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Date : 20200109


Dossier : IMM‑2076‑19

Référence : 2020 CF 22

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

YENNY DANIELA CRUZ

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse est citoyenne du Honduras. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile de la demanderesse, au motif que celle‑ci disposait d’une possibilité de refuge interne [PRI] au Honduras. En appel, la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision de la SPR.

[2]  La demanderesse sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[3]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.  Contexte

[4]  La demanderesse affirme qu’elle a été témoin d’un meurtre en 2010, lorsqu’elle prenait l’autobus pour se rendre à son travail. Elle croit que l’agresseur l’a vue et l’a reconnue, et elle craint désormais que sa vie ne soit en danger.

[5]  Dans les jours qui ont suivi le meurtre, elle a quitté son emploi à l’usine et s’est rendue dans une autre ville du Honduras pour voir ses deux enfants dont s’occupe sa grand‑mère. Elle a ensuite quitté le Honduras et est arrivée aux États‑Unis en 2011, où elle a donné naissance à un fils en 2014. Elle a quitté les États‑Unis en 2017 et est arrivée au Canada, où elle a demandé l’asile pour son fils et elle‑même.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[6]  La SAR a souligné que la question soulevée en appel était celle de savoir si la SPR avait commis une erreur en concluant, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse que la demanderesse subisse des préjudices dans les PRI proposées de Choluteca ou d’Yuscarán. La SAR a ensuite analysé brièvement les faits tels qu’ils ont été révélés dans l’exposé circonstancié de la demanderesse et a affirmé qu’elle souscrivait à la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’avait pas une crainte fondée de persécution reposant sur un motif prévu dans la Convention et que le risque auquel elle était exposée devait être apprécié selon l’article 97 de la LIPR.

[7]  Dans l’appréciation de la possibilité de préjudices dans les PRI proposées, la SAR a souligné que l’homme que la demanderesse craignait n’avait pas communiqué avec la famille de la demanderesse et n’avait pas cherché à trouver la demanderesse, et il n’aurait pas de liens avec des criminels susceptibles d’accroître sa capacité à trouver la demanderesse.

[8]  La SAR a reconnu la possibilité d’une rencontre fortuite avec l’homme si la demanderesse rentrait au Honduras, mais a conclu qu’« il est peu probable que l’agresseur reconnaisse l’appelante, compte tenu du temps qui s’est écoulé, si ce genre de rencontre se produisait ». Elle a aussi reconnu la possibilité que l’agresseur soit motivé à faire taire la demanderesse, mais a jugé qu’il n’existait aucune preuve indiquant qu’il avait l’intention de causer du tort à la demanderesse ou qu’il avait la capacité de la trouver dans les PRI proposées. En examinant les éléments de preuve fournis par la demanderesse voulant que les PRI proposées ne seraient pas raisonnables parce qu’elle n’avait pas de famille dans ces villes, la SAR a souligné qu’elle avait déjà vécu seule au Honduras et qu’elle avait habité aux États‑Unis et au Canada pendant de nombreuses années sans avoir de famille à proximité.

IV.  Questions en litige

[9]  J’ai formulé les questions en litige en ces termes :

  1. La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse relative à la PRI :

  1. en n’énonçant pas clairement la norme de preuve qui s’applique?

  2. en omettant de prendre en compte et d’aborder les facteurs pertinents?

  1. La décision est‑elle raisonnable?

V.  Norme de contrôle

[10]  La présente demande a été instruite juste avant les récents arrêts de la Cour suprême du Canada dans les affaires Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] et Bell Canada c Canada (Procureur général), 2019 CSC 66. Les observations des parties au sujet de la norme de contrôle ont par conséquent été formulées selon le cadre énoncé dans l’arrêt Dunsmuir. J’ai toutefois appliqué le cadre Vavilov dans mon examen de la demande. (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [Dunsmuir])

[11]  Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Société canadienne des postes], le juge Rowe a abordé les circonstances dans lesquelles des observations avaient été formulées selon le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Dunsmuir, mais la Cour a appliqué le cadre d’analyse défini dans l’arrêt Vavilov pour trancher l’affaire. Il a statué qu’il n’était pas nécessaire de demander des observations aux parties et qu’il n’en résultait aucune injustice lorsque, en appliquant le cadre de l’arrêt  Vavilov, la norme de contrôle applicable et le résultat auraient été les mêmes que selon le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Dunsmuir (Société canadienne des postes au par. 24).

[12]  Les parties ont adopté la position selon laquelle la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 719 au par. 9). Je suis d’accord. La norme présumée de la décision raisonnable s’applique selon l’arrêt Dunsmuir ou Vavilov.

