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Date : 20020815

Dossier : IMM-4898-01

Référence neutre : 2002 CFPI 878

Montréal (Québec), le 15 août 2002

En présence de :         L'honorable juge Blais

ENTRE :

                                                                 KARIM MAJERBI

                                                                                                                                  partie demanderesse

                                                                                   et

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                     partie défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

  • [1]                 Il s'agit d'une demande de révision judiciaire à l'encontre de la décision de l'agent d'immigration, Jean-Marc Sirois [ci-après "l'agent d'immigration"], rendue le 2 octobre 2001, qui a rejeté la demande de dispense de visa d'immigration présentée par le demandeur en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration [ci-après "la Loi"].

FAITS

[2]                 Le demandeur est né le 21 septembre 1971 en Tunisie.

  • [3]                 Il est arrivé au Canada le 23 septembre 1999 et a revendiqué le statut de réfugié.
  • [4]                 La section du statut a rejeté la revendication du demandeur après avoir conclu que le témoignage du demandeur était non crédible. La section a même jugé que la revendication du demandeur n'avait pas un minimum de fondement conformément au paragraphe 69.1(9.1) de la Loi.
  
  • [5]                 En juillet 2001, le demandeur a présenté une demande de dispense de visa d'immigrant, en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi, alléguant que des motifs humanitaires justifiaient une exemption à l'application régulière de la Loi. Notamment, il allègue une crainte fondée de persécution au motif qu'il serait exposé à une peine d'emprisonnement dans l'éventualité d'un retour en Tunisie en raison d'une condamnation pour trafic de stupéfiants prononcée contre lui.
  • [6]                 Par lettre datée le 2 octobre 2001, l'agent d'immigration a informé le demandeur qu'il avait conclu que le demandeur ne risquait pas de subir de mauvais traitements dans l'éventualité d'un retour en Tunisie et a également conclu qu'il n'y avait pas de motifs humanitaires suffisants justifiant une exception à l'application régulière de la Loi.
  

QUESTIONS EN LITIGE


7.                    Est-ce que l'agent d'immigration avait l'obligation de divulguer l'analyse de risques de retour qu'il a effectué personnellement et de donner au demandeur l'occasion de faire des commentaires avant de rendre une décision finale sur la demande de dispense de visa d'immigrant?

8.                    Est-ce que la décision de l'agent d'immigration était raisonnable?

ANALYSE

Est-ce que l'agent d'immigration avait l'obligation de divulguer l'analyse de risques de retour qu'il a effectué et de donner au demandeur l'occasion de faire des commentaires avant de rendre une décision finale sur la demande de dispense de visa d'immigrant?

[7]                 Non, l'agent d'immigration n'avait pas l'obligation de divulguer l'analyse de risques de retour et de donner au demandeur l'occasion de faire des commentaires avant de rendre une décision finale sur la demande de dispense de visa d'immigrant.

[8]             Le demandeur soumet que l'agent d'immigration a manqué à son obligation d'équité et a rendu une décision déraisonnable. Le demandeur se base entièrement sur l'arrêt Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 407 (C.F.A).


[9]                 Dans Haghighi, supra la Cour a conclu que l'agent d'immigration a, avant de rendre sa décision, contrevenu à l'obligation d'équité en n'informant pas le demandeur du contenu de l'évaluation des risques de l'agent de révision, et en ne lui donnant pas une possibilité raisonnable de tenter de relever des erreurs ou des omissions dans cette évaluation.

[10]            L'affaire Haghighi, supra peut être distinguée de la présente espèce pour trois (3) motifs. Premièrement, la Cour d'appel fédérale a jugé que l'agent d'immigration avait l'obligation de divulguer au demandeur un rapport qui a été préparé par une tierce partie, soit un agent de révision des revendications refusées (ARRR), auquel elle souscrivait et qu'elle devait lui donnait l'occasion d'apporter des corrections à ce rapport. Or, en l'espèce, il n'y a aucun rapport produit par un tiers. L'analyse des risques de retour a été effectuée par l'agent d'immigration seul et elle fait partie de sa décision finale.

