais être en désaccord avec ses prémisses. Cela dit, un examen attentif de la décision révèle que la Cour d’appel fédérale n’avait pas à se pencher directement sur la question dont la Cour est saisie en l’espèce, soit celle de savoir si, lors de l’examen de la demande d’asile d’un « soldat d’infanterie » de rang inférieur comme M. Hughey, la question de la légalité ou de l’illégalité du conflit militaire en cause est pertinente aux fins de l’analyse à effectuer en application du paragraphe 171 du Guide.

 

[136]       Je suis d’avis, par conséquent, que la décision Al‑Maisri ne nous est guère utile en l’espèce.

 

[137]       Pour ces motifs, je suis convaincue qu’il y a lieu d’interpréter le paragraphe 171 du Guide à la lumière des dispositions d’exclusion de la Convention, de manière à ce que le droit d’asile soit accessible aux personnes qui violent des lois nationales d’application générale alors que le respect de ces lois conduirait l’intéressé à violer des normes internationales reconnues.

 

[138]       Si l’on admet qu’il convient d’interpréter ainsi le paragraphe 171 du Guide, la question se pose alors de savoir si M. Hughey aurait pu se voir refuser le droit d’asile simplement du fait de sa participation à la guerre en Irak si, de fait, l’action militaire dirigée par les États-Unis dans ce pays se trouvait être illégale. C’est cette question que je vais maintenant examiner.

 

            iv)        La culpabilité individuelle à l’égard de crimes contre la paix

[139]       L’alinéa 1(F)a) de la Convention prévoit que n’ont pas droit à protection les personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité. Or, M. Hughey affirme que, s’il avait participé à la guerre en Irak, il aurait été complice d’un crime contre la paix et aurait donc été soustrait à la protection de la Convention.

 

[140]       L’examen de la jurisprudence dans le domaine, toutefois, ne vient pas appuyer cette prétention.

 

[141]       Premièrement, nul n’a laissé entendre en l’espèce que l’armée américaine est une organisation qui vise principalement des fins limitées et brutales, de sorte que ses membres puissent être considérés comme participant personnellement et sciemment à des crimes internationaux (se reporter à Penate c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 C.F. 79 (1re inst.)).

 

[142]       Qui plus est, en 1945, dans le Statut du Tribunal Militaire International de Nuremberg, on a défini comme suit les éléments de l’infraction de « crime contre la paix » : « la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d’une guerre d’agression, ou d’une guerre en violation des traités, assurances ou accords internationaux, ou la participation à un plan concerté ou à un complot pour l’accomplissement de l’un quelconque des actes qui précèdent », tel que cité dans Michael J. Davidson, War and the Doubtful Soldier, 19 ND J.L. Ethics & Pub Pol’y 91, page 123.

 

[143]       Depuis lors, la jurisprudence élaborée par les tribunaux internationaux, y compris ceux saisis d’accusations de crimes contre la paix par suite des actions militaires en Europe et en Extrême‑Orient pendant la Seconde Guerre mondiale, est venue préciser les situations où une personne sera tenue responsable d’un crime contre la paix.

 

[144]       En résumé, on établit dans cette jurisprudence qu’une personne doit prendre part au processus d’élaboration des politiques pour pouvoir être reconnue coupable de crime contre la paix (Davidson, précité, pages 122 à 124, et le Rapport de la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale (les documents de Princeton), Documents des Nations Unies PCNICC/2002/WGCA/L.1 et Add.1).

 

[145]       Ainsi, on ne s’attend pas à ce qu’un simple soldat d’infanterie tel que M. Hughey ait à faire une évaluation personnelle de la légalité d’un conflit auquel il pourrait avoir à prendre part. De même, une telle personne ne peut être tenue criminellement responsable simplement pour avoir combattu dans une guerre illégale, en supposant qu’il n’ait rien fait personnellement de répréhensible pendant la guerre (se reporter à Davidson, précité, page 125, et à François Bugnion, « Guerre juste, guerre d’agression et droit international humanitaire », (2002) 847 Revue internationale de la Croix‑Rouge, 523.

 

[146]       Il semble par conséquent que la légalité d’une action militaire particulière pourrait éventuellement être pertinente dans le cas d’un demandeur d’asile qui a pris part au conflit en cause au niveau du processus d’élaboration des politiques, et qui a tenté d’éviter de prendre part à un crime contre la paix. Toutefois, l’illégalité d’une action militaire particulière ne fera pas de simples soldats d’infanterie participant au conflit des complices de crimes contre la paix.

 

[147]       Est donc sans fondement la prétention de M. Hughey selon laquelle, s’il avait participé à la guerre en Irak, il aurait été complice d’un crime contre la paix, et qu’on devrait par conséquent lui accorder la protection offerte par le paragraphe 171 du Guide.

 

            v)         Pertinence pour d’autres raisons de la preuve contestée

[148]       Finalement, M. Hughey soutient que la preuve relative à l’illégalité de la guerre en Irak pouvait s’avérer pertinente du fait que la volonté du président des États‑Unis de ne pas tenir compte du droit international, ce qui rendait illégale l’action militaire américaine en Irak et augmentait la probabilité qu’il participe personnellement à des violations du droit international humanitaire s’il était allé servir en Irak.

