Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20200121


Dossier : IMM-3131-19

Référence : 2020 CF 90

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Winnipeg (Manitoba), le 21 janvier 2020

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

GABRIEL OLADELE ABOLUPE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision datée du 29 avril 2019 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada confirmait, au titre du paragraphe 111(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle le demandeur n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger au sens de l’article 96 et de l’article 97 de la LIPR, respectivement.

Contexte

[2]  Le demandeur, Gabriel Oladele Abolupe, est citoyen du Nigéria. Il a demandé l’asile au Canada sur le fondement de son orientation sexuelle.

[3]  Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA], le demandeur a affirmé qu’en février 2016, il avait assisté à une fête avec son patron, avec lequel le demandeur entretenait une relation homosexuelle. L’hôte de la fête a été arrêté plus tard en raison de son orientation sexuelle. Lors d’une descente chez l’hôte, la police a trouvé des photos des fêtards, notamment du demandeur. L’hôte a avoué, sous la torture, que tous les fêtards étaient gais ou bisexuels. À la fin mars 2016, le demandeur a avoué à son épouse qu’il était bisexuel et a fui son domicile pour rester chez un ami.

[4]  Le demandeur affirme qu’après il eut quitté le Nigéria en août 2016, la police est passée à son domicile et a demandé à son épouse où il se trouvait. Les policiers ont en outre informé son épouse que le demandeur avait eu une relation homosexuelle et lui ont montré les photos de la fête sur lesquelles le demandeur est photographié.

[5]  La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur dans une décision datée du 29 mai 2018. La SPR a conclu que les questions déterminantes étaient la crédibilité et l’orientation sexuelle du demandeur. Elle a conclu que la preuve n’était pas suffisante pour établir l’orientation sexuelle du demandeur selon la prépondérance des probabilités et que la crédibilité du demandeur était mise en doute. Pour ces motifs, la SPR a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[6]  Le demandeur a interjeté appel de la décision défavorable de la SPR; cependant, la SAR a rejeté l’appel et a confirmé la décision de la SPR. La Cour est saisie du contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

La décision faisant l’objet du contrôle

[7]  La SAR a constaté que, selon le témoignage du demandeur, pendant les 5 mois où il s’était caché chez son ami, il avait continué à travailler comme directeur des opérations dans une grande banque nigériane. La SAR a conclu qu’il n’était pas cohérent que le demandeur prétende se cacher tout en continuant à travailler dans un lieu public, et qu’il s’agissait là d’une lacune centrale dans le récit du demandeur des événements survenus au Nigéria. Le récit du demandeur, selon lequel il a continué à travailler quotidiennement à la même banque où il avait travaillé pendant les 12 années précédentes sans se faire prendre après avoir été identifié comme faisant partie de la communauté LGBTIQ par la police, a été mis en balance avec la conclusion selon laquelle il est plus probable que le contraire que le demandeur ait été identifié comme personne appartenant à la communauté LGBTIQ et que la police était à sa recherche. La SAR a conclu qu’il s’agissait d’un élément essentiel dans la demande d’asile du demandeur, qu’il minait sa crédibilité et qu’il ne s’agissait pas d’un récit vraisemblable. La SAR a également constaté que, bien que l’ami du demandeur ait déclaré que ce dernier était resté chez lui, le demandeur a témoigné qu’il avait dormi dans une voiture, ce qui constituait également une incohérence.

[8]  La SAR a estimé qu’il y avait également d’autres préoccupations qui, bien qu’elles n’aient peut-être pas été aussi importantes que le récit du demandeur au sujet de sa clandestinité, ont nui à sa crédibilité. Plus précisément, en ce qui concerne le certificat de mariage du demandeur, la SAR a constaté que l’adresse du domicile du demandeur qui figure sur le certificat de mariage ne correspondait pas à celle indiquée dans son formulaire Annexe A; que les dates de naissance du demandeur et de son épouse ne correspondaient pas à l’âge indiqué sur le certificat; et que le demandeur a présenté un témoignage incohérent quant à la date de leur mariage.

[9]  La SAR a examiné les affidavits de l’épouse et de l’ami du demandeur, constatant là encore que l’affirmation du demandeur selon laquelle il avait continué à travailler à la banque après que la police eut découvert sa participation à des activités homosexuelles ne concordait pas avec les déclarations selon lesquelles la police était toujours à sa recherche. La SAR a également mentionné la Réponse aux demandes d’information (la RDI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, dans laquelle des sources indiquent qu’il est peu probable qu’une personne atteste sous serment l’appartenance d’une autre personne à la communauté LGBTIQ au Nigéria. La SAR a également fait remarquer que la documentation sur les conditions dans le pays indique qu’il est facile de se procurer des affidavits frauduleux au Nigéria. Dans ce contexte, la SAR a accordé peu de poids aux affidavits et a conclu qu’ils ne fournissaient pas suffisamment d’éléments de preuve pour corriger les lacunes dans le témoignage du demandeur. Elle a également fait remarquer que l’affidavit de l’ami du demandeur ne concordait pas avec le récit des événements du demandeur.

[10]  La SAR a conclu, en raison notamment des préoccupations mentionnées ci-dessus, qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve suffisament fiables pour conclure que l’exposé circonstancié du demandeur quant aux événements survenus au Nigéria était crédible et que les événements se sont produits.

[11]  Quant à la question de savoir si le demandeur avait un fondement résiduel à sa demande d’asile, la SAR a examiné deux lettres de la Metropolitan Community Church (la MCC), un affidavit d’un homme au Canada avec lequel le demandeur serait en relation, des photos de deux hommes ensemble et une lettre d’appui du 519 Community Centre (le 519 Centre) à Toronto. En somme, la SAR a conclu que la preuve était vague et, même lorsqu’elle était examinée de façon cumulative, elle ne suffisait pas pour établir qu’il était plus probable que le contraire que le demandeur appartienne à la communauté LGBTIQ. 

[12]  En outre, parce que le demandeur n’avait pas établi qu’il était exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution, il n’y avait pas de preuve suffisante pour étayer son affirmation selon laquelle il était une personne à protéger au titre de l’article 97 de la LIPR.

