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     Date : 19980424

     Dossier : T-3016-92

OTTAWA (ONTARIO), LE 24 AVRIL 1998

EN PRÉSENCE DE : MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

     MILLIKEN & COMPANY et

     MILLIKEN INDUSTRIES OF CANADA LTD.,

    

     Demanderesses,

     - et -

     INTERFACE FLOORING SYSTEMS (CANADA) INC.,

     Défenderesse.


     Dossier : T-1212-95

     MILLIKEN & COMPANY,

     Demanderesse,

     - et -

     INTERFACE FLOORING SYSTEMS (CANADA) INC.,

     Défenderesse.

     ORDONNANCE

    

     Les dépens engagés inutilement sont refusés.


     " Danièle Tremblay-Lamer "

                                         JUGE

Traduction certifiée conforme :

             C. Bélanger, LL.L.




     Date : 19980424

     Dossier : T-3016-92


ENTRE :

     MILLIKEN & COMPANY et

     MILLIKEN INDUSTRIES OF CANADA LTD.,

    

     Demanderesses,

     - et -

     INTERFACE FLOORING SYSTEMS (CANADA) INC.,

     Défenderesse.


     Dossier : T-1212-95

     MILLIKEN & COMPANY,

     Demanderesse,

     - et -

     INTERFACE FLOORING SYSTEMS (CANADA) INC.,

     Défenderesse.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE TREMBLAY-LAMER

[1]      Le 17 novembre 1997, deux requêtes concernant la question des dépens inutiles m'ont été soumises. Ces requêtes s'inscrivent dans le contexte d'une action en violation du droit d'auteur. Les demanderesses, Milliken & Company (Milliken) et Milliken Industries of Canada Ltd. (Milliken Canada), prétendent que la défenderesse, Interface Flooring Systems (Canada) Inc., a violé leur droit d'auteur en reproduisant sensiblement leur dessin de dalle de moquette fournie et posée à l'aéroport international de Calgary, en février 1991 et en septembre 1992. Le dessin litigieux a censément été créé par Claire Iles en septembre 1988, puis acheté par Milliken en janvier 1991. L'action a été introduite par voie de déclaration déposée le 11 décembre 1992. La défense a été déposée le 22 septembre 1994. L"instance a finalement été jointe à l'action nE T-1212-95, qui concernait la pose subséquente de dalles de moquette portant le même dessin à l'aéroport en 1995. Les interrogatoires préalables ont eu lieu en octobre 1995. L"instruction a alors été fixée à la semaine du 17 novembre 1997.

[2]      Deux mois avant le début de l'instruction, la défenderesse a présenté une requête en vue d'amender sa défense. Les amendements concernaient, notamment, la qualité des demanderesses pour intenter l'action. La défenderesse alléguait qu'avant le 25 septembre 1992, Milliken n'avait pas la qualité pour agir parce qu'avant cette date, elle ne disposait pas de titre à l'égard du dessin. Selon la défenderesse, Milliken n'avait acquis un titre qu'à la date de la signature de l'acte confirmant la cession, de sorte qu"elle n'avait la qualité pour agir qu'à l'égard des actes accomplis après cette date. Quant à Milliken Canada, il était allégué qu'à aucun moment en cause elle n'avait eu la qualité pour agir parce qu'elle était titulaire d'une licence non exclusive. Pour plus de clarté, j'ai reproduit l'amendement en question ci-dessous :

         [TRADUCTION]
         4. Les demanderesses n'ont pas la qualité requise pour intenter la présente action. Ce n'est qu'en septembre 1992 que Mme Claire Iles a cédé son droit d'auteur à Milliken. Il n'existe aucune cession par écrit. La défenderesse invoque les paragraphes 13(4) et 34(3) de la Loi sur le droit d'auteur. L'acte qui est censé confirmer la cession du 25 septembre 1992 n'a pas créé rétroactivement un intérêt antérieur, alors qu'il n'en n'existait pas, non plus qu'un droit de réclamer à l'égard de violations antérieures. La date effective de l'acte est indéterminée. Pour la période antérieure au 25 septembre 1992, Milliken n'a pas la qualité requise; elle n'est qu'une simple titulaire de licence non exclusive dépourvu d'intérêt et à aucun moment en cause elle n'a eu cette qualité. La défenderesse invoque les paragraphe 34(1), 35(1) et 36(1) de la Loi.

