Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20191220


Dossier : T‑663‑19

Référence : 2019 CF 1648

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Fothergill

 

ENTRE :

ANDRIY VOLODYMYROVYCH PORTNOV

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  M. Portnov est un citoyen de l’Ukraine. De 2006 à 2010, il était un député élu du Parlement ukrainien. Il a ensuite été conseiller de l’ancien président ukrainien Viktor Yanukovych jusqu’en février 2014, moment où le gouvernement a changé. Un nouveau gouvernement a été constitué sous le président Petro Poroshenko, et M. Portnov a quitté l’Ukraine peu après.

[2]  Le 3 mars 2014, le nouveau gouvernement ukrainien a envoyé des communications officielles à de nombreuses entités internationales, dont le Canada, dans lesquelles il alléguait que les anciens représentants du gouvernement, y compris M. Portnov, avaient participé au détournement de fonds publics. Une de ces communications a été envoyée par le nouveau procureur général de l’Ukraine, Oleh Makhnitskyi, à l’ancien premier ministre du Canada, soit Stephen Harper [la lettre de Makhnitskyi].

[3]  En réponse à la lettre de Makhnitskyi, le Canada a imposé des mesures restrictives au titre de la Loi sur les mesures économiques spéciales, LC 1992, c 17, et de la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, LC 2011, c 10 [la LBBDEC]. Plus particulièrement, le Canada a adopté des sanctions économiques punitives au titre du Règlement sur les mesures économiques spéciales visant l’Ukraine, DORS/2014‑60, et du Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie, DORS/2014‑58.

[4]  Le 5 mars 2014, le Canada a également pris le Règlement sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus (Ukraine), DORS/2014‑44, [le Règlement sur le BBDECU) qui prévoyait une « période de cinq ans pour terminer les enquêtes criminelles et présenter au Canada des demandes d’entraide juridique pouvant donner lieu à des poursuites ». Le nom de M. Portnov figurait à l’annexe du Règlement sur le BBDECU.

[5]  Le 3 novembre 2017, M. Portnov a demandé un contrôle judiciaire de l’inscription de son nom à l’annexe du Règlement sur le BBDECU. Il a soutenu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve permettant d’établir sa participation au détournement de fonds de l’Ukraine. Le juge Michael Manson a rejeté la demande de contrôle judiciaire de M. Portnov, principalement au motif que le ministre était justifié à ajouter le nom de M. Portnov à l’annexe en fonction seulement de l’allégation d’acte irrégulier contenue dans la lettre de Makhnitskyi (Portnov c Canada (Affaires étrangères), 2018 CF 1248 [Portnov], aux par. 33, 42 et 43).

[6]  Le 4 mars 2019, le gouverneur en conseil a pris le Décret prolongeant la période de validité du Règlement sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus (Ukraine), DORS/2019‑69, [le décret de prolongation]. Le décret de prolongation avait pour effet de prolonger le Règlement sur le BBDECU pendant cinq autres années. Deux noms inscrits antérieurement à l’annexe ont été omis du décret de prolongation, mais le nom de M. Portnov y est demeuré.

[7]  M. Portnov sollicite maintenant le contrôle judiciaire du décret de prolongation. Il affirme qu’une nouvelle communication du gouvernement ukrainien confirmant qu’il faisait toujours l’objet d’une enquête était nécessaire avant que le décret de prolongation ne puisse être pris. Le ministre ne partage pas cet avis.

[8]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

II.  Le contexte

[9]  Au cours des cinq dernières années, M. Portnov s’est efforcé de rétablir sa réputation dans les divers ressorts où des mesures restrictives lui ont été imposées. Il a demandé au Conseil européen de retirer ses mesures restrictives et il a également contesté ces mesures devant la Cour européenne de justice [la CEJ]. Le 6 mars 2015, le Conseil européen a informé M. Portnov qu’il retirerait les mesures restrictives. La CEJ a par la suite conclu que les motifs présentés par le gouvernement ukrainien pour soutenir les mesures étaient insuffisants. La Suisse et la Norvège ont également retiré leurs mesures restrictives à l’encontre de M. Portnov.