[11]          Deuxièmement, il y a de la jurisprudence de cette Cour qui démontre une réticence d'imposer à l'agent d'immigration le devoir de divulguer au demandeur le contenu de son analyse des risques de retour. Dans l'affaire Soto c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1207 (C.F. 1re inst.), le juge Lemieux a conclu qu'un agent de révision des revendications refusées avait l'obligation de divulguer au demandeur une évaluation des risques de retour qu'il avait lui-même effectuée avant de rendre une décision finale. Or, le juge McKeown dans l'affaire Mia c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1584 (C.F. 1re inst.) a exprimé ainsi son désaccord avec ce raisonnement:


[para 11] [...] En toute déférence, je ne crois pas que les principes d'équité obligent un ARRR qui procède à une évaluation du risque pour savoir si le demandeur est membre de la catégorie DNRSRC à divulguer l'évaluation en question avant d'en arriver à sa décision. À mon sens, reconnaître l'existence de cette obligation équivaudrait pour ainsi dire àcontraindre un décideur à communiquer les motifs de sa décision à des fins de commentaires avant de prendre sa décision finale. Dans la présente affaire, la personne qui a examiné les éléments de preuve a pris la décision. Aucune autre personne n'a participé au processus. Il ne s'agit pas d'un cas où le décideur reçoit des renseignements de personnes autres que le demandeur.[...]

[12]            De plus dans l'affaire Siavashi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1132 (C.F. 1re inst.), le juge McKeown a énoncé qu'il n'est pas normal de fournir des motifs aux parties afin d'en obtenir des commentaires avant que la décision elle-même ne soit rendue :

[para 10] I cannot agree with this analysis since the Baker case, [1999] 2 S.C.R. 817, specifically provides that the summary document constitutes the reasons. It is not normal to provide reasons to the parties for comments before the issuance of the decision. The failure to disclose the summary report would only cause a problem if new facts were included in the summary which were not known to the Applicant. This is not the situation in this case.

[13]            Je souscrit entièrement à ce raisonnement. Accepter l'argument du demandeur en l'espèce équivaudrait à exiger des décideurs administratifs qu'ils fournissent une ébauche de leurs décisions aux demandeurs avant de rendre une décision finale, ce qui serait absurde.


[14]         Troisièmement, l'analyse des risques de retour effectuée par l'agent d'immigration se fonde en grande partie sur des contradictions et incohérences déjà notées par la section du statut de réfugié lorsqu'elle a rejeté la revendication du demandeur. Le demandeur était pleinement au courant de cette décision au moment où il a présenté sa demande de dispense de visa d'immigrant. Malgré cela, le demandeur n'a pas fourni les explications nécessaires lors de la présentation de sa demande. Or, il tente de les fournir maintenant (aux paragraphes 40 à_49 de son affidavit). La Cour d'appel fédérale dans Haghighi, supra a pris soin de préciser que la divulgation du rapport de l'ARRR ne devrait pas servir de prétexte au demandeur pour qu'il présente des arguments qu'il aurait pu soulever plus tôt:

[para 37] [...] J'ajouterais seulement que la possibilitéd'attirer l'attention sur les erreurs ou les omissions qui seraient contenues dans le rapport de l'agent de révision ne constitue pas une invitation aux demandeurs pour qu'ils présentent de nouveau leurs arguments à l'agent d'immigration.

[15]         Je trouve que l'agent d'immigration n'a pas enfreint son obligation d'équité puisqu'il n'y avait aucune obligation de divulguer son analyse des risques de retour au demandeur pour toutes les raisons ci-mentionnées. De plus, le demandeur a eu l'occasion de fournir, lors de la présentation de sa demande de dispense de visa d'immigrant, les explications qu'il tente maintenant de fournir. Arrivé au stade de la révision judiciaire, ce n'est plus le forum appropriépour de telles choses.

Est-ce que la décision de l'agent d'immigration était raisonnable?

[16]            Oui, la décision de l'agent d'immigration était raisonnable.

