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  Date : 20200116


Dossier : IMM-2255-19

Référence : 2020 CF 57

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

AMRITVEER SINGH BAINS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Amritveer Singh Bains, a demandé un permis de travail, en s’appuyant sur son mariage avec une étrangère étudiant à temps plein au Canada. Dans une lettre datée du 6 février 2019, un agent de la section des visas du haut-commissariat du Canada à New Delhi, en Inde, a refusé sa demande. L’agent a conclu que M. Bains était interdit de territoire au Canada aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], pour avoir directement ou indirectement fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou exprimé une réticence sur ce fait, ce qui a entraîné ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

[2]  Mme Bains a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent, conformément au paragraphe 72(1) de la LIPR. Il demande à la Cour de rendre un jugement déclaratoire annulant la décision et de renvoyer l’affaire pour jugement, conformément aux directives que la Cour juge appropriées. La Cour doit donc trancher la question de savoir si elle accorde ou non la réparation demandée.

[3]  La demande de contrôle judiciaire de M. Bains est rejetée, et ce, pour les motifs qui suivent.

I.  Contexte

[4]  M. Bains est citoyen de l’Inde. Il travaille avec son père comme agriculteur depuis qu’il a terminé sa dixième année. M. Bains affirme qu’il est malentendant depuis l’âge de sept ou huit ans et qu’il a besoin d’appareils auditifs pour communiquer.

[5]  M. Bains soutient que son mariage avec Simranjeet Kaur a été arrangé par leurs familles respectives et qu’ils se sont rencontrés pour la première fois environ deux ans avant leur mariage, lorsque leurs familles ont commencé à discuter de leur avenir en tant que couple.

[6]  M. Bains soutient, en outre, que sa famille a tenu compte de plusieurs facteurs avant d’accepter le mariage, notamment du fait que Mme Kaur appartient à une famille sikhe de propriétaires terriens jouissant d’une bonne réputation au sein de la collectivité, que les membres de la famille sont des sikhs très pieux et que Mme Kaur et lui ont à peu près le même âge. M. Bains et Mme Kaur se sont fiancés au début du mois d’octobre 2016. Ils ont célébré leur mariage au début du mois de mai 2018.

[7]  Mme Kaur est venue au Canada pour étudier en mai 2017, soit avant le mariage. Après le mariage, M. Bains a habité avec son épouse pendant environ deux semaines. À la fin de mai 2018, elle est revenue au Canada pour reprendre ses études. M. Bains affirme qu’en septembre 2018, son épouse a emménagé avec sa mère, son père, sa sœur et son frère à lui; ces derniers avaient immigré au Canada dans le cadre du programme destiné aux investisseurs agricoles. L’épouse de M. Bains vit toujours avec eux.

[8]  En juin 2018, M. Bains a présenté une demande de permis de travail à titre d’époux qui accompagne une personne admise dans le cadre du programme pour étudiants. Sa demande a été approuvée au départ, mais a été annulée par la suite en raison de préoccupations quant à l’authenticité de son mariage.

[9]  Au début de novembre 2018, M. Bains a reçu une lettre le convoquant à une entrevue au bureau des visas de New Delhi. La lettre indiquait que M. Bains devait se présenter à une entrevue pour que le traitement de sa demande se poursuive et qu’il devait y apporter tous les documents requis. L’entrevue a eu lieu le 20 novembre 2018 au haut-commissariat à New Delhi.

II.  La décision de l’agent

[10]  L’agent a refusé la demande de permis de travail temporaire de M. Bains en tant qu’époux accompagnateur, étant donné qu’il n’était pas convaincu que ce dernier avait répondu honnêtement à toutes les questions posées durant l’entrevue. L’agent a donc conclu que M. Bains était interdit de territoire au Canada aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, pour avoir directement ou indirectement fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou exprimé une réticence sur ce fait, ce qui a entraîné ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Dans la lettre de refus, l’agent a informé M. Bains que, par application de l’alinéa 40(2)a), il serait interdit de territoire au Canada pour une période de cinq ans, à compter de la date de la lettre de refus.

