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Date : 20200122


Dossier : IMM‑2520‑19

Référence : 2020 CF 99

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 22 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

GUSTAVO EVIEL RENDON SEGOVIA

MARCELA NALLELY SALAZAR OCHOA

EDWIN EVIEL RENDON SALAZAR

EDSON GABRIEL RENDON SALAZAR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Les demandeurs, qui forment une famille de quatre personnes originaires du Mexique, contestent, dans le cadre du présent contrôle judiciaire, le rejet de l’appel se rapportant à leur demande d’asile. J’ai lu leurs observations et entendu les plaidoiries, et leur avocat m’a convaincu que des erreurs susceptibles de contrôle ont été commises; je suis donc tenu de renvoyer l’appel au tribunal pour qu’il rende une nouvelle décision. J’ai informé les parties que des motifs écrits suivraient. Les voici.

[2]  Le demandeur principal, qui travaillait comme chauffeur syndiqué, prétend que des membres du cartel de la drogue Los Zetas : l’ont enlevé en avril 2017, l’ont conduit à un guichet automatique bancaire et lui ont extorqué le montant maximal de retrait quotidien; l’ont de nouveau enlevé en mai 2017, l’ont détenu et passé à tabac pendant trois jours et lui ont exigé une grosse somme mensuelle après lui avoir montré des photographies de son épouse et de ses enfants; et l’ont ensuite approché à trois reprises en juin 2017 pour lui exiger cet argent. Comme le demandeur principal n’avait pas les fonds que lui réclamait selon lui Los Zetas, la famille s’est enfuie peu après au Canada et a présenté une demande d’asile le 1er août 2017.

[3]  La Section de la protection des réfugiés [SPR] a rejeté la demande d’asile sur le fondement de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], car rien dans le dossier n’établissait de lien entre le préjudice prétendument subi et l’un des motifs de la Convention énoncés à cet article. Au titre du paragraphe 97(1), la SPR a conclu que les demandeurs disposaient de possibilités de refuge intérieur [PRI] à Cancún, à Hermosillo et à La Paz. Elle a estimé que les demandeurs ne risquaient pas de subir de préjudice, en particulier à Cancún, puisque selon les faits avancés, les assaillants opéraient en groupe, étaient armés, conduisaient une grosse voiture et soudoyaient la police, mais n’appartenaient pas nécessairement à un cartel ou n’étaient pas nécessairement motivés à retrouver les demandeurs. La SPR a plutôt estimé que les demandeurs avaient été pris pour cible en raison d’une perception de richesse, qu’ils étaient donc des victimes types de la criminalité et qu’ils pouvaient déménager pour éviter de se faire extorquer à l’avenir. La SPR a jugé que les PRI étaient raisonnables vu les aptitudes professionnelles, les actifs, les compétences linguistiques et le patrimoine culturel, y compris religieux (catholique), des demandeurs adultes.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

[4]  Le 29 mars 2019, la Section d’appel des réfugiés [la SAR ou le tribunal] a confirmé la décision de la SPR; c’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle.

[5]  Les demandeurs ont soumis onze nouveaux éléments de preuve à la SAR. Cinq d’entre eux ont été présentés avec le dossier d’appel et six après la mise en état de l’appel. Les demandeurs d’asile qui souhaitent soumettre des éléments de preuve après la mise en état d’un appel doivent le faire conformément à l’article 29 des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257 [les Règles]. La conseil qui représentait alors les demandeurs n’a pas respecté cette règle. La SAR a néanmoins examiné les onze documents et admis deux lettres de soutien fournies par le demandeur principal : a) une de sa mère, qui notait que des inconnus au volant de camionnettes et transportant des armes posaient des questions sur le demandeur principal et que l’un des oncles de celui-ci avait disparu et b) une de son beau-frère, un agent de police au Mexique, qui a identifié les assaillants comme appartenant au cartel Los Zetas.

[6]  La SAR a rejeté les autres éléments de preuve (voir la liste de ces documents à l’annexe A) et conclu qu’elle disposait de suffisamment de renseignements pour terminer l’instruction de l’appel sans tenir l’audience prévue au paragraphe 110(6) de la Loi.

