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Date : 20060719

Dossier : IMM-5186-05

Référence : 2006 CF 896

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

PETER ANTHONY COLACO

SAVITA COLACO

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               En 2001, Peter et Savita Colaco, de même que leurs deux enfants, Joel et Jocelyn Colaco, ont demandé à être admis Canada au titre de résidents permanents.  Les demandeurs, M. et Mme Colaco, appartenaient à la catégorie des travailleurs qualifiés.

 

[2]               Sans nouvelles du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration (le « ministère ») depuis plus de dix-huit mois, la famille a alors présenté une demande d’établissement.  Ce n’est que le 23 juin 2005 que le ministère a informé les Colaco que leur demande était refusée pour les motifs suivants :

[traduction] Selon le paragraphe 38(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, l’état de santé du membre de votre famille, Jocelyn Colaco, laquelle souffre de déficience mentale légère, risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.  Les définitions réglementaires de ces termes figurent en annexe.  Par conséquent, elle n’est pas admissible au Canada pour des motifs sanitaires.

 

Dans la lettre que je vous ai adressée le 3 mars 2004, je vous invitais à répondre à l’évaluation préliminaire en me transmettant des renseignements ou documents supplémentaires.  Nous avons reçu vos documents et, après les avoir soigneusement examinés, nous maintenons l’appréciation que nous avons faite de l’état de santé du membre de votre famille, appréciation qui est maintenant finale.

 

 

[3]               Il n’est pas contesté que Jocelyn Colaco souffre d’une légère déficience cognitive qui peut nécessiter un certaine forme de soutien des services sociaux.  Il convient de signaler cependant qu’elle fonctionne à un niveau élevé et n’a guère besoin d’aide pour les soins d’hygiène personnelle.  Les parties reconnaissent également que Jocelyn n’aura besoin dans le futur que du soutien des services sociaux et ne nécessitera pas des soins de santé extraordinaires.

 

[4]               Le dossier révèle également que, avant d’arriver au Canada, M. et Mme Colaco subvenaient eux-mêmes à tous les besoins de Jocelyn et qu’ils entendent continuer à le faire si la famille devait s’établir au Canada.  Dans leur demande d’immigration, ils ont déclaré posséder un avoir net combiné de 280 125 $ 

 

[5]               Il est évident que la décision par laquelle le ministère a refusé à cette famille le droit d’entrer ne tenait pas compte de sa situation financière ni de sa capacité et de sa volonté de contribuer aux coûts futurs des services de soutien dispensés à Jocelyn.

 

Question en litige

[6]               La seule question dont je suis saisi est celle de savoir si le ministère a commis une erreur en ne considérant pas la capacité financière et la volonté de M. et Mme Colaco de contribuer aux coûts futurs des services sociaux dispensés à Jocelyn.

 

Analyse

[7]               En 2005, la Cour suprême du Canada a répondu à la question qui se pose en l’espèce dans l’arrêt Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 706, [2005] A.C.S. no 58, 2005 CSC 57 (C.S.C.), et il n’est pas nécessaire que j’examine les autres décisions invoquées par les parties.  L’arrêt Hilewitz portait sur le paragraphe 19(1) de l’ancienne Loi sur l’immigration de 1985.  Cette disposition ne peut cependant pas être distinguée du paragraphe 38(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, que le ministère a appliqué en l’espèce.  Ces deux dispositions établissent des interdictions de territoire pour des motifs sanitaires lorsque l’état de santé d’une personne risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

 

[8]               L’arrêt Hilewitz susmentionné concernait la décision de refuser à deux familles l’admission au Canada pour le même motif que celui invoqué par le ministère en l’espèce – la déficience intellectuelle d’un enfant à charge.  Comme en l’espèce, un médecin agrée a évalué la mesure dans laquelle ces familles pourraient vraisemblablement obtenir le soutien des services sociaux au Canada au nom desdites personnes à charge et il a conclu que les coûts afférents à ces services imposeraient un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens.  Les médecins agréés qui ont procédé à ces appréciations n’ont pas examiné la capacité ou la volonté des deux familles de contribuer financièrement aux coûts des services sociaux prévus.  La Cour a estimé que cette omission de tenir compte du fardeau susceptible d’être imposé aux services sociaux provinciaux (et non l’admissibilité à ces services) constituait une erreur d’interprétation législative.  La Cour a conclu que le ministère devait tenir compte de la situation financière concrète de la famille et procéder à des appréciations individuelles (voir paragraphe 57).  Elle a ensuite défini cette obligation dans les termes suivants au paragraphe 70 :

Les médecins agréés et les agents des visas avaient l’obligation de tenir compte de tous les éléments pertinents, tant de nature médicale que non médicale, par exemple la disponibilité des services et les besoins prévus à cet égard.  Or dans les deux cas, les agents des visas ont commis une erreur en confirmant le refus des médecins agréés de prendre en considération l’incidence possible de la volonté des familles d’apporter leur soutien.  En outre, leurs décisions n’étaient pas fondées sur la totalité de l’information disponible, vu leur refus de lire les réponses des familles aux lettres requises par l’équité que leur avaient fait parvenir les médecins agréés.