[11]  Selon les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC], deux agents ont examiné la demande de M. Bains, soit l’agent des visas qui a mené l’entrevue et celui qui a pris la décision visée par la demande de contrôle judiciaire.

[12]  L’agent des visas qui a interrogé M. Bains et son épouse a recommandé que M. Bains soit déclaré interdit de territoire au Canada, aux termes de l’article 40 de la LIPR. L’agent des visas n’était pas convaincu de l’authenticité de la relation conjugale qu’entretenaient M. Bains et son épouse. Il était d’avis que la famille de M. Bains avait organisé le mariage à des fins d’immigration.

[13]  L’agent des visas ne savait pas si M. Bains avait des problèmes médicaux autres que la déficience auditive divulguée. L’agent a relevé que M. Bains portait un appareil auditif pendant l’entrevue et qu’il n’avait pas démontré qu’il était incapable d’entendre les questions qui lui étaient posées. En se fondant sur l’entrevue et les observations présentées à l’appui, l’agent des visas a conclu que le mariage avait été contracté uniquement à des fins d’immigration, soit pour permettre à M. Bains d’être admis au Canada en tant qu’époux.

[14]  L’agent a fait observer dans les notes consignées dans le SMGC que, lors de l’entrevue, l’agent des visas a informé M. Bains de ses préoccupations et des conséquences qu’aurait pour lui toute conclusion aux termes de l’article 40 de la LIPR. De l’avis de l’agent, M. Bains n’a pas fourni suffisamment de renseignements ou d’explications concernant l’évolution de sa relation avec Mme Kaur pour étayer la conclusion selon laquelle leur mariage est authentique.

[15]  L’agent a conclu que M. Bains n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve ou d’explications à l’appui de communications régulières au sein du couple avant et après le mariage. L’agent s’est référé au paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR]. Cette disposition précise que l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR ou n’est pas authentique.

[16]  L’agent a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que M. Bains n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve ou d’explications pour démontrer que la relation conjugale était authentique ou qu’elle ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR. L’agent a souligné qu’il est important de répondre à la définition de membre de la famille lors de l’évaluation de l’admissibilité à un permis de travail en tant qu’époux d’une personne admise dans le cadre d’un programme pour étudiants. Selon l’agent, si M. Bains avait été considéré comme un époux, cette conclusion aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR, étant donné que M. Bains aurait pu se voir délivrer par erreur un permis de travail.

[17]  L’agent a donc conclu que M. Bains était interdit de territoire au Canada aux termes de l’article 40 de la LIPR et a rejeté sa demande. L’agent a conclu les notes qu’il a versées dans le SMGC en faisant observer que, conformément à l’alinéa 40(2)a) de la LIPR, l’étranger qui est déclaré interdit de territoire pour fausses déclarations est frappé par cette interdiction pour une période de cinq ans suivant la date de la lettre de refus.

III.  Les nouveaux éléments de preuve sont-ils admissibles?

[18]  Le défendeur fait objection au dossier de la demande et à la preuve par affidavit de M. Bains, puisque ceux-ci contiennent des explications, des pièces jointes et des renseignements nouveaux, dont bon nombre sont postérieurs à la lettre de refus, qui n’avaient pas été présentés à l’agent et qui n’avaient pas été fournis avec la demande de M. Bains ni lors de l’entrevue. Le défendeur soutient qu’il n’est pas loisible à M. Bains, dans le cadre du présent contrôle judiciaire, d’ajouter au dossier de nouveaux éléments de preuve ni d’étoffer ses arguments portant que l’agent a commis une erreur.