 

[149]       M. Hughey affirme que, cela étant, le fait que les États‑Unis auraient ouvertement fait abstraction du droit international en allant en Irak laisse croire que l’armée américaine serait davantage susceptible d’agir en toute impunité une fois rendue dans ce pays.

 

[150]       La Commission a conclu que cette prétention était purement théorique, et je souscris à cette conclusion.

 

            vi)        Conclusion

[151]       Pour ces motifs, je suis convaincue que lorsqu’on a affaire à un soldat d’infanterie tel que M. Hughey, l’évaluation de l’« action militaire » à laquelle il faut procéder en vertu du paragraphe 171 du Guide doit se rapporter à la conduite « sur le terrain » de ce soldat, et non à la légalité de la guerre elle‑même.

 

[152]       J’estime par conséquent que la Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que la preuve relative à la prétendue illégalité de l’action militaire dirigée par les États‑Unis en Irak n’était pas pertinente aux fins de la conclusion à tirer, en application du paragraphe 171 du Guide du HCNUR, par la Section de la protection des réfugiés.

 

[153]       Lorsqu’on étudie le cas d’un simple soldat d’infanterie tel que M. Hughey, l’objet principal d’examen devrait être le jus in bello, c’est‑à‑dire le droit international humanitaire qui régit la conduite des hostilités pendant un conflit armé. Dans un tel contexte, le rôle de la Commission consistera à examiner la nature des tâches qu’on a demandé, ou qu’on demanderait vraisemblablement, à l’intéressé d’accomplir « sur le terrain ».

 

[154]       Cela nous conduit à la deuxième question soulevée par M. Hughey.

 

VIII.    La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que M. Hughey n’avait pas réussi à démontrer que les violations du droit international humanitaire perpétrées par l’armée américaine en Irak avaient atteint un caractère généralisé ou étaient tolérées par l’État?

 

[155]       La Commission a conclu que la preuve présentée devant elle ne permettait pas d’établir que les États‑Unis avaient enjoint ou permis à leurs combattants, soit du fait d’une politique délibérée ou d’une indifférence officielle, d’accomplir à grande échelle des actions contrevenant au droit humanitaire, c’est‑à‑dire que les violations du droit international humanitaire perpétrées par des soldats américains en Irak avaient atteint un caractère généralisé ou étaient tolérées par l’État. Il s’agit là d’une conclusion de fait, qui appelle donc comme norme de contrôle celle de la décision manifestement déraisonnable (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, ¶ 40, et Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)).

 

[156]       On admet généralement que des violations isolées du droit international humanitaire constituent une malheureuse mais inévitable réalité de la guerre (Krotov, précité, ¶ 40, ainsi que Popov c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. n° 489).

 

[157]       Comme la Cour d’appel de l’Angleterre l’a fait remarquer dans Krotov, au paragraphe 51, il ne devrait y avoir ouverture au droit d’asile pour les déserteurs que dans les cas où la nature et l’ampleur du conflit armé, ainsi que l’attitude des autorités gouvernementales compétentes, sont devenus tels que les combattants sont tenus ou pourraient être tenus, à assez grande échelle, de commettre des actes contraires aux règles de conduite les plus élémentaires (se reporter également à Popov, précitée).

 

[158]       M. Hughey affirme en l’espèce que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas valablement compte de la preuve dont elle était saisie quant aux violations généralisées du droit international humanitaire que des membres de l’armée américaine auraient commises en Irak et ailleurs, non plus que de la preuve présentée quant à la tolérance officielle par le gouvernement américain de ces violations des droits de la personne.

 

[159]       Pour étayer sa prétention portant qu’on aurait pu lui demander de commettre des violations des droits de la personne s’il était allé en Irak, M. Hughey se fonde en partie sur une preuve relative aux conditions de détention à la prison de Guantanamo à Cuba et à la prison d’Abou Ghraïb en Irak, et au prétendu défaut du gouvernement américain de traiter les détenus dans ces prisons de manière conforme à la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, précitée.

 

[160]       M. Hughey se fonde tout particulièrement sur deux avis juridiques à l’intention du président des États‑Unis établis par le cabinet du procureur général en janvier et août 2002 (les avis Gonzalez). Ces avis portent sur la prétendue inconstitutionnalité de dispositions législatives internes des États‑Unis mettant en œuvre la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, précitée, si on les appliquait à l’interrogatoire de « combattants ennemis » en vertu des pouvoirs du président des États‑Unis en tant que commandant en chef de l’armée américaine.

 

[161]       Selon M. Hughey, ces documents démontrent que les États‑Unis ont agi avec une relative impunité et ont complètement fait abstraction des normes internationales sur les divers fronts où ils ont engagé leur « guerre contre la terreur ».

 

[162]       Règle générale, la Commission n’a pas à mentionner expressément chacun des éléments de preuve présentés et elle sera présumée avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve pour en arriver à sa décision (Woolaston c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1973] R.C.S. 102, et Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. n° 946, 1992, 147 N.R. 317).

 

[163]       En l’espèce, la Commission a examiné assez minutieusement la preuve dont elle était saisie. Tout en reconnaissant que des soldats américains avaient commis des violations des droits de la personne en Irak et ailleurs, la Commission a également souligné que, selon la preuve, l’armée américaine ne ciblait pas délibérément des civils et avait fait enquête sur les violations des droits de la personne commises par des soldats américains et infligé des peines aux coupables.

