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Date : 20191107


Dossier : IMM‑1635‑19

Référence : 2019 CF 1390

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2019

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

ALEKSANDER PJETRACAJ

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS


I.  Aperçu

[1]  Monsieur Aleksander Pjetracaj [M. Pjetracaj] est un citoyen de l’Albanie. Sa famille est mêlée à une vendetta qui a commencé en Albanie, en 1997. En raison de la vendetta dont il n’est pas du tout responsable, M. Pjetracaj s’est enfui au Canada où il a demandé l’asile. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté sa demande d’asile. Le 15 février 2019, la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté l’appel que M. Pjetracaj avait interjeté à l’encontre de la décision de la SPR. En confirmant la décision de la SPR, la SAR a jugé que M. Pjetracaj serait en mesure de se prévaloir d’une protection adéquate de l’État en Albanie, et, par conséquent, qu’il n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. M. Pjetracaj demande maintenant, en application du paragraphe 72 de la LIPR, le contrôle judiciaire de la décision rendue par la SAR. Pour les motifs exposés ci‑dessous, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

II.  Contexte factuel

[2]  J’aimerais souligner que les vendettas ont constitué une partie du droit coutumier de l’Albanie, et, pour cela, je fais un rappel succinct du contexte historique. La coutume de la vendetta remonte aux années 1400, lorsque le droit coutumier, au titre du Kanun de Lek Dukagjin, réglementait le droit public et le droit privé. Pendant le régime communiste albanais, sous l’autorité d’Enver Hoxha, les vendettas étaient interdites par la loi et sévèrement punies. À la suite de l’effondrement du régime communiste au début des années 90 et du vide qui en a résulté en matière de maintien de l’ordre, les vendettas ont refait surface sous une forme extrêmement violente.

[3]  Les origines de la vendetta en cause dans la présente affaire remontent à 1997, lorsque l’oncle de M. Pjetracaj a commencé à fréquenter une femme en Albanie. La famille de celle‑ci n’approuvait pas de leur relation. Lorsque la famille de la femme lui a dit qu’elle devait épouser un autre homme, elle a refusé et s’est enfuie avec l’oncle de M. Pjetracaj. Leonard, un ami de l’oncle de M. Pjetracaj les a aidés à s’enfuir. À la suite de la fuite de la femme de l’Albanie, sa famille a déclaré une vendetta à celle de M. Pjetracaj. En 2002, Leonard a été tué par Paulin, l’oncle de la femme en question. Selon le dossier, Paulin a subi un procès, a été déclaré coupable de meurtre par un tribunal albanais, et s’est vu infliger une peine [traduction] « apparemment de 21 ans ». Il a été remis en liberté en 2012, après avoir purgé 10 ans de sa peine. La famille de la femme, donc celle de Paulin, a déclaré qu’elle continuerait à tenter de se venger. Selon la coutume, M. Pjetracaj était à l’abri des attaques jusqu’au 16 mai 2015, quand il a atteint l’âge de 18 ans.

[4]  Environ trois (3) ans après la remise en liberté de Paulin, alors que M. Pjetracaj avait 18 ans, un incident est survenu qui l’a mené à s’enfuir de l’Albanie. Le 29 mai 2015, vers 20 heures, après qu’un ami l’eut déposé, et alors qu’il marchait seul pour rentrer chez lui après un match de soccer auquel il avait assisté, M. Pjetracaj s’est retourné et a vu un homme marchant tout seul derrière lui, à une distance d’environ 200 à 300 mètres. Lorsque M. Pjetracaj s’est retourné une deuxième fois, il s’est aperçu que l’homme n’était plus qu’à environ 20 à 30 mètres de lui, que de toute évidence il le suivait, et qu’il tenait un [traduction« grand couteau ». Il a décrit l’homme comme étant âgé d’environ 50 ans. Quand il a vu le couteau et a compris à quel point cet homme était près de lui, M. Pjetracaj a commencé à crier et s’est enfui en courant vers sa maison, laquelle était située à environ 150 mètres. À son arrivée chez lui, il a raconté l’incident à son père et a communiqué avec la police.