Les questions en litige

[13]  Le demandeur relève deux questions, à savoir que la SAR a commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité et des aspects résiduels de sa demande d’asile. À mon avis, ces questions s’intègrent dans la question fondamentale de savoir si la décision de la SAR était raisonnable.

La norme de contrôle

[14]  Après que les parties eurent déposé leurs observations écrites, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov), dans laquelle elle réexamine la norme de contrôle applicable aux décisions administratives. En conséquence, lors de l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, j’ai demandé aux parties si elles souhaitaient présenter des observations supplémentaires découlant de l’arrêt Vavilov et concernant la norme de contrôle applicable en l’espèce.

[15]  Les avocats ont soutenu que la norme de la décision raisonnable demeure la norme de contrôle que la Cour doit appliquer lorsqu’elle se prononce sur le bien-fondé de la décision de la SAR. Je suis d’accord avec eux.

[16]  L’arrêt Vavilov a établi une présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable est la norme applicable chaque fois qu’une cour de justice contrôle une décision administrative (Vavilov, aux par. 16, 23 et 25). Cette présomption peut être réfutée dans deux types de situations. La première est lorsque le législateur a prescrit expressément la norme de contrôle applicable ou a prévu un mécanisme d’appel d’une décision administrative devant une cour. La deuxième est celle où la primauté du droit commande un contrôle selon la norme de la décision correcte. C’est le cas pour certaines catégories de questions, soit les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs, ou toute autre catégorie qui pourrait être reconnue par la suite comme exceptionnelle et qui nécessiterait également un contrôle selon la norme de la décision correcte (Vavilov, au par. 17 et 69).

[17]  Dans l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires ont conclu que « c’est le fait même que le législateur choisit de déléguer le pouvoir décisionnel qui justifie l’application par défaut de la norme de la décision raisonnable » (Vavilov, au par. 30). En l’espèce, la norme présumée, soit celle de la décision raisonnable, s’applique parce que la SAR a le pouvoir délégué de rendre la décision faisant l’objet du contrôle et parce qu’il n’existe aucune des circonstances qui pourraient réfuter la présomption.

[18]  Dans Vavilov, la Cour suprême s’est également penchée sur la manière dont une cour de révision doit procéder à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (aux par. 73-145). À cet égard, elle a soutenu qu’« [a]fin de remplir la promesse formulée dans l’arrêt Dunsmuir d’assurer “la légalité, la rationalité et l’équité du processus administratif et de la décision rendue”, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation sensible et respectueuse, mais aussi rigoureuse, des décisions administratives : par. 28 » (Vavilov, au par. 12). La cour de révision doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous-jacent à celle-ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au par. 15). En outre, une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. La norme de la décision raisonnable exige de la cour de révision qu’elle fasse preuve de déférence envers une telle décision (Vavilov, au par. 85).

Analyse

Le témoignage du demandeur

[19]  Le demandeur fait valoir que la conclusion de la SAR selon laquelle il était invraisemblable que le demandeur ait continué à travailler pendant cinq mois si la police était à sa recherche ne tenait pas compte de son témoignage sous serment. Le demandeur a témoigné qu’il quittait la maison de son ami tôt le matin (vers 4 h 30) et qu’il y revenait à minuit pour éviter d’être repéré par la police. Le demandeur a aussi déclaré que son ami n’avait pas divulgué à la police où il travaillait. Le demandeur affirme que la SAR a fait abstraction de cet élément de preuve qu’il aurait dû bénéficier de la présomption de véracité (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CA)(QL/Lexis) (Maldonado)).

[20]  Le défendeur soutient que la SAR n’a pas omis de tenir compte de la preuve selon laquelle le demandeur s’était soustrait à la police en se rendant au travail plus tôt. Il soutient en outre que la SAR a reconnu le témoignage du demandeur selon lequel son ami n’avait pas divulgué à la police son lieu de travail. Toutefois, la SAR a conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que la police eut facilement localisé le demandeur à son lieu de travail si elle l’avait recherché.

[21]  Je constate que, dans la décision Maldonado, il est affirmé que, lorsqu’un demandeur d’asile jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption de véracité relativement à ces allégations. Toutefois, la décision Maldonado poursuit en indiquant que cette présomption s’applique, sauf s’il y a lieu de douter de leur véracité des affirmations en question (Maldonado, au par. 5); Adebayo c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 330, au par. 37). Ainsi, la présomption est réfutable, par exemple, lorsque la preuve ne concorde pas avec le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile ou lorsque le décideur n’est pas satisfait de l’explication fournie par le demandeur pour expliquer ces incohérences (Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924, au par. 21 (Lawani).

[22]  Quant à l’invraisemblance :

[26] Enfin, la SPR a également le droit de tirer des conclusions au sujet de la crédibilité d’un demandeur en se fondant sur des invraisemblances, le bon sens et la rationalité. Elle peut rejeter une preuve si elle est incompatible avec les probabilités touchant l’ensemble de l’affaire ou si elle est marquée par des incohérences (Shahamati c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no415 (CAF) (QL), au para 2; Mohamed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1379, au para 25; Yin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 544, au para 59; Lubana au para 10). Une conclusion d’invraisemblance doit cependant être rationnelle, tenir compte des différences culturelles et être clairement exprimée (Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319 [...], au para 44). Les conclusions et les inférences de la SPR sur la crédibilité d’un demandeur d’asile doivent toujours demeurer raisonnables et l’analyse doit être formulée dans des « termes clairs et non équivoques » (Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 130 NR 236 (CAF) [Hilo], au para 6; Cooper, au para 4; Lubana, au para 9). Parmi les situations où il est possible de tirer des conclusions d’invraisemblance, mentionnons lorsque le témoignage du demandeur déborde le cadre de ce à quoi on pourrait raisonnablement s’attendre, ou si la preuve documentaire montre que les événements allégués n’auraient pas pu se produire. Inversement, le simple fait de « jeter un doute » sur la crédibilité de la preuve sera insuffisant, car la SPR doit expliquer pourquoi la crédibilité est minée en ayant recours à des termes qui sont plus que vagues et généraux (Hilo, au para 6).

