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Date : 20020920

Dossier : IMM-5451-01

Référence neutre : 2002 CFPI 989

Toronto (Ontario), le vendredi 20 septembre 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE HENEGHAN

ENTRE :

                                            GLORIA DEL CARMEN PERALTA

VALENTINA PERALTA

MARIA JIMENA CORREA PERALTA

(alias MARIA JIMENA CORREA)

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                         - et -

                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Introduction


[1]                 Mme Gloria Del Carmen Peralta (la demanderesse principale) est la mère de Valentina Peralta et de Maria Jimena Correa Peralta (collectivement, les demanderesses). Les demanderesses sollicitent, en vertu du paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et ses modifications, le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé, le 7 novembre 2001, de leur reconnaître le statut de réfugié.

Les faits

[2]                 Les demanderesses sont des citoyennes de l'Argentine. Valentina Peralta est la fille mineure de la demanderesse principale, et sa revendication est jointe à celle de sa mère. Maria Jimena Correa Peralta est une adulte et elle présente sa propre revendication. Toutes les revendications sont entendues ensemble, conformément à l'article 10 des Règles de la section du statut de réfugié.

[3]                 Au soutien de sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, la demanderesse principale invoque son appartenance à un groupe social, à savoir les Argentines victimes de violence conjugale et de violence sexuelle. Sa fille d'âge adulte fonde quant à elle sa revendication sur son appartenance à sa famille et prétend craindre d'être persécutée à cause des actes commis par l'ancien ami de coeur de sa mère, Juan Luis Ramos.


[4]                 La demanderesse principale a commencé à fréquenter M. Ramos à Mendoza, en Argentine, en décembre 1997. M. Ramos a exercé sur elle de la violence physique, verbale et sexuelle. En juin 1998, il a blessé si gravement la demanderesse principale que celle-ci a dû consulter un médecin et a signalé l'incident à la police. Les policiers lui ont dit qu'ils ne se mêlaient pas d'affaires de famille et lui ont conseillé d'obéir à son ami de coeur.

[5]                 En juillet 1998, la demanderesse principale a été de nouveau battue et violée par M. Ramos. Elle a dû consulter ensuite un médecin et un gynécologue. Elle a aussi demandé l'aide d'un centre pour femmes et a participé à des séances de counseling d'une heure. Elle a également consulté un avocat qui offrait des services de médiation. M. Ramos a refusé de participer à une médiation. L'avocat a dit à la demanderesse principale que la poursuite de la procédure judiciaire prendrait du temps et pourrait la mettre en danger.

[6]                 En janvier 1999, la demanderesse principale a appris qu'elle était enceinte. La nouvelle a rendu M. Ramos furieux. La violence physique et verbale s'est poursuivie.

[7]                 La demanderesse principale a indiqué dans son témoignage que M. Ramos allait la voir à son travail. Malgré les nombreux appels, la police n'était intervenue qu'à une seule occasion, sans toutefois arrêter M. Ramos.

[8]                 La demanderesse principale a relaté un autre incident au cours duquel elle a été violemment battue par M. Ramos. Elle a alors dû être transportée à l'hôpital en ambulance. Elle a signalé l'incident à la police et a ensuite appris que, bien que son dossier ait été transmis au procureur, aucune mesure n'avait été prise contre M. Ramos.


[9]                 Après la naissance de Valentina, M. Ramos a continué de battre la demanderesse principale. Il l'a de nouveau violée et a menacé de s'en prendre à l'enfant en octobre 1999. Après qu'un incident identique fut survenu en avril 2000, les demanderesses se sont enfuies chez un ami.

[10]            M. Ramos a découvert où la demanderesse principale vivait et a continué de proférer des menaces contre elle, chez elle et à son travail. La demanderesse principale s'est enfuie d'Argentine avec sa fille mineure le 30 juillet 2000. Elles sont arrivées au Canada après avoir passé quatre semaines aux États-Unis.

[11]            La fille adulte de la demanderesse est restée en Argentine jusqu'en avril 2001. Elle dit qu'elle a reçu des appels de menace de M. Ramos et que celui-ci l'a suivie. Elle est arrivée au Canada en avril 2001.

[12]            La Commission a considéré que les demanderesses étaient crédibles, mais elle a conclu qu'elles pouvaient obtenir la protection de l'État. Pour en arriver à cette conclusion, elle s'est appuyée sur la preuve documentaire indiquant que l'Argentine adopte des lois visant à protéger les femmes victimes de violence conjugale. La Commission a néanmoins pris note que ces lois s'appliquaient seulement dans certaines régions de l'Argentine et qu'elles ne prévoyaient pas de sanctions pour les conjoints violents.


[13]            La Commission a conclu qu'il existe une protection raisonnable et adéquate pour la revendicatrice principale en Argentine, et elle a accordé une grande importance à la preuve documentaire. Elle a conclu également que la revendicatrice principale n'avait pas démontré que le gouvernement de l'Argentine ne pouvait pas ou ne voulait pas la protéger et a décidé que la crainte de persécution des demanderesses n'était pas fondée.