[3]      Le juge Richard a accueilli les amendements. Les dépens de la requête ont été adjugés aux demanderesses indépendamment de l'issue de la cause, toute décision quant aux autres frais découlant directement du dernier amendement à la défense étant réservée au juge qui présiderait l"instruction. Toutefois, la défenderesse a déposé sa défense amendée le 7 novembre 1997, soit deux mois après avoir obtenu la permission de le faire1.

[4]      Le premier jour de l'instruction, j'ai accordé la demande de prolongation du délai présentée par la défenderesse, sans frais, et moyennant la présentation, après le prononcé du jugement, d'observations sur les dépens engagés inutilement, s"il en est, par suite des amendements.

[5]      Le 3 avril 1998, les parties ont comparu devant moi pour présenter leurs observations sur cette question. Les demanderesses prétendent que les amendements tardifs leur ont porté préjudice en ce que la défenderesse a obtenu gain de cause à l"instruction sur la question de la qualité pour agir. Ce préjudice devrait être indemnisé par l'octroi des dépens inutiles parce que l"amendement a rendu superflues plusieurs des démarches entreprises par les demanderesses dans la conduite de l'action. En particulier, ces dernières soulignent les frais liés à l'examen préalable, aux avis préalables à l"instruction ainsi qu'à la préparation et à la comparution de témoins à l"instruction, qui concernaient surtout la question de la violation du droit d'auteur.

[6]      En réponse, la défenderesse a soulevé cinq points. Premièrement, elle a fait valoir que l'action avait été tranchée sur la base de motifs sans rapport avec les amendements et qu'en conséquence, les demanderesses n'avaient pas droit aux dépens inutiles. Deuxièmement, les amendements ne rendaient théorique aucune question pas plus qu'ils ne rendaient sans valeur des frais engagés par les demanderesses. Aucune question n'a été retirée ou abandonnée. Les amendements ne faisaient que préciser les motifs d'ordre juridique pour lesquels la défenderesse s'opposait à la demande des demanderesses. Troisièmement, même si Milliken l'avait emporté sur la question de la qualité requise, elle aurait quand même réussi à obtenir une mesure de redressement pour les actes accomplis après le 25 septembre 1992, dans le cadre de l'action nE T-1212-95, et elle ne peut maintenant prétendre qu'une partie des frais engagés sont devenus sans valeur par suite des amendements. Quatrièmement, la Cour a statué que Milliken n'avait pas prouvé son titre avant le 25 septembre 1992 parce que la facture fournie par Claire Iles était estampillée et non signée. La question de savoir si l'estampillage en guise de signature était suffisant n'a pas été soulevée dans la défense amendée, et elle ne pouvait pas l'être car ce n'est qu'à l"instruction que la défenderesse a découvert cette irrégularité. Cinquièmement, les demanderesses ont toujours eu l'intention de procéder malgré les irrégularités entachant leur titre. La facture n'a été découverte et produite qu'en octobre 1997. Toutefois, les demanderesses se sont fondées sur ce document pour étayer leur cause. Après avoir trouvé le document, les demanderesses devaient savoir qu'il n'était pas signé par Claire Iles. Quant à Milliken Canada, sa licence n'a été signée qu'en décembre 1994, soit deux ans après l'introduction de l'action et le dépôt de la défense de septembre 1994 qui mettait en cause la qualité pour agir de Milliken Canada à titre de titulaire d'une licence.

[7]      Les dépens inutiles sont ceux qui sont consacrés à des activités rendues inutiles par suite de l'amendement recherché, parce qu'une question a été retirée, abandonnée ou autrement rendue théorique. L'expression est bien illustrée par l'exemple suivant, qu'a donné le juge Bouck dans Cominco Limited v. Westinghouse Canada Limited et al.2 :

         [TRADUCTION] Par exemple, il se peut qu'en plein milieu d'une instance, le demandeur modifie complètement sa cause fondée sur la négligence pour la fonder sur l'abus de confiance. Pour répondre à cette nouvelle allégation, il se peut que le défendeur ait à réviser entièrement sa défense et à procéder à de nouveaux interrogatoires préalables. Il se peut que l'ancienne défense et l'ancien examen préalables soient devenus inutiles; le défendeur aura alors droit aux frais de ces procédures parce qu'il a dû engager des dépenses pour se défendre contre des allégations de négligence que le demandeur a subséquemment abandonnées et remplacées par des allégations d'abus de confiance. C'est comme si la cause en négligence du demandeur avait été rejetée ou interrompue et qu'une nouvelle action en abus de confiance avait été introduite.
         Mais certains amendements n'établissent pas une demande entièrement nouvelle. Il arrive souvent qu'après que le demandeur a modifié sa déclaration, le défendeur n'ait pas besoin de modifier sa défense. S'il est nécessaire de procéder à un nouvel examen préalable, ce ne peut être que pour une fin limitée, et la majeure partie sinon la totalité de l'examen préalable antérieur peut encore être utile. En ce sens, les frais de l'examen préalable antérieur n'auraient pas été complètement " inutiles ". Seule une partie de ceux-ci auraient été perdus3.

