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                                                                                                                                           Date : 20020702

                                                                                                                             Dossier : IMM-5799-00

                                                                                                           Référence neutre : 2002 CFPI 734

Ottawa (Ontario), le 2 juillet 2002   

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                                        SAMSU MIA

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Introduction

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision défavorable rendue par une agente d'immigration, Mme Hedda O'Neil (l'agente), en date du 25 octobre 2000. Cette dernière a rejeté la demande d'établissement présentée de l'intérieur du Canada par le demandeur pour des raisons d'ordre humanitaire en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C., ch. I-2 (la Loi).


Les faits

[2]                 Le demandeur, un citoyen du Bangladesh, est entré au Canada le 20 mars 1995 en tant que domestique du Haut-commissaire adjoint du Bangladesh, M. Anwar Ul Alam.

[3]                 Le demandeur avait travaillé comme domestique à la résidence de M. Anwar Ul Alam au Bangladesh de 1991 à 1995.

[4]                 Le demandeur est resté au service du Haut-commissariat pendant environ trois ans. Il prétend que, pendant cette période, il a été victime de violence verbale et physique, les conditions dans lesquelles il devait vivre et travailler n'étaient pas décentes et il n'a jamais reçu la majeure partie des gages auxquels il avait droit. De plus, son employeur l'aurait menacé et frappé au visage lorsqu'il a réclamé les sommes qui lui étaient dues.

[5]                 Le demandeur a quitté son emploi auprès de M. Ul Alam après avoir reçu des menaces, et il a revendiqué le statut de réfugié. Sa revendication a été rejetée au motif que la persécution dont il craignait d'être victime découlait d'une vendetta personnelle et non d'un motif prévu par la Convention. Une demande de contrôle judiciaire a été rejetée le 23 octobre 2001.


[6]                 Le demandeur affirme que la publicité qui a entouré ses actes a porté atteinte à la réputation de M. Ul Alam en tant que Haut-commissaire adjoint dans la collectivité bengalaise du Canada. En conséquence, le demandeur et les membres de sa famille vivant toujours au Bangladesh ont reçu des menaces de M. Ul Alam et de ses relations.

[7]                 Le demandeur affirme aussi que M. Ul Alam est un personnage puissant au sein de la communauté bengalaise et un ancien officier de l'armée du Bangladesh et qu'il a des contacts avec le premier ministre de ce pays. Selon le demandeur, M. Ul Alam pourrait exercer des représailles sans craindre de devoir en payer les conséquences.

[8]                 En mai 2000, le demandeur a présenté une demande de dispense en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi afin d'obtenir le droit de s'établir au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire. La demande contenait des prétentions écrites et des documents concernant la violence dont le demandeur a été victime au Canada, le risque qu'il court au Bangladesh, son degré d'établissement au Canada, l'emploi permanent qu'il occupe dans ce pays et le soutien dont il bénéficie de membres de la communauté, de son employeur et d'un groupe appelé « Accueil international pour l'enfance » .

[9]                   L'agente a fait connaître sa décision défavorable au demandeur dans une lettre datée du 25 octobre 2000. Dans les notes qu'elle a versées dans le SSOBL le même jour, elle a écrit, au point 6 [traduction] « Décision et motifs » :


[traduction] J'ai examiné les prétentions concernant les raisons d'ordre humanitaire ainsi que tous les documents reçus jusqu'à maintenant. J'ai examiné avec soin tous les documents contenus dans le dossier, et je n'ai pas relevé suffisamment d'éléments de preuve justifiant que le demandeur soit dispensé de l'obligation habituelle de demander et d'obtenir un visa d'immigrant à l'étranger avant de venir au Canada.

C'est cette décision qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire.

Question en litige

[10]            L'agente a-t-elle commis une erreur en ne prenant pas en considération tous les éléments de preuve ou en tirant des conclusions déraisonnables de la preuve dont elle disposait?

Analyse

[11]            Le demandeur souhaite être dispensé de l'obligation de se conformer au paragraphe 9(1) de la Loi, qui prévoit que tous les immigrants et visiteurs qui veulent être admis au Canada doivent présenter une demande à cet effet avant leur arrivée. Le paragraphe 114(2) de la Loi indique qu'une personne peut être dispensée de cette obligation pour des raisons d'ordre humanitaire.