[14]            La Commission a conclu en particulier :

Les revendicatrices n'ont pas prouvé de façon convaincante qu'elles ne pouvaient pas demander la protection de l'État en Argentine, que cette protection ne leur serait pas accordée, ou qu'elles avaient épuisé tous les recours disponibles avant de solliciter la protection internationale.

  

Prétentions des demanderesses

  

[15]                         Les demanderesses prétendent que la conclusion de la Commission concernant la possibilité d'obtenir la protection de l'État en Argentine est erronée et abusive parce que la Commission a négligé des éléments de preuve pertinents. Elles font valoir en particulier que la Commission s'est fondée sur le fait qu'une loi avait été adoptée pour protéger les femmes contre la violence conjugale dans l'État de Mendoza. Or, aucune mesure n'avait été prise pour mettre cette loi en application.

[16]                         Les demanderesses prétendent également que la Commission n'a pas appliqué le critère approprié pour déterminer si elles pouvaient obtenir la protection de l'État. Elles ont dit que la Commission avait exigé qu'elles démontrent qu'elles avaient épuisé tous les recours offerts en matière de protection avant de demander la protection d'un autre pays. Selon elles, ce n'est pas le critère juridique qui aurait dû être appliqué.


Prétentions du défendeur

  

[17]            Le défendeur soutient que la Commission a correctement examiné la question de la protection de l'État. Se fondant sur l'arrêt rendu par la Cour dans Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.), le défendeur fait valoir que l'État d'origine - l'Argentine en l'espèce - n'est pas tenu d'offrir une protection parfaite à tous ses citoyens en tout temps. Selon lui, la Commission a examiné de manière raisonnable la question de savoir si les demanderesses pouvaient raisonnablement obtenir la protection de l'État et a conclu que c'était le cas.

Analyse

  

[18]            À mon avis, les demanderesses ont réussi à démontrer que la Commission n'a pas appliqué le critère approprié pour déterminer si elles pouvaient obtenir la protection de l'État. Il ressort des motifs de la Commission que celle-ci a exigé des demanderesses qu'elles démontrent qu'elles avaient épuisé tous les recours offerts en matière de protection. Le juge Rothstein a statué que ce critère était erroné dans l'affaire Madame Untel, demanderesse du statut de réfugiée c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (21 novembre 1996), dossier : IMM-1514-95 (C.F. 1re inst.) :


Je ne suis pas convaincu que le tribunal de la S.S.R. ait appliqué le critère approprié pour traiter la demande de la requérante qui réclame la protection de l'État, en l'espèce. Il ressort des termes employés par le tribunal et des renvois de celui-ci à la preuve qu'il a exigé de la requérante qu'elle épuise absolument tous les recours disponibles pour assurer sa protection et non qu'elle prenne toutes les mesures raisonnables, compte tenu de sa situation, pour obtenir une protection dans son pays d'origine. En l'espèce, la recherche de protection devait être considérée non seulement en fonction de la situation générale qui avait cours dans le pays d'origine mais également en tenant compte de toutes les mesures que la requérante a effectivement prises et de la relation de la requérante avec les autorités, compte tenu des circonstances très exceptionnelles de la présente cause. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire renvoyée à une formation différente de la S.S.R. composée différemment pour qu'elle statue à nouveau sur celle-ci, mais uniquement en ce qui concerne la question de la protection de l'État.

[19]            À mon avis, le fait que la Commission n'a pas appliqué le critère juridique approprié est suffisant pour annuler sa décision.

[20]            Par conséquent, la décision de la Commission est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'elle soit examinée au fond.

[21]            La présente demande ne soulève aucune question grave de portée générale de sorte qu'aucune question ne sera certifiée.

                                           ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'elle soit examinée.

Aucune question n'est certifiée.

  

                   « E. Heneghan »            

    Juge

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               IMM-5451-01

INTITULÉ :                                              GLORIA DEL CARMEN PERALTA VALENTINA PERALTA

MARIA JIMENA CORREA PERALTA

(alias MARIA JIMENA CORREA)

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                    Le mercredi 18 septembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                           Madame le juge Heneghan

DATE DES MOTIFS :                           Le vendredi 20 septembre 2002

COMPARUTIONS :                              

J. Byron Thomas                                                               POUR LES DEMANDERESSES

Deborah Drukarsh                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

J. Byron Thomas                                                              POUR LES DEMANDERESSES

5468, rue Dundas ouest

Bureau 402

Toronto (Ontario)

M9B 6E3

Morris Rosenberg                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

            Date : 20020920

         Dossier : IMM-5451-01

ENTRE :

GLORIA DEL CARMEN PERALTA VALENTINA PERALTA

MARIA JIMENA CORREA PERALTA (alias MARIA JIMENA CORREA)

                                    demanderesses

- et -

    

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                              défendeur

                                                                            

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                             

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