Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20010601

Dossier : IMM-4490-00

Référence neutre : 2001 CFPI 570

ENTRE :

                       ARTURO MATIAS, JOAN MATIAS,

                  LOUISE MATIAS, MARINELLA MATIAS

                                                                                               demandeurs

                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                  défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

CONTEXTE

[1]    Arturo Matias, son épouse Joan et leurs deux filles Louise et Marinella, tous citoyens des Philippines, contestent une décision en date du 18 juillet 2000 de l'agent d'immigration B. Lloyd (l'agent d'immigration), qui a rejeté leur demande fondée sur le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration (la Loi) en vue d'obtenir une dispense de l'application de l'article 9 afin que soit examinée au Canada leur demande de résidence permanente pour des raisons d'ordre humanitaire.


[2]    Les Matias sont venus au Canada en 1995 munis de visas de visiteurs pour faire soigner leur fille Louise au Sick Children's Hospital à Toronto. Elle y a été opérée en 1995.

[3]    Les demandeurs souhaitaient aussi accéder au voeu de la soeur de Joan Matias, Mme Norma Gelua. C'est une citoyenne canadienne atteinte d'ostéo-arthrite dégénérative aiguë, état qui rendait difficile l'exploitation de son restaurant et d'un magasin à un dollar situé à Downsview, en Ontario.

[4]    En 1996, Mme Gelua a parrainé la demande de résidence permanente des Matias. Celle-ci a été refusée par le consulat général du Canada à Detroit, au Michigan, en septembre 1998, décision qui a été confirmée en mars 1999.

[5]    En avril 1999, les Matias ont demandé la dispense faisant l'objet de la présente instance.


[6]                 Leur demande de dispense s'appuyait sur des arguments écrits présentés par leur avocat qui a invoqué divers éléments tenant à des raisons d'ordre humanitaire, notamment : le laps de temps écoulé depuis qu'ils ont établi leur demeure au Canada, leur établissement au Canada, la nécessité d'aider Mme Gelua à exploiter son entreprise familiale ainsi que l'absence de liens avec les Philippines et la difficulté de s'y établir à nouveau.

[7]                 Avant d'arriver au Canada, Arturo Matias a été jusqu'en 1987 employé permanent de la Philippine National Bank où il occupait le poste d'enquêteur et analyste de solvabilité principal.

[8]                 En 1987, M. et Mme Matias ont constitué une société par actions d'import-export qui a exercé son activité jusqu'en 1990.

[9]                 Avant d'arriver au Canada en 1995, M. Matias avait des relations comme directeur de l'élaboration des projets.

[10]            Mme Matias est diplômée de l'East Manilla University et elle a travaillé pour diverses entreprises des Philippines. Elle aide sa soeur à exploiter le restaurant/magasin. La santé de Mme Gelua périclite et Mme Matias s'occupera vraisemblablement de la gestion quotidienne de l'entreprise et d'autres tâches.

DÉCISION DE L'AGENT D'IMMIGRATION

[11]            L'agent d'immigration n'a pas rencontré la famille Matias.


[12]            Elle a plutôt étudié les observations écrites de l'avocat des demandeurs et celles contenues dans la demande de dispense, en particulier les points touchant leur établissement au Canada et les éléments suivants : [traduction] « nous avons rompu tout lien avec notre pays d'origine et nous n'avons plus rien qui nous attend aux Philippines » et « ma femme, moi-même et nos enfants devrions surmonter des difficultés excessives dans notre pays d'origine, si nous devions y présenter notre demande alors que nous avons rompu tout lien avec les Philippines. Nous devrions repartir de zéro. »

[13]            L'agent d'immigration a formulé sa décision en ces termes :

[traduction] L'intéressée et sa famille demandent une dispense de l'application du paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration du Canada pour les raisons suivantes : le laps de temps écoulé depuis qu'ils sont arrivés au Canada, leurs liens avec le Canada, leur établissement au Canada et l'entreprise familiale.

J'ai étudié attentivement tous les renseignements portés sur leur dossier ou fournis par leur avocat, et je suis convaincue que l'intéressée et sa famille sont entrés au Canada le 10 mai 1995. Ils semblent avoir atteint le but de leur voyage. L'intéressée a indiqué qu'elle et sa famille étaient venus au Canada pour faire soigner leur fille cadette, ce qui a été fait. Ils ont alors demandé au bureau des visas canadien à Buffalo, New York, l'autorisation d'établir leur résidence permanente. Ils ont obtenu une prorogation de séjour en attendant la décision sur leur demande. Celle-ci a été rejetée. Je suis convaincue que l'objectif initial de leur entrée au Canada a été atteint.

J'ai considéré leurs liens avec le Canada et leur établissement au Canada. Quoique les intéressés affirment ne pas avoir occupé d'emploi, je suis convaincue qu'ils n'ont pas demandé d'aide sociale et que la soeur de Joan a subvenu à leurs besoins. Je suis convaincu qu'ils ont rendu des services bénévolement depuis leur arrivée au Canada. Ils occupaient un emploi avant leur arrivée et bien qu'ils devront vraisemblablement surmonter des difficultés pour s'établir à leur retour aux Philippines, je ne suis pas convaincue que cet élément représente un motif suffisant pour justifier une dispense de l'application des lois canadiennes sur l'immigration.


J'ai tenu compte des liens des intéressés avec le Canada, savoir avec Norma Gelua, ainsi que de la lettre du médecin de Mme Gelua. Toutefois, la preuve produite est insuffisante pour étayer l'affirmation que celle-ci ne peut pas employer une autre personne que sa soeur/son beau-frère pour tenir, soit le magasin, soit le restaurant.