[8]      Les dépens inutiles doivent être distingués des frais principaux d'un amendement et des frais accessoires à celui-ci qui sont engagés à compter de l'amendement et qui font partie de l'octroi de dépens à l'issue du procès. Ainsi qu'il est dit dans Cominco :

         [TRADUCTION] ...Il semble que l'expression " dépens inutiles " est souvent incluse dans une ordonnance où une partie obtient une suspension d"instance ou la permission d'amender, ou les deux. Cette expression semble aussi viser la même chose qu'une ordonnance pour les " frais principaux et accessoires " relatifs à une suspension ou à un amendement, selon le cas.
         Tous frais engagés par le défendeur à compter de l'amendement sembleraient généraux; c'est-à-dire qu'ils suivent l'issue du procès. Dans ce cas, si les demandeurs obtiennent gain de cause, ces frais lui sont adjugés. Si c'est le défendeur qui gagne, ces frais lui reviennent. Naturellement, toutes ces ordonnances relèvent du pouvoir discrétionnaire du juge du procès4.
[9]      Selon moi, rien ne justifie l'octroi des dépens inutiles en l'espèce. Comme la défenderesse le souligne à juste titre, l'affaire a été tranchée pour des motifs qui n'ont aucun rapport avec les amendements. Elle a été rejetée parce que les demanderesses ne pouvaient se prévaloir de la protection du droit d'auteur en vertu de l'article 64 de la Loi sur le droit d'auteur5, tel qu'il était libellé avant les modifications législatives du 8 juin 1988. Cette conclusion découle du défaut des demanderesses de produire, à l"instruction, des éléments de preuve établissant que le dessin litigieux avait été créé par Claire Iles avant le 8 juin 1988. L'omission des demanderesses de produire une preuve de ce fait allégué m'a amenée à tirer une conclusion défavorable. Ainsi que je l'ai indiqué à l'époque dans les motifs de mon jugement :

         Il reste donc à trancher la question suivante : quand le dessin Mangrove a-t-il été créé? Les demanderesses soutiennent qu'il a été créé en septembre 1988. Toutefois, elles n'offrent aucun élément de preuve à l'appui de cette prétention. Claire Iles n'a pas témoigné à l'instruction et la date de la création n'est pas non plus mentionnée dans l'acte de cession de septembre 1992, lequel aurait pu permettre aux demanderesses de faire confirmer par Mme Iles la date à laquelle elle avait créé l'oeuvre. La preuve soumise à l'instruction indique simplement que le dessin a été créé avant le 11 janvier 1989, date à laquelle Richard Stoyles a acquis le dessin de Mme Iles à l'occasion d'un salon commercial tenu à Francfort, en Allemagne.
         J'estime que l'omission de présenter des éléments de preuve sur un fait aussi substantiel m'autorise à tirer une conclusion défavorable et de conclure que le dessin a été créé avant le mois de juin 1988. Il est en effet bien établi qu'il est possible de tirer une conclusion défavorable lorsqu'une partie omet, sans explication raisonnable, de présenter des éléments de preuve qui lui sont accessibles et qui auraient pu résoudre la question en litige.
         [...]
         En conséquence, je conclus que, dans les circonstances, le dessin Mangrove a été créé avant le 8 juin 1988 et qu'il est donc régi par l'article 64 de la Loi, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur des modifications législatives. Je conclus également que, conformément à cet article, le dessin litigieux ne peut être protégé par le droit d'auteur parce qu'il est susceptible d'enregistrement en vertu de la Loi sur les dessins industriels et qu'il a servi de modèle pour être multiplié par un procédé industriel.
         [...]
         En conséquence, les actions sont rejetées avec dépens6.