[10]  M. Portnov a envoyé plusieurs lettres au gouvernement du Canada pour demander que son nom soit supprimé de l’annexe du Règlement sur le BBDECU. À ses lettres, il a joint les communications officielles suivantes des responsables de l’Ukraine :

[11]  Entre mars 2016 et juillet 2018, l’ambassade de l’Ukraine au Canada a envoyé quatre lettres au ministre confirmant que deux enquêtes sur les allégations de détournement de biens de l’État, d’enrichissement illicite et d’abus de pouvoir, par M. Portnov, étaient en cours. Une lettre comportait une allégation selon laquelle M. Portnov avait organisé des [traduction« meurtres prémédités » et une recommandation que son nom demeure inscrit à l’annexe du Règlement sur le BBDECU.

[12]  Le 5 février 2019, M. Portnov a demandé au ministre d’enquêter la véracité des allégations de l’ambassade de l’Ukraine contre lui et de ne pas inclure son nom dans tout renouvellement du Règlement sur le BBDECU. Il n’a pas reçu de réponse.

[13]  Le 20 février 2019, le tribunal du district de Pecherskyi de Kiev a conclu que M. Portnov n’avait jamais été officiellement identifié et qu’aucune accusation n’avait été portée contre lui en tant que suspect et qu’il n’avait jamais été accusé dans le cadre des enquêtes mentionnées dans les lettres provenant de l’ambassade de l’Ukraine au Canada.

[14]  Le 25 février 2019, le tribunal administratif de district de Kiev a conclu que l’ambassade de l’Ukraine au Canada avait porté atteinte aux droits de M. Portnov lorsqu’elle avait rapporté des renseignements faux concernant la participation de ce dernier à des infractions criminelles. Le 26 février 2019, le tribunal de Percherskyi a ordonné au ministère des Affaires étrangères de l’Ukraine de corriger les faux renseignements.

[15]  M. Portnov a informé le ministre des jugements ukrainiens. Le Canada a accepté de communiquer les lettres de M. Portnov à l’ambassade de l’Ukraine.

[16]  Le jour même que le gouverneur en conseil prenait le décret de prolongation, le Règlement modifiant le Règlement sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus (Ukraine), DORS/2019‑68, [le Règlement de modification] a également été pris. Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation sur le décret de prolongation et le Règlement de modification énonce ceci : « L’information reçue par le gouvernement du Canada appuie la prolongation du Règlement par rapport à 16 des 18 personnes actuellement inscrites sur la liste. » Aucun autre détail n’a été fourni.

[17]  La demande de contrôle judiciaire du décret de prolongation présentée par M. Portnov comprenait une demande en vertu de l’article 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, concernant des documents contenant le dossier de la décision du gouverneur en conseil. Le ministre a répondu ce qui suit :

 

[traduction]

Les documents demandés ne sont pas pertinents à la demande. Les documents demandés se rapportent à la décision de 2014 au titre de l’article 4 de la Loi visant à inclure M. Portnov dans le Règlement et ne sont pas pertinents à la décision au titre de l’article 6 visant à prolonger l’application de ce Règlement;

Dans la mesure où les documents constituent des conseils ou des recommandations formulées à l’intention du gouverneur en conseil, ces documents constituent des documents confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada aux termes de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada;

Les documents demandés peuvent également être protégés au titre de l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, en tant que renseignements sensibles qui concernent les relations internationales.

[18]  M. Portnov n’a pas demandé à la Cour de rendre une ordonnance obligeant la production d’autres documents. Le ministre n’a pas non plus déposé une demande au titre des articles 38 ou 39 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C‑5, visant à retenir des documents aux motifs de préjudice aux relations internationales ou de la confidentialité du Cabinet.

[19]  À l’audience de la présente demande, M. Portnov a fourni un affidavit supplémentaire pour démontrer qu’il a tenu le ministre au courant des jugements et de la correspondance pertinents des tribunaux ukrainiens, notamment :

III.  Les questions en litige

[20]  Le ministre a d’abord adopté la thèse selon laquelle la présente demande de contrôle judiciaire visait à tenter de débattre à nouveau des questions qui avaient été tranchées antérieurement par le juge Manson dans Portnov et constituait donc un abus de procédure. Toutefois, le ministre a abandonné cet argument dans sa plaidoirie.