J'ai pris en considération la déclaration de Mme Matias qu'elle avait [traduction] « rompu tout lien » avec les Philippines et qu'elle devrait repartir de zéro. Je peux certes comprendre le désir de Mme Matias de rester au Canada, mais c'était sa décision à elle et celle de son mari de rester au Canada après l'opération de leur fille. Les intéressés ont établi qu'ils sont des travailleurs très qualifiés, que s'ils étaient renvoyés aux Philippines, ils pourraient sans peine y trouver du travail et s'y établir.

Je ne suis pas convaincue que, si les intéressés étaient forcés de présenter une demande de la manière habituelle, il en résulterait des difficultés inhabituelles, injustes ou indues.

ANALYSE

[14]            Le motif essentiel avancé par les demandeurs pour justifier l'annulation de la décision de l'agent d'immigration est que cette dernière a violé son obligation d'équité en n'accordant pas d'entrevue à l'auteur de la demande. D'après eux, l'équité, vu les circonstances, commandait qu'il leur soit donné l'occasion de répondre à toute préoccupation que l'agent d'immigration aurait pu avoir ou, subsidiairement, l'occasion de clarifier ou accentuer certains aspects de leur demande. Pour démontrer ce besoin, ils ont cité les exemples suivants :

(1)       la nécessité que l'agent d'immigration connaisse la gravité de la maladie de Mme Gelua, le fait qu'elle était veuve et son projet de laisser Mme Matias s'occuper du fonctionnement quotidien;


(2)       les difficultés que devraient surmonter les demandeurs en essayant de s'établir à nouveau aux Philippines;

(3)       leur situation financière et leur établissement au Canada, à l'heure actuelle et dans l'avenir;

(4)       la circonstance exceptionnelle que représente l'inexistence de proche parent aux Philippines.

[15]            Dans l'arrêt Baker c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada a examiné, à la page 842, le type de droits de participation qu'implique l'obligation d'équité dans les cas visés par le paragraphe 114(2) de la Loi.

[16]            Au nom de la Cour, Madame le juge L'Heureux-Dubé écrit, aux pages 843 et 844 :


Je conviens que la tenue d'une audience n'est pas une exigence générale pour les décisions fondées sur des raisons d'ordre humanitaire. Il n'est pas indispensable qu'il y ait une entrevue pour exposer à un agent d'immigration les renseignements relatifs à une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire et pour que les raisons d'ordre humanitaire présentées puissent être évaluées de façon complète et équitable. En l'espèce, l'appelante a eu la possibilité d'exposer par écrit, par l'entremise de son avocat, sa situation, celle de ses enfants et leur dépendance émotive vis-à-vis d'elle, et de présenter à l'appui de sa demande des lettres d'un travailleur social de la Société d'aide à l'enfance et de son psychiatre. Ces documents étaient à la disposition des décideurs, et ils contenaient les renseignements nécessaires pour la prise de décision. Compte tenu de tous les facteurs pertinents pour évaluer le contenu de l'obligation d'équité, le fait qu'il n'y a pas eu d'audience ni d'avis d'audience ne constituait pas, selon moi, un manquement à l'obligation d'équité procédurale envers Mme Baker dans les circonstances, particulièrement en raison du fait que plusieurs des facteurs militaient en faveur d'une norme plus souple. La possibilité qui a été offerte à l'appelante et à ses enfants de produire une documentation écrite complète relativement à tous les aspects de sa demande remplit les exigences en matière de droits de participation que commandait l'obligation d'équité en l'espèce.

[17]            Il appert du dossier en l'espèce que l'avocat des demandeurs a formulé des observations détaillées dans lesquelles il s'est arrêté sur la situation de l'entreprise familiale à Toronto, sur les difficultés de réadaptation de la famille Matias aux Philippines et sur le fait de leur établissement au Canada. L'avocat des demandeurs a également déposé à l'appui de la demande de dispense une documentation volumineuse provenant de tiers.

[18]            De plus, l'agent d'immigration a, dans une lettre en date du 13 janvier 2000 adressée à la famille Matias, invité les demandeurs à fournir toute autre information qu'ils souhaitaient soumettre à son examen.

[19]            Je suis convaincu que les demandeurs ont eu la possibilité pleine et équitable de présenter leur preuve et qu'ils l'ont fait avec clarté et franchise; vu les circonstances, il n'était pas nécessaire que l'agent d'immigration leur accorde une entrevue car le dossier était clair à première vue et aucun éclaircissement n'était nécessaire. La décision de l'agent d'immigration ne révèle aucune appréciation erronée de quelque élément factuel ni de la nature ou de la portée des observations que les demandeurs lui ont présentées.


DISPOSITIF

[20]            Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                         « François Lemieux »   

                                                                                                                                                                                                                     

                                                                                                                                              J U G E          

OTTAWA (ONTARIO)

LE 1er JUIN 2001

Traduction certifiée conforme

                                                         

Richard Jacques, LL.L.


Date : 20010601

Dossier : IMM-4490-00

OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 1ER JUIN 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                                           ARTURO MATIAS, JOAN MATIAS,

                                     LOUISE MATIAS, MARINELLA MATIAS

                                                                                                                                      demandeurs

                                                                         - et -

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                                              ORDONNANCE

Pour les motifs exposés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                         « François Lemieux »   

                                                                                                                                                                                                              

                                                                                                                                              J U G E           

Traduction certifiée conforme

                                                         

Richard Jacques, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-4490-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :            Arturo Matias et autres c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              le 29 mai 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE de Monsieur le juge Lemieux

EN DATE DU                                      1er juin 2001

COMPARUTIONS :

Ishwar Sharma                                                    POUR LE DEMANDEUR

Matthew Oommen                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ishwar Sharma                                                    POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg                                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.