[19]  Le défendeur affirme que M. Bains s’appuie sur des éléments de preuve dont ne disposait pas l’agent et que la Cour devrait radier les pièces F, G, I et L jointes à l’affidavit de Mme Kaur ou ne leur accorder aucun poids. Il soutient également qu’aucun poids ne devrait être accordé à l’affidavit de Kuldeep Singh, dans la mesure où celui-ci ajoute des éléments au dossier et fournit des explications que ni M. Bains ni son épouse n’ont avancées afin de créer l’illusion qu’il y a eu erreur de la part de l’agent.

[20]  En réponse, M. Bains affirme que les éléments de preuve et les observations devraient être admis, puisqu’ils étayent la conclusion selon laquelle il a été victime d’une entorse à l’équité procédurale. M. Bains soutient également que de nouveaux éléments de preuve peuvent être admis lors du contrôle judiciaire pour relever des vices de procédure qui ne peuvent être décelés dans le dossier dont disposait le décideur.

[21]  Les éléments de preuve que M. Bains cherche à produire sont des transcriptions de messages textes que son épouse et lui se sont échangés, des relevés d’appels téléphoniques, des lettres de divers membres de la famille, un affidavit de son père et une copie des comptes bancaires conjoints et de l’assurance-vie du couple.

[22]  Je conviens avec le défendeur que les nouveaux éléments de preuve que M. Bains cherche à produire sont inadmissibles et doivent donc être rayés du dossier, étant donné qu’ils ne sont visés par aucune des exceptions reconnues à la règle générale qui interdit la présentation de nouveaux éléments de preuve dans une instance de contrôle judiciaire.

[23]  La Cour peut admettre de nouveaux éléments de preuve lors d’un contrôle judiciaire dans trois situations reconnues (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au par. 20 (Access Copyright)).

[24]  Premièrement, la Cour peut admettre les nouveaux éléments de preuve qui contiennent des informations générales et des renseignements susceptibles de l’aider à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire, mais qui n’apportent aucune nouvelle preuve quant au fond de la demande. Deuxièmement, la Cour peut le faire si les nouveaux éléments de preuve portent à son attention des vices de procédure qui ne peuvent être décelés dans le dossier de la preuve du décideur. Troisièmement, elle y est autorisée lorsque les nouveaux éléments de preuve font ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le décideur lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée.

[25]  Les nouveaux éléments de preuve ne fournissent pas d’informations générales. Ils ajoutent plutôt de nouveaux éléments qui se rapportent au fond de l’affaire tranchée par l’agent. En admettant ces nouveaux éléments de preuve, la Cour risquerait d’empiéter sur le rôle de ce dernier (Access Copyright, au par. 20). Par conséquent, la première exception ne s’applique pas.

[26]  En ce qui concerne la deuxième exception, bien que M. Bains prétende qu’il y a eu entorse à l’équité procédurale, les nouveaux éléments de preuve ne portent pas à l’attention de la Cour des vices de procédure qui ne pouvaient être décelés dans le dossier de la preuve de l’agent.

[27]  Les nouveaux éléments de preuve ne devraient pas être admis, étant donné qu’ils ne font pas état des vices de procédure allégués par M. Bains. Selon M. Bains, l’agent des visas ne l’a pas informé de la nature de l’entrevue et des documents qu’il devait y apporter, et ne lui a pas donné la possibilité de répondre à ses préoccupations pendant l’entrevue. Les éléments de preuve que M. Bains cherche à produire ne répondent pas à ces préoccupations ni ne portent à l’attention de la Cour des vices de procédure qui ne peuvent être décelés dans le dossier de la preuve de l’agent.

[28]  En dernier lieu, aucun des nouveaux éléments de preuve ne permet de faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait l’agent lorsqu’il a tiré ses conclusions. La troisième exception ne s’applique pas non plus dans les présentes circonstances.

[29]  La nature des éléments de preuve que M. Bains cherche à produire est telle qu’ils se rapportent au fond de la décision de l’agent. Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Access Copyright (aux par. 17 et 18), la Cour ne peut examiner que la légalité générale de ce que le décideur a fait et ne peut se pencher sur le bien-fondé de la décision ni trancher de nouveau les questions sur le fond. M. Bains demande essentiellement à la Cour de tirer des conclusions de fait à l’égard des nouveaux éléments de preuve qu’il cherche à produire, ce qui n’est pas du ressort de la Cour lors d’un contrôle judiciaire.

