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Date : 20050706

Dossier : IMM-6806-04

Référence : 2005 CF 951

                                                                             

ENTRE :

JEINMY ALVAREZ CHAVES

JORDY QUIEL ALVAREZ

                                        demandeurs

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                                             

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]                Ces motifs suivent l'audition d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. La décision contrôlée est datée du 8 juillet 2004.


[2]                Les demandeurs sont une femme (la demanderesse principale) et son fils mineur. Ils sont citoyens du Costa Rica.

[3]                La demanderesse principale a été mariée lorsqu'elle était fort jeune. Elle raconte qu'au Costa Rica, son mari la dominait au point que cela constituait de la violence psychologique. Le mari de la demanderesse principale aurait eu au Costa Rica des problèmes politiques qui l'auraient amené à s'enfuir au Canada où il a demandé l'asile. La demanderesse principale et son fils l'ont suivi et ont demandé l'asile également .

[4]                Au Canada, le mari de la demanderesse principale a commencé à maltraiter celle-ci. Les conjoints se sont séparés.

[5]                Dans les observations écrites qui ont été soumises à la SPR peu de temps avant que la décision contrôlée eût été rendue, l'avocate des demandeurs a dit ce qui suit en ce qui concerne la preuve dont disposait la SPR :

[TRADUCTION] Mme Alvarez a obtenu l'aide au logement en priorité et la garde de ses enfants lui a été accordée [...], mais son mari a continué à la maltraiter et à la menacer. On a fait appel à la police. Mme Alvarez a obtenu une ordonnance d'interdiction et une ordonnance de non-communication que le mari n'a pas observées [...] Le mari a appris où vivait Mme Alvarez et a continué à la surveiller, ce qui avait pour effet de l'intimider.


Mme Alvarez a témoigné également que son mari avait proféré des menaces explicites après la séparation, à savoir que s'ils retournaient au Costa Rica il la tuerait impunément.[1]

[Renvois omis]

[6]                La demanderesse principale a fourni également à la SPR une preuve au sujet de personnes, au Costa Rica, qu'elle considérait être dans une situation semblable à la sienne. Dans ses observations écrites, voici ce que l'avocate a dit au sujet de la preuve dont disposait la SPR :

[TRADUCTION] Je renvoie le commissaire à la preuve soumise par Mme Alvarez au sujet de certaines personnes qu'elle connaît au Costa Rica, qui sont dans la même situation qu'elle. Mme Alvarez a témoigné au sujet de ses soeurs et de jeunes cousines qui sont victimisées par un prédateur sexuel. En se fondant sur la législation, elles ont fait un rapport complet à la OIJ contre l'homme en question. Toutefois, cet homme, au moyen d'intimidations, les a obligées à se désister de leur plainte. Malgré les lois qui seraient en place pour protéger les mineurs contre de tels abus, on a laissé les jeunes filles retirer les accusations qu'elles avaient portées contre l'homme et aucune enquête plus poussée n'a été menée. Les jeunes filles sont encore en danger. On ne les protège pas [...]

En second lieu, Mme Alvarez a témoigné également au sujet des épreuves traversées par sa propre mère, qui s'est séparée de son mari il y a très longtemps. Selon ce témoignage, la mère est encore menacée et victimisée par son ancien mari et elle ne peut pas obtenir de protection, malgré les dénonciations continuelles qu'elle a faites auprès de la police et des tribunaux. Ces efforts se poursuivent encore, malgré la nouvelle législation sur la violence familiale qui vient d'être adoptée. Selon le témoignage de Mme Alvarez, il est beaucoup trop facile pour l'agresseur d'éviter ses obligations et de se soustraire à la police, et la police ne fait pas d'efforts sérieux pour qu'il se conforme[...][2]

[Renvois omis]

[7]                Dans sa décision, la SPR n'a pas fait mention expressément de la preuve susmentionnée dont elle était saisie.

[8]                Dans l'arrêt Mendivil c. Canada (Secrétaire d'État)[3], la juge Desjardins a fait les remarques suivantes au paragraphe 11 :

[...] Il appert qu'ils [les commissaires] n'ont pas envisagé la possibilité que des personnes spécialement visées et qui de ce fait peuvent être considérées comme membres d'un groupe social particulier, puissent toujours craindre avec raison d'être persécutées, dans les cas où l'État peut protéger les citoyens ordinaires mais est dans l'incapacité de protéger les membres de ce groupe social. [...] En outre, je ne suis pas certaine que les membres de la Commission aient apprécié les faits dans leur ensemble, puisqu'ils ne faisaient pas état des incidents de 1992. Je doute qu'ils aient pris en considération tous les éléments de preuve produits.