[21]  La seule question qui reste à trancher est de savoir si le décret de prolongation a été pris sans compétence.

IV.  Analyse

[22]  Lorsque cette affaire a été débattue le 2 décembre 2019, la Cour suprême du Canada n’avait pas encore rendu son jugement dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Dans Portnov, le juge Manson a conclu que la question de savoir si un règlement a été pris dans les limites de la portée de sa loi habilitante était une question de droit, qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Portnov aux par. 25 et 26, citant Canada c Conseil canadien pour les réfugiés, 2008 CAF 229, au par. 57; Katz Group Canada Inc c Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64 [Katz Group]; Canada (Procureur général) c Mercier, 2010 CAF 167, aux par. 78 et 79). Les parties ont donc accepté que le décret de prolongation pris par le gouverneur en conseil soit susceptible de contrôle par la Cour selon la norme de la décision correcte.

[23]  Dans Vavilov, les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada ont déclaré qu’ils étaient d’avis de « mettre fin à la reconnaissance des questions de compétence comme une catégorie distincte devant faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte » (par. 65). Les catégories de décisions qui demeurent soumises au contrôle selon la norme de la décision correcte se limitent désormais à celles délimitées par une intention législative claire (par. 34 à 52) ou lorsque cela est nécessaire pour respecter la primauté du droit, c’est‑à‑dire, les questions constitutionnelles, les questions générales de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions concernant les délimitations des compétences entre deux ou plusieurs organismes administratifs (par. 55 à 68). Aucune de ces exceptions ne s’applique en l’espèce.

[24]  À la lumière de Vavilov, le décret de prolongation pris par le gouverneur en conseil est susceptible de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable. Toutefois, comme le juge Manson a conclu dans Portnov, au paragraphe 27, rien ne dépend en fin de compte de cette question. Le résultat est le même, peu importe si la norme de contrôle applicable est la décision correcte ou la décision raisonnable.

[25]  M. Portnov soutient que le gouverneur en conseil n’avait pas compétence pour prendre le décret de prolongation, parce que le gouvernement de l’Ukraine n’avait pas envoyé une nouvelle communication demandant qu’il demeure visé par le Règlement sur le BBDECU.

[26]  Les dispositions applicables de la LBBDEC sont les suivantes :

Décrets et règlements

4 (1) Si un État étranger, par écrit, déclare au gouvernement du Canada qu’une personne a détourné des biens de l’État étranger ou a acquis des biens de façon inappropriée en raison de sa charge ou de liens personnels ou d’affaires et demande au gouvernement du Canada de bloquer les biens de la personne, le gouverneur en conseil peut :

a) prendre tout décret ou règlement qu’il estime nécessaire concernant la restriction ou l’interdiction, à l’égard des biens de la personne, des activités énumérées au paragraphe (3);

b) par décret, saisir, bloquer ou mettre sous séquestre, de la façon prévue par le décret, tout bien situé au Canada et détenu par la personne.

Orders and regulations

4 (1) If a foreign state, in writing, asserts to the Government of Canada that a person has misappropriated property of the foreign state or acquired property inappropriately by virtue of their office or a personal or business relationship and asks the Government of Canada to freeze property of the person, the Governor in Council may

(a) make any orders or regulations with respect to the restriction or prohibition of any of the activities referred to in subsection (3) in relation to the person’s property that the Governor in Council considers necessary; and

(b) by order, cause to be seized, frozen or sequestrated in the manner set out in the order any of the person’s property situated in Canada.

Conditions

(2) Il ne peut toutefois prendre le décret ou règlement que s’il est convaincu que les conditions ci‑après sont remplies :

a) la personne est, relativement à l’État étranger, un étranger politiquement vulnérable;

b) il y a des troubles internes ou une situation politique incertaine dans l’État étranger;

c) la prise du décret ou règlement est dans l’intérêt des relations internationales.

[…]

Conditions

(2) The Governor in Council may make the order or regulation only if the Governor in Council is satisfied that

(a) the person is, in relation to the foreign state, a politically exposed foreign person;

(b) there is internal turmoil, or an uncertain political situation, in the foreign state; and

(c) the making of the order or regulation is in the interest of international relations.

