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     Date: 20000209

     Dossier: T-2231-98


Entre :

     ULTRAMAR CANADA INC.

     Demanderesse

     - et -


     MINISTRE DU REVENU NATIONAL

     Défendeur




     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE PINARD :

[1]      Cette demande de contrôle judiciaire vise un avis de détermination (remboursement), daté du 22 octobre 1998, émis par Revenu Canada, Douanes et Accise, par lequel le défendeur, se prévalant de l'article 224.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (la "Loi") informait la demanderesse (ci-après "Ultramar") qu'il exigeait effectivement la retenue par voie de compensation d'un montant de quelque 378 376,60 $, montant par ailleurs payable à Ultramar par Sa Majesté du chef du Canada.

Les faits

[2]      La Société Sofati/Socanav, dont Socanav Inc. est devenu successeur aux droits le 20 septembre 1996 (ci-après, collectivement, "Socanav"), était une société ouverte canadienne qui se spécialisait dans le transport maritime de liquide en vrac. Elle vendait ses services à Ultramar. Ultramar et Socanav ont signé plusieurs ententes :

     -      "Convention de vente" datée du 1er novembre 1985;
     -      "Tanker Voyage Charter Party" datée du 8 janvier 1986;
     -      "Master Time Charter Agreement" datée du 29 juillet 1993;
     -      "Amended and Restated Master Time Charter Agreement" datée du 12 mars 1996.


[3]      Le ou vers le 22 juin 1994, Ultramar transmit au ministre du Revenu national une demande de remboursement pour taxes et drawbacks (N-15) en vertu des paragraphes 68(17) et 70(1) de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, telle qu'amendée, relativement à des produits vendus à sa cliente Socanav. Semblable demande de remboursement est une demande d'exemption pour taxes sous forme de remboursement éventuel sur les transactions ayant trait aux achats de provisions de bord utilisées strictement pour les navires en eaux internes et secondaires conformément aux règlements sur les provisions de bord. La lettre de réclamation du 22 juin 1994, adressée à Revenu Canada, Accise, Douanes et Impôt, se lit comme suit :

         A qui de droit,
         Nous vous faisons parvenir une réclamation de taxes de vente fédérale et d'accise pour notre client Socanav. Les produits ont été utilisés pour l'approvisionnement navire. Toutes les factures que représente cette réclamation se trouvent dans les bureaux de notre client, Socanav, situés au 1801, avenue McGill College, Bureau 1470, Montréal (Québec). Les détails de cette réclamation sont joints à celle-ci.
         Nous vous remercions de votre collaboration et vous prions d'agréer, monsieur/madame, nos salutations distinguées.


         Nino Cavalancia
         Directeur,
         Taxes à la consommation


[4]      Cette demande de remboursement fut amendée quelques jours plus tard, le 27 juin 1994, pour se lire comme suit :

         Dear Sir/Madam:
         On June 22, 1994, we submitted to your office a refund claim for $1,332,771.51 (copy attached). We wish to revise this claim to read as follows.
         We now submit to you two (2) claims (N-15 attached), one is a drawback claim in the amount of $985,171.62 for the period from May 31, 1990 to May 31, 1992 (inclusive) and the other is a refund claim in the amount of $347,599.89 for the period from June 1, 1992 to March 30, 1993 (inclusive). All other details and information remain the same as stated in our letter of June 22, 1994 (copy attached).
         Should you need additional information or clarification, please do not hesitate to call the undersigned at (514) 499-6139.


         Nino Cavalancia
         Director,
         Commodity Taxes


[5]      Le 31 octobre 1996, après avoir déduit des sommes de 660 476,41 $ et 43 746,78 $ jugées non admissibles, le défendeur a fait parvenir à Ultramar un chèque au montant de 720 770 $, en regard de la réclamation faite en vertu de la Loi sur la taxe d'accise pour la période du 31 mai 1990 au 30 mars 1993. Ultramar, ne se considérant pas liée envers Socanav, retint ce montant pour elle-même.