[30]  Les nouveaux éléments de preuve présentés par M. Bains ne seront pas examinés par la Cour et celle-ci les a effectivement écartés.

IV.  Les observations des parties

A.  Les observations de M. Bains

[31]  Selon M. Bains, l’agent des visas a manqué aux principes d’équité procédurale en ne l’informant pas de la nature de l’entrevue, des documents qu’il devait y apporter et des conséquences possibles de cette entrevue. M. Bains soutient également que l’agent des visas n’a pas respecté ces principes en ne lui offrant pas la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent.

[32]  Selon M. Bains, un constat d’interdiction de territoire exige un haut degré d’équité procédurale. Il fait remarquer que les conséquences du constat d’interdiction de territoire pour fausses déclarations sont importantes, car non seulement il sera interdit de territoire au Canada pour une période de cinq ans, mais son épouse se verra également dans l’impossibilité de présenter une demande de résidence permanente au Canada au cours de cette même période.

[33]  De l’avis de M. Bains, l’agent des visas a tiré une conclusion abusive ou a ignoré des éléments de preuve en concluant qu’il s’était marié dans le but de rejoindre sa famille au Canada. M. Bains affirme que l’agent des visas a commis une erreur quant au moment où sa relation avec Mme Kaur avait débuté par rapport à celui où sa famille avait présenté une demande de résidence permanente au Canada, puisque Mme Kaur et lui s’étaient fiancés six mois avant que sa famille ne présente cette demande.

[34]  Selon M. Bains, l’agent des visas a fait fi de la preuve et a rendu sa décision sans en tenir compte. De façon plus précise, M. Bains fait référence à la conclusion de l’agent des visas selon laquelle les photographies qu’il a apportées à l’entrevue ressemblaient à une mise en scène, qu’il n’y avait pas de photographies des événements entourant le mariage au lieu de résidence de Mme Kaur et que M. Bains ignorait l’endroit où son épouse étudie.

B.  Les observations du défendeur

[35]  Le défendeur souligne que, selon le paragraphe 11(1) de la LIPR, l’agent peut délivrer un visa de résident temporaire à un étranger, s’il est convaincu que ce dernier satisfait aux exigences de la LIPR. Il fait remarquer que le paragraphe 16(1) de la LIPR impose expressément aux demandeurs l’obligation de fournir des renseignements véridiques.

[36]  Le défendeur souligne également qu’aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, une personne est interdite de territoire au Canada si elle exprime une réticence sur un fait important quant à un objet pertinent qui a entraîné ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Selon lui, l’étranger qui veut entrer au Canada a une obligation de franchise qui le contraint à divulguer les faits importants. Le défendeur affirme que l’objet de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR est de faire en sorte que les demandeurs fournissent des renseignements complets, fidèles et véridiques en tout point lorsqu’ils présentent une demande d’entrée au Canada.

[37]  Le défendeur est d’avis que l’agent des visas s’est acquitté de son obligation d’agir équitablement, en donnant à M. Bains la possibilité de répondre aux préoccupations soulevées concernant l’authenticité de son mariage. Il affirme que l’obligation d’équité procédurale qu’avait l’agent des visas envers M. Bains se situait à l’extrémité inférieure du continuum, puisqu'à titre de non‑citoyen, ce dernier n’avait pas le droit d’entrer ou de rester au Canada et ne risquait ni d’être détenu ni d’être renvoyé du Canada.

[38]  Le défendeur soutient que l’allégation de M. Bains selon laquelle il a été privé de son droit à l’équité procédurale, du fait que l’agent des visas ne l’a pas informé de la raison de l’entrevue et ne lui a pas donné la possibilité de répondre, n’est pas fondée. Il renvoie aux notes consignées dans le SMGC pour démontrer que l’agent a expliqué à M. Bains la raison de l’entrevue, l’a informé des préoccupations soulevées et lui a donné la possibilité d’y répondre.