[7]  La SAR a conclu que le seul élément de preuve produit pour démontrer que les assaillants appartenaient au cartel Los Zetas était la lettre du beau-frère du demandeur, mais lui a accordé peu de poids, mentionnant qu’il ne s’agissait pas d’un élément de preuve convaincant. La SAR a par ailleurs souscrit à la conclusion de la SPR concernant le lien avec l’un des motifs de la Convention énoncés à l’article 96 (extorsion basée sur une richesse perçue plutôt que sur l’un des motifs de la Convention) et l’absence du risque énoncé à l’article 97, faisant remarquer que « l’existence de la PRI n’a jamais été réfutée dans le mémoire » des demandeurs.

III.  Analyse

[8]  Les demandeurs invoquent des erreurs dans l’évaluation de la preuve (admise et exclue) et donc dans l’analyse de la PRI effectuée par la SAR. Comme ces questions se rapportent au bien-fondé d’une décision administrative, elles feront l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, cette présomption n’ayant été réfutée ni par une exception prévue à la loi ni par une exception liée à la primauté du droit (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au par. 23 [Vavilov]).

[9]  Les demandeurs invoquent également une iniquité procédurale découlant de la manière dont leur conseil (une conseillère en immigration) les a représentés devant le tribunal. Cette troisième question n’est pas destinée à contester le bien-fondé de la décision, mais soulève plutôt des doutes sur l’équité du processus. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême n’a pas semblé modifier la jurisprudence antérieure en la matière, ce qui signifie que les atteintes à l’équité procédurale sont encore assujetties à la norme de la décision correcte (Vavilov, au par. 23; Établissement Mission c Khela, 2014 CSC 24, au par. 79; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au par. 54).

A.  La SAR a commis une erreur dans son analyse de la preuve et des PRI.

[10]  Les demandeurs soutiennent que la SAR a évalué de façon déraisonnable les lettres du beau-frère (un membre actif de la police fédérale mexicaine) et de la mère du demandeur principal et qu’elle a déraisonnablement exclu la plainte que cette dernière avait déposée auprès de la police ainsi que l’évaluation psychologique du demandeur mineur. Selon les demandeurs, ce dernier point a également abouti à une évaluation incomplète de la PRI.

(1)  Analyse de la preuve

[11]  Je conviens avec les demandeurs que la SAR a commis une erreur dans son évaluation des lettres du beau-frère et de la mère du demandeur principal. Ces deux lettres contiennent des allégations selon lesquelles Los Zetas était impliqué dans les enlèvements, une question centrale de l’appel. L’analyse de la SAR concernant la lettre du beau-frère du demandeur principal figurait dans le paragraphe suivant :

Étant donné que les éléments de preuve présentés étaient insuffisants pour me convaincre que les auteurs du préjudice sont des membres de Los Zetas, le seul élément de preuve concernant l’implication des Zetas, à savoir une lettre d’appui de la part du beau-frère de l’appelant principal, a peu de poids et n’en a certainement pas assez pour me convaincre de l’implication des Zetas dans ce crime contre l’appelant principal.

[12]  La SAR a estimé que certaines parties de la lettre de la mère fournissaient de nouveaux renseignements – à savoir que des inconnus armés au volant de camionnettes s’informaient des allées et venues de son fils, et que son frère avait disparu. Au moment de décider si elle devait admettre ce document, la SAR a déclaré qu’elle « évaluer[ait] ultérieurement le poids qu’il convient de lui accorder », mais n’en a plus reparlé.

[13]  Cela est problématique. Je reconnais que la SAR pouvait avoir un motif raisonnable d’accorder peu de poids à cet élément de preuve, et ce, pour diverses raisons. Peut-être qu’elle pensait que les lettres étaient intéressées (Fadiga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1157, au par. 14). Peut-être qu’elle estimait qu’elles manquaient autrement de crédibilité. Cependant, la SAR n’a pas expliqué pourquoi elle a accordé un poids négligeable à la lettre du beau-frère et s’agissant de la lettre de la mère, elle n’a pas donné suite à sa promesse d’en évaluer le poids. La Cour ne peut donc pas savoir ce que le tribunal a pensé de cette lettre ni déterminer l’influence qu’elle a eue sur la décision. La SAR n’a ainsi fourni à la Cour aucun moyen de déterminer si l’issue reposait sur un fondement adéquat.