 

[164]       Il est bien vrai que la Commission n’a pas mentionné expressément les avis Gonzalez dans ses motifs. Il est également vrai que, plus la preuve non mentionnée et analysée explicitement est importante, plus la cour saisie sera portée à déduire de ce silence que la Commission a commis une erreur de fait en ne tenant pas compte d’éléments dont elle disposait (Cepeda‑Gutierrez c. Canada (MCI) (1998), 157 F.T.R. 35, ¶ 14 – 17).

 

[165]       Bien que la teneur des avis Gonzalez soit incontestablement troublante, il ne faut pas perdre de vue la nature de ces documents. Il ne s’agit que d’avis – d’avis juridiques préparés à l’intention du président des États‑Unis. Ils ne sont pas un énoncé de la politique américaine. Cela étant, je ne suis pas convaincue que les avis Gonzalez aient une telle valeur probante que le défaut de la Commission d’en traiter expressément dans sa décision équivaille à une erreur sujette à révision.

 

IX.       La Commission a‑t‑elle commis une erreur en imposant à M. Hughey le trop lourd fardeau de démontrer qu’il aurait lui‑même pris part à des actes illégaux s’il était allé en Irak?

 

[166]       M. Hughey conteste la conclusion de la Commission selon laquelle il

[...] n’est pas parvenu à établir que, s’il avait été déployé en Irak, il aurait participé ou été associé à des actions militaires condamnées par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, ou en aurait été complice. [¶ 121, non souligné dans l’original.]

 

 

[167]       M. Hughey affirme qu’en en arrivant à cette conclusion, la Commission a commis une erreur en lui imposant le trop lourd fardeau de démontrer qu’il aurait lui‑même pris part à des violations du droit international humanitaire. Selon M. Hughey, la Cour d’appel fédérale a établi, au contraire, dans Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. n° 67, qu’il était uniquement nécessaire de démontrer qu’une telle situation était plus que susceptible de se produire.

 

[168]       La question de la norme de preuve qu’il convient d’appliquer dans un cas donné est une question de droit, qui appelle donc la norme de la décision correcte (Mugesera, précité, ¶ 37).

 

[169]       Cela étant dit, j’estime que la Commission a appliqué la norme de preuve appropriée lorsqu’elle a tiré la conclusion en cause.

 

[170]       Il se dégage comme principe de la décision Adjei qu’un demandeur d’asile n’a qu’à démontrer qu’il y a plus qu’une simple possibilité d’un danger de persécution s’il devait retourner dans son pays d’origine. Or, ce n’est pas sur cela que la Commission s’est prononcée dans le paragraphe contesté.

 

[171]       Une distinction s’impose entre le critère juridique à appliquer pour évaluer le risque de persécution future et la norme de preuve à appliquer relativement aux faits qui sous‑tendent la demande d’asile. Bien qu’en fonction du critère juridique relatif à la persécution, il soit seulement nécessaire de démontrer plus qu’une simple possibilité de persécution à l’avenir, la norme de preuve applicable aux faits qui sous‑tendent la demande est celle de la prépondérance des probabilités (Adjei, p. 682; se reporter également à Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. n° 1, 2005 CAF 1, ¶ 9 à 14 et 29).

 

[172]       En d’autres termes, lorsque, par exemple, une femme demande l’asile en raison des mauvais traitements que son conjoint lui a fait subir, il ne suffit pas qu’elle établisse qu’il n’y a qu’une simple possibilité qu’elle dise la vérité. Elle doit établir, selon la prépondérance des probabilités, les faits qui sous‑tendent sa demande d’asile. Par ailleurs, il lui est uniquement nécessaire d’établir qu’il y a davantage qu’une simple possibilité qu’elle serait exposée à l’avenir à des mauvais traitements qui équivalent à de la persécution.

 

[173]       Je ne suis pas convaincue, par conséquent, que la Commission a commis une erreur à cet égard.

 

[174]       En outre, l’argument de M. Hughey présuppose qu’il a été établi que les violations du droit international humanitaire perpétrées en Irak ont atteint un caractère généralisé ou qu’elles sont tolérées par l’État et que, par conséquent, toute participation au conflit équivaudrait à être complice d’un crime. Comme je l’ai déjà dit dans la section précédente, toutefois, j’ai conclu que la Commission n’avait pas commis d’erreur en concluant que cela n’avait en fait pas été établi.

 

X.        Conclusion sur ce point

[175]       Compte tenu de l’analyse qui précède, j’estime qu’un simple soldat d’infanterie tel que M. Hughey ne pourrait être tenu responsable, en allant en Irak, de violations du droit international commises par les États‑Unis. Par conséquent, en l’espèce, le « type d’action militaire » pertinent, au sens où l’entend le paragraphe 171 du Guide, aux fins de la demande d’asile de M. Hughey constitue les activités « sur le terrain » auxquelles il aurait été associé en Irak.

 

[176]       J’en suis également venue à la conclusion que la Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que les violations du droit international perpétrées par des soldats américains en Irak n’en étaient pas arrivées soit à être généralisées, soit à être tolérées par l’État. J’ai conclu, en outre, que la Commission n’avait pas commis d’erreur en concluant que M. Hughey n’avait pas réussi à établir que, s’il avait été déployé en Irak, il aurait participé ou été associé à des violations du droit international humanitaire.

