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Date : 20060127

Dossier : IMM-4023-05

Référence : 2006 CF 82

ENTRE :

THU AUNG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ

PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire a trait à une décision défavorable rendue après un examen des risques avant renvoi (ERAR), qui concluait que le demandeur ne serait pas exposé au risque de persécution, de torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s'il retournait dans son pays de nationalité, le Myanmar.

[2]                Le Myanmar (anciennement la Birmanie) est dirigé actuellement par un régime militaire à tendance fortement autoritaire. Les mouvements démocratiques, en particulier les mouvements démocratiques organisés par des étudiants, ont été et sont encore brutalement réprimés.

[3]                Le demandeur allègue qu'il s'est joint à une association de soccer sans préoccupation politique à la demande d'un ami. Une telle association sportive contrevient aux lois du Myanmar.

[4]                Le demandeur est venu au Canada en utilisant un visa d'étudiant et a déposé une demande d'asile. Il allègue que sa mère l'a avisé que les autorités du Myanmar le recherchaient parce qu'il avait distribué des pamphlets antigouvernementaux. Il a aussi déclaré que son père a été arrêté et interrogé au sujet des activités du demandeur. Il a ajouté que son ami, qui lui avait demandé de se joindre à l'association de soccer, s'est aussi fait arrêter. La demande d'asile du demandeur a été rejetée.

[5]                Au cours du premier ERAR qui a suivi ce rejet, le demandeur a présenté de nouvelles preuves - une lettre de son père décrivant son arrestation et sa crainte pour son fils si celui-ci devait retourner au Myanmar, ainsi qu'une copie du mandat d'arrêt contre le demandeur. La décision pour cet ERAR était défavorable, et le demandeur a demandé le contrôle judiciaire. Sur consentement, le ministre a infirmé le premier ERAR et a renvoyé l'affaire devant un autre agent d'examen des risques avant renvoi pour un deuxième ERAR. Cette deuxième décision a aussi été défavorable. La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la décision de ce deuxième ERAR.

[6]                Le demandeur allègue que l'agent d'ERAR a commis une erreur en a) concluant que le demandeur n'était pas exposé à un risque au vu des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), pour avoir distribué des pamphlets antigouvernementaux; et b) ne reconnaissant pas l'existence d'un mandat d'arrêt émis contre lui.

ANALYSE

            Les articles 96 et 97 de la LIPR

[7]                À mon avis, il n'est pas nécessaire d'entreprendre une analyse de cet aspect du contrôle judiciaire. Le demandeur, en fait, conteste la conclusion de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié selon laquelle il ne réunit pas les conditions prescrites par les articles 96 et 97 de la LIPR.

[8]                Un ERAR n'est pas un appel d'une décision de la Commission; il s'agit d'une possibilité pour le demandeur de présenter de nouvelles preuves, qui n'avaient pas été présentées à la Commission, pour appuyer son allégation qu'il ne devrait pas être renvoyé. (Voir Hausleitner c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 786, 2005 CF 641.)

[9]                Par conséquent, cet aspect du contrôle judiciaire doit être rejeté.

Le mandat d'arrêt

[10]            Dans sa décision, l'agent a accordé peu d'importance au mandat d'arrêt. L'agent avait déjà accordé peu d'importance à une lettre écrite par le père du demandeur et par un avocat, et il a fait la déclaration suivante :

[TRADUCTION]

Aussi, le mandat d'arrêt a été délivré en décembre 2003, et il ne semble pas y avoir eu d'autres mesures entreprises contre le demandeur ni ses parents. De plus, bien que le demandeur ait eu plusieurs chances de clarifier l'information au sujet des copies du mandat, il y a encore des incohérences en ce qui a trait à la personne qui est en possession de la copie réelle du mandat délivré par les autorités. En fonction de la somme des informations, et puisque je trouve improbable que le demandeur ait été membre d'une équipe illégale de soccer, j'accorde peu d'importance au mandat d'arrêt.