[5]  Des policiers sont arrivés chez M. Pjetracaj dans les 10 minutes suivant l’appel. Ils ont interrogé M. Pjetracaj, ont fouillé le périmètre extérieur de la maison afin de vérifier si l’homme était toujours dans les environs, et ont interrogé les voisins. Les policiers n’ont pas réussi à trouver le suspect. M. Pjetracaj n’a pas été en mesure d’identifier la personne qui l’avait suivi autrement que par une description des caractéristiques physiques de celle‑ci. Les policiers ont demandé à M. Pjetracaj s’il y avait des témoins. Il leur a donné le nom de son ami qui l’avait déposé avant qu’il ne commence à marcher vers sa maison. Les policiers sont allés à la recherche de cet ami et sont revenus environ 20 minutes plus tard pour lui dire que son ami n’avait rien vu. Selon M. Pjetracaj, les policiers ont mis fin à leur enquête et l’ont invité à communiquer avec eux s’il avait de nouveaux ennuis. M. Pjetracaj pensait que le suspect était Paulin. De l’avis de M. Pjetracaj, les policiers n’ont pas mené d’enquête sur Paulin. De plus, M. Pjetracaj n’a effectué aucun suivi auprès des policiers afin de savoir s’ils avaient parlé à Paulin.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[6]  La SPR a conclu que M. Pjetracaj était crédible en ce qui concerne le risque auquel il était exposé en Albanie. Elle a néanmoins rejeté sa demande d’asile, au motif qu’il pouvait se prévaloir d’une protection adéquate de l’État en Albanie.

[7]  Dans le cadre de l’appel qu’il a interjeté auprès de la SAR, M. Pjetracaj a soutenu que la SPR a commis une erreur dans son évaluation de la disponibilité de la protection de l’État, car elle a mis l’accent sur la seule existence de mesures adoptées par les autorités albanaises pour régler le problème que posaient les vendettas plutôt que d’évaluer l’efficacité de ces mesures. La SAR a convenu avec la SPR que M. Pjetracaj était crédible, mais qu’il n’avait pas réussi à réfuter la présomption de la disponibilité de la protection de l’État. Certes, la SAR était d’accord avec M. Pjetracaj que le critère pour établir que la protection de l’État est offerte consiste à savoir si les mesures prises par l’État pour protéger ses ressortissants sont adéquates, mais elle a souligné que la protection de l’État n’a pas à être parfaite, et que l’analyse relative à celle‑ci ne peut pas être menée en vase clos.

[8]  Dans un tel contexte, la SAR a pris en considération un bon nombre d’articles portant sur les vendettas en Albanie. Il ressort des éléments de preuve que les vendettas continuent d’exister en Albanie et qu’elles sont plus courantes dans le nord du pays, la région où résidait M. Pjetracaj avant qu’il vienne au Canada. La SAR a conclu que la preuve documentaire est contradictoire quant à la prévalence des vendettas. Bien que des sources indépendantes affirment que les vendettas demeurent répandues, des statistiques officielles du gouvernement démontrent que le nombre de vendettas a été considérablement réduit. La SAR a aussi conclu que les éléments de preuve sont quelque peu contradictoires quant à l’efficacité de la protection de l’État. Certes, elle a conclu que le gouvernement albanais a pris des mesures sérieuses pour régler l’enjeu des vendettas, mais la question que la SAR devait trancher portait sur l’efficacité de ces mesures. Bien que ces mesures aient connu un certain succès, selon la SAR, les résultats obtenus ne sont pas uniformes partout au pays.