[12]            La Cour a déjà statué que la décision rendue à la suite d'un examen des raisons d'ordre humanitaire est de nature discrétionnaire et que le demandeur n'a pas droit à un résultat en particulier. Pour avoir gain de cause, il faut que le demandeur démontre que le décideur a agi de mauvaise foi, a commis une erreur de droit ou a appliqué un mauvais principe. [Tartchinska c. Canada (M.C.I.) (2000), 185 F.T.R. 161]


[13]            La section 6.1 des directives données par le ministre [Traitement des demandes au Canada (IP), publiées en 1993, contenant le chapitre IP 5 - Demandes d'établissement présentées au Canada pour des considérations humanitaires (CH), mis àjour en octobre 2001] indique notamment ce qui suit :

Il incombe au demandeur de convaincre l'agent que, vu sa situation, l'obligation, dont il demande d'être dispensé, d'obtenir un visa hors du Canada lui causerait des difficultés (i) inhabituelles et injustifiées ou (ii) excessives. Le demandeur peut présenter tout fait qu'il juge pertinent pour l'obtention de cette dispense.

La Cour suprême du Canada a mentionné, dans l'arrêt Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817, que ces lignes directrices lui étaient « très utiles » .

[14]            Au paragraphe 62 de l'arrêt Baker, précité, Mme le juge L'Heureux-Dubé a traité de la norme de contrôle qui s'applique à une contestation visant une décision relative à des raisons d'ordre humanitaire. Elle a conclu qu'on devrait faire preuve d'une retenue considérable envers les décisions d'agents d'immigration exerçant leurs pouvoirs discrétionnaires et que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter. Par conséquent, notre Cour n'interviendra pas si la décision contestée repose sur des motifs qui peuvent résister à un examen assez poussé.

[15]            Le demandeur prétend qu'il aurait fallu traiter des facteurs suivants dans la décision :

(1)        le temps qu'il a passé au Canada et son degré d'établissement dans ce pays, y compris sa grande motivation, sa capacité d'adaptation et son ingéniosité;


(2)        le fait que le statut de réfugié lui a été refusé principalement parce que sa crainte résultait d'une vendetta personnelle et que, par conséquent, le préjudice qu'il redoute constitue toujours un préjudice qui devrait être pris en compte au regard d'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire;

(3)        les motifs justifiant l'autorisation de porter en appel la décision de l'ARRR afin de déterminer si le risque de préjudice a été prouvé;

(4)        la preuve documentaire substantielle relative aux conditions existant au Bangladesh.

[16]            Le demandeur prétend essentiellement que, l'agente n'ayant pas traité spécifiquement de ces questions, c'est comme si elle n'avait pas tenu compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait. Au soutien de cette prétention, le demandeur fait valoir que l'agente n'a pas fait référence à tous les éléments de preuve dans ses motifs.

[17]            Le demandeur prétend également que l'agente a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en acceptant la décision de l'agent chargé de la révision des revendications refusées (l'ARRR) et en ne prenant pas sa propre décision concernant le préjudice qui lui sera causé s'il retourne au Bangladesh.


[18]            M. le juge Evans s'est penché sur la question du caractère suffisant des motifs dans l'affaire Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.). Il a écrit ce qui suit aux paragraphes 16 et 17 de ses motifs :

[16] ... Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

[17] Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

[19]            Un examen des notes de l'agente permet de constater que les facteurs suivants ont été relevés :

            (1)        aucune famille immédiate au Canada;

(2)        soutien d'amis au Canada;

(3)        l'évaluation du risque effectuée par l'ARRR a été examinée;

(4)        emploi à temps plein comme cuisinier spécialisé;

(5)        soutien financier d'Accueil international pour l'enfance.


[20]            Il ressort de ses notes que l'agente a tenu compte du temps passé au Canada par le demandeur et du degré d'établissement de celui-ci. En outre, je suis d'avis qu'en prenant en considération tous les documents qui lui ont été présentés l'agente a tenu compte du prétendu préjudice redouté par le demandeur, dont il a été question lors de l'audience devant la SSR, du contrôle judiciaire de la décision défavorable de la SSR et de l'autorisation d'appel de la décision de l'ARRR. Je ne dispose d'aucune preuve me permettant de croire que l'agente a ignoré ces facteurs qui constituaient le fondement de la revendication du statut de réfugié du demandeur.

[21]            Rien n'indique non plus que l'agente a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire ou qu'elle n'a pas pris sa propre décision sur la question du risque. La Cour a déjà statué qu'un agent peut se fonder sur l'évaluation du risque effectuée par un ARRR. [Gomes c. Canada (M.C.I.) (1999), 174 F.T.R. 308; Sidhu c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 741 (1re inst.), QL en ligne]

[22]            Les notes de l'agente révèlent également que celle-ci a pris en considération tous les documents versés au dossier. Le demandeur n'a produit aucune preuve indiquant le contraire.