 

[177]       Ce qui reste alors à établir, c’est si M. Hughey risque néanmoins d’être persécuté aux États‑Unis en raison de ses opinions politiques. La réponse à donner dépend de la question de savoir si le droit à la liberté d’expression de M. Hughey lui permet de refuser de combattre en Irak en raison d’une sincère objection morale à cette guerre en particulier, et si la négation de ce droit et la peine infligée subséquemment pour violation d’une loi d’application générale équivaut à de la persécution. C’est vers ces questions que je vais maintenant me tourner.

 

XI.       La Commission a‑t‑elle analysé de manière erronée les questions de la protection de l’État et de la persécution?

            i)          La position de M. Hughey

[178]       M. Hughey soutient que la Commission a commis une erreur en jugeant qu’il n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle il aurait bénéficié d’une protection adéquate de l’État aux États‑Unis, du fait qu’elle avait conclu qu’il y obtiendrait la pleine protection d’une loi d’application générale.

 

[179]       Tout en reconnaissant que la présomption ordinaire de protection de l’État est plus forte lorsqu’on a affaire à une démocratie bien établie telle que les États‑Unis, et que le droit d’asile n’est accordé à des demandeurs américains que dans des circonstances exceptionnelles, M. Hughey n’en affirme pas moins que le défaut des États‑Unis de reconnaître l’objection de conscience à des guerres particulières entraîne un « écart » entre les droits garantis par le doit interne américain et ceux garantis par le droit international.

 

[180]       Selon M. Hughey, cet « écart » constitue une « circonstance exceptionnelle » qui justifie de conclure qu’en l’espèce, les effets de la loi américaine d’application générale avaient un caractère de persécution. Cela faisait que M. Hughey avait objectivement des motifs raisonnables de demander l’asile au Canada.

 

[181]       M. Hughey rappelle ensuite les dispositions du paragraphe 172 du Guide :

Le refus d’accomplir le service militaire peut également être fondé sur des convictions religieuses. Si un demandeur est à même de démontrer que ses convictions religieuses sont sincères et qu’elles ne sont pas prises en considération par les autorités de son pays lorsqu’elles exigeait de lui qu’il accomplisse son service militaire, il peut faire admettre son droit au statut de réfugié. Toutes indications supplémentaires selon lesquelles le demandeur ou sa famille auraient rencontré des difficultés du fait de leurs convictions religieuses peuvent évidemment donner plus de poids à cette demande.  [Non souligné dans l’original.]

 

 

[182]       Tout en concédant qu’il bénéficierait de l’application régulière de la loi aux États‑Unis, M. Hughey soutient néanmoins que la Commission a fait défaut de reconnaître ou d’examiner le fait qu’il n’avait pu faire valoir son objection de conscience à la guerre en Irak en raison de la portée trop restreinte du droit américain relatif à l’objection de conscience.

 

[183]       Selon M. Hughey, le défaut de la Commission de traiter de cette question rend incorrecte et erronée sa conclusion selon laquelle le droit américain relatif aux objecteurs de conscience ne donne pas lieu à une discrimination pour un motif visé dans la Convention et ne revêt donc pas un caractère de persécution.

 

[184]       M. Hughey affirme en outre que, comme le gouvernement américain est lui‑même l’agent de persécution, il s’ensuit qu’était fondamentalement erronée la conclusion de la Commission portant qu’il pouvait obtenir une protection adéquate de l’État aux États‑Unis.

 

            ii)         La norme de contrôle judiciaire

[185]       L’erreur alléguée est le défaut de la Commission de reconnaître l’existence d’un « écart » entre le droit restreint à l’objection de conscience reconnu par le droit interne américain et le droit apparemment garanti par le droit international. La Commission aurait donc commis des erreurs fatales en concluant à la fois que M. Hughey ne ferait pas l’objet de persécution aux États‑Unis et qu’il y obtiendrait une protection adéquate de l’État.

 

[186]       Les questions quant à savoir si une personne risque d’être persécutée dans son pays d’origine et si elle peut valablement s’y réclamer de la protection de l’État sont des questions mixtes de fait et de droit, auxquelles s’applique habituellement la norme de la décision raisonnable (Pushpanathan, précitée).

 

[187]       En l’espèce, toutefois, comme je l’ai déjà mentionné, les arguments de M. Hughey quant à la prétendue erreur par omission de la Commission ont pour prémisse qu’il existe un droit reconnu à l’échelle internationale de s’objecter à une guerre particulière, mis à part les situations prévues expressément au paragraphe 171 du Guide. Si un tel droit n’existe pas toutefois, ces arguments devront être rejetés.

 

            iii)        Analyse

[188]       Le droit au statut de réfugié peut être revendiqué par les personnes risquant d’être persécutées dans leur pays d’origine en raison de leurs opinions politiques ou de leur religion; se reporter à l’article 1A(2) de la Convention relative au statut des réfugiés.

 

[189]       Bien que nous n’ayons pas affaire à un conscrit en l’espèce – M. Hughey s’étant volontairement enrôlé dans l’armée américaine – on reconnaît à l’échelle internationale le droit d’un État d’exiger des citoyens qu’ils accomplissent leur service militaire. Le service militaire obligatoire est d’ailleurs souvent décrit comme un « accessoire de la citoyenneté ».