(Lawani, au par. 26)

[23]  À mon avis, dans ce contexte juridique et compte tenu de la preuve au dossier, il n’y a aucun fondement à l’affirmation du demandeur selon laquelle la SAR a commis une erreur dans le traitement de son témoignage.

[24]  Premièrement, la SAR a conclu que le témoignage du demandeur selon lequel il dormait dans une voiture pour éviter la détention ne concordait pas avec l’affidavit de son ami; ce dernier y déclarait que le demandeur habitait chez lui pendant qu’il se cachait. Cette conclusion a pour effet de réfuter la présomption de véracité du témoignage du demandeur.

[25]  Le demandeur fait aussi valoir que la SAR n’a pas tenu compte de son témoignage selon lequel, pour éviter d’être repéré par la police, il partait travailler très tôt le matin et revenait très tard le soir. Toutefois, la SAR a déclaré qu’elle avait procédé à une évaluation indépendante de la preuve et des arguments, notamment en examinant les transcriptions de l’audience de la SPR fournies par le demandeur et en écoutant des parties de l’enregistrement de l’audience. Il n’est pas non plus nécessaire que les motifs de la décision fassent référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire (Vavilov, au par. 91).

[26]  Quoi qu’il en soit, et plus important encore, le fait que le demandeur partait tôt pour travailler et revenait tard n’était pas pertinent et ne réfute pas la conclusion de la SAR quant à la vraisemblance. La SAR a raisonnablement conclu qu’il était incohérent et invraisemblable que le demandeur, qui prétendait se cacher de la police qui le recherchait parce qu’il avait été identifié comme un membre de la communauté LGBTIQ, continue à se rendre, pendant 5 mois, au même travail à la banque où il avait travaillé au cours des 12 années précédentes jusqu’à son départ du Nigéria. La SAR a conclu qu’il était improbable que, dans un pays intolérant envers les membres de la communauté LGBTIQ, et où, selon le témoignage du demandeur, la police était tellement déterminée à le retrouver qu’elle avait continué à le chercher et était allée chez lui au moins trois fois, le demandeur s’expose au risque de se faire arrêter en continuant à travailler chaque jour dans un lieu public après que les autorités eurent pris connaissance qu’il appartenait à la communauté LGBTIQ et après avoir prétendu vivre dans la clandestinité.

[27]  La SAR a également conclu qu’il n’était pas probable que la police ne puisse pas localiser le lieu de travail du demandeur et l’y appréhender. La SAR a constaté l’explication donnée par le demandeur à la SPR lorsque cette incohérence a été portée à son attention, à savoir qu’il dormait dans une voiture. La SAR a jugé que cette affirmation n’expliquait pas comment le demandeur avait pu se rendre au travail quotidiennement pendant des mois sans que les autorités ne le trouvent, et qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce que quelqu’un qui se cache des autorités fasse des heures de déplacement pour se rendre au même endroit où il travaille depuis des années, étant donné le risque qu’il soit retracé jusqu’à son lieu de travail.

[28]  À mon avis, la conclusion de la SAR quant à l’invraisemblance était raisonnable, puisque le témoignage du demandeur allait à l’encontre du bon sens et ne relevait pas de ce qu’on pouvait raisonnablement attendre dans les circonstances. Des questions ont également été posées au demandeur au sujet de sa présence quotidienne et continue à son travail à la banque, et il n’a pas donné de réponses raisonnables à ces questions. Je ne décèle aucune erreur dans la conclusion de la SAR selon laquelle cette invraisemblance ait donné lieu à une conclusion défavorable quant à crédibilité, conclusion qui était déterminante relativement à la demande d’asile du demandeur.

Le certificat de mariage

[29]  Le demandeur fait valoir que les incohérences liées à la date de son mariage et à son adresse domiciliaire, ainsi que l’inexactitude de la transcription qu’il avait fournie, étaient sans importance et que la SAR a commis une erreur en ne lui donnant pas la possibilité de présenter des observations sur ces questions. Il soutient en outre que la SAR n’aurait pas dû tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité en se fondant sur l’inexactitude de la transcription, parce que le demandeur n’a pas préparé la transcription. Conclure que la transcription n’était pas exacte constitue un raisonnement conjectural inadmissible.

[30]  Le défendeur soutient qu’il y avait des incohérences dans le certificat de mariage qui ont raisonnablement porté atteinte à la crédibilité du demandeur. Et, contrairement aux allégations du demandeur, ce dernier a eu la possibilité de répondre à ces incohérences. Le défendeur s’oppose aussi à l’observation selon laquelle la SAR s’est appuyée uniquement sur des incohérences secondaires.

[31]  Dans l’arrêt Armson c Canada (Emploi et Immigration), 9 Imm LR (2d) 150, [1989] ACF n800 (CA) (QL/Lexis), la Cour d’appel fédérale a établi qu’un décideur ne devrait pas tirer de conclusions défavorables en matière de crédibilité à moins que la preuve ne soit contredite, incohérente ou intrinsèquement suspecte. En outre, la Cour a jugé que les conclusions défavorables quant à la crédibilité ne devraient pas être fondées sur des incohérences qui sont accessoires à la demande d’asile d’un demandeur (Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, au par. 11 (CF 1re inst); Lawani, au par. 23).