Période de validité

6 Le décret ou règlement pris en vertu de l’article 4 à l’égard d’un étranger politiquement vulnérable cesse d’avoir effet cinq ans après sa date d’entrée en vigueur à moins que le gouverneur en conseil ne prolonge, par décret, sa période de validité de la période qui y est précisée. La période de validité peut être prolongée plus d’une fois.

Duration

6 An order or regulation made under section 4 in respect of a politically exposed foreign person ceases to have effect on the day that is five years after the day on which it comes into force unless the Governor in Council, by order, extends it for the period specified in the order. It may be extended more than once.

[27]  Selon M. Portnov, l’article 6 est une disposition de temporisation qui limite à cinq ans la durée des décrets et des règlements pris en vertu du paragraphe 4(1), à moins qu’ils ne soient renouvelés par le gouverneur en conseil. L’article 6 ne prescrit pas expressément les conditions de renouvellement, mais son but, comme celui de toutes les dispositions de temporisation, est d’exiger que les décrets et les règlements soient révisés afin de veiller à ce qu’ils ne reposent pas sur des renseignements périmés. Une nouvelle déclaration écrite est donc nécessaire de la part de l’État requérant, en l’espèce l’Ukraine, affirmant le détournement de fonds et demandant au Canada de bloquer les biens qui auraient été détournés, avant qu’un décret ou un règlement pris en vertu du paragraphe 4(1) ne puisse être renouvelé.

[28]  Le ministre répond qu’un règlement est présumé avoir été valablement pris (citant Katz Group, aux par. 25 et 26). Il incombe à la partie qui invoque l’invalidité de démontrer que le règlement a été pris sans compétence. La Cour devrait favoriser une interprétation qui concilie un règlement avec sa loi habilitante. Une affirmation selon laquelle un règlement outrepassait la compétence du gouverneur en conseil ne permet pas à la Cour d’examiner le bien‑fondé du règlement pour déterminer s’il est nécessaire, sage et efficace dans la pratique.

[29]  Selon le ministre, la décision du législateur de ne pas exiger une déclaration à jour ou nouvelle d’un État étranger avant d’autoriser un renouvellement en vertu de l’article 6 de la LBBDEC est présumée être délibérée. En outre, l’adoption de l’interprétation de l’article 6 favorisée par M. Portnov pourrait nuire aux objectifs de la LBBDEC. Comme la juge Martine St‑Louis a conclu dans Djilani c Canada (Affaires étrangères), 2017 CF 1178 [Djilani] au par. 100 :

[La LBBDEC] a été adoptée afin de permettre à l’État aux prises avec une situation politique incertaine de demander au Canada de bloquer les biens possiblement détournés de certaines personnes en attendant que la situation se rétablisse et que l’État puisse obtenir des preuves et effectuer des enquêtes à l’égard de ces personnes ou biens. […]

[30]  Le ministre soutient que la disposition de temporisation figurant à l’article 6 de la LBBDEC est valable, sans que l’État requérant ne soit tenu de présenter une nouvelle communication écrite : le gouverneur en conseil a le pouvoir discrétionnaire absolu de revoir les décrets et les règlements pris en vertu du paragraphe 4(1) pour déterminer si leur renouvellement cadre avec les objectifs de la LBBDEC et l’intérêt public canadien.

[31]  Afin de réfuter la présomption de validité, M. Portnov doit établir que le décret de prolongation est « incompatible avec l’objectif de [l]a loi habilitante ou encore [s]’il déborde le cadre du mandat prévu par la Loi » au point, par exemple, de reposer sur des considérations « sans importance », d’être « non pertinent » ou d’être « complètement étranger » à l’objet de la loi (West Fraser Mills Ltd c Colombie‑Britannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal), 2018 CSC 22, au par. 12, citant Katz Group, aux par. 24 et 28). Toutefois, une lecture simple de l’article 6 de la LBBDEC n’étaye pas l’argument de M. Portnov selon lequel un décret ou un règlement pris en vertu du paragraphe 4(1) peut être renouvelé uniquement sur demande supplémentaire d’un État étranger de bloquer les biens d’une personne politiquement vulnérable. Rien dans la LBBDEC n’exige qu’une telle condition fasse partie du régime. Un pouvoir discrétionnaire absolu du ministre de recommander le maintien de mesures restrictives à l’encontre des étrangers politiquement vulnérables est conforme aux objectifs de la LBBDEC, comme la Cour l’a exprimé dans Djilani.