 

[190]       Il est également bien reconnu que le refus d’un soldat de combattre constitue un acte fondamentalement politique (Ciric, précité). D’ailleurs, comme le professeur Goodwin‑Gill l’a fait remarquer dans The Refugee in International Law (Oxford : Clarendon Press, 1996, page 57), cité avec approbation dans Zolfagharkhani, le refus de porter les armes exprime une opinion essentiellement politique quant aux limites admissibles du pouvoir d’un État et touche au cœur même du politique.

 

[191]       Est‑ce à dire que quiconque s’oppose sincèrement à une guerre particulière dispose du droit absolu d’obtenir le statut d’objecteur de conscience? S’ensuit‑il également que, si ce statut ne peut être obtenu par l’intéressé dans son pays d’origine, toute peine pouvant lui être infligée pour insoumission constituerait intrinsèquement de la persécution?

 

[192]       Il ne fait aucun doute que les libertés de pensée, de conscience et de religion constituent des droits fondamentaux bien reconnus en droit international (se reporter, par exemple, à l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (Rés. AG 217(III), Doc. off. AG NU, 3e sess., supp. no 13, Doc. NU A/810 (1948) 71, à l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, 999 R.T.N.U. 171, art. 9 à 14, 6 I.L.M. 368 (entrée en vigueur le 23 mars 1976) et l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, 213 R.T.N.U. 221, p. 223, S.T. Eur. 5.

 

[193]       À l’heure actuelle, toutefois, il n’existe pas de droit reconnu internationalement à l’objection de conscience – qu’elle soit partielle ou totale. Même si la Commission des droits de l’homme des Nations Unies et le Conseil de l’Europe ont encouragé leurs États membres à reconnaître le droit à l’objection de conscience dans divers rapports et commentaires, aucun instrument international relatif aux droits de la personne ne reconnaît en ce moment l’existence d’un tel droit et il n’y a pas consensus à l’échelle internationale à cet égard (Sepet, précité, ¶ 41 à 44).

 

[194]       D’ailleurs, la notion même d’existence d’un tel droit est d’origine relativement récente (Sepet, ¶ 48).

 

[195]       On a laissé entendre que, si l’existence du droit à l’objection de conscience n’est pas reconnue, la cause en réside, du moins en partie, dans la difficulté d’atteindre un consensus international sur la portée minimale d’un tel droit. Comme lord Rodger of Earlsferry l’a ainsi relevé dans ses motifs dissidents dans Sepet, il pourrait y avoir des avis divergents, par exemple, quant à savoir si une objection devrait être accueillie de la même manière, qu’elle soit présentée en temps de paix ou quand un État livre combat pour sa survie même (¶ 57).

 

[196]       Il est assurément possible de soutenir que, si la reconnaissance de la liberté de conscience en tant que droit humain fondamental est véritablement souhaitable, il ne faudrait pas que des personnes soient forcées, sous peine d’emprisonnement, de se comporter d’une manière contraire à leurs croyances fondamentales (Hathaway, The Law of Refugee Status, précité, page 182).

 

[197]       Si, d’un autre côté, l’on considère que l’objection de conscience est plutôt un droit relatif, il faudra alors tenir compte de la nature spécifique des conséquences possibles d’une telle objection pour un demandeur d’asile lors de l’appréciation de sa demande (von Sternberg, The Grounds of Protection in the Context of International Human Rights and Humanitarian Law, précité, page 42). C’est là l’approche que, à la lumière du Guide, le HCNUR semble favoriser.

 

[198]       Il faut tenir compte de plus de l’intérêt légitime des États à soutenir leurs forces armées et à assurer la défense de leur pays. Comme le professeur Goodwin‑Gill le fait remarquer, prévoir la possibilité du service de remplacement aide à concilier ces intérêts opposés en tenant compte à la fois de l’intérêt de l’État en matière de défense et des croyances personnelles de l’intéressé (The Refugee in International Law, page 58).

 

[199]       Le paragraphe 173 du Guide reconnaît d’ailleurs que de nombreux États prévoient désormais des modes de service de remplacement pour leurs citoyens qui, pour d’authentiques raisons de conscience, s’opposent au service militaire.

 

[200]       Jusqu’où alors un État doit‑il aller pour offrir à ses citoyens la possibilité d’un service de remplacement?

 

[201]       M. Hughey affirme pour sa part que les États‑Unis n’en ont pas fait assez en ne reconnaissant pas qu’un individu pouvait entretenir des objections de conscience à l’égard d’une guerre particulière, ce qui, prétend‑il, le fait tomber sous le coup du paragraphe 172 du Guide. M. Hughey ajoute qu’en de telles circonstances, toute peine qui pourrait lui être infligée aux États‑Unis revêtirait en soi un caractère de persécution.

 

[202]       Je ne puis admettre cet argument pour plusieurs motifs. Premièrement, il convient de ne pas interpréter isolément le paragraphe 172 du Guide. Tout juste avant, le paragraphe 171 prévoit explicitement qu’il ne suffit pas qu’une personne soit simplement en désaccord avec son gouvernement quant à la justification politique d’une action militaire particulière.

 

[203]       Deuxièmement, M. Hughey invoque la persécution en raison de ses opinions politiques et non de sa religion comme fondement de sa demande d’asile. Or, le paragraphe 172 traite des objections fondées sur des convictions religieuses et non pas politiques.