Risques de retour en Tunisie

[17]            L'analyse des risques de retour est un document intitulé Opinion (Pièce "B" de l'affidavit de Jean-Marc Sirois du Mémoire du défendeur), qui a été effectuée personnellement par l'agent d'immigration. L'agent d'immigration fait références aux risques de retour comme suit:


[page 2] Malgré les conclusions défavorables de la SSR à l'égard du demandeur, j'ai quand même considéré tout ce qui m'a été présenté par écrit dans le but de déterminer si celui-ci peut être exposé à un risque objectivement identifiable.

Après avoir consulté tout le dossier personnel d'immigration du demandeur, j'en suis venu à la conclusion qu'un tel risque n'existe pas, car les faits qu'il a exposés [sic] ne supportent pas ses allégations de crainte devant un éventuel retour en Tunisie.

(Mon soulignement)

[18]            Il était raisonnable pour l'agent d'immigration de conclure que le demandeur ne risquait pas de subir de mauvais traitements dans l'éventualité d'un retour en Tunisie et qu'il n'y avait pas de motifs humanitaires suffisants pour justifier une exception à l'application régulière de la Loi.

Les conclusions de la Section du statut de réfugié

[19]            Il était aussi raisonnable pour l'agent d'immigration de souscrire aux conclusions de la section du statut, notamment puisque le déroulement des événements décrits par le demandeur était incohérents. Dans ce même document, l'agent d'immigration a écrit:

[page 2] En effet, son récit présente plusieurs incohérences dont les principales ont été relevées dans les motifs écrits de la SSR. Ainsi, le demandeur n'a pas réussi à établir qu'il avait une crainte bien fondée de persécution en Tunisie ni que sa revendication pouvait comporter un minimum de fondement.

[...]

Je ne reviendrai pas sur cette question, car elle relève de la compétence exclusive de la SSR. Le déroulement des événements m'apparaît également incohérent et le demandeur n'a offert jusqu'ici aucune explication satisfaisante.

(Mon soulignement)


Les sanctions imposées au demandeur

[20]            De plus, il était raisonnable pour l'agent d'immigration de conclure que même en supposant que le demandeur a vraiment été condamné en Tunisie, les sanctions imposées contre le demandeur n'étaient ni inhumaines ni excessives compte tenu de la gravité des infractions reprochées au demandeur. Dans cette même veine, l'agent d'immigration a écrit:

[page 2-3] [...] Quant aux allégations de risques de retour, elles m'apparaissent plutôt exagérées compte tenu de la situation présente en Tunisie qui semble moins sombre que ce que le demandeur cherche à nous faire croire.

En gros, le demandeur attribue sa crainte des autorités tunisiennes aux éléments suivants:

-avoir été injustement accusé et trouvé coupable dans une cause de drogue;

-s'être trouvé en Italie au moment de toute cette affaire;

-avoir été ainsi condamné à purger des peines de 10 et 5 ans de prison en Tunisie;

-son retour ayant un caractère d'extradition, à l'image d'autres célèbres prisonniers d'opinion.

[...]

[page 3] Dans les circonstances, je ne considère pas que l'emprisonnement allégué par le demandeur puisse représenter une sanction inhumaine ou excessive, compte tenu de la gravité des offences [sic] qu'il a décrites [sic].

[...]          

[page 5] Après avoir considéré tous les faits allégués, les possibilités que le demandeur puisse être menacé ou même sujet à de mauvais traitements en Tunisie ne m'apparaissent pas suffisantes pour être considérées sérieuses.

(Mon soulignement)

  

Documents peu crédibles

[21]            L'agent d'immigration a raisonnablement accordé peu de poids aux documents présentés par le demandeur par rapport à son histoire judiciaire en Tunisie. L'agent d'immigration a indiqué:

[page 3] Dans ses observations au soutien de sa DRPC, il déclare que cela s'explique du fait qu'à son audience il ne disposait pas des documents pertinents pour appuyer ces faits. Toutefois, une copie de ceux-ci accompagnent maintenant sa demande de résidence. Malheureusement, ces pièces sont soit non datées, non signées, non authentifiées par un sceau, une déclaration du traducteur ou un cachet des autorités; en général, leur facture laisse plutôt à désirer. Pour ces raisons, je ne leur accorderai pas un poids important dans ma décision.

Pas un cas d'un opposant politique notoire recherché

[22]            Enfin, l'agent d'immigration pouvait raisonnablement trouver que le cas du demandeur se distinguait de ceux d'opposants politiques notoires.