[32]  Dans Portnov, le juge Manson a conclu que le règlement pris en vertu de la LBBDEC peut l’être sans aucune preuve des allégations formulées par l’État étranger. Le paragraphe 4(1) de la LBBDEC exige uniquement une déclaration écrite, comme la lettre de Makhnitskyi. Le juge Manson a rejeté l’argument de M. Portnov selon lequel le ministre ne pouvait pas s’appuyer sur la lettre de Makhnitskyi sans vérifier le fond des allégations qu’elle contenait. Il a également rejeté l’argument de M. Portnov selon lequel le ministre ne pouvait pas recommander qu’il continue d’être inscrit à l’annexe du Règlement sur le BBDECU, étant donné la preuve contraire qu’il avait fournie (Portnov, aux par. 33 à 43).

[33]  Le seul motif pour lequel une personne peut contester son inclusion à une annexe d’un règlement pris en vertu de la LBBDEC est prévu à l’article 13, aux termes duquel une demande peut être présentée par écrit au ministre « de cesser d’être visée par le décret ou règlement au motif qu’elle n’est pas un étranger politiquement vulnérable ». M. Portnov reconnaît qu’il est un étranger politiquement vulnérable au sens de la loi.

[34]  Conformément à l’analyse du juge Manson dans Portnov, je conclus que le ministre était justifié de maintenir le nom de M. Portnov à l’annexe du Règlement sur le BBDECU, sans aucune autre communication du gouvernement de l’Ukraine confirmant qu’il fait toujours l’objet d’une enquête pour détournement de fonds publics. Le ministre n’était pas légalement tenu de vérifier de manière indépendante les allégations contenues dans la lettre de Makhnitskyi, de déterminer si elles demeurent à jour ou de réfuter la preuve contraire fournie par M. Portnov. La recommandation du ministre de prendre le décret de prolongation constituait un exercice valide de la prérogative de la Couronne sur la conduite des affaires étrangères.

[35]  M. Portnov objecte que cette interprétation de la LBBDEC confère au gouverneur en conseil un pouvoir illimité d’intervenir de manière arbitraire et indéfinie à l’égard des biens d’un dirigeant étranger politiquement vulnérable. Le régime législatif offre un système de freins et contrepoids minimal et aucune possibilité d’examen valable. Les règlements et les décrets pris en vertu de la LBBDEC peuvent avoir une incidence importante sur une personne qui est une cible politique d’un État étranger.

[36]  Il s’agit de préoccupations légitimes, et je n’exclus pas la possibilité que, dans un cas approprié, la Cour puisse s’enquérir des motifs du ministre de recommander que le gouverneur en conseil prenne un décret ou un règlement en vertu du paragraphe 4(1) de la LBBDEC ou qu’il renouvelle un décret ou un règlement en vertu de l’article 6. Bien que la Cour manque d’expertise dans la conduite des affaires étrangères, et les décisions rendues dans ce contexte ne sont pas habituellement justiciables, elle conserve un pouvoir de surveillance pour s’assurer que les pouvoirs conférés par la LBBDEC ne sont pas exercés de manière capricieuse, arbitraire ou à des fins inappropriées.

[37]  Toutefois, il incombe à la partie qui affirme l’invalidité d’un renouvellement en vertu de l’article 6 de la LBBDEC d’établir que le gouverneur en conseil a agi d’une manière non autorisée par la loi. La Cour ne dispose d’aucun élément de preuve selon lequel le renouvellement du Règlement sur le BBDECU par le gouverneur en conseil ou la décision de conserver le nom de M. Portnov à l’annexe étaient motivés par des considérations inappropriées. Au contraire, la preuve établit que le ministre a tenu compte des renseignements fournis par M. Portnov concernant son innocence et qu’il prend des mesures raisonnables pour régler le différend d’une manière compatible avec la responsabilité du ministre dans la conduite des relations internationales du Canada.

V.  Conclusion

[38]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

« Simon Fothergill »

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour de janvier 2020

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur



 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.