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Date : 20200106


Dossier : IMM-1761-19

Référence : 2020 CF 17

Ottawa (Ontario), le 6 janvier 2020

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

NAWRAS TAMAN

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  L’agent d’immigration qui a refusé la demande de résidence permanente de M Nawras Taman s’est basé sur la mauvaise disposition du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR], et il n’a pas tranché les questions nécessaires pour traiter la demande. En conséquence, la décision n’est pas raisonnable, et doit être infirmée.

[2]  M Taman a fait sa demande de résidence permanente comme membre de la catégorie des « réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ». Pour déterminer si celui-ci appartient à cette catégorie, les articles 139, 144 et 145 du RIPR exigent que l’agent considère i) si M Taman est un réfugié au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, conformément à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], et ii) s’il y a une possibilité raisonnable de solution durable dans un pays autre que le Canada. Par contre, l’agent a seulement analysé si M Taman appartenait à la catégorie de « personnes de pays d’accueil », et son analyse était limitée aux critères de l’article 147 du RIPR, qui ne s’applique pas du tout.

[3]  Ayant appliqué la mauvaise disposition du RIPR, et n’ayant pas fait une analyse des bonnes dispositions, la décision n’est pas raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie, et l’affaire est renvoyée pour un nouvel examen.

II.  La demande de M Taman

[4]  M Taman est un citoyen de la Syrie. Son père est syrien tandis que sa mère est libanaise. Ses parents se sont divorcés en 1996. En 1998, il a déménagé avec sa mère au Liban. Il détient le statut de résident permanent au Liban depuis 2011, et il renouvelle son permis annuellement.

[5]  En août 2016, M Taman a fait une demande de résidence permanente au Canada, réclamant la protection du Canada comme « réfugié hors du Canada » ou « réfugié outre-frontières ». Il tient un certificat d’enregistrement émis par le Haut-commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés, et sa demande de résidence permanente était parrainée dans la catégorie des réfugiés par un groupe jésuite canadien. M Taman a soumis sa demande de protection car il craint son retour en Syrie advenant que le Liban refuserait de renouveler son statut de résident permanent. Notamment, il craint qu’il sera appelé à joindre l’armée syrienne puisqu’il n’a pas complété son service militaire obligatoire.

III.  Les dispositions pertinentes

[6]  Le paragraphe 11(1) de la LIPR exige que tout étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander d’un agent la délivrance d’un visa à la suite d’un contrôle. Un étranger à l’extérieur du Canada qui demande l’asile au Canada peut soumettre une demande de visa de résident permanent sur la base qu’il ou elle adhère à la définition de réfugié en vertu de l’article 96 de la LIPR.

[7]  À cette fin, le paragraphe 139(1) du RIPR dicte qu’un visa de résident permanent est délivré à l’étranger qui démontre qu’il satisfait aux exigences de cet article. Notamment, un étranger doit établir qu’il se trouve hors du Canada, qu’il cherche à entrer au Canada pour s’y établir en permanence, et qu’il satisfait aux alinéas 139(1)d) et e) :

d) aucune possibilité raisonnable de solution durable n’est, à son égard, réalisable dans un délai raisonnable dans un pays autre que le Canada, à savoir :

(d) the foreign national is a person in respect of whom there is no reasonable prospect, within a reasonable period, of a durable solution in a country other than Canada, namely

(i) soit le rapatriement volontaire ou la réinstallation dans le pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle,

(i) voluntary repatriation or resettlement in their country of nationality or habitual residence, or

(ii) soit la réinstallation ou une offre de réinstallation dans un autre pays;

(ii) resettlement or an offer of resettlement in another country;

e) il fait partie d’une catégorie établie dans la présente section;

(e) the foreign national is a member of one of the classes prescribed by this Division;

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[8]  Plusieurs catégories sont établies dans la section en question (soit la section 1 de la partie 8 du RIPR), dont la catégorie des « réfugiés au sens de la Convention outre-frontières », qui est traitée aux articles 144 et 145 du RIPR, ainsi que la catégorie de « personnes de pays d’accueil », qui est traitée aux articles 146 et 147 du RIPR.

[9]  Un étranger est un « réfugié au sens de la Convention outre-frontières » lorsqu’un agent reconnait qu’il a qualité de réfugié au sens de la Convention : RIPR, art 145. L’article 96 de la LIPR adopte la définition de réfugié qui se trouve dans la Convention. Conséquemment, l’article 145 du RIPR nécessite que l’étranger hors du Canada démontre qu’il satisfait aux exigences de l’article 96 de la LIPR afin d’être admissible comme réfugié au sens de la Convention : Saifee c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 589 au para 37.