[6]      Subséquemment, alors que Socanav était endettée envers le défendeur, relativement à des déductions à la source impayées, celui-ci a fait parvenir à Ultramar, en vertu du paragraphe 224(1.2) de la Loi, deux demandes formelles de paiement :

     -      le 14 novembre 1996, une demande au montant de 196 428,68 $ (no de compte 10490 2432 RP0002);
     -      le 27 novembre 1996, une demande au montant de 107 280 $ (no de compte NRH 374 395).

Ultramar refusa de payer quoi que ce soit et indiqua au défendeur, dans une lettre du 2 décembre 1997, qu'elle se considérait le bénéficiaire exclusif des remboursements et drawbacks faits en vertu de la Loi sur la taxe d'accise et, qu'en fait et en droit, la preuve ne révélait l'existence d'aucun contrat, verbal ou écrit, aux termes duquel elle devenait débitrice de tels remboursements et drawbacks envers Socanav.

[7]      En date du 27 avril 1998, Ultramar adressa à Revenu Canada, Douanes, Accise et Impôt, en vertu de l'article 69 de la Loi sur la taxe d'accise, une nouvelle demande de remboursement de la taxe d'accise. Cette demande, au montant de 677 094,94 $, n'était aucunement rattachée à la relation d'affaires entretenue par Ultramar et Socanav.

[8]      Le 28 octobre 1998, après avoir approuvé cette dernière demande en partie seulement, le défendeur émis l'avis de détermination (remboursement) visé par la présente demande de contrôle judiciaire.

Positions des parties

[9]      La demanderesse soumet que seul un manufacturier comme elle peut, en vertu de la Loi sur la taxe d'accise et la réglementation applicable, réclamer des remboursements pour taxes relativement à l'achat de carburant servant à l'approvisionnement de navires en eaux internes. Ultramar soumet en outre qu'il incombait au défendeur de prouver qu'elle était endettée envers Socanav, ce que le défendeur n'a pas réussi à faire.

[10]      Pour sa part, le défendeur, tout en admettant que seul un manufacturier tel que Ultramar peut réclamer semblables remboursements, soumet cependant que rien n'empêche ce dernier, une fois l'avis de détermination et chèque envoyés successivement par Revenu Canada, de verser un montant équivalent à un client tel que Socanav afin d'honorer une entente intervenue antérieurement entre les parties. Le défendeur soumet avoir prouvé cette entente par présomption de fait, aux termes de l'article 2849 du Code civil du Québec.

Analyse

[11]      Il importe de reproduire ici les dispositions applicables suivantes de la Loi de l'impôt sur le revenu :

222. All taxes, interest, penalties, costs and other amounts payable under this Act are debts due to Her Majesty and recoverable as such in the Federal Court or any other court of competent jurisdiction or in any other manner provided by this Act.



224. (1.2) Notwithstanding any other provision of this Act, the Bankruptcy and Insolvency Act, any other enactment of Canada, any enactment of a province or any law, but subject to subsections 69(1) and 69.1(1) of the Bankruptcy and Insolvency Act and section 11.4 of the Companies' Creditors Arrangement Act, where the Minister has knowledge or suspects that a particular person is, or will become within one year, liable to make a payment

     (a) to another person (in this subsection referred to as the "tax debtor") who is liable to pay an amount assessed under subsection 227(10.1) or a similar provision, or
     (b) to a secured creditor who has a right to receive the payment that, but for a security interest in favour of the secured creditor, would be payable to the tax debtor,

the Minister may in writing require the particular person to pay forthwith, where the moneys are immediately payable, and in any other case as and when the moneys become payable, the moneys otherwise payable to the tax debtor or the secured creditor in whole or in part to the Receiver General on account of the tax debtor's liability under subsection 227(10.1) or the similar provision, and on receipt of that requirement by the particular person, the amount of those moneys that is so required to be paid to the Receiver General shall, notwithstanding any security interest in those moneys, become the property of Her Majesty to the extent of that liability as assessed by the Minister and shall be paid to the Receiver General in priority to any such security interest.