[13]  Le juge Rowe résume en ces termes les caractéristiques d’une décision raisonnable dans l’arrêt Société canadienne des postes, où il affirme :

[31]  La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32]  La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33]  Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [. . .] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100). En l’espèce, ce fardeau incombe au Syndicat.

[14]  En l’espèce, je suis aussi convaincu que mes conclusions quant au bien‑fondé de la demande seraient les mêmes selon l’un ou l’autre cadre d’analyse. Par conséquent, j’estime, après avoir examiné les faits, les circonstances et l’état actuel du droit, qu’il n’y a pas d’incertitude quant à la façon dont l’arrêt Vavilov se rapporte à la présente demande (Vavilov par. 144). Comme dans l’arrêt Société canadienne des postes, je n’ai pas besoin d’observations supplémentaires des parties pour trancher la demande. Je souligne aussi qu’aucune partie n’a demandé à formuler des observations supplémentaires.

VI.  Analyse

A.  La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse relative à la PRI?

[15]  La demanderesse affirme que l’analyse de la PRI qu’a effectuée la SAR est déraisonnable parce que son énonciation de la norme de preuve utilisée dans l’appréciation du premier volet du critère relatif à la PRI n’est pas claire, de sorte qu’il est impossible de déterminer quelle norme de preuve a été appliquée. De plus, elle soutient que l’omission de la SAR d’aborder les facteurs pertinents dans l’analyse de la PRI rend la décision déraisonnable.

1)  La SAR a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle en n’énonçant pas clairement la norme de preuve qu’elle avait appliquée dans son analyse relative à la PRI?

[16]  Dans l’appréciation d’une PRI, il convient d’appliquer un critère à deux volets (Rasaratnum c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 au par. 13) :

  1. La SAR doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur d’asile ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une possibilité de refuge et/ou que le demandeur d’asile ne serait pas personnellement exposé soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumis à la torture dans la PRI;

  2. La situation dans cette PRI doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour les demandeurs d’asile, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui sont particulières au demandeur, d’y chercher refuge.

[17]  Au début de son analyse de la PRI, la SAR a énoncé correctement le premier volet du critère applicable à la PRI, affirmant :

[8]  Pour évaluer s’il existe une PRI à Choluteca ou à Yuscaran, comme l’a proposé la SPR à l’appelante, je dois évaluer, selon la prépondérance des probabilités, s’il est vraisemblable que l’appelante soit exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans ces villes. [Non souligné dans l’original.]

[18]  Le critère est à nouveau énoncé correctement au paragraphe qui suit :

[9]  Même si la possibilité d’une rencontre fortuite entre l’appelante et l’agresseur dans une autre région du Honduras est réelle, selon la prépondérance des probabilités, il est peu probable que l’agresseur reconnaisse l’appelante, compte tenu du temps qui s’est écoulé, si ce genre de rencontre se produisait. [Non souligné dans l’original.]

[19]  La SAR affirme ensuite :

[10]  J’estime, selon la prépondérance des [possibilités], que l’appelante n’est pas exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités à Choluteca ou à Yuscaran. [Non souligné dans l’original.]

[20]  La demanderesse prétend que cette dernière formulation inexacte du fardeau de preuve, « selon la prépondérance des [possibilités] », porte un coup fatal au caractère raisonnable de la décision parce que le fardeau de preuve constitue [traduction« le prisme à travers lequel la demande d’asile dans son ensemble est examinée ». Elle cite un certain nombre d’affaires à l’appui de sa position selon laquelle la Cour est déjà intervenue dans des instances de contrôle judiciaire lorsque le critère juridique avait été mal formulé (Begollari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1340 au par. 21, Alam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 4 au par. 16).

[21]  Je ne conteste pas le principe reflété dans la jurisprudence mentionnée plus haut : lorsque la cour de révision n’est pas en mesure de déterminer quel critère juridique le décideur a appliqué ou lorsqu’il ressort clairement qu’un critère incorrect a été appliqué, une intervention est normalement justifiée. Ce n’est pas le cas ici.