[10]  La catégorie de « personnes de pays d’accueil » est de nature distincte. Pour se trouver dans cette catégorie, un étranger doit avoir besoin de se réinstaller parce que: a) « il se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle », et b) « une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui » [Je souligne]: RIPR, art 147(a)-(b); voir aussi Saifee au para 38.

IV.  Le refus de la demande

[11]  À la suite d’une entrevue avec un agent d’immigration en février 2019, M Taman a reçu une lettre lui informant que sa demande de résidence permanente a été rejetée. Selon l’agent, M Taman ne correspond pas à un réfugié en vertu de la LIPR et n’est pas admissible en vertu d’une « catégorie établie » par le RIPR. Après avoir reproduit l’article 96 de la LIPR et les articles 145, 147 et 139(1)d) et e) du RIPR, la seule analyse de l’agent est la suivante :

[traduction]

Après avoir soigneusement évalué votre demande, j’ai déterminé que vous ne respectez pas les exigences du A96 [l’article 96 de la LIPR] ou R147 [l’article 147 du RIPR], et que vous ne respectez donc pas les exigences prévues à l’alinéa 139(1)e) du Règlement.

Vous êtes au Liban depuis avant le déclenchement des hostilités en Syrie et assez longtemps pour que le Liban soit considéré comme votre pays de résidence habituelle. Il n’y a aucune raison pour le moment de croire que votre capacité de rester dans ce pays de résidence habituelle ne continue pas d’être viable. Étant donné que vous vous trouviez en dehors de la Syrie depuis avant le déclenchement des hostilités (ou d’un conflit armé, d’une guerre civile ou d’une violation massive des droits de la personne), je ne suis pas convaincu qu’une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne ont des conséquences graves et personnelles pour vous, ni que vous répondez autrement à la définition requise pour cette catégorie de demande.

[Je souligne.]

[12]  Ce qui est clair de ce passage, surtout le deuxième paragraphe avec ses références à la résidence habituelle et au conflit armé, guerre civile ou violation massive des droits de la personne, c’est que l’agent a fait une analyse des exigences de l’article 147 du RIPR, soit l’article qui porte sur la catégorie de « personnes de pays d’accueil ». Cet article et cette catégorie ne s’appliquaient pas à la demande de M Taman, qui se présente comme membre de la catégorie des « réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ».

[13]  On ne voit aucune analyse dans la décision de l’agent des exigences de l’article 145 du RIPR ou de l’article 96 de la LIPR. La seule mention que « vous ne respectez pas les exigences du A96 » est manifestement insuffisante pour soutenir une telle conclusion. Au contraire, il semble que l’agent s’est simplement trompé à l’égard de l’article du RIPR qui était pertinent au cas en l’espèce. Au lieu de considérer si M Taman était « réfugié au sens de la Convention », l’agent a déterminé s’il était membre de la catégorie de « personnes de pays d’accueil ».

[14]  Je constate que l’agent a fait référence dans son analyse à la capacité de M Taman « de rester dans ce pays de résidence habituelle ». Même si la question de la durabilité d’une solution dans un pays autre que le Canada est pertinente à l’alinéa 139(1)d), cette courte référence ne constitue pas une analyse de l’alinéa 139(1)d) du RIPR, ni un rejet de la demande de M Taman sur cette base. L’agent a inclus l’alinéa 139(1)d) parmi les dispositions dans sa lettre à M Taman, mais rien hors de cela ne suggère qu’il rejetait la demande de M Taman en raison de cet alinéa. Au contraire, l’agent a indiqué expressément dans ses motifs qu’il rejette la demande en vertu de 139(1)e) plutôt que 139(1)d) du RIPR. Cette conclusion est confirmée par les propos du représentant du Ministre lors de l’audience, qui a cédé que l’agent n’a pas effectué une analyse en vertu de l’alinéa 139(1)d).

V.  Conclusion

[15]  Étant fondée sur la mauvaise disposition du RIPR, la décision de l’agent n’est pas raisonnable et ne peut pas être maintenue. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune partie n’a proposé de question à certifier, et aucune ne l’est.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1761‑19

LA COUR STATUE que

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et la décision est renvoyée à un autre agent pour un nouvel examen.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Nicholas McHaffie »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1761-19

 

INTITULÉ :

NAWRAS TAMAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 octobre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 janvier 2020

 

COMPARUTIONS :

Jacques Beauchemin

 

Pour la partie demanderessE

Evan Liosis

 

Pour la PARTIE défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Beauchemin, Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la PARTIE défenderesse

 

 

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