[14]  À mon avis, la détermination par la SAR du poids accordé à ces lettres était essentielle à la solution du litige, étant donné que les autres éléments de preuve corroborants étaient négligeables, voire inexistants. Si la SAR avait reconnu que Los Zetas – une organisation criminelle ayant une grande influence – avait ciblé le demandeur principal, cela aurait pu influer sur une question centrale de l’appel, à savoir si les PRI proposées étaient bel et bien sûres. Comme l’a récemment déclaré la Cour suprême, lorsque « le décideur omet de justifier, dans les motifs, un élément essentiel de la décision, et que cette justification ne saurait être déduite du dossier de l’instance, la décision ne satisfait pas, en règle générale, à la norme de justification, de transparence et d’intelligibilité » (Vavilov, au par. 98).

[15]  Pour un motif semblable, je souscris au point de vue des demandeurs selon lequel la SAR a rejeté de manière déraisonnable l’évaluation psychologique de l’un des demandeurs mineurs au motif qu’elle n’était pas pertinente. Ce rapport d’évaluation faisait état d’une déficience intellectuelle, précisant que la [TRADUCTION] « performance cognitive et scolaire [de l’intéressé] est significativement retardée comparativement à celle d’enfants du même âge », et que l’enfant [TRADUCTION] « tirerait profit d’une exposition constante à un milieu d’enseignement dans lequel des mesures d’adaptation spécialisées peuvent être prises ».

[16]  La SAR aurait dû expliquer pourquoi elle rejetait cet élément de preuve (p. ex., pour non‑conformité aux Règles). L’absence de pertinence était toutefois un motif déraisonnable, car le rapport était pertinent à l’égard des PRI, puisqu’il permettait d’établir les difficultés auxquelles un demandeur pourrait se heurter dans ces villes, et en fin de compte, de savoir si ces PRI étaient raisonnables (Iyere c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 67, au par. 52 [Iyere]). Encore une fois, l’arrêt Vavilov est instructif, puisque la majorité y affirme : « Même si le résultat de la décision pourrait sembler raisonnable dans des circonstances différentes, il n’est pas loisible à la cour de révision de faire abstraction du fondement erroné de la décision et d’y substituer sa propre justification du résultat » (au par. 96).

[17]  Les bévues déraisonnables commises dans l’analyse des documents décrits plus haut suffisent à mon avis à renvoyer l’affaire au tribunal. Cependant, par souci d’exhaustivité, j’aborderai brièvement les autres questions soulevées.

(2)  Analyse de la PRI

[18]  Ma conclusion selon laquelle la SAR a omis à tort de tenir compte du rapport psychologique révèle une erreur dans l’analyse de la PRI, et est liée à ce titre à la première erreur. Plus précisément, après avoir déclaré que la conseil n’avait soumis aucun argument pour réfuter les PRI proposées (ce qui renvoie à la question de l’équité procédurale intéressant la conduite de cette conseillère en immigration, qui sera évoquée plus loin), la SAR a déterminé que la preuve produite par les demandeurs était insuffisante pour prouver que les Zetas étaient les agents de persécution :

Étant donné que la SPR a conclu qu’il y a de multiples PRI, notamment à Cancún, et que ces PRI sont raisonnables et sécuritaires et qu’aucun argument n’a été présenté pour réfuter la conclusion de la SPR, je suis du même avis que la SPR et je conclus que les appelants ont plusieurs PRI au Mexique.

[19]  Le critère en deux volets servant à évaluer une PRI est bien établi : la SAR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, 1) qu’il n’y a pas de possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit persécuté dans la PRI; et 2) que les conditions dans la PRI sont telles qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’asile d’y chercher refuge (Iyere, au par. 30; Figueroa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 521, au par. 51 [Figueroa]).