[11]            En ce qui a trait à la norme de contrôle, je souscris au raisonnement du juge Martineau dans l'affaire Figurado c. Canada (Solliciteur général), [2005] 4 R.C.F. 387, 2005 CF 347, [2005] A.C.F. no 458 :

À mon avis, en appliquant l'approche pragmatique et fonctionnelle, lorsque la décision ERAR contestée est examinée dans sa totalité, la norme de contrôle applicable devrait être celle de la décision raisonnable simpliciter (Shahi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1826, au paragraphe 13 (C.F. 1re inst.) (QL); Zolotareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1274, [2003] A.C.F. no 1596 (C.F.) (QL), au paragraphe 24; Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 39, [2004] A.C.F. no 30 (C.F.) (QL), au paragraphe 7). Cela dit, lorsque l'agent ERAR tire une conclusion de fait, la Cour ne devrait pas substituer sa décision à celle de l'agent ERAR sauf si le demandeur a établi que l'agent a tiré la conclusion de fait d'une manière abusive ou arbitraire et sans égard aux éléments de preuve dont il était saisi (alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, modifiée; Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 39, [2003] A.C.F. no 108 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 14).

[12]            Le juge Mosley, dans l'affaire Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 540, aux paragraphes 8 à 22, a effectué une analyse complète de la norme de contrôle qui s'applique aux décisions d'ERAR et a conclu que, en matière de faits, la norme est la décision manifestement déraisonnable; pour les questions de fait et de droit, la norme est la décision raisonnable simpliciter; et qu'en matière de droit, la norme est la décision correcte.

[13]            Par conséquent, il est important de classifier la conclusion tirée par l'agent au sujet de l'importance à accorder au mandat. Si cette conclusion attribue une valeur juridique au document au Myanmar, en tant que question de droit étranger, ou constitue une décision quant à l'existence d'un mandat, il s'agit d'une question de fait pour laquelle la norme de contrôle est la décision manifestement déraisonnable.

[14]            Si, par contre, l'agent conclut que le document est un faux, ou qu'il est à tout le moins suspect, il s'agit alors davantage d'une question mixte de fait et de droit, qui doit se conformer à la décision raisonnable simpliciter. Il y a un recoupement évident des facteurs entre cette conclusion et celle mentionnée au paragraphe précédent.

[15]            Après avoir examiné le dossier en détail, il me semble que l'agent était particulièrement préoccupé par le fait que le document n'était qu'une copie, et peut-être même une copie d'une copie. Lors du témoignage, il a beaucoup été question de l'endroit où se trouvaient l'original et la copie du mandat que les autorités avaient laissée à la famille du demandeur.

[16]            Le problème que pose la décision de l'agent est qu'il ne dit pas que le mandat est un faux, mais qu'il le traite comme tel. Il n'y a aucune explication des raisons sur lesquelles l'agent s'est fondé pour traiter le document comme un faux. La copie du mandat porte le sceau de l'État, a une écriture qui semble officielle et comporte d'autres indices lui donnant un caractère officiel, et pourtant l'agent n'explique pas pourquoi, malgré l'apparence officielle du document, il devrait être écarté.

[17]            Par conséquent, dans la mesure où l'agent a conclu que le document était un faux ou qu'il était à tout le moins suspect, il n'y a aucun fondement apparent appuyant une telle conclusion. Il s'agit d'une décision déraisonnable prise dans un domaine où l'agent n'est pas spécialisé.

[18]            Si l'agent a conclu, en tant que fait, qu'aucun mandat n'a été émis ou qu'en tant que question de droit étranger, le document n'a aucune valeur juridique, ces conclusions ne s'appuient sur aucune preuve. Ces conclusions sont donc manifestement déraisonnables.

[19]            La Cour n'a pas à examiner les autres aspects de la présente demande de contrôle judiciaire. La décision d'ERAR sera infirmée, et l'affaire sera renvoyée au défendeur pertinent pour qu'un autre agent rende une nouvelle décision.

[20]            Il n'y a pas de question à certifier.

« Michael L. Phelan »

JUGE

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-4023-05

INTITULÉ :                                       THU AUNG

                                                            et

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 24 janvier 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le juge Phelan

DATE DE L'ORDONNANCE :       Le 27 janvier 2006

COMPARUTIONS:

Nicole Hainer

POUR LE DEMANDEUR

Caroline Christiaens

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

ELGIN, CANNON & ASSOCIATES

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES DÉFENDEURS


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