[22]  Comme je l’ai affirmé plus haut, la décision de la SAR, y compris le renvoi par celle‑ci à la « prépondérance des [possibilités] » doit être appréciée dans le contexte de la décision dans son ensemble (Vavilov aux par. 90, 97 et 100, Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au par. 14 [Newfoundland Nurses]). La SAR a énoncé correctement le critère qui s’appliquait, y compris la norme de preuve, lorsqu’elle a défini les éléments qu’elle devait apprécier, et lorsqu’elle a appliqué le critère à la situation que la demanderesse avait affirmé craindre : être reconnue par l’agresseur à la faveur d’une rencontre fortuite. Je suis convaincu que la SAR a compris et appliqué le bon critère en l’espèce. Lorsqu’il est lu dans son contexte, l’énoncé erroné de la SAR est une erreur quant à la forme, et non pas quant au fond. L’erreur ne mine pas le caractère raisonnable de la décision (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 946 au par. 26, citant Martinez Gonzales c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1504 au par. 20).

2)  La SAR a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle en omettant de prendre en compte et d’aborder les facteurs pertinents dans son analyse relative à la PRI?

[23]  La demanderesse affirme que le fait que la SAR n’ait pas abordé la petite taille du Honduras et la situation particulière des femmes dans le pays rend la décision déraisonnable. Je ne suis pas d’accord.

a)  Taille du Honduras

[24]  La taille du Honduras dans le contexte de l’analyse de la PRI effectuée par la SAR est pertinente, pour deux raisons : premièrement, l’agresseur sera en mesure de retrouver facilement la demanderesse; et deuxièmement, l’agresseur et la demanderesse peuvent avoir une « rencontre fortuite ».

[25]  La SAR n’aborde pas expressément la taille du pays dans son examen de la question de la PRI. Toutefois, la SAR bénéficie de la présomption voulant qu’elle connaisse toute la documentation à sa disposition et qu’elle en a pris connaissance. Cela comprenait la prise en compte par la SPR de la taille du Honduras. De plus, la taille du pays n’a pas été relevée expressément dans les observations formulées à la SAR par la demanderesse. La demanderesse a plutôt contesté les conclusions de la SPR se rapportant à une rencontre fortuite ou délibérée avec l’agresseur, arguments qui n’abordaient pas expressément la taille du Honduras.

[26]  Il n’est pas étonnant que la SAR ait pris en compte le risque que l’agresseur retrouve la demanderesse dans les PRI et la possibilité d’une rencontre fortuite. La SAR s’est penchée sur la possibilité que l’agresseur apprenne que la demanderesse se trouve dans l’une ou l’autre PRI, soulignant l’absence d’élément de preuve selon lequel l’agresseur a déployé des efforts ou a la capacité voulue pour trouver la demanderesse dans les PRI. La SAR a reconnu la possibilité d’une rencontre fortuite, mais a souligné qu’il serait peu probable que l’agresseur reconnaisse la demanderesse, compte tenu du temps qui s’est écoulé. Même si la demanderesse n’est pas d’accord avec cette affirmation, je suis convaincu qu’il n’était pas déraisonnable que la SAR invoque le temps qui s’est écoulé pour tirer sa conclusion.

[27]  En effectuant son analyse, la SAR a abordé les questions qui sous‑tendent les préoccupations de la demanderesse concernant la taille du pays. Ce faisant, et après avoir reconnu et abordé la possibilité d’une rencontre fortuite au Honduras, il n’était pas déraisonnable que la SAR n’ait pas expressément pris en compte la taille du pays.

b)  Situation particulière des femmes dans le pays

[28]  La demanderesse prétend que la SAR a commis une erreur en n’abordant pas la situation particulière des femmes dans le pays dans son analyse de la PRI.

[29]  Devant la SPR, la demanderesse a formulé de brèves observations à l’appui d’une demande d’asile fondée sur le sexe. La SPR a abordé lesdites observations dans sa décision. La demanderesse n’a pas contesté l’analyse effectuée par la SPR en appel devant la SAR. Dans le cadre des observations de vive voix formulées à l’égard de la présente demande, l’avocat de la demanderesse a affirmé que la prise en compte de la demande d’asile fondée sur le sexe par la SPR n’avait pas été abordée en appel parce que cette dernière l’avait examinée de manière satisfaisante. Toutefois, la demanderesse soutient maintenant que la SAR a, de manière déraisonnable, omis d’aborder la question dans le contexte de son analyse de la PRI.

[30]  La personne interjetant appel devant la SAR doit fournir des observations complètes et détaillées concernant les erreurs commises qui constituent les motifs d’appel et l’endroit où se trouvent ces erreurs dans la décision de la SPR (Alinéa 3(3)g) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257). Lorsqu’elle ne le fait pas, on ne peut pas reprocher à la SAR en contrôle judiciaire de n’avoir pas pris en compte ou abordé des arguments qui n’ont pas été soulevés (Adams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 524 aux par. 24 à 29, citant la décision Ghauri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 548 au par. 34). La demanderesse n’a pas mentionné l’analyse de la demande d’asile fondée sur le sexe par la SPR en tant qu’enjeu dans l’appel, et j’estime que cela règle la question. Toutefois, et même si j’ai eu de la difficulté à saisir l’argument qui a été soulevé, je formulerai des commentaires sur les observations de vive voix formulées par l’avocat à ce sujet.