224. (4) Every person who fails to comply with a requirement under subsection (1), (1.2) or (3) is liable to pay to Her Majesty an amount equal to the amount that the person was required under subsection (1), (1.2) or (3), as the case may be, to pay to the Receiver General.


224.1 Where a person is indebted to Her Majesty under this Act or under an Act of a province with which the Minister of Finance has entered into an agreement for the collection of the taxes payable to the province under that Act, the Minister may require the retention by way of deduction or set-off of such amount as the Minister may specify out of any amount that may be or become payable to the person by Her Majesty in right of Canada.

222. Tous les impôts, intérêts, pénalités, frais et autres montants payables en vertu de la présente loi sont des dettes envers Sa Majesté et recouvrables comme telles devant la Cour fédérale ou devant tout autre tribunal compétent, ou de toute autre manière prévue par la présente loi.


224. (1.2) Malgré les autres dispositions de la présente loi, la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, tout autre texte législatif fédéral ou provincial et toute règle de droit, mais sous réserve des paragraphes 69(1) et 69.1(1) de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et de l'article 11.4 de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, s'il sait ou soupçonne qu'une personne donnée est ou deviendra, dans les douze mois, débiteur d'une somme :

     a) soit un débiteur fiscal, à savoir une personne redevable du montant d'une cotisation en application du paragraphe 227(10.1) ou d'une disposition semblable;
     b) soit à un créancier garanti, à savoir une personne qui, grâce à une garantie en sa faveur, a le droit de recevoir la somme autrement payable au débiteur fiscal,

le ministre peut exiger par écrit de la personne donnée que tout ou partie de cette somme soit payé au receveur général, sans délai si la somme est payable immédiatement, sinon dès qu'elle devient payable, au titre du montant de la cotisation en application du paragraphe 227(10.1) ou d'une disposition semblable dont le débiteur fiscal est redevable. Sur réception de l'avis de cette exigence par la personne donnée, la somme dont le paiement est exigé devient, malgré toute autre garantie au titre de cette somme, la propriété de Sa Majesté jusqu'à concurrence du montant de la cotisation et doit être payée au receveur général par priorité sur toute autre garantie au titre de cette somme.






224. (4) Toute personne qui omet de se conformer à une exigence du paragraphe (1), (1.2) ou (3) est tenue de payer à Sa Majesté un montant égal au montant qu'elle était tenue, en vertu du paragraphe (1), (1.2) ou (3), selon le cas, de payer au receveur général.


224.1 Lorsqu'une personne est endettée envers Sa Majesté, en vertu de la présente loi ou en vertu d'une loi d'une province avec laquelle le ministre des Finances a conclu un accord en vue de recouvrer les impôts payables à la province en vertu de cette loi, le ministre peut exiger la retenue par voie de déduction ou de compensation d'un tel montant qu'il peut spécifier sur tout montant qui peut être ou qui peut devenir payable à cette personne par Sa Majesté du chef du Canada.


[12]      C'est évidemment en vertu de l'article 224.1 ci-dessus que la retenue par voie de compensation visée par la présente demande de contrôle judiciaire a été effectuée. Il est clair de la disposition que cette retenue par voie de compensation ne peut pas être valide si la personne qu'elle affecte directement n'est pas une personne qui est endettée envers Sa Majesté.

[13]      Dans le présent cas, le défendeur soumet qu'Ultramar est une personne endettée envers Sa Majesté de par l'effet combiné des articles 222, 224(1.2) et 224(4) ci-dessus de la Loi de l'impôt sur le revenu. Les termes clairs de l'article 224(1.2) ne laissent planer aucun doute que ces dispositions ne peuvent rendre Ultramar endettée envers Sa Majesté si, au temps de l'avis écrit donné par le Ministre en vertu de l'article 224(1.2), ou dans les douze mois subséquents, Ultramar n'était pas débiteur d'une somme à Socanav qui, alors, était un débiteur fiscal au sens de l'alinéa 224(1.2)a). Ainsi, Ultramar a raison, en définitive, de soutenir qu'à défaut par le défendeur de prouver fondamentalement son endettement envers Socanav à l'époque pertinente, la retenue par voie de compensation en cause doit être annulée.