[32]  Cependant, en l’espèce et comme indiqué précédemment, la SAR a raisonnablement conclu que le témoignage du demandeur concernant le fait qu’il ait vécu dans la clandestinité était au cœur de son allégation selon laquelle il est un homme bisexuel recherché par la police nigériane, et que ce témoignage n’était pas crédible. Par ailleurs, la SAR a explicitement reconnu que les autres incohérences dans le témoignage du demandeur n’étaient pas aussi importantes que le récit du demandeur au sujet de sa clandestinité, mais elle a conclu qu’elles nuisaient à sa crédibilité. Il s’agissait donc de préoccupations secondaires quant à la crédibilité et elles ont été désignées ainsi par la SAR. Par exemple, en ce qui concerne les dates de naissance du demandeur et de son épouse et de leur âge entre le certificat de mariage et le témoignage du demandeur, la SAR a pondéré l’erreur alléguée relativement aux dates du certificat de mariage « dans le contexte d’autres erreurs qui minent la crédibilité » du demandeur. En outre, le demandeur a présenté le certificat de mariage comme preuve documentaire à l’appui des allégations de sa demande d’asile, notamment que la police était allée chez lui et avait informé son épouse qu’il était dans une relation homosexuelle et qu’elle cherchait à savoir où il se trouvait. Cela étant, les incohérences quant à la date de son mariage et à son adresse domiciliaire étaient pertinentes pour l’évaluation de la crédibilité de sa demande d’asile dans son ensemble. La SAR a examiné l’ensemble des éléments de preuve et n’a pas rejeté la demande d’asile du demandeur en raison d’incohérences accessoires.

[33]  La SAR a également fait remarquer qu’il y avait une incohérence dans le témoignage du demandeur au sujet de la date de son mariage. À l’audience de la SPR, il a déclaré s’être marié le 24 avril 2012. Lorsque la SPR lui a fait remarquer que cette date ne concordait pas avec son certificat de mariage, qui indiquait le 21 avril 2012 comme la date de son mariage, le demandeur a déclaré qu’il croyait avoir indiqué cette dernière date. La SAR a souligné que la SPR avait accepté cette explication comme étant plausible. Cependant, malgré cela, le demandeur a continué à insister sur ce point devant la SAR, citant des transcriptions qu’il avait fournies et qui indiquent qu’il a témoigné s’être marié le 21 avril 2012. Après avoir écouté l’enregistrement de l’audience devant la SPR, la SAR a constaté qu’il était clair que l’interprète avait déclaré le 24 avril 2012 et que personne ne s’était opposé à la date ainsi traduite. La SAR a ajouté que les raisons pour lesquelles le demandeur soulevait ce point ne sont pas claires, puisque la SPR avait accepté son explication. Toutefois, étant donné qu’il a soulevé ce point, la SAR a conclu que sa transcription n’est pas exacte à cet égard. La SAR a conclu qu’il se pouvait que le témoignage du demandeur n’ait pas été clair et qu’il ne s’agissait pas d’un point important, mais que cela confirmait la presence d’erreurs dans la transcription et ne renforçait pas non plus sa crédibilité.

[34]  Le demandeur soutient que la SAR a eu tort d’avoir tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité d’après son [traduction« hypothèse selon laquelle la transcription soumise n’était pas exacte » et qu’elle n’a pas tenu compte du fait que la transcription n’avait pas été préparée par le demandeur, mais par [traduction« une personne accréditée ». En outre, le fait de conclure que la transcription n’était pas exacte constitue à un raisonnement conjectural, ce qui ne constitue pas un fondement légitime sur lequel une conclusion concernant la crédibilité peut être tirée.

[35]  À mon avis, ces arguments sont aussi sans fondement. La SAR n’a pas présumé que la transcription soumise par le demandeur était inexacte. La SAR a comparé la transcription à l’enregistrement de l’audience de la SPR et a conclu que la transcription était inexacte. De plus, c’est le demandeur et son avocat qui ont fait préparer la transcription et qui l’ont présentée. Le fait que le demandeur affirme maintenant que ce n’est pas lui, mais une [traduction« personne accréditée » non identifiée qui l’a préparée ne change rien au fait qu’il était responsable du document qu’il a soumis. Il n’affirme pas non plus que sa version de la transcription était, en fait, exacte. Dans ces circonstances, je ne suis pas d’accord avec le demandeur pour dire que la SAR a commis une erreur en ne lui donnant pas la possibilité d’être entendu sur ce point. L’enregistrement et la transcription inexacte parlaient d’eux-mêmes.

[36]  Il n’est pas évident non plus que la SAR a effectivement tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité en se fondant sur l’incohérence avec la transcription soumise par le demandeur. Au contraire, la SAR a conclu que la présentation d’une transcription inexacte ne renforçait pas la crédibilité du demandeur qui, selon elle, avait déjà été minée par son témoignage sur un aspect central de sa demande d’asile, à savoir sa clandestinité.

[37]  En outre, je remarque que le demandeur ne conteste pas la conclusion de la SAR selon laquelle, lorsque la SPR l’a interrogé au sujet de la différence entre l’adresse domiciliaire différente figurant sur son certificat de mariage et celle figurant sur sa demande, le demandeur a répondu que les maisons sont normalement renumérotées et que cela pourrait probablement en être la cause. Lorsqu’on lui a demandé si le numéro de sa maison avait été changé, le demandeur a simplement indiqué que les renumérotations sont fréquentes. La SAR a conclu qu’il ne s’agissait pas d’une explication raisonnable, étant donné que le demandeur avait vécu dans cette maison pendant quatre ans et qu’il était plus probable que le contraire qu’il se souvienne si une renumérotation avait eu lieu.

Les affidavits à l’appui

[38]  Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en écartant les affidavits de son épouse et de son ami au motif qu’au Nigéria, il est peu probable qu’une personne souscrive un affidavit attestant l’appartenance d’une autre personne à la communauté LGBTIQ (Gbemudu c Canada (Citoyenneté, Réfugiés et Immigration), 2018 CF 451, au par. 81 (Gbemudu)). Le demandeur fait également valoir que le fait qu’il existe des documents frauduleux au Nigéria ne signifie pas que tous les documents provenant de ce pays sont frauduleux et qu’ils ne devraient pas être appréciés sur le fond (Gbemudu, au par. 79). Il soutient plutôt que la preuve par affidavit crée une présomption de véracité et que la SAR aurait dû se fier aux affidavits. Le demandeur fait valoir que la SAR a commis une erreur en s’appuyant sur la généralisation quant à la disponibilité de documents frauduleux et en n’appréciant pas les affidavits à leur juste valeur et avec ouverture d’esprit.