[9]  La SAR a ensuite examiné les éléments de preuve objectifs contradictoires dans le contexte de l’expérience personnelle de M. Pjetracaj, c’est‑à‑dire dans le contexte des faits qui sont liés à sa famille et à lui. La SAR a conclu que les policiers albanais ont été efficaces en répondant rapidement à l’appel de M. Pjetracaj en 2015, et qu’ils ont immédiatement entrepris des efforts d’enquête, notamment : ils ont fouillé le périmètre autour de la maison, ils ont parlé à des témoins potentiels, et ils sont retournés chez M. Pjetracaj pour lui demander de communiquer avec eux s’il avait de nouveaux ennuis. En plus de l’efficacité de la réponse des policiers à l’appel de M. Pjetracaj, la SAR a jugé que les policiers albanais et les autorités chargées de la poursuite, ainsi que les autorités judiciaires, ont fait preuve d’efficacité dans le cadre de l’arrestation, de la déclaration de culpabilité et de l’emprisonnement de Paulin pendant 10 ans pour le meurtre de Leonard – ce qui était un autre facteur favorable à la conclusion que la protection de l’État était adéquat.

[10]  Compte tenu de tout ce qui précède, la SAR a conclu que M. Pjetracaj n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle l’État pouvait adéquatement le protéger, et elle a confirmé la décision de la SPR.

IV.  Dispositions pertinentes

[11]  Les dispositions pertinentes de la LIPR sont l’article 96 et le paragraphe 97(1). Elles sont reproduites dans l’annexe jointe aux présents motifs.

V.  Question en litige dans le contrôle judiciaire

[12]  Étant donné que je suis convaincu que la SAR a correctement formulé le critère applicable à la question de la protection de l’État, la seule question qui se pose dans le présent contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de la SAR portant sur le caractère adéquat de la protection de l’État répond aux critères de la décision raisonnable tels qu’ils sont énoncés au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190. Cette norme doit être examinée à la lumière de l’arrêt de la Cour suprême Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 au para 55, 103 DLR (4e) 1, selon lequel les États sont présumés être capables de protéger leurs ressortissants. Bien qu’il ne soit pas nécessaire que des personnes s’exposent à une menace à leur vie dans leur recherche de la protection de l’État, elles doivent néanmoins confirmer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État à assurer leur protection (Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 63 Imm LR (3d) 13, refus de l’autorisation d’appel auprès de la CSC, 32112 (15 novembre 2007); Rojas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 772).

VI.  Analyse

A.  Caractère raisonnable de l’analyse et de la conclusion de la SAR sur la protection de l’État

[13]  M. Pjetracaj soutient que la SAR a commis quatre (4) erreurs susceptibles de contrôle dans son analyse de la protection de l’État, nommément : (1) elle a confondu les efforts de l’État avec l’efficacité; (2) elle n’a pas expliqué pourquoi l’efficacité opérationnelle limitée de l’Albanie dans la lutte contre les vendettas suffisait à établir qu’il existait une protection adéquate de l’État; (3) elle n’a pas expliqué pourquoi les éléments positifs de la documentation sur la situation dans le pays outrepassaient les éléments négatifs; (4) elle n’a pas examiné l’ensemble du système judiciaire de l’Albanie et a plutôt mis l’accent sur le comportement des policiers.

[14]  Comme la SAR l’a souligné, le dossier de la preuve présentait des renseignements quelque peu contradictoires sur la prévalence des vendettas en Albanie et sur l’efficacité du gouvernement à lutter contre les vendettas. En guise d’exemple, en ce qui concerne la prévalence des vendettas, la SAR a notamment examiné les documents suivants :

  • - Un article du Balkan Insight, intitulé « Blood Feuds Still Blight Albanian Lives, Report Says »[traduction] (Selon un rapport, les vendettas continuent de détruire des vies en Albanie) (3 avril 2013), selon lequel, [traduction] « l’ampleur du problème est difficile à évaluer, car il y a de grandes divergences dans les statistiques sur les vendettas et les meurtres connexes »; certes, les médias nationaux et les organisations non gouvernementales affirment que les chiffres sont élevés, mais les statistiques du gouvernement révèlent des chiffres bas.