[20]  En l’espèce, la SAR a simplement souscrit à la conclusion de la SPR quant à l’existence des PRI au motif que cette dernière avait estimé que ces « PRI [étaient] raisonnables et sécuritaires et qu’aucun argument n’a été présenté pour réfuter » cette conclusion. La SAR peut certainement, après avoir effectué sa propre analyse de la PRI, parvenir à la même conclusion que la SPR. Mais en l’espèce, elle ne pouvait entreprendre une analyse suivant le second volet du critère pour déterminer si les PRI étaient raisonnables étant donné qu’elle ne disposait pas d’un élément clé : la preuve psychologique sur laquelle la SAR aurait dû s’appuyer pour considérer le deuxième volet du critère en se gardant de répéter simplement les propos de la SPR, attendu que cette preuve était postérieure à la décision de cette dernière.

B.  L’incompétence de la conseil a provoqué une atteinte à l’équité procédurale.

[21]   La conseillère en immigration qui agissait à titre de « conseil » des demandeurs devant la SAR aurait dû savoir que la PRI était une question centrale de l’appel : après tout, la SPR a jugé qu’il s’agissait de la question déterminante. Il ne fait aucun doute que cette conseillère en immigration aurait dû aborder la PRI dans les observations écrites qu’elle a soumises à la SAR.

[22]  La Cour a déclaré que dans les poursuites intentées en vertu de la Loi, l’incompétence d’un conseil ne constituera une atteinte à la justice naturelle que dans des « circonstances extraordinaires » (Memari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1196, au par. 36 [Memari]). Pour démontrer que cette incompétence a entraîné une atteinte à l’équité procédurale, les demandeurs doivent établir chacun des trois volets du critère, à savoir que : i) les omissions ou les actes de l’ancien conseil constituaient de l’incompétence; ii) il y a eu déni de justice, en ce sens que, n’eût été la conduite alléguée, il existe une probabilité raisonnable que le résultat ait été différent; et iii) le représentant a bénéficié d’une possibilité raisonnable de répondre aux allégations (Guadron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1092, au par. 11 [Guadron]). Cependant, il existe au départ une forte présomption que la conduite du conseil se situait à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable (R. c G.D.B., 2000 CSC 22, aux par. 26 et 27 [GDB]).

[23]  Dans l’instance qui s’est déroulée devant la SAR, le seul argument avancé par la conseillère en immigration des demandeurs à l’égard de la PRI était contenu dans la déclaration suivante, inintelligible, qui n’aborde ni ne conteste les conclusions clés de la SPR au sujet des PRI :

[traduction

Dans sa décision, le commissaire affirme que le demandeur n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour le convaincre que s’il s’était adressé à la police ou à n’importe quel organisme gouvernemental, une protection de l’État appropriée n’aurait pas raisonnablement pas existé au Mexique.

[24]  Dans la décision, la SAR s’est fait un point d’honneur de critiquer cette lacune, déclarant ceci : « Étant donné que l’existence de la PRI n’a jamais été réfutée dans le mémoire, je dois considérer qu’il n’y a aucun argument à l’encontre des PRI proposées » [non souligné dans l’original]. Puis, lorsqu’elle a décidé de rejeter l’appel, la SAR a déclaré que la PRI était déterminante, comme l’avait fait la SPR.

[25]  En bref, il fait peu de doute que suivant le premier des trois volets du critère énoncé dans Guadron, le fait de ne pas présenter d’observation sur la question déterminante soulevée dans une décision – portée en appel sur le fond – constitue de l’incompétence pure et simple. Cela est particulièrement le cas lorsque le tribunal d’appel rappelle au représentant la question clé soulevée par la décision contestée, comme cela s’est produit en l’espèce. En d’autres mots, nous ne sommes pas en présence d’une situation dans laquelle les actes de la conseillère en immigration sont visés par la présomption habituelle du « large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable » avec l’avantage de la « sagesse rétrospective » (G.D.B., au par. 27). Il ne s’agissait pas, par exemple, de critiquer a posteriori la stratégie de litige retenue, alors qu’il en existait d’autres, et qui, lorsqu’elle s’avère infructueuse, est décriée par les gérants d’estrade toujours fort clairvoyants.