[39]  Le demandeur soutient également que l’affidavit de son épouse établit que la police nigériane croit maintenant que le demandeur est bisexuel, ce qui constitue une infraction pénale au Nigéria, et qu’elle cherche à l’arrêter. Il fait valoir que cela représente un risque à son retour, car il est maintenant perçu comme étant bisexuel.

[40]  Le défendeur soutient que la SAR n’a pas contesté la possibilité qu’un membre de la famille ou un ami puisse souscrire un affidavit attestant l’appartenance d’une autre personne à la communauté LGBTIQ. La SAR s’est plutôt contentée de commenter la probabilité qu’une personne souscrive un tel affidavit et d’affirmer que l’affaire Gbemudu différait de l’espèce. La SAR n’a pas non plus rejeté les affidavits en se fondant sur le fait qu’il est facile de se procurer des documents frauduleux au Nigéria. La SAR a apprécié les affidavits à la lumière de sa conclusion générale selon laquelle le récit du demandeur manquait de crédibilité. Le défendeur soutient que la SAR était en droit de ne pas accorder de poids à des éléments de preuve qui ne font que corroborer un récit déjà jugé non crédible. En outre, il était raisonnable que la SAR se fonde sur une RDI de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour déterminer le poids à accorder à la preuve par affidavit (Ikheloa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1161 (Ikheloa)).

[41]  Je remarque qu’en ce qui concerne les affidavits, la SAR a déclaré qu’elle avait examiné la preuve présentée à l’appui de la demande d’asile du demandeur. Cette preuve comprenait deux affidavits de l’épouse du demandeur, dans lesquels elle affirme que le demandeur lui a avoué sa bisexualité et que la police est toujours à la recherche de son époux. La SAR a de nouveau fait remarquer que l’allégation du demandeur selon laquelle il est resté cinq mois au Nigéria et a travaillé au même endroit après que la police eut pris connaissance de sa bisexualité n’était pas compatible avec les déclarations selon lesquelles la police était toujours à sa recherche. La SAR a également indiqué que le dossier contenait une RDI dans laquelle les sources confirment qu’il est peu probable qu’une personne signe un affidavit au sujet de l’appartenance d’une autre personne à la communauté LGBTIQ. Elle a en outre indiqué que deux autres RDI traitent de la probabilité d’un affidavit dans lequel une personne au Nigéria prête serment concernant l’appartenance d’une autre personne à la communauté LGBTIQ. Dans la deuxième de ces réponses, une source a indiqué qu’il serait très inusité pour un avocat de signer un tel affidavit et la majorité des sources indiquent qu’il est peu probable qu’une personne prête serment concernant l’appartenance d’une autre personne à la communauté LGBTIQ. La SAR a déclaré qu’elle avait pondéré l’ensemble des éléments de preuve disponibles et a conclu qu’il était plus probable que le contraire qu’il soit inhabituel qu’un affidavit soit souscrit au Nigéria sur cette question. Et, même si l’épouse du demandeur a signé l’affidavit, la SAR doit tout de même évaluer son contenu dans le contexte de l’ensemble de la preuve au dossier. Pour ces motifs la SAR a accordé peu de poids à cet affidavit.

[42]  La SAR a également fait observer qu’il est facile de se procurer des documents frauduleux au Nigéria et, examinant les affidavits dans le contexte de la preuve quant à la prolifération de documents falsifiés, la SAR n’était pas en mesure de leur accorder du poids. Les affidavits ne fournissent pas suffisamment d’éléments de preuve pour corriger les lacunes dans la preuve du demandeur.

[43]  En ce qui concerne l’affidavit de l’ami du demandeur, la SAR a de nouveau fait remarquer qu’il était peu probable qu’une personne au Nigéria signe un tel affidavit, que les affidavits frauduleux sont facilement accessibles et que l’affidavit était incompatible avec le récit du demandeur selon lequel il dormait dans une voiture alors que l’ami a déclaré que le demandeur demeurait chez lui. La SAR a déclaré que les sources de références de la RDI indiquent qu’il est inhabituel au Nigéria pour un commissaire à l’assermentation de signer un affidavit concernant l’identité sexuelle ou l’orientation sexuelle d’une personne.

[44]  Un examen des motifs de la SAR et du dossier dont elle était saisie démontre que la SAR a fait référence à la RDI NGA105379.EF, datée du 7 janvier 2016, qui porte sur la question de savoir si un commissaire à l’assermentation ou un notaire légaliserait une déclaration ou signerait un affidavit dans lequel une personne admet être bisexuelle, ou connaître l’orientation sexuelle d’une personne. La RDI précisait que d’autres sources ont indiqué qu’il serait étrange qu’une personne signe un affidavit ayant trait à son orientation sexuelle, car une telle action équivaudrait à se livrer à la justice nigériane, sous le régime de laquelle l’homosexualité est illégale. Pour ce qui est de savoir si un membre de la famille signerait un tel affidavit, une source était d’avis que la situation serait identique à celle où une personne tenterait d’obtenir un affidavit confirmant son orientation sexuelle, que ce serait inhabituel et que cela reviendrait à livrer la personne en question à la justice. Il est peu probable que les membres de la famille souscrivent un tel affidavit, mais ils seront peut-être plus disposés à le faire si la personne LGBTIQ se voit garantir la confidentialité absolue ou la sécurité. La RDI NGA105653.EF, datée du 18 novembre 2016, parle aussi de l’improbabilité qu’un avocat signe un tel affidavit et a été citée par la SAR.

[45]  À cet égard, le demandeur fait valoir que le fait qu’une personne ne signerait probablement pas un affidavit attestant qu’une autre personne appartient à la communauté LGBTIQ ne signifie pas qu’il est impossible de le faire, et que la SAR a formulé une hypothèse et a utilisé de façon sélective des preuves à l’appui de cette hypothèse. Il soutient en outre que le principe est bien établi que les membres de la famille peuvent déposer un affidavit pour appuyer l’allégation de bisexualité d’un membre de leur famille.