  • - Un article d’Al Jazeera intitulé, « Sisters of the Blood Feud: Revenge Killings in Albania » [traduction] (De pair avec les vendettas : les vengeances meurtrières en Albanie) (11 juin 2017), selon lequel, il est [traduction« difficile de simplement savoir combien de familles [...] vivent dans l’isolement en raison des vendettas en Albanie »; encore une fois, les ONG œuvrant sur place rapportent des chiffres élevés, tandis que le gouvernement albanais fait état de chiffres bas.

  • - Un « Country Condition Brief: Albania (2017) », [traduction(Résumé de 2017 sur la situation dans le pays en Albanie) rapporte que [traduction« certaines sources reconnaissent que des progrès ont été accomplis par la police [relativement aux vendettas], tandis que d’autres continuent de signaler de graves lacunes ».

[15]  La SAR a conclu que les vendettas demeurent un problème en Albanie. Elle a donc examiné les efforts déployés par l’Albanie et l’efficacité des mesures prises par ce pays pour régler le problème. Contrairement à l’argument de M. Pjetracaj, selon lequel la SAR n’a examiné que les efforts, la SAR a cherché à évaluer l’efficacité des mesures prises. Elle a explicitement déclaré : « [...] Puisque ces mesures ont été prises, le tribunal doit évaluer si elles sont efficaces [...] », et elle a ensuite examiné les éléments de preuve présentés.

[16]  Étant donné que la SAR n’a pas été en mesure de déterminer, à partir seulement des éléments de preuve documentaire, si l’Albanie pouvait offrir une protection efficace à M. Pjetracaj, elle a examiné sa situation particulière. Elle a conclu que la réponse des autorités albanaises au meurtre de Leonard était efficace, puisque Paulin a été arrêté et emprisonné pendant 10 ans. Elle a ensuite conclu que la manière dont les policiers ont répondu à l’incident de 2015 était également efficace, en particulier parce que M. Pjetracaj ne connaissait pas l’homme qui s’était approché de lui.

[17]  En ce qui concerne les explications que M. Pjetracaj cherche à obtenir quant à savoir pourquoi l’efficacité opérationnelle limitée de l’Albanie à lutter contre les vendettas suffisait à établir l’existence d’une protection adéquate de l’État, et à savoir pourquoi les éléments positifs de la documentation sur la situation du pays outrepassaient les éléments négatifs, je ferai les observations qui suivent. Premièrement, il incombait à M. Pjetracaj de réfuter la présomption qu’une protection adéquate de l’État lui était offerte. Il n’a pas réussi à le faire. Deuxièmement, la SAR est présumée avoir apprécié et examiné l’ensemble de la preuve (Quebrada Batero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 988 au para 13, citant la décision Akram c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 629 au para 15; D’Souza c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1983] 1 CF 343 au para 8 (CAF); Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF n˚ 598 au para 1 (CAF) [Florea]; voir aussi la décision Sivapathasuntharam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 486 au para 24, citant l’arrêt Florea). Troisièmement, à mon avis, il était loisible à la SAR d’accepter certains éléments de preuve, de les accepter tous ou de n’en accepter aucun (voir l’arrêt R c REM, 2008 CSC 51 au para 65, [2008] 3 RCS 3; de façon plus générale, l’arrêt R c W(D), [1991] 1 RCS 742, 63 CCC (3d) 397; Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 731). Quatrièmement, il incombe au tribunal administratif, et non pas aux cours de révision, d’accorder le poids nécessaire à un élément de preuve particulier (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 61, [2009] ACS n˚ 12; Société Canadian Tire Limitée c Koolatron Corporation, 2016 CAF 2 au para  23, 480 NR 245; Nekoie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 363 au para 33, 407 FTR 63). Cinquièmement, dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 15, [2011] 3 RCS 708, la Cour suprême enseigne aux cours de révision qu’elles peuvent examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat (voir aussi l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 au para 53, [2011] 3 RCS 654). Les décideurs ne sont pas tenus de mentionner tous les éléments de preuve qui ont fait pencher la balance dans un sens ou dans l’autre (Jean‑Baptiste c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 285 au para 20, citant les décisions Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1379 aux para 31 à 34, et Quebrada Batero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 988 au para 13; D’Souza c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1983] 1 CF 343 au para 8).