[31]  Je crois comprendre, selon la position de la demanderesse, que la SAR n’est pas limitée à examiner les questions spécifiques qui sont soulevées en appel. La SAR peut en fait effectuer un vaste réexamen de toute question. En l’espèce, la SAR n’était pas limitée aux erreurs expressément relevées dans l’analyse de la PRI effectuée par la SPR. Si j’en crois la demanderesse, cette capacité d’effectuer un examen élargi lui permet de soutenir en contrôle judiciaire que le fait de ne pas procéder à cette analyse plus vaste est déraisonnable et constitue un fondement permettant de contester la décision de la SAR.

[32]  La SAR doit examiner les décisions de la SPR selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au par. 78 [Huruglica]). Cela ne signifie pas que les appels devant la SAR sont des audiences de novo. La SAR a plutôt pour rôle de corriger les erreurs commises par la SPR (Huruglica au par. 79). Comme l’a affirmé le juge Alan Diner au par. 99 de la décision Rozas del Solar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1145, « la SAR [...] doit s’en tenir à la décision de la SPR ». Une décision de la SAR n’est pas déraisonnable du simple fait que celle‑ci n’a pas examiné chaque question examinée par la SPR. Au contraire, la SAR est réputée avoir pris en compte la décision de la SPR dans son ensemble.

[33]  La SPR a consacré six paragraphes à la possibilité que la demanderesse ait une demande d’asile fondée sur le sexe. Si la demanderesse estimait que la SPR avait commis une erreur à cet égard, elle aurait dû formuler des observations à cet effet devant la SAR (Ghauri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 548 au par. 34). Elle ne l’a pas fait. Elle ne peut pas prétendre maintenant que la SAR a agi de façon déraisonnable en n’effectuant pas sa propre analyse fondée sur le sexe. Vu les faits, l’argument de la demanderesse ne peut être retenu.

B.  La décision est‑elle raisonnable?

[34]  La demanderesse soutient que l’analyse effectuée par la SAR n’est pas cohérente. Elle affirme que, en concluant qu’« il est peu probable que l’agresseur reconnaisse la [demanderesse] [...] si ce genre de rencontre se produisait », il est difficile de savoir si la rencontre fortuite, la possibilité que l’agresseur la reconnaisse ou ces deux éléments sont peu probables. De plus, elle soutient que l’affirmation de la SAR selon laquelle il n’y a aucune preuve indiquant que l’agresseur a l’intention de causer du tort à la demanderesse contredit la conclusion selon laquelle il est motivé à le faire — la motivation, soutient‑elle, prouve l’intention.

[35]  La Cour suprême a affirmé qu’il n’est pas nécessaire que les motifs soient parfaits (Vavilov au par. 91, Newfoundland Nurses au par. 16) et que le contrôle judiciaire n’est pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; la décision doit être considérée comme un tout (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34 au par. 54).

[36]  La décision en l’espèce n’est pas parfaite; je ne suis toutefois pas convaincu qu’elle n’est pas cohérente ou que les conclusions de la SAR sont contradictoires. La SAR a conclu qu’il était peu probable que se produise une rencontre fortuite au cours de laquelle l’agresseur reconnaîtrait la demanderesse, vu le temps qui s’est écoulé. J’estime que cette conclusion est claire.

[37]  De même, il n’est pas contradictoire que la SAR conclue que l’agresseur peut encore être motivé à lui faire subir de préjudices, d’une part, et souligne aussi l’absence d’éléments de preuve d’une telle intention d’autre part. Contrairement à ce qu’a prétendu la demanderesse, la motivation à agir peut exister sans la moindre intention de passer à l’acte. L’une n’est pas nécessairement égale à l’autre ou n’entraîne pas nécessairement l’autre.

VII.  Conclusion

[38]  La demande est rejetée. Les parties n’ont pas relevé de question grave de portée générale à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑2288‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour de janvier 2020.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2076‑19

 

INTITULÉ :

YENNY DANIELA CRUZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 DÉCEMBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 JANVIER 2020

 

COMPARUTIONS :

David Matas

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Brendan Friesen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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