 

[9]               En l’espèce, le ministère a tenté d’établir une distinction avec l’arrêt Hilewitz, précité, en soutenant que celui‑ci ne s’appliquait qu’à une catégorie d’immigrants économiques potentiels – à savoir aux demandeurs gens d’affaires (investisseurs, travailleurs autonomes et entrepreneurs).  Il prétend que les demandeurs gens d’affaires doivent, lorsqu’ils arrivent au Canada, disposer d’avoirs importants et il s’appuie fortement sur l’extrait suivant de la décision Hilewitz pour établir cette distinction :

39        Il est important de reconnaître d’emblée qu’il est question de personnes qui répondent aux critères d’admission au Canada dans les catégories des « investisseurs » et des « travailleurs autonomes ».  L’appartenance à ces catégories repose, dans une large mesure, sur les avoirs d’une personne.  Bien qu’il ne fasse aucun doute que la plupart des immigrants, peu importe leurs ressources lorsqu’ils arrivent au Canada, apportent au bout du compte beaucoup à notre pays de toutes sortes de façons, les catégories applicables aux demandeurs en l’espèce correspondent à un volet de la politique d’immigration qui permet d’admettre des personnes dont on attend un apport économique substantiel plus immédiat.

 

40        Il me semble quelque peu incongru d’interpréter la loi de façon telle que les mêmes avoirs qui, d’une part, permettent aux investisseurs et aux travailleurs autonomes de se faire admettre aux Canada, puissent, d’autre part, ne pas être pris en considération lorsqu’il s’agit de décider de l’admissibilité de leurs enfants handicapés.  Je partage l’avis des juges de la Cour fédérale qui, à l’instar des juges Reed et Gibson, ont statué que la situation des familles des personnes à charge handicapées est un critère pertinent pour l’appréciation, en vertu du sous‑al. 19(1)a)(ii), de l’incidence prévue de l’admission de ces personnes sur les services sociaux.  Voir Poste c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1805 (QL) (1re inst.), le juge Cullen; Wong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 24 (QL) (1re inst.), le juge Reed; Wong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),  A.C.F. no 980 (QL), 2002 CFPI 625, le juge McKeown; Simmons c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 1155 (QL), 2002 CFPI 866, le juge Martineau; Karmali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 507 (QL), 2003 CFPI 358, le juge O’Keefe.

 

 

[10]           Je ne puis accepter que l’extrait ci-dessus signifie que la Cour a voulu limiter l’application de ses motifs aux gens d’affaires immigrants.  Il s’agit plutôt d’une simple observation concernant l’interprétation incongrue résultant de l’argument soulevé par le ministère dans cet arrêt.  Le fait qu’une telle incongruité ne survienne pas toujours n’enlève rien au fait que les motifs de la Cour visent d’autres cas, y compris celui de la présente espèce.

 

[11]           S’il est vrai que les autres catégories de demandeurs ne sont pas tenues de disposer des mêmes ressources financières que les demandeurs gens d’affaires, les personnes qui cherchent à entrer au Canada au titre de travailleurs qualifiés doivent satisfaire à certains critères financiers.  Il se présentera des cas où, comme celui de l’espèce, les ressources qu’une famille sera en mesure d’apporter au Canada seront plus importantes que ce qui est exigé par la loi et où ces ressources pourront facilement être utilisées pour subvenir aux besoins d’une personne à charge handicapée.  Conclure qu’une telle famille ne mérite pas une appréciation individuelle comme celle décrite dans Hilewitz, précité, reviendrait à introduire dans le régime législatif un élément arbitraire que celui‑ci n’était pas censé comporter et qui ne se trouve nulle part dans le texte de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. 

 

[12]           En l’espèce, il incombait au ministère d’examiner soigneusement la preuve présentée par la famille Colaco concernant leur déclaration d’engagement à soutenir financièrement Jocelyn.  Le dossier indique que ni l’agent des visas ni le médecin agréé ayant travaillé à cette affaire n’ont procédé à une appréciation individuelle du type décrit dans Hilewitz, précité, ce qui n’est pas du tout surprenant puisque cet arrêt a été prononcé presque 4 mois après la décision refusant l’entrée à la famille Colaco.  Il convient aussi de signaler que l’avocat du ministère a candidement admis que, si la Cour conclut que l’arrêt Hilewitz s’applique à la présente espèce, alors l’appréciation ne satisfait pas aux normes prescrites.

 

[13]           Ainsi qu’il est dit au paragraphe 71 de l’arrêt Hilewitz, il s’agit en l’espèce d’une question d’interprétation législative qui commande l’application de la norme de la décision correcte.  Comme la décision du ministère était incorrecte, cette décision est infirmée.  La demande soumise par la famille Colaco doit être renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il la réexamine et rende une nouvelle décision.

 

[14]           J’accorderai aux deux parties la possibilité de proposer une question certifiée dans les sept jours suivant la présente décision, ainsi que le droit de répliquer dans les trois jours suivants.

 


 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE QUE la décision de l’agent des visas soit infirmée et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il la réexamine et rende une nouvelle décision.

 

 

 

"R. L. Barnes"

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5186-05

 

INTITULÉ :                                       PETER ANTHONY COLACO ET AL

 

                                                            c.

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 28 JUIN 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BARNES

 

DATE :                                               LE 19 JUILLET 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mario Bellissimo                                                                       POUR LES DEMANDEURS

 

Catherine Vasilaros                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mario Bellissimo                                                                       POUR LES DEMANDEURS

Ormston, Bellissimo, Rotenberg

avocats et conseillers juridiques

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada 

Ministère de la Justice

Bureau régional de l’Ontario

Toronto (Ontario)

 

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