[18]  Enfin, M. Pjetracaj conteste la décision de la SAR au motif qu’elle n’a pas examiné l’ensemble du système judiciaire albanais. Bien que la SAR n’ait pas expressément déclaré qu’elle le faisait, je suis d’avis qu’elle avait véritablement conscience de cette question litigieuse lorsqu’elle a examiné le traitement judiciaire auquel Paulin a été soumis. En ce qui concerne les questions de la corruption judiciaire alléguée, la SAR disposait d’un rapport de 2016 d’Al Jazeera intitulé « Albania : The dark shadow of tradition and blood feuds » [traduction(Albanie : la face sombre des traditions et des vendettas), qui confirmait que des meurtriers aisés pouvaient corrompre les juges pour que ceux‑ci leur infligent, en contrepartie, des peines réduites. Toutefois, ce rapport était contredit par l’article de 2017 du Balkan Insight intitulé “Albania Arrests Top Judge Suspected of Bribery” [traduction(l’Albanie arrête un juge de premier plan soupçonné de corruption), lequel démontre que le gouvernement combat la corruption des juges en Albanie. Une fois de plus, la SAR disposait d’éléments de preuve généraux contradictoires sur la situation dans le pays. Il était donc raisonnable que la SAR examine le contexte de l’expérience personnelle de M. Pjetracaj — les faits liés à sa famille et à lui, notamment la manière dont Paulin a été traité — dans l’examen de la question de savoir si le système judiciaire de l’Albanie fonctionnait adéquatement. Certes, M. Pjetracaj fait valoir que Paulin aurait dû être mis en accusation pour un crime plus grave que celui dont il a été accusé, et donne à penser qu’il y a une certaine inadéquation dans le choix de l’infraction, mais une telle affirmation est simplement conjecturale. Le choix de la poursuite aurait très bien pu être un des résultats de l’exercice légitime du pouvoir discrétionnaire de la poursuite, compte tenu des éléments de preuve existants. Les faits suivants illustrent un système judiciaire fonctionnel : Paulin a fait l’objet d’une enquête, il a été mis en accusation, et il a été déclaré coupable.

VII.  Conclusion

[19]  De toute évidence, les éléments de preuve étaient contradictoires en ce qui concerne deux questions litigieuses principales — la prévalence des vendettas en Albanie et le caractère adéquat des efforts déployés par ce pays pour les combattre. Il incombait à la SAR de soupeser tous les éléments de preuve, notamment les documents sur la situation dans le pays. C’est la SAR qui possède l’expertise dans le domaine, pas les cours de révision. La décision de la SAR répond aux critères de la décision raisonnable. À mon avis, elle est justifiée, transparente et intelligible et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Pour les motifs susmentionnés, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

[20]  Les parties n’ont proposé aucune question aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale et le dossier n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1635‑19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens. Aucune question n’est certifiée aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale.

« B. Richard Bell »

Juge

 


ANNEXE

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

  a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

  (a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

  b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

  (b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

  a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

  (a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

  b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

  (b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

  (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

  (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

  (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

  (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

  (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

  (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

  (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

  (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1635‑19

 

INTITULÉ :

ALEKSANDER PJETRACAJ c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 août 2019

 

Motifs du jugement et jugement :

Le juge BELL

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

Le 7 novembre 2019

 

COMPARUTIONS :

Bjorna Shkurti

 

Pour le demandeur

 

Camille Audain

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Caron & Partners LLP

Calgary (Alberta)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

Pour le défendeur

 

 

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