[46]  À mon avis, cet argument ne saurait être retenu. Premièrement, la SAR était en droit de se fonder sur les RDI et, à la différence de l’affaire Ikheloa, le demandeur en l’espèce n’a présenté aucun avis ou autre élément de preuve visant à remettre en question s’il était raisonnable de la part de la SAR de s’appuyer sur la RDI (Ikheloa, au par. 20 à 22). Deuxièmement, la SAR a affirmé à juste titre que la majorité des sources citées dans les RDI indiquaient qu’il était peu probable que des personnes appartenant à la communauté LGBTIQ, ou des membres de leur famille, souscrivent des affidavits confirmant leur orientation sexuelles, parce que cela les mettrait en danger. La SAR n’a formulé aucune hypothèse et n’a pas utilisé de façon sélective les éléments de preuve de la RDI. En outre, il incombait au demandeur d’établir qu’il était plus probable que le contraire qu’un tel affidavit serait souscrit. Le simple fait qu’il n’était pas impossible pour l’épouse et l’ami du demandeur de souscrire un tel affidavit ne satisfait pas au fardeau de la preuve. De plus, bien que le demandeur soutienne que l’affidavit n’était destiné à être utilisé qu’au Canada, le défendeur a fait remarquer que le risque découle de la souscription de l’affidavit au Nigéria, et non de l’endroit où il sera utilisé.

[47]  Je suis également d’avis que l’affaire Gbemudu, sur laquelle s’est appuyé le demandeur, ne l’aide pas. Dans cette affaire, le juge Russell, en analysant la RDI 105653.EF, a déclaré que les informations contenues dans la RDI semblaient toutes être hypothétiques, et révélaient un certain scepticisme sur la nécessité d’un tel document, et qu’il ne pouvait trouver aucune description de cas où des personnes avaient effectivement été sanctionnées pour avoir souscrit un tel affidavit (Gbemudu, au par. 81). Le juge Russell a finalement conclu que la RDI n’était pas pertinente pour les besoins de la demande dont il était saisi. En effet, dans cette affaire, la confidentialité de l’affidavit a été promise à l’affiant. En outre, l’affidavit était uniquement destiné à être utilisé dans le cadre d’instances au Canada et il n’indiquait pas précisément si l’affiant était au courant de l’orientation sexuelle du demandeur (Gbemudu, au par. 81). Par conséquent, l’affaire Gbemudu peut être distinguée de la présente, en raison des faits. En l’espèce, les faits sont plus semblables à ceux de l’affaire Ikheloa, étant donné que les déposants, l’épouse et l’ami du demandeur, ont déclaré connaître l’orientation sexuelle du demandeur, et que rien ne démontre qu’ils ont cherché à obtenir ou qu’ils se soient vu garantir la confidentialité. Comme dans Ikheloa, la SAR a apprécié les éléments de preuve disponibles et a conclu qu’il était plus probable que le contraire que cela était inhabituel pour un affidavit. À mon avis, l’analyse de la SAR fondée sur les RDI était raisonnable.

[48]  La SAR a également examiné les affidavits à la lumière de la preuve documentaire relative à l’existence de documents frauduleux et de ses autres préoccupations concernant les affidavits, notamment le fait que l’affidavit de l’ami du demandeur ne correspondait pas à la version des événements du demandeur. Dans ce contexte, la SAR leur a accordé peu de poids.

[49]  Je conviens que la facilité avec laquelle il est possible d’obtenir des documents frauduleux au Nigéria ne signifie pas que tous les documents de ce pays sont frauduleux et qu’il n’est donc pas nécessaire d’évaluer sur le fond les affidavits provenant du Nigéria. Toutefois, il était loisible à la SAR de ne pas accorder de poids à des éléments de preuve qui servaient à corroborer un récit déjà jugé non crédible, ce qui est le cas en l’espèce (Lawani, au par. 24); Lawal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 558, au par. 22; Jia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 422, au par. 19). En l’espèce, la SAR a conclu que l’aspect essentiel de la demande d’asile du demandeur n’était pas crédible et qu’elle pouvait donc accorder peu de poids aux affidavits présentés pour corroborer cette version des événements. De plus, la SAR a également évalué les affidavits à l’appui, concluant qu’ils ne fournissaient pas suffisamment d’éléments de preuve pour corriger les lacunes dans la preuve du demandeur.

[50]  Quant à l’argument du demandeur selon lequel la preuve établit qu’il sera perçu comme bisexuel au Nigéria, la SAR a conclu que le récit du demandeur sur ce qui lui est arrivé au Nigéria – qu’il était recherché par la police en raison de son orientation – n’était pas crédible. Pour parvenir à cette conclusion, la SAR n’a pas tenu compte des questions liées à son identité bisexuelle ni des perceptions liées à son identité sexuelle. Autrement dit, la SAR n’a pas cru l’élément essentiel de la demande d’asile du demandeur, à savoir que la police nigériane était à ses trousses en raison de son orientation sexuelle, et a donc accordé peu de poids à la preuve par affidavit. Par conséquent, il ne s’agit pas d’une affaire comme Ogunrinde c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 760, sur laquelle s’est fondé le demandeur, dans laquelle les éléments de preuve ont établi que les autorités nigérianes croyaient que le demandeur était homosexuel et qu’il était par conséquent en danger en raison de cette perception.

La demande d’asile résiduelle

[51]  Le demandeur soutient que la SAR a traité de manière déraisonnable la lettre du 519 Centre, les lettres de la MCC et l’affidavit du partenaire du demandeur au Canada. Il fait valoir que la fréquentation de la MCC et du 519 Centre démontre son appartenance à la communauté LGBTIQ et que les lettres de ces entités sont des preuves probantes de son orientation sexuelle. De plus, l’affidavit de son partenaire aurait dû bénéficier de la présomption de véracité établie dans Maldonado, et le fait que son partenaire n’ait pas témoigné à l’audience de la SPR ne devrait pas diminuer le poids ou le contenu de sa preuve.

[52]  Le défendeur est d’avis que ni la lettre de la MCC ni la lettre du 519 Centre ne constituent une preuve de l’orientation sexuelle du demandeur. En outre, la lettre du 519 Centre indique seulement que le demandeur a assisté à une réunion en octobre 2016. Le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement conclu que l’affidavit du partenaire du demandeur était vague. Il appert qu’il n’ait pas été interrogé par la SPR. Le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement décidé que l’affidavit ne constituait pas une preuve suffisante pour conclure qu’il est plus probable que le contraire que le demandeur soit membre de la communauté LGBTIQ.