[23]            En effet, le demandeur n'était pas impliqué politiquement et rien dans la preuve ne semble indiquer un intérêt quelconque des autorités envers lui. Pour illustrer, l'agent d'immigration a écrit:

[page 4] [...] En effet, le demandeur n'a pas établi qu'il est recherché ou voulu dans son pays. Dans son FRP, aux questions 20 et 21, à savoir s'il était recherché et s'il avait été reconnu coupable d'un délit, il a répondu « non » chaque fois. De plus, dans sa DRPC, à la question « J » , Organisations dont vous avez été membre depuis l'âge de 18 ans, il a indiqué: « Je n'ai jamais été membre d'une organisation. »

Ainsi je ne crois pas que le demandeur soit impliqué politiquement dans son pays. Je ne crois pas non plus qu'il soit d'un intérêt quelconque pour les autorités tunisiennes, la présence d'aucun mandat particulier n'ayant été signalée jusqu'ici.


[...]

(Mon soulignement)

[page 5] Malgré tout, je ne crois pas que le demandeur soit ciblé par les autorités de son pays, qu'il fasse l'objet de représailles, car il ne m'a pas convaincu qu'il est recherché en Tunisie. Je ne crois pas non plus que son cas se compare à celui des personnages notoires qu'il a désignés dans ses observations, car il n'a lui-même allégué aucun côté politique dans son historique personnel.

  

[24]            En ce qui concerne l'évaluation des autres motifs d'ordre humanitaires, encore une fois le demandeur n'a pas démontré à la Cour que les conclusions de l'agent d'immigration étaient déraisonnables.

[25]            En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[26]            Les deux parties sont d'accord pour suggérer que la question suivante soit certifiée : « Lorsqu'un agent d'immigration rend une décision en vertu d'une demande de droit à l'établissement en vertu de l'article 114(2) de la Loi sur l'immigration, fondée sur des risques de retour allégués, cet agent doit-il communiquer ses conclusions sur les risques de retour pour donner au demandeur l'occasion d'y répondre avant de rendre une décision finale dans le dossier? »


[27]            Au risque de décevoir les deux parties au présent dossier, je ne crois pas que cette question soit une question sérieuse de portée générale au sens de l'article 83(1) de la Loi sur l'immigration. En effet, je pense que la décision de la Cour d'appel dans Haghighi, supra, est suffisamment explicite et les décisions subséquentes de la Cour fédérale, notamment le juge McKeown dans Mia, supra et Sia Vashi, supra, la juge Hansen dans Chen c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'immigration [2002] A.C.F. no 341 et le juge Lemieux dans Okutubo c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2002] A.C.F. no 207, lequel semble nuancer sa décision rendue dans Soto, supra confirment que les principes d'équité ne sont pas violés lorsque l'agent qui a procédé à l'évaluation du risque est le même qui a rendu la décision finale sur la demande de dispense de visa.

[28]            En outre, l'évaluation du risque de retour est une opinion qui fait partie de la décision et de ses motifs et cette opinion n'avait pas à être communiquée à l'avance au demandeur pour fins de commentaires.

[29]            Je considère donc que cette question a déjà été tranchée et en conséquence elle ne sera pas certifiée.

                    "Pierre Blais"                    

                             juge                             


                                                                                                

                                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 20020815

Dossier : IMM-4898-01

Entre :

                                                                              KARIM MAJERBI

                                                                                                                                                            partie demanderesse

                                                                                                et

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                               partie défenderesse

                                                                                                                                                                                       

                                                                 MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                              ET ORDONNANCE

                                                                                                                                                                                       


                                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                

DOSSIER :                                                        IMM-4898-01

INTITULÉ :                                                    

                                                                              KARIM MAJERBI

                                                                                                                                                            partie demanderesse

                                                                                                et

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                               partie défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 14 août 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                                   L'HONORABLE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                                   le 15 août 2002

COMPARUTIONS:

Me Marie-Josée L'Écuyer                                                POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Sébastien Dasylva                                                     POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Marie-Josée L'Écuyer                                                POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                              POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE


Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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