[10]      Il incombait aux demanderesses de prouver l'existence du droit d'auteur, élément essentiel de leur allégation de violation de ce droit. Cet élément est sans rapport avec les amendements présentés par la défenderesse sur la question de la qualité pour agir. Cette question a été tranchée subsidiairement, au cas où une erreur aurait été commise au sujet de la question de l'article 64.

[11]      Même si la question de la qualité pour agir avait permis de trancher cette affaire, l'octroi des dépens engagés inutilement ne serait pas davantage justifié. L'examen préalable, les avis préalables à l"instruction et la préparation des témoins en vue de l"instruction n'auraient pas été inutiles. Il a été décidé que Milliken avait la qualité requise pour agir à la date de l'acte confirmant la cession, soit le 25 septembre 1992. Dans l'action jointe, nE T-1212-95, la défenderesse avait allégué la violation du droit d'auteur pour des actes accomplis après cette date. Par conséquent, la question de la violation du droit d'auteur, bien que rendue théorique dans l'action nE T-3016-92, était encore très pertinente dans l'action nE T-1212-95. En conséquence, les demanderesses ne peuvent réclamer à titre de dépens inutiles les frais qu'elles ont engagés pour faire valoir leur cause à l"instruction.

[12]      De plus, les demanderesses connaissaient ou auraient dû connaître les exigences qu'elles devaient satisfaire pour avoir la qualité requise pour agir, et elles ne s'y sont simplement pas conformées. Ce sont les demanderesses qui ont omis de prouver leur titre en ne fournissant pas un document qui satisfaisait aux exigences du paragraphe 13(4) de la Loi sur le droit d'auteur. Malgré les questions précises posées par l'avocat de la défenderesse à l'examen préalable au sujet du document et de sa signature, ce n'est que lors du témoignage de M. Richard Stoyles7 à l"instruction que la question de la suffisance de l'estampillage par Claire Iles a été soulevée. Quant à Milliken Canada, les demanderesses savaient que la licence avait été signée en décembre 1994, soit deux ans après l'introduction de l'action et le dépôt en septembre 1994 de la défense qui remettait en question la qualité pour agir de Milliken Canada à titre de titulaire de licence.

[13]      Par conséquent, je conclus que les demanderesses entendaient poursuivre leur action malgré ces irrégularités, et j'estime qu'il est aujourd'hui difficile de blâmer la défenderesse pour de telles irrégularités ne résultant pas d'amendements à la défense. Les dépens inutiles sont donc refusés.


     " Danièle Tremblay-Lamer "

                                         JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

24 avril 1998


Traduction certifiée conforme :     
                 C. Bélanger, LL.L.

                                        

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER NE :              T-3016-92

INTITULÉ DE LA CAUSE :          MILLIKEN & COMPANY ET AL. c. INTERFACE FLOORING SYSTEMS (CANADA) INC.

DOSSIER NE :              T-1212-95


INTITULÉ DE LA CAUSE :          MILLIKEN & COMPANY c. INTERFACE FLOORING

LIEU DE L'AUDIENCE :          OTTAWA


DATE DE L'AUDIENCE :          3 AVRIL 1998


MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER


EN DATE DU :              24 AVRIL 1998



ONT COMPARU :

Me ALEXANDER MACKLIN ET Me JANE CLARK          POUR LES DEMANDERESSES

Me MICHAEL CHARLES                      POUR LA DÉFENDERESSE


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :


GOWLINGS, STRATHY & HENDERSON              POUR LES DEMANDERESSES

OTTAWA (ONTARIO)

BERESKIN & PARR                          POUR LA DÉFENDERESSE

TORONTO (ONTARIO)

__________________

1      La Règle 428 des Règles de la Cour fédérale, C.R.C. (1978), ch. 663, prévoit que lorsqu'une permission a été accordée pour amender une plaidoirie, il faut que l'amendement soit fait dans le délai prévu par l'ordonnance ou, si aucun délai n'est prévu, comme c'est le cas en l'espèce, dans les deux semaines qui suivent la date de l'ordonnance. Si une partie omet de se conformer à la règle 428, cette ordonnance devient nulle à moins que la Cour ne prolonge le délai.

2      (1980), 16 C.P.C. 19 (C.S.C.-B.).

3      Ibid., à la page 26.

4      Ibid., à la page 25.

5      L.R.C. (1985), ch. C-42.

6      Milliken & Company et al. c. Interface Flooring Systems (Canada) Inc. (5 février 1998), T-3016-92, T-1212-95, aux pages 13 à 17 (C.F. 1re inst.).

7      Ibid., à la page 14.

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