[23]            La preuve documentaire concernant les conditions dans le pays n'a pas été analysée dans les motifs. Le demandeur prétend que ces documents révèlent que les domestiques sont souvent maltraités et que les personnes riches et puissantes ont souvent recours à la violence et à la corruption policière pour régler des différends de peu d'importance. Ces documents montrent aussi, selon le demandeur, que la police est corrompue et que la protection de la police ou l'équité des tribunaux sont parfaitement illusoires.

[24]            Le demandeur soutient que l'agente n'a pas tenu compte de cette preuve sur les conditions existant dans le pays, ni de la violence dont il a été victime pendant qu'il était au service de M. Ul Alam.


[25]            Je ne suis pas d'accord avec le demandeur quand il prétend qu'en ne traitant pas spécifiquement de toutes les questions qui précèdent l'agente n'a pas tenu compte des éléments de preuve dont elle disposait. À mon avis, les éléments de preuve omis ne [traduction] « contredisent » pas directement les conclusions de l'agente. Celle-ci a estimé qu'elle ne disposait pas de suffisamment d'éléments de preuve pour être convaincue qu'un préjudice ou des difficultés indus justifiaient une dispense de l'application du paragraphe 9(1) de la Loi. La preuve documentaire sur les conditions dans le pays traite de manière générale des problèmes vécus par les domestiques au Bangladesh : [traduction] « ... certains domestiques, dont de nombreux enfants, travaillent dans des conditions qui s'apparentent à de la servitude et peuvent être l'objet de violence physique entraînant parfois la mort » . [Country Report on Human Rights Practices for 1998, Bangladesh, Département d'État américain, 26 février 1999.] Les documents sur le pays traitent aussi en termes généraux de la corruption des juges et de la perte de confiance du public dans la police et font état de la corruption qui est largement répandue dans tous les aspects de la vie publique au Bangladesh. Ils indiquent également que le système actuel profite surtout aux personnes riches et puissantes qui ont des accointances parmi les politiciens.

[26]            À mon avis, la preuve documentaire sur les conditions existant dans le pays ne corrobore pas nécessairement le récit du demandeur. Il s'agit d'une preuve générale et non d'une preuve propre au demandeur. J'estime que le fait que l'agente n'a pas mentionné cette preuve dans ses motifs n'est pas suffisant en soi pour que la Cour conclue que celle-ci a tiré une conclusion de fait erronée [traduction] « sans égard à la preuve » .

[27]            Il n'appartient pas à la Cour, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, de réexaminer le bien-fondé de l'affaire et de substituer sa décision à celle de l'agent. La Cour doit plutôt décider si l'agent a commis une erreur en examinant la décision en fonction de la norme de contrôle appropriée. Je suis convaincu qu'en l'espèce la décision de l'agente résiste à un examen assez poussé et qu'elle est raisonnable compte tenu de toutes les circonstances dont il a été question ci-dessus.

[28]            J'estime que le demandeur n'a pas réussi à établir, comme il devait le faire, que l'agente a commis une erreur. Je conclus donc que l'agente pouvait raisonnablement en arriver à la conclusion selon laquelle il n'existait pas de raisons d'ordre humanitaire suffisantes pour faire droit à la demande de dispense du demandeur en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi.

[29]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


[30]            Les parties ont eu la possibilité de soulever une question grave de portée générale conformément à l'article 83 de la Loi sur l'immigration, mais elles ont décidé de ne pas le faire. Par conséquent, aucune question semblable ne sera certifiée.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

    

                                                                                                                             « Edmond P. Blanchard »            

                                                                                                                                                                 Juge                              

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

   

DOSSIER :                                                        IMM-5799-00

INTITULÉ :                                                     SAMSU MIA c. MCI

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                           Le 27 février 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   Monsieur le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                                   Le 2 juillet 2002

  

COMPARUTIONS :

David Morris                                                                                   POUR LE DEMANDEUR

Catherine A. Lawrence                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bell, Unger, Morris                                                                         POUR LE DEMANDEUR

114, avenue Argyle

Ottawa (Ontario) K2P 1B4

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Édifice commémoratif de l'Est

284, rue Wellington, pièce 2242

Ottawa (Ontario) K1A 0H8

  
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