[26]  Les deuxième et troisième volets du critère sont également remplis. Je les aborderai toutefois en ordre inverse, puisque certaines des réponses de la conseillère en immigration aux allégations (le troisième volet du critère) permettent d’éclairer le deuxième volet – à savoir qu’il y avait eu déni de justice dans les circonstances, car il existe une probabilité raisonnable que le résultat ait été différent n’eût été l’incompétence de la conseil.

[27]  L’avocat qui représentait les demandeurs devant la Cour a suivi les procédures établies dans le protocole du 7 mars 2014 intitulé Concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger. Il a en particulier avisé par écrit la conseillère en immigration des allégations ainsi que de la possibilité qu’elles soient soulevées lors du contrôle judiciaire, et lui a donné la possibilité de répondre. La réponse figure dans le dossier du présent contrôle judiciaire, et les allégations sont examinées de manière exhaustive dans les actes de procédure déposés devant la Cour. L’exigence relative à l’envoi d’un avis prévue dans l’affaire Guadron est donc respectée.

[28]  En réponse à l’avocat actuel des demandeurs, la conseillère en immigration a déclaré que [TRADUCTION] « les articles joints laissent penser que des organisations criminelles, leurs filiales et leurs alliés plus modestes sont implantés dans tout le Mexique ». Cependant, cela n’explique pas l’absence d’observations à l’égard de la PRI ni le non-respect des Règles concernant la nouvelle preuve présentée (voir annexe A).

[29]  En bref, l’avocat qui représente les demandeurs dans le cadre du présent contrôle judiciaire maintient que la preuve clé a été passée sous silence et qu’elle n’a pas été abordée en ce qui touche à la fois : i) les risques auxquels ils étaient exposés et auxquels ils feront face à cause des Zetas, en particulier dans les PRI et ii) le caractère raisonnable de ces PRI pour leur fils.

[30]  Je suis d’accord. Premièrement, l’ancienne conseillère en immigration n’a pas respecté les Règles du tribunal lorsqu’elle a soumis sa preuve. Deuxièmement, lorsque la SAR a néanmoins accepté de considérer la preuve tardive, la conseillère en immigration n’a pas abordé la preuve clé intéressant la question déterminante (PRI). Troisièmement, la conseillère en immigration n’a pas fourni d’élément de preuve à jour concernant les risques que le cartel Los Zetas opère dans les trois PRI proposées (dûment incluses par l’avocat actuel dans le dossier du contrôle judiciaire, même si elles n’avaient pas été présentées à la SAR, précisément en raison des atteintes alléguées à l’équité procédurale).

[31]  Ces actes et omissions satisfont cumulativement à l’exigence d’établir qu’un déni de justice a découlé de l’incompétence de la conseillère en immigration (Memari, aux par. 38, 39 et 64), en ce sens que n’eût été la conduite alléguée, il existe une probabilité raisonnable que le résultat ait été différent.

[32]  Cela ressortait très clairement de la critique formulée par le commissaire de la SAR quant à l’absence d’arguments portant sur la PRI, lorsqu’il a déclaré que comme la conseillère en immigration n’avait pas réfuté la PRI, « [il devait] considérer qu’il n’y a aucun argument à l’encontre des PRI proposées ». Encore une fois, la PRI était la question déterminante dont était saisie la SPR, et est devenue à nouveau la question déterminante dans la décision de la SAR faisant l’objet du contrôle. Comme la Cour l’a déjà conclu, la Commission n’aurait pas envoyé ce message si elle n’avait pas estimé qu’une grave omission était survenue (Mcintyre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1351, au par. 37).

[33]  Étant donné que i)  les effets cumulatifs des manquements de la conseil constituaient de l’incompétence, ii)  cette incompétence a entraîné un déni de justice et iii) la conseillère en immigration a eu la possibilité d’expliquer entièrement son point de vue, j’estime qu’il y a eu atteinte à l’équité procédurale dans la décision faisant l’objet du contrôle.