[9]                Dans l'arrêt Torres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[4], mon collègue le juge Russell a dit ce qui suit, aux paragraphes 16 et 17 :

Lorsque j'examine la décision dans son ensemble, il n'est pas évident pour moi que la Commission a abordé la question de la crainte de la demanderesse au sujet de l'insuffisance de la protection de la police et de la difficulté pour elle de se prévaloir avec succès du mécanisme législatif et procédural existant de protection de l'État au Nicaragua. Il me semble que la Commission n'a jamais vraiment tenu compte de la préoccupation de la demanderesse au sujet de l'incapacité de la police et d'autres groupes de soutien d'assurer une protection efficace. Je crois que son témoignage était clair et convaincant et qu'il établissait que la police et les groupes en question n'avaient pas pu la protéger de son père dans le passé et qu'ils ne pourraient le faire à l'avenir. La Commission aurait dû se pencher sur cette question et l'aborder directement dans ses motifs.


Je n'irais pas jusqu'à dire, évidemment, que la décision aurait nécessairement été différente si la Commission avait examiné cette question, mais son défaut de le faire constitue une erreur qui justifie notre intervention et il serait imprudent de laisser cette décision inchangée. La Commission a omis d'analyser effectivement non seulement s'il existait un cadre législatif et procédural de protection, mais également si, par l'intermédiaire de la police ou par d'autres moyens, l'État était disposé à en mettre effectivement en oeuvre les dispositions.

[10]            Dans la décision contrôlée, la SPR n'a pas analysé ou même mentionné expressément les éléments suivants :

premièrement, les difficultés auxquelles la demanderesse principale avait fait face ici au Canada après s'être séparée de son mari, et ce, alors même qu'une ordonnance d'interdiction et une ordonnance de non-communication avaient été rendues mais se sont avérées inefficaces;

deuxièmement, la question du caractère adéquat de la protection étatique accordée au Costa Rica à la demanderesse principale eu égard à la preuve de menaces fort explicites proférées par son mari si elle retournait au Costa Rica;

et enfin, la preuve de la demanderesse principale concernant des personnes au Costa Rica qui seraient, selon elle dans une situation semblable à la sienne si elle était obligée de retourner au Costa Rica, étant donné que son mari est maintenant retourné dans ce pays ou qu'il y retournera probablement bientôt. La SPR s'est fondée entièrement sur une analyse de la « protection étatique » et des « changements dans la situation du pays » sans mentionner les présumées circonstances spéciales qui s'appliquent à la demanderesse principale et aux membres de sa famille immédiate.


[11]            Comme le juge Russell l'a fait remarquer dans le passage précité des motifs qu'il a prononcés dans l'affaire Torres, même si la SPR avait examiné explicitement la preuve concernant la demanderesse principale elle-même, cela ne veut pas dire que la décision aurait nécessairement été différente. Cela veut plutôt dire que l'omission d'examiner cette preuve constitue une erreur susceptible de révision et qu'il serait « peu prudent » de maintenir la décision litigieuse.

[12]            Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision contrôlée est annulée et l'affaire est renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'elle entende de nouveau l'affaire et rende une nouvelle décision.

[13]            À la fin de l'audience, les avocats ont été informés du sort de l'instance. Ni l'un ni l'autre n'a recommandé la certification d'une question. La Cour convient qu'elle est saisie d'un cas d'espèce qui dépend de faits particuliers et uniques en leur genre. Aucune question ne sera certifiée.

          « Frederick E. Gibson »          

          Juge                   

Le 6 juillet 2005

Toronto (Ontario)

Traduction certifiée conforme

Julie Poirier, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-6806-04

INTITULÉ :                                                                JEINMY ALVAREZ CHAVES

JORDY QUIEL ALVAREZ

                                                                                                                  demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                     défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                                       LE 5 JUILLET 2005

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                          LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 6 JUILLET 2005

COMPARUTIONS :

Patricia Wells                                                                Pour les demandeurs

Kareena R. Wilding                                                       Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Patricia Wells

Toronto (Ontario)                                                          Pour les demandeurs

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                Pour le défendeur



[1]Dossier du tribunal, page 67.

[2]Dossier du tribunal, pages 73 et 74.

[3](1994), 23 Imm. L.R.(2d) 225 (C.A.F.).

[4][2005] A.C.F. no 812.

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