[14]      Le défendeur soumet avoir fait cette preuve par présomption de fait, faisant grand état que les réclamations de taxes de vente fédérale et d'accise adressées à Revenu Canada, Accise, Douanes et Impôt par Ultramar, les 22 et 27 juin 1994, aient été faites "pour le client Socanav Inc.". Selon le défendeur, ces lettres de réclamation, compte tenu des circonstances, "démontrent sans conteste qu'une relation contractuelle s'est concrétisée entre Socanav Inc. et Ultramar Canada Inc. pour établir que Socanav Inc. devenait l'éventuel bénéficiaire de la demande de remboursement pour taxes et drawbacks (N-15)".

[15]      À mon avis, c'est là beaucoup trop présumer. Dans un contexte où, notamment,

     -      il y a absence totale de preuve de considérations qui auraient amené Ultramar à se lier ainsi envers Socanav;
     -      il est établi que Socanav croyait, suivant l'avis de son avocat Claude P. Desaulniers, pouvoir bénéficier des dispositions du paragraphe 44(17) (maintenant le paragraphe 68(17)) de la Loi sur la taxe d'accise afin de réclamer de Revenu Canada un remboursement de taxe sur le carburant;
     -      Ultramar n'a rien remis à Socanav du montant remboursé par le défendeur suite aux réclamations des 22 et 27 juin 1994; et
     -      les contrats intervenus entre Ultramar et Socanav, les 1er novembre 1985 et 8 janvier 1986, démontrent que le prix du carburant payé par Socanav pour l'exploitation de ses navires avait un effet direct sur les tarifs facturés par Socanav à Ultramar pour le transport de ses produits,

je ne suis pas convaincu que les faits invoqués par le défendeur soient suffisamment graves, précis et concordants pour faire naître une présomption de fait établissant l'endettement requis d'Ultramar envers Socanav.

[16]      De plus, si, comme le soutient le défendeur, Socanav, par l'effet de la concrétisation d'une relation contractuelle, était devenue "l'éventuel bénéficiaire de la demande de remboursement pour taxes et drawbacks (N-15)", ce qui n'a pas été établi, il faudrait tout au plus déduire que Ultramar, le manufacturier seul autorisé à réclamer et obtenir semblable remboursement, a, directement ou indirectement, cédé à sa cliente Socanav, ses droits dans ce remboursement, ce qui constituerait une cession de créances nulle et sans effet, parce que prohibée par l'article 67 de la Loi sur la gestion des finances publiques , S.R., ch. F-10, lequel se lit comme suit :

67. Except as provided in this Act or any other Act of Parliament,

     (a) a Crown debt is not assignable; and
     (b) no transaction purporting to be an assignment of a Crown debt is effective so as to confer on any person any rights or remedies in respect of that debt.


67. Sous réserve des autres dispositions de la présente loi ou de toute autre loi fédérale :

     a) les créances sur Sa Majesté son incessibles;
     b) aucune opération censée constituer une cession de créances sur Sa Majesté n'a pour effet de conférer à quiconque un droit ou un recours à leur égard.

[17]      Le caractère absolu de cette incessibilité d'une créance de la Couronne est maintenant bien établi, tel qu'en fait foi la décision de la Cour d'appel du Québec dans l'affaire Bief des Seigneurs Inc. c. Jean Fortin & Associés Syndic Inc., 44 C.B.R. (3d) 137.

[18]      Pour toutes ces raisons, la retenue par voie de compensation effectuée par le défendeur par le biais de l'avis de détermination en date du 22 octobre 1998 est annulée. Il est en outre déclaré que la demanderesse Ultramar Canada Inc. a droit au remboursement par le défendeur du montant que ce dernier a voulu ainsi retenir par voie de compensation, avec intérêts calculés suivant les dispositions applicables de la Loi sur la taxe d'accise. Les dépens sont adjugés au profit de la demanderesse.



                            

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 9 février 2000



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