IV.  Conclusion

[34]  La SAR a commis une erreur dans son évaluation de la preuve lorsqu’elle a omis d’expliquer pourquoi elle attribuait peu de poids aux éléments qui se rapportaient à une question importante en appel. Elle a également commis une erreur en rejetant l’évaluation psychologique au motif qu’elle était dépourvue de pertinence, alors que cette évaluation était bel et bien pertinente pour l’analyse de la PRI. Cette erreur en a entraîné une autre, car la SAR n’a pas examiné le second volet de l’analyse de la PRI. Comme les PRI étaient des questions déterminantes, ces lacunes rendent la décision déraisonnable en ce qu’elle n’était ni justifiée ni transparente au regard des contraintes factuelles et juridiques auxquelles elle était assujettie (Vavilov, au par. 99). L’incompétence de la conseillère en immigration qui les a représentés devant la SAR et l’atteinte à l’équité procédurale qui en a résulté ont également pour effet de vicier la décision. Par conséquent, je ferai droit à la présente demande de contrôle judiciaire et renverrai l’appel à la SAR pour qu’elle rende une nouvelle décision.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2520‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée à un autre tribunal de la Section d’appel des réfugiés pour qu’il rende une nouvelle décision.

  3. Aucune question à certifier n’a été soulevée, et je conviens qu’il ne s’en pose aucune.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de février 2020

Mélanie Vézina, traductrice


ANNEXE A

Éléments 1 à 4 soumis à temps (compris dans le dossier d’appel de la SAR), éléments 5 à 9 soumis en retard :

  1. Article de presse ‑ « Impunity worse due to institutional failings » (en anglais seulement) (13 mars 2018)
  • o La SAR a exclu cet élément de preuve parce qu’il était dépourvu de pertinence; la conseillère en immigration n’a pas tenté d’expliquer en quoi il pourrait s’avérer pertinent.

  1. Article de presse ‑ « Mexico’s war on drugs: Arrests fail to drive down violence » (en anglais seulement(25 janvier 2018)
  • o La SAR a exclu cet élément de preuve parce qu’il était antérieur à l’audience de la SPR et qu’il était donc inadmissible aux termes du paragraphe 110(4); preuve non pertinente et les demandeurs n’ont pas tenté d’expliquer en quoi elle pourrait l’être.

  1. Photos de bannières comportant des menaces de mort (février 2018)

  • o La SAR a rejeté cet élément de preuve, car même si la traduction indique que les bannières ont été produites en février 2018, cela était impossible à vérifier; les photographies étaient donc inadmissibles aux termes du paragraphe 110(4). Par ailleurs, comme elles ne nomment pas les demandeurs, ces bannières sont dépourvues de pertinence.

  1. Publications Facebook (10 avril 2018)

  • o Liées à la disparition de l’oncle; aucune pertinence.

  1. Évaluation psychologique (13 avril 2018)

  • o La SAR a rejeté l’évaluation psychologique concernant les troubles d’apprentissage de l’enfant – aucune pertinence.

  1. Plainte à la police (11 avril 2018)

  • o La SAR a rejeté cette plainte que la mère du demandeur a présentée à la police pour signaler la disparition de l’oncle – aucune pertinence.

  1. Rapport de la Commission interaméricaine des droits de l’homme. « Children and youth of Mexico, the future of organized crime » (en anglais seulement) (16 mars 2017)

  • o La SAR a rejeté cet élément de preuve, car il était antérieur à l’audience de la SPR.

  1. Rapport de Transparency Law ‑ « Who are and where do the Mexican drug cartels operate? » (en anglais seulement) (29 septembre 2017)

  • o La SAR a rejeté cet élément de preuve parce qu’il était antérieur à l’audience de la SPR.

  1. Article de la Universidad de las Américas Puebla. « Impunity in Mexico is 99.3 %; there are not enough police or judges ». (en anglais seulement) 13 mars 2018.

  • o La SAR a rejeté cet élément de preuve parce qu’il était dépourvu de pertinence.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2520‑19

 

INTITULÉ :

GUSTAVO EVIEL RENDON SEGOVIA et al c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 JANVIER 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 22 JANVIER 2020

 

COMPARUTIONS :

Nicholas Woodward

 

POUR Les demandeurs

 

Kevin Spykerman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Battista Smith Migration Law Group

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR Les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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