[53]  En l’espèce, le demandeur a présenté une lettre d’appui du 519 Centre, datée du 26 octobre 2016, dans laquelle il est indiqué que le demandeur a assisté à une séance pour les nouveaux arrivants en octobre 2016 et qu’il assiste depuis à des réunions de groupe hebdomadaires ainsi qu’à des ateliers de soutien pour la communauté LGBTIQ. La SAR a reconnu que le demandeur a eu un certain degré d’activité au 519 Centre, mais a souligné que cela n’a pu durer que quelques semaines, car la lettre était datée du 26 octobre 2016. La SAR a également fait remarquer qu’il n’y avait aucun élément de preuve à jour provenant du 519 Centre. La SAR a reconnu que le demandeur avait témoigné qu’il avait assisté à une réunion la semaine précédant l’audience en avril 2018, mais a constaté que cela ne brossait pas un tableau clair de son degré d’activité. La SAR a effectué une distinction entre l’espèce et les faits dans les décisions Leke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 848 et Diallo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 562, que le demandeur avait invoquées. La SAR a également examiné l’affidavit d’un homme avec qui le demandeur prétend avoir une relation au Canada, et elle a constaté qu’il indique que lui et le demandeur fréquentent le 519 Centre, mais elle a conclu que cet affidavit était vague, parce qu’il ne faisait pas état de la fréquence de leur participation. L’affiant ne s’est pas non plus présenté à l’audience de la SPR, de sorte que la SPR n’a pas eu l’occasion de le questionner.

[54]  La lettre originale de la MCC, datée du 9 octobre 2016, confirme que le demandeur a fréquenté la MCC en vue d’obtenir du soutien relativement à sa demande d’asile visant à lui permettre de demeurer au Canada en raison de son orientation sexuelle. La lettre indique qu’il fréquentait la MCC depuis le 25 septembre 2016, qu’il avait assisté à l’une des réunions mensuelles du groupe de soutien par les pairs à l’intention des réfugiés et qu’il a montré un intérêt à faire du bénévolat pour l’organisme. La lettre poursuit en disant qu’en s’engageant auprès de la MCC, le demandeur a fait montre de sa volonté et de son degré d’aise de faire partie de la communauté en tant qu’homme bisexuel. Une lettre plus récente de la MCC, datée du 11 février 2018, indique essentiellement la même chose, dans la mesure où elle indique que le demandeur a assisté à « plusieurs » réunions mensuelles et a offert son temps et ses services au centre d’information de la MCC. Aucune information n’est fournie quant à la fréquence à laquelle cela s’est produit. La SAR a examiné cette preuve, ainsi que le témoignage du demandeur selon lequel il se rend habituellement à l’église de la MCC. Elle a également examiné l’affidavit de l’homme avec qui le demandeur allègue être dans une relation homosexuelle au Canada. La SAR a conclu que l’affidavit n’indique pas la fréquence de participation et que le témoignage du demandeur était vague, surtout dans le contexte de la lettre ultérieure de la MCC. La SAR a également conclu que les lettres de la MCC ne contenaient pas d’opinion au sujet de l’orientation sexuelle du demandeur. La SAR a conclu que la preuve provenant de la MCC n’était pas suffisante pour corriger les lacunes de la demande d’asile du demandeur. En ce qui concerne l’affidavit de la personne affirmant être dans une relation homosexuelle avec le demandeur au Canada, daté du 30 janvier 2018, la SAR a l’a également jugé vague.

[55]  La SAR a conclu que la preuve fournie par le demandeur, y compris la lettre du 519 Centre et les lettres de la MCC, établissait simplement une certaine participation ou un certain degré d’activité au sein de la communauté LGBTIQ de la part du demandeur, mais non qu’il était un membre actif. La SAR a jugé que la preuve était vague quant au type de participation, à la fréquence et au niveau d’engagement du demandeur envers l’organisme. En outre, il ne s’agissait pas d’un cas où il y avait une preuve suffisamment crédible de l’appartenance d’un demandeur à la communauté LGBTIQ pour réfuter la conclusion que le récit du demandeur n’était pas crédible. De plus, le témoignage du demandeur quant à sa relation au Canada, qui durerait depuis le 4 décembre 2016, était également vague, et le déposant de cet affidavit n’a pas témoigné. La SAR a conclu que, même lorsqu’examinée de façon cumulative, la preuve n’était pas suffisante pour établir qu’il était plus probable que le contraire que le demandeur était membre de la communauté LGBTIQ. La preuve concernant sa sexualité était vague et, même si l’on examine sur le fond la preuve documentaire à l’appui, celle-ci s’est vu accorder peu de poids et n’était pas suffisante pour établir qu’il est plus probable que le contraire que le demandeur appartienne à la communauté LGBTIQ.

[56]  À titre d’observation préliminaire, bien que la SAR considère que cette partie de son analyse porte sur la demande d’asile résiduelle du demandeur, celle-ci n’est pas résiduelle, en ce sens que cet aspect de la demande d’asile du demandeur concerne d’autres motifs allégués de persécution. La SAR a plutôt fait remarquer que le demandeur a soutenu que le simple fait qu’il ait possiblement menti sur une partie de sa demande d’asile ne signifie pas nécessairement que l’intégralité du récit n’est pas crédible et, essentiellement, il a demandé à la SAR de soupeser les éléments de preuve crédibles à l’encontre du reste de la preuve. Il semble que ce soit l’approche analytique adoptée par la SAR.

[57]  Bien qu’il soit possible, à mon avis, de contester certains aspects de l’évaluation de la SAR, comme le fait que la lettre du 519 Centre indiquait effectivement le type de participation du demandeur, considérée dans son ensemble, la conclusion de la SAR selon laquelle la preuve de l’orientation sexuelle du demandeur était vague est étayée par un examen de la preuve dont elle disposait, qui se trouve au dossier. Il incombait au demandeur d’établir sa demande d’asile résiduelle en présentant une preuve convaincante. 