[39]  Le défendeur soutient que M. Bains et son épouse savaient que l’authenticité de leur mariage était en cause; ils se sont présentés à l’entrevue avec des éléments de preuve à l’appui de leur allégation selon laquelle leur mariage est authentique et ne visait pas principalement des fins d’immigration.

[40]  Le défendeur attire l’attention sur le fait que le dossier indique que l’agent des visas était pleinement conscient de la déficience auditive de M. Bains et qu’il a pris des mesures pour s’assurer que ce dernier comprenait les questions et le traducteur, et qu’il a notamment attendu que quelqu’un lui apporte au demandeur ses appareils auditifs, étant donné qu’il ne les portait pas à son arrivée à l’entrevue. Le défendeur fait remarquer que, selon le certificat d’invalidité que M. Bains a fourni à l’agent des visas, il ne souffre pas d’une surdité complète et peut fonctionner avec ses appareils auditifs. Il souligne également que l’agent des visas ne disposait d’aucune preuve que M. Bains n’avait pas compris les questions qui lui ont été posées pendant l’entrevue.

[41]  Le défendeur soutient que les conclusions de l’agent concernant l’authenticité du mariage de M. Bains étaient raisonnables. Il fait remarquer qu’il incombait à M. Bains de fournir à l’agent une preuve suffisante pour justifier que ce dernier exerce son pouvoir discrétionnaire en sa faveur. Il soutient que M. Bains n’a pas démontré que certains points entourant la décision étaient contestables ni qu’il y avait eu erreur ou interprétation erronée de la preuve.

[42]  De l’avis du défendeur, les notes de l’entrevue font état de préoccupations valables quant à l’authenticité du mariage. L’agent des visas a indiqué que M. Bains avait de la difficulté à répondre à des questions de base concernant l’évolution de sa relation avec Mme Kaur, notamment en ce qui concerne la façon dont ils se sont rencontrés et les raisons de leur mariage, et montrait un manque d’intérêt pour la vie de son épouse au Canada.

[43]  Le défendeur soutient que les conclusions de l’agent au sujet des fausses déclarations sont raisonnables. Il fait remarquer que pour établir l’existence de fausses déclarations, il doit y avoir une présentation erronée des faits qui risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Il n’est pas nécessaire que les fausses déclarations aient été intentionnelles, délibérées ou faites par négligence.

[44]  Le défendeur affirme que, selon le critère applicable, de façon générale, dans le cas de fausses déclarations, l’agent des visas doit être convaincu : (i) que des présentations erronées ont été faites, directement ou indirectement, et (ii) que ces présentations erronées pourraient entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Le défendeur affirme que l’agent a conclu que des présentations erronées avaient été faites en se fondant sur ce critère.

[45]  Selon le défendeur, M. Bains n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve ou d’explications pour prouver que son mariage était authentique ou qu’il ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR. Il affirme qu’il était raisonnable de la part de l’agent de conclure que, si M. Bains avait été considéré comme un époux, cela aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR, étant donné que l’agent aurait pu lui délivrer par erreur un permis de travail.

V.  Analyse

[46]  Bien que les parties aient soulevé diverses questions, il n’y a que deux questions fondamentales à trancher.

[47]  Premièrement, le défaut de communiquer à M. Bains l’objet de l’entrevue constituait-il un manquement à l’équité procédurale, comme ce dernier le prétend? Deuxièmement, la décision de l’agent selon laquelle M. Bains est interdit de territoire pour fausses déclarations aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR est-elle raisonnable?

A.  Quelle est la norme de contrôle applicable?

[48]  Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent est celle de la décision raisonnable. Elles conviennent également que la norme de contrôle qui s’applique à l’égard d’une allégation de manquement à l’équité procédurale est celle de la décision correcte.