 

[204]       Enfin, il faut tenir compte du paragraphe 60 du Guide pour apprécier l’argument de M. Hughey voulant que le droit américain soit de portée trop restreinte en privant les soldats du droit de faire valoir d’authentiques objections de conscience à l’égard d’actions militaires particulières. Le paragraphe 60 prévoit qu’aux fins d’évaluer si une peine prescrite par les lois d’un autre pays a un caractère de persécution, la législation nationale du pays où l’asile est demandé pourra être utilisée comme « étalon ».

 

[205]       Lorsqu’on examine l’approche adoptée par les Forces canadiennes face à la question de l’objection de conscience, on peut constater que la protection offerte au Canada aux objecteurs de conscience est très semblable à celle qu’on offre aux États‑Unis. Les dispositions pertinentes des Directives et ordonnances administratives de la Défense – Objection de conscience (DOAD 5049‑2, 30 juillet 2004) prévoient ce qui suit :

L’enrôlement dans les FC [Forces canadiennes] est entièrement volontaire. Par conséquent, les militaires doivent être disposés à exercer toute fonction légitime pour défendre le Canada, y compris les intérêts et les valeurs du pays, tout en contribuant à la paix et à la sécurité internationales. Un militaire qui soulève une objection de conscience est quand même tenu d’exercer toute fonction légitime, mais peut demander une libération volontaire pour ce motif.

 

Admissibilité à la libération volontaire

Un militaire peut demander la libération en vertu d’une objection de conscience s’il s’oppose sincèrement à l’une ou l’autre des situations suivantes :

-           la guerre ou le conflit armé en général;

-          le port et l’utilisation d’armes comme exigences du service dans les FC.

 

La libération en vertu d’une objection de conscience ne sera pas accordée si l’objection est principalement fondée sur un ou plusieurs des motifs suivants :

-          l’utilisation d’armes ou la participation dans un conflit ou un déploiement particulier;

-           la politique nationale;

-           la commodité personnelle;

-           les convictions politiques.       [Non souligné dans l’original.]

 

 

[206]       Comme le professeur Goodwin‑Gill l’a fait observer dans The Refugee in International Law, à la page 59, les États sont libres de reconnaître que l’objection de conscience constitue un motif suffisant pour accorder le droit d’asile. C’est à chaque État particulier qu’il revient, toutefois, de décider quelle valeur il désire attribuer au droit fondamental à la liberté de conscience.

 

[207]       Tout en reconnaissant que le régime canadien relatif à l’objection de conscience est « essentiellement analogue » au régime américain, M. Hughey affirme néanmoins qu’il existe entre eux deux une différence importante. Il soutient en effet, en se fondant sur l’arrêt de la Cour suprême Operation Dismantle Inc. c. Canada, [1985] 1 R.C.S. 441, que le régime canadien est assujetti au contrôle judiciaire quant à sa conformité à la Charte, tandis que le régime américain échappe à tout examen judiciaire en raison de la doctrine des « questions politiques ».

 

[208]       Mis à part le fait qu’aucune preuve d’expert n’a été présentée à la Cour quant à la justiciabilité de contestations de la politique américaine relative à l’objection de conscience, et en présumant, aux fins d’argumentation, que la prétention de M. Hughey est exacte, il n’en demeure pas moins qu’à l’heure actuelle, le Canada n’accorde pas aux membres de ses forces armées la possibilité de s’opposer à des guerres particulières. C’est là une preuve additionnelle du fait, à mon avis, qu’il n’existe pas de droit généralement reconnu à l’objection de conscience pour les motifs avancés par M. Hughey.

 

[209]       Si tel est le cas, il s’ensuit que rien dans le régime américain ne constitue en soi de la persécution.

 

[210]       La récente décision Ates c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. n° 1661, de la Cour d’appel fédérale vient renforcer ma conclusion à cet égard. Dans cette décision, la Cour d’appel a déclaré que, même dans un pays où le service militaire est obligatoire et où il n’existe aucune mesure de rechange à cette obligation, le fait d’intenter des poursuites et d’incarcérer un objecteur de conscience sincère ne constitue pas de la persécution fondée sur un motif visé par la Convention.

 

[211]       Si les circonstances décrites dans Ates ne donnent pas lieu à de la persécution, alors, de même, les poursuites et l’emprisonnement éventuel d’un soldat volontaire, dans un pays prévoyant – quoique de manière restreinte – des mesures de remplacement au service militaire, ne constituent assurément pas de la persécution fondée sur un motif visé par la Convention.

 

[212]       Fait à noter, M. Hughey n’a pas fait valoir que la peine qu’il risque d’obtenir aux États‑Unis outrepasse ce qu’on considère acceptable en droit international humanitaire. Il soutient plutôt que toute peine pouvant lui être infligée pour avoir écouté sa conscience constituerait en soi de la persécution. Il n’y a pas lieu, par conséquent, d’examiner si la peine d’emprisonnement qui pourrait lui être infligée est disproportionnée.

 

[213]       Finalement, comme la Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que ce à quoi M. Hughey est exposé aux États‑Unis, ce sont des poursuites et non pas de la persécution, la question de la protection de l’État ne se pose pas.

 

            iv)        Conclusion

[214]       Bien qu’il aurait été préférable que la Commission traite explicitement des arguments de M. Hughey concernant la portée prétendument trop restreinte de la politique américaine relative à l’objection de conscience, je suis convaincue que le défaut de la Commission de ce faire n’a pas influé sur l’issue de la demande d’asile de M. Hughey.