[58]  Il ne s’agit pas non plus d’une situation comme dans la décision Buwu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 850, sur laquelle s’appuie le demandeur. Dans cette affaire, la demanderesse n’était pas dans une relation homosexuelle au Canada et, par conséquent, la preuve de sa participation active aux communautés LGBTIQ était essentielle à sa demande d’asile. En l’espèce, le demandeur prétend être dans une relation homosexuelle au Canada et sa preuve quant à l’étendue de sa participation à l’égard de la MCC et du 519 Centre était limitée et ne donnait pas à penser qu’il jouait un rôle actif, comme l’a conclu la SAR. En outre, même si cette appartenance est un facteur dont la SAR peut prendre en considération lorsqu’elle évalue si un demandeur a établi son orientation sexuelle alléguée, elle ne suffira pas à elle seule à établir cette orientation.

[59]  En l’espèce, le demandeur affirme être dans une relation homosexuelle au Canada depuis décembre 2016. Pourtant, son propre témoignage et l’affidavit de son partenaire allégué ne présentaient pas suffisamment de détails sur cette relation. L’affidavit de son partenaire allégué est bref. En ce qui concerne la relation, il indique les dates où lui et le demandeur se sont rencontrés et ont eu une première relation intime, puis mentionne qu’ils passent du temps de qualité ensemble lorsqu’ils sont libres, font leurs courses, pratiquent leur religion à la MCC et participent à des activités au 519 Centre le mercredi. L’affidavit porte essentiellement sur les points soulevés par le demandeur, mais ne fournit aucune autre observation, et ne contient pas le degré de détail auquel on pourrait s’attendre de la vie quotidienne d’un couple. Ce manque de détails aurait pu être comblé si le partenaire allégué du demandeur avait témoigné devant la SPR, puisqu’il a indiqué dans son affidavit qu’il était disposé à le faire. Toutefois, les transcriptions indiquent que le demandeur a déclaré que le déposant n’avait pas assisté à l’audience tenue le 16 avril 2018 en raison d’un nouvel emploi, de la nature de son travail, de son horaire et d’un manque de personnel. Il n’a pas assisté à l’audience du 29 mai 2018 parce qu’il avait perdu son père un mois plus tôt et qu’il était malade. Rien n’indique que le demandeur a demandé un ajournement pour que son présumé partenaire de même sexe puisse témoigner.

[60]  La SAR a conclu que la preuve à l’appui ne suffisait pas pour établir qu’il était plus probable que le contraire que le demandeur soit membre de la communauté LGBTIQ. Selon moi, cela revient à dire que le demandeur n’avait pas établi son identité sexuelle et, par conséquent, qu’il serait exposé à un risque à son retour au Nigéria. Je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle; en fait, le demandeur demande à la Cour de réévaluer la preuve à ce stade-ci, ce qui n’est pas le rôle de la Cour (Qaddafi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 629, au par. 59).

Article 97

[61]  Le demandeur soutient que la SAR était tenue d’examiner, malgré ses conclusions défavorables quant à la crédibilité, si la preuve objective concernant la situation dans le pays démontrait qu’il était en danger à titre de personne appartenant à la communauté LGBTIQ.

[62]  Le défendeur soutient que la SAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles selon lesquels le demandeur appartient à la communauté LGBTIQ. En outre, la SAR a expressément abordé la question et conclu de façon raisonnable que le demandeur n’était pas exposé à un risque au titre de l’article 97.

[63]  La jurisprudence citée par le demandeur établit que, même si un demandeur n’est pas crédible, le décideur sous-jacent doit tout de même se pencher sur la question de savoir si le demandeur serait personnellement exposé aux risques énoncés à l’article 97 de la LIPR (Odetoyinbo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 501, aux par. 6-8 (Odetoyinbo)). Toutefois, en l’espèce, l’identité sexuelle du demandeur est le fondement des demandes d’asile qu’il a présentées au titre des articles 96 et 97. La SAR a conclu que le demandeur n’appartenait pas à la communauté LGBTIQ selon la prépondérance des probabilités. La SAR a constaté que le fardeau de la preuve dont une personne doit s’acquitter pour établir qu’elle a qualité de personne à protéger au titre de l’article 97 est plus élevé que celui dont elle doit s’acquitter pour établir qu’elle a qualité de réfugié au sens de la Convention au titre de l’article 96. Comme il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir le risque au titre de l’article 96, il n’y avait pas non plus suffisamment d’éléments de preuve pour établir le même risque et, par conséquent, que le demandeur a qualité de personne à protéger au titre de l’article 97. L’affaire qui nous occupe est différente de Bastien c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 982, invoquée par le demandeur, où le sexe de la demanderesse constituait une forme évidente d’appartenance à un groupe susceptible d’être persécuté et ne s’inscrivait pas dans l’élément central de sa demande d’asile (au par. 10 à 11), ou de l’affaire Odetoyinbo, dans laquelle la SPR n’a pas expressément rendu une décision à savoir si le demandeur était bisexuel, et a donc commis une erreur en omettant d’effectuer une analyse distincte fondée sur l’article 97 (au par. 8). En l’espèce, la SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il faisait partie de la communauté LGBTIQ avant de conclure qu’une demande au titre de l’article 97 fondée sur le même risque n’avait pas non plus été établie. Aucune erreur ne s’est produite dans le traitement de la demande d’asile fondée sur l’article 97.

Conclusion

[64]  En conclusion, après avoir examiné l’issue de la décision de la SAR à la lumière de la justification qui la sous-tend, je conclus que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au par. 15). Par conséquent, la décision de la SAR était raisonnable.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3131-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  3. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de la certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de février 2020

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3131-19

 

INTITULÉ :

GABRIEL OLADELE ABOLUPE c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 janvier 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 JANVIER 2020

 

COMPARUTIONS :

Akinwumi Reju

 

Pour le demandeur

 

Hillary Adams

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Topmarke Attorneys

Avocats

North York (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.