[49]  Je suis d’accord avec les parties pour dire que la conclusion de l’agent quant à l’existence d’une présentation erronée au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 87, au par. 9 [Li]).

[50]  Dans le contexte d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit examiner la décision administrative pour s’assurer de la présence d’un raisonnement intrinsèquement cohérent, ainsi que de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité du processus, et doit déterminer si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux par. 86 et 99; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47).

[51]  Si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable. Il n’entre pas non plus dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux par. 59 et 61 [Khosa]).

[52]  En cas d’allégation de manquement à l’équité procédurale, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au par. 79; Khosa, 2009, au par. 43). La Cour doit juger si la démarche ayant mené à la décision visée par le contrôle était empreinte du degré d’équité requis, eu égard aux circonstances de l’affaire (Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au par. 115).

[53]  Une question d’équité procédurale « n’exige pas qu’on détermine la norme de révision judiciaire applicable. Pour vérifier si un tribunal administratif a respecté l’équité procédurale ou l’obligation d’équité, il faut établir quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier » (Moreau-Bérubé c Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, au par. 74). Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale : « même s’il y a une certaine maladresse dans l’utilisation de la terminologie, cet exercice de révision est [TRADUCTION] “particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte”, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au par. 54).

B.  Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[54]  À mon avis, l’omission de communiquer l’objet de l’entrevue ne constituait pas un manquement à l’équité procédurale. La correspondance expédiée à M. Bains avant l’entrevue indiquait clairement que sa demande de permis de travail nécessitait un examen plus approfondi. La lettre de convocation à l’entrevue précisait qu’il devait se présenter à cette dernière et apporter tous les documents requis pour que le traitement de sa demande se poursuive.

[55]  Je ne suis pas d’accord avec l’argument de M. Bains selon lequel l’agent des visas se devait de faire preuve à son endroit d’un haut degré d’équité procédurale. Les exigences relatives à l’équité procédurale varient selon la nature de la décision et son incidence sur l’individu, et elles doivent être examinées en tenant compte du régime législatif (Shao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 610, au par. 11 (Shao)).

[56]  La jurisprudence a établi que les exigences en matière d’équité procédurale sont relativement minimes en ce qui concerne les demandes de permis de travail (Qin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 815, au par. 5; Guo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 161, au par. 27; Bautista c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 669, au par. 17).

[57]  M. Bains soutient que la lettre le convoquant à l’entrevue ne contenait pas suffisamment de renseignements pour qu’il sache ce qu’il devait prouver et qu’elle ne précisait pas quels documents étaient exigés.

[58]  Je ne suis pas d’accord. Cette lettre indiquait que M. Bains devait apporter [traduction] « toute la documentation requise » à l’entrevue. D’après les notes contenues dans le SMGC, il a apporté des photos des fiançailles et du mariage, ainsi que d’autres photographies à l’entrevue. M. Bains savait à quels types de documents faisait référence la mention [traduction] « toute la documentation requise ». La loi est claire : il incombe à l’auteur d’une demande d’immigration de s’assurer que les renseignements fournis sont exacts et complets (Shao, au par. 29).

[59]  Les notes versées dans le SMGC montrent que l’agent des visas a informé M. Bains des préoccupations de l’agent au sujet du mariage. Ces notes démontrent également que l’agent des visas a explicitement déclaré que s’il était établi que M. Bains avait fait de fausses déclarations quant à sa situation, sa demande serait refusée et il serait interdit de territoire au Canada pour une période de cinq ans.

[60]  La Cour a établi que les agents d’immigration ont l’obligation de faire part aux conjoints des contradictions relevées dans leurs déclarations au cours d’une entrevue visant à évaluer l’authenticité de leur mariage (Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 905, aux par. 16 et 17). En l’espèce, les notes contenues dans le SMGC montrent que l’agent des visas a mené les entrevues du couple séparément et qu’il a ensuite fait part aux époux des contradictions relevées dans leurs réponses, en demandant à l’interprète de les porter à leur attention. L’agent a offert au couple la possibilité de répondre à ces préoccupations, notamment au fait que l’agent croyait que leur mariage visait principalement des fins d’immigration, c.-à-d. à permettre à M. Bains d’être admis au Canada.