 

[215]       Pour les motifs énoncés ci‑dessus, je suis convaincue qu’il n’existe pas actuellement de droit internationalement reconnu de s’opposer à une guerre particulière, sauf dans les circonstances précises prévues au paragraphe 171 du Guide. Par conséquent, bien que M. Hughey risque d’être jugé aux États‑Unis pour avoir agi selon sa conscience, cela n’équivaut pas à de la persécution en raison de ses opinions politiques.

 

[216]       En effet, il se trouve en réalité que les États, y compris le Canada, infligent des peines à leurs citoyens qui, tout en se conformant à de sincères convictions morales, politiques ou religieuses, ils ont enfreint des lois d’application générale. L’écologiste qui installe un barrage sur un chemin d’exploitation s’expose à des poursuites et même à l’emprisonnement, tout comme celui qui refuse de payer les impôts servant à des fins militaires par profonde conviction religieuse, même s’il se peut que dans chacun des cas, l’intéressé n’ait fait qu’écouter sa conscience.

 

[217]       Lord Hoffman a d’ailleurs déclaré ce qui suit à ce sujet dans Sepet :

[traduction]

Nous pouvons en tant que juges respecter leurs opinions, tout en pouvant estimer nécessaire de les punir malgré tout [...] Nous tiendrons compte de leurs conceptions morales, mais sans estimer avoir l’obligation morale absolue de leur céder le pas. Nous pourrons au contraire estimer devoir, tout en ressentant de la sympathie pour ces opinions ou même en les partageant, satisfaire la nécessité de respecter la loi. [¶ 34]

 

 

[218]       J’éprouve de la sympathie pour M. Hughey. Il semble être un jeune homme simple qui, selon le jugement de la Commission, se préoccupe sincèrement de la légalité de l’intervention militaire dirigée par les États‑Unis en Irak. La seule sympathie ne peut toutefois servir de fondement pour conclure en l’existence du droit reconnu internationalement de s’opposer à une guerre particulière, un droit dont le déni constituerait de la persécution.

 

[219]       Comme l’objection de conscience est un aspect fondamental du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion garanti par des instruments internationaux tels que la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Convention européenne des droits de l’homme, il se peut qu’au fil de l’évolution du droit en la matière, tant à l’échelle nationale qu’internationale, l’objection politique ou religieuse sincère à une guerre particulière constitue un jour un fondement suffisant pour faire valoir une demande d’asile. C’est là toutefois le [traduction] « consensus international de demain » (Sepet, ¶ 20) et non l’état du droit d’aujourd’hui.

 

XII.     Résumé des conclusions

[220]       J’ai conclu pour ces motifs qu’il n’y a pas lieu de modifier en l’espèce la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La demande de contrôle judiciaire de M. Hughey est par conséquent rejetée.

 

[221]       Tel que mentionné d’entrée de jeu, les questions soulevées dans le cadre de la présente demande ne m’ont pas obligée à me prononcer sur la légalité de l’action militaire américaine en Irak, et je n’ai tiré aucune conclusion à cet égard.

 

XIII.    Certification

[222]       Les avocats ont proposé de concert la certification des deux questions suivantes :

[traduction]

1.   La question de savoir si un conflit donné pourrait être illégal en droit international est‑elle pertinente aux fins de la conclusion que la Section du statut de réfugié doit tirer en application du paragraphe 171 du Guide du HCNUR?

 

2.   Lorsqu’un demandeur d’asile peut établir qu’une guerre particulière donne lieu à des violations généralisées du droit international humanitaire, doit‑il également établir par prépondérance des probabilités qu’il serait tenu de participer à de tels actes, ou suffit‑il d’en établir la possibilité sérieuse?

 

 

[223]       Pour ce qui est de la première question, je suis convaincue, comme je l’ai déjà indiqué, que la légalité d’un conflit pourrait bien être pertinente lorsqu’un demandeur d’asile est un décisionnaire ou un planificateur haut placé quant au conflit militaire en cause, lequel pourrait de ce fait être tenu responsable d’un crime contre la paix. Or, la question soulevée en l’espèce est celle de savoir si la légalité d’un conflit est ou non pertinente dans le cas d’un simple soldat d’infanterie tel que M. Hughey.

 

[224]       Pour les motifs donnés ci‑dessus, j’ai conclu que la jurisprudence tend à poser le principe que la légalité d’un conflit militaire donné n’est pas pertinente pour établir, dans le cas d’un simple soldat d’infanterie qui demande l’asile, si ce dernier est ou non un réfugié. Compte tenu de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Al‑Maisri, toutefois, il est juste de dire qu’il est loin d’y avoir consensus sur le sujet. Je suis disposée par conséquent à certifier la première question, en la modifiant uniquement pour préciser qu’elle est posée au regard d’un soldat d’infanterie.

 

[225]       La seconde question se fonde sur l’hypothèse que M. Hughey a démontré que la guerre en cause donne lieu à des violations généralisées du droit international humanitaire. Comme j’ai conclu que la Commission n’avait pas conclu erronément que M. Hughey n’avait pas fait cette démonstration, la seconde question proposée pour certification ne permettrait pas de disposer de sa demande d’asile; je refuse donc de la certifier.

 


JUGEMENT

 

[226]    LA COUR ORDONNE :

 

1.         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.         La question grave de portée générale qui suit est certifiée :

 

Lorsqu’une demande d’asile est présentée par un simple soldat d’infanterie, la question de savoir si un conflit donné pourrait être illégal en droit international est‑elle pertinente aux fins de la conclusion que la Section du statut de réfugié doit tirer en application du paragraphe 171 du Guide du HCNUR?

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


ANNEXE

 

            Le Guide du HCNUR prévoit ce qui suit à la section B de son chapitre V, sous la rubrique « Déserteurs, insoumis, objecteurs de conscience » :

 

167. Dans les pays où le service militaire est obligatoire, le fait de se soustraire à cette obligation ou insoumission est souvent une infraction punie par la loi. Quant à la désertion, elle est toujours dans tous les pays – que le service militaire soit obligatoire ou non – considérée comme une infraction. Les peines varient selon les pays et normalement leur imposition n’est pas considérée comme une forme de persécution. La crainte des poursuites et du châtiment pour désertion ou insoumission ne constitue pas pour autant une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la définition. En revanche, la désertion ou l’insoumission n’empêchent pas d’acquérir le statut de réfugié et une personne peut être à la fois un déserteur, ou un insoumis, et un réfugié.

 

168. Il va de soi qu’une personne n’est pas un réfugié si la seule raison pour laquelle elle a déserté ou n’a pas rejoint son corps comme elle en avait reçu l’ordre est son aversion du service militaire ou sa peur du combat. Elle peut, cependant, être un réfugié si sa désertion ou son insoumission s’accompagnent de motifs valables de quitter son pays ou de demeurer hors de son pays ou si elle a de quelque autre manière, au sens de la définition, des raisons de craindre d’être persécutée.

 

169. Un déserteur ou un insoumis peut donc être considéré comme un réfugié s’il peut démontrer qu’il se verrait infliger pour l’infraction militaire commise une peine d’une sévérité disproportionnée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Il en irait de même si l’intéressé peut démontrer qu’il craint avec raison d’être persécuté pour ces motifs, indépendamment de la peine encourue pour désertion.

 

170. Cependant, dans certains cas, la nécessité d’accomplir un service militaire peut être la seule raison invoquée à l’appui d’une demande du statut de réfugié, par exemple lorsqu’une personne peut démontrer que l’accomplissement du service militaire requiert sa participation à une action militaire contraire à ses convictions politiques, religieuses ou morales ou à des raisons de conscience valables.

 

171. N’importe quelle conviction, aussi sincère soit‑elle, ne peut justifier une demande de reconnaissance de statut de réfugié après désertion ou après insoumission. Il ne suffit pas qu’une personne soit en désaccord avec son gouvernement quant à la justification politique d’une action militaire particulière. Toutefois, lorsque le type d’action militaire auquel l’individu en question ne veut pas s’associer est condamné par la communauté internationale comme était contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission peut, compte tenu de toutes les autres exigences de la définition, être considérée en soi comme une persécution.

 

172. Le refus d’accomplir le service militaire peut également être fondé sur des convictions religieuses. Si un demandeur est à même de démontrer que ses convictions religieuses sont sincères et qu’elles ne sont pas prises en considération par les autorités de son pays lorsqu’elles exigeait de lui qu’il accomplisse son service militaire, il peut faire admettre son droit au statut de réfugié. Toutes indications supplémentaires selon lesquelles le demandeur ou sa famille auraient rencontré des difficultés du fait de leurs convictions religieuses peuvent évidemment donner plus de poids à cette demande.

 

173. La question de savoir si l’objection à l’accomplissement du service militaire pour des raisons de conscience peut motiver une demande de reconnaissance de statut de réfugié doit également être considérée en tenant compte de l’évolution récente des idées sur ce point. Les États sont de plus en plus nombreux à avoir introduit dans leur législation ou leur réglementation administrative des dispositions selon lesquelles les personnes qui peuvent invoquer d’authentiques raisons de conscience sont exemptées du service militaire, soit totalement, soit sous réserve d’accomplir un service de remplacement (c’est‑à‑dire un service civil). L’introduction de semblables dispositions législatives ou administratives a également fait l’objet de recommandations de la part des institutions internationales. Compte tenu de cette évolution, les États contractants sont libres, s’ils le désirent, d’accorder le statut de réfugié aux personnes qui ont des objections à l’égard du service militaire pour d’authentiques raisons de conscience.

 

174. L’authenticité des convictions politiques, religieuses ou morales d’une personne ou la validité des raisons de conscience qu’elle oppose à l’accomplissement du service militaire doit, bien entendu, être établie par un examen approfondi de sa personnalité et de son passé. Le fait que cette personne a exprimé ses opinions avant l’appel sous les drapeaux ou qu’elle a déjà eu des difficultés avec les autorités en raison de ses convictions est un élément d’appréciation pertinent. De même, selon qu’elle a reçu l’ordre d’accomplir un service militaire obligatoire ou qu’au contraire elle s’est enrôlée dans l’armée comme volontaire, la sincérité de ses convictions pourra être appréciée différemment.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑5571‑05

 

 

INTITULÉ :                                       BRANDON DAVID HUGHEY

c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 FÉVRIER 2006

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DU JUGEMENT :                 LE 31 MARS 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffry House                                                                 POUR LE DEMANDEUR

 

 

Marianne Zoric                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Robert Bafaro

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jeffry House                                                                 POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

 

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

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