[61]  L’agent des visas a conclu que l’épouse de M. Bains avait accepté d’aider la famille de ce dernier, qui venait d’immigrer ici, en vue d’obtenir l’admission au Canada. L’agent a reconnu qu’il s’agissait là d’un mariage arrangé et que, bien qu’une relation conjugale authentique puisse se développer à la suite d’un tel mariage, M. Bains n’avait pas démontré que ce mariage arrangé avait été contracté dans l’intention véritable d’en venir à entretenir une relation authentique.

C.  La décision de l’agent était-elle raisonnable?

[62]  La définition de fausses déclarations donnée à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR fait état d’une présentation erronée faite directement ou indirectement. Cette disposition englobe toute présentation erronée, même celle faites par un tiers, y compris un consultant en immigration, à l’insu du demandeur [Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 942, au par. 35]. L’exception à cette règle est assez étroite et ne s’applique que dans les cas « où le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas une fausse déclaration sur un fait important et où il ne s’agissait pas d’un renseignement dont la connaissance échappait à sa volonté » [Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971, au par. 28].

[63]  Pour que de fausses déclarations aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR soient établies, il doit y avoir une présentation erronée des faits qui aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Il n’est pas nécessaire que les fausses déclarations aient été intentionnelles, délibérées ou faites par négligence (Li, au par. 10; Sidhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 419, au par. 17; Goudarzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 425, aux par. 30 à 44; Bellido c (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452, aux par. 27 et 28).

[64]  Les alinéas 4(1)a) et b) du RIPR précisent que l’étranger ne sera pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas : a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR; b) n’est pas authentique. Un agent d’immigration doit conclure, en application du paragraphe 4(1) du RIPR, qu’un mariage a été contracté de mauvaise foi avant de tirer la conclusion qu’il y a eu présentation erronée sur un fait important aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR (Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 273, au par. 17).

[65]  Les notes contenues dans le SMGC indiquent que l’agent a d’abord évalué l’authenticité du mariage de M. Bains, estimant que ce dernier répondait effectivement à la définition de « membre de la famille » prévue dans le RIPR, puis a jugé qu’il y avait eu une présentation erronée des faits, qui aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

[66]  Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les conclusions de l’agent concernant l’authenticité du mariage de M. Bains étaient raisonnables. Au titre de l’article 11 de la LIPR, l’agent des visas doit avoir la preuve que le demandeur n’est pas interdit de territoire et se conforme à cette loi. Il incombait à M. Bains de fournir à l’agent une preuve suffisante afin de justifier l’exercice, en sa faveur, du pouvoir discrétionnaire (Kumarasekaram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1311, au par. 9).

[67]  Les notes de l’entrevue démontrent l’existence de préoccupations valables quant à l’authenticité du mariage de M. Bains. M. Bains avait de la difficulté à répondre à des questions de base concernant l’évolution de sa relation avec son épouse, notamment la façon dont ils se sont rencontrés et les raisons de leur mariage, et montrait un manque d’intérêt pour la vie de cette dernière au Canada. L’agent a raisonnablement conclu que la preuve n’était pas suffisante pour démontrer que le mariage est authentique ou ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR.

VI.  Conclusion

[68]  La décision de l’agent est intrinsèquement cohérente, transparente, intelligible et justifiée au regard des faits et des contraintes juridiques que l’agent était tenu de prendre en compte. La demande de contrôle judiciaire de M. Bains est donc rejetée.

[69]  Aucune des parties n’a présenté de question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2255-19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour de janvier 2020

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2255-19

 

INTITULÉ :

AMRITVEER SINGH BAINS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 DÉCEMBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

DATE DES MOTIFS :

LE 16 JANVIER 2020

 

COMPARUTIONS :

David Orman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